Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Angliviel (Doëtte), 1898-1948

 Doëtte Angliviel

(Odette Mathilde Fourgassié)

1898-1948

 

 

 

- Castres

- Pour la biographie, consulter la page Nouvellesuzette

  et surtout celle de  "passion du livre" qui lui est consacrée

 

Tour à tour j'ai cueilli...

 

Tour à tour j'ai cueilli la somptueuse orange

Qui dans sa gaine d'or est un soleil éclos,

Et l'ovale raisin des nouvelles vendanges

Mûri pour le vin brun et fort des matelots.

 

J'ai senti dans mes mains heureuses la pastèque

Peser de tout son poids brûlant et précieux,

Et j'ai bu les azurs de la minute grecque

Aux amphores où s'apaisa la soif des dieux.

 

Maintenant que le soir étale sur la plage

Sa rose nudité de pâtre adolescent,

Que l'infini sanglote au fond d'un coquillage,

Que se fondent des parfums tendres dans le vent,

 

Que ce pays, à mon oreille émerveillée,

A livré les secrets divins de l'univers,

Sous la glycine, en le crépuscule, effeuillée,

De mon balcon léger je contemple la mer.

 

Cahiers mensuels illustrés, 1926, T. 4

 


 

Jardin à la Française

 

Dans un jardin, jadis dessiné par Le Nôtre,

La jeune fille Geneviève,

Près d'un Monsieur l'Abbé qui dit des patenôtres,

Caresse son beau rêve.

 

Ifs au fuseau, buis en fauteuil, fusains en boule,

Et puis, une Vénus de marbre,

Le vent n'ôse risquer un rire qui refoule

Sa chanson dans les arbres.

 

Ici l'Amour doit aussi suivre les allées,

Ne point faire de pirouettes,

Dédaigner la maraude et l'ardente envolée

Vers l'imprévu des fêtes.

 

Des parents timorés dressent un blanc programme

Et prétendent régler la danse,

Des kermesses vers où, frémissante, son âme

D'enfant tendre s'élance.

 

Mais Geneviève se souvient d'une journée,

A l'odeur d'oeillets et de fraises,

Où l'on prit un baiser sur sa bouche étonnée,

Dans un jardin qui n'était pas à la Française.

 

CMI, 1927, T 5

 


 

 Jeux aux jardins (1927)

 

Henry Rey

 

 Les statues

 

Jeux divins au clair de lune!

Chacune danse et vire, grise,

Puis, en une pose opportune,

Se donne au baiser de la brise.

 

L'une a des gestes de Victoire

Dédiant ses seins à l'espace,

L'autre enlace d'un bras d'ivoire

Le balustre de la terrasse.

 

Laissant flotter sa chevelure

Si longue au fil de l'eau fuyante

La troisième dans sa ceinture

Tord de vertes touffes de menthes.

 

Et la plus jeune, la plus belle,

Svelte et blonde comme une abeille,

Semble appeler des tourterelles

Dans ses bras ouverts en corbeilles.

 

Et l'eau tranquille, bleue et calme,

Poète émerveillée dévoile,

Entre deux battements de palmes

Leurs gestes tendres aux étoiles.

 

 


Les gages

 

Lucinde aux yeux de fleurs, Armelle au col de cygne,

Qui fautèrent à pigeon-vole,

S'apprètent à se rendre au devoir que désigne

Un destin qui paraît frivole.

 

Le bel enfant qui signe un éphébat gracile

Paraît sur la terrasse rose,

Et tend d'un geste adorablement malhabile

Sa joue au goût sucré de rose.

 

Lucinde y met sa bouche en coeur de vierge sage,

Et puis, cache sous son ombrelle,

D'un réflexe dicté par un décent usage,

Une rougeur de jouvencelle.

 

Mais le dieu qui sourit sur la pelouse verte

Parmi les sauges de l'automne,

D'Armelle ôse guider les lèvres inexpertes

Vers un nouveau baiser dont son émoi s'étonne.

 

 


La marelle


 Il sied de reprendre, Gisèle,

Puisque l'Avril est revenu,

Le jeu dansant de la marelle

Triomphe de vos pieds menus.

 

Par ce bleu matin qui rayonne,

Nous irons, si cela vous plaît,

Sur le sable de la Garonne,

Choisir le plus rose galet.

 

Puis, sur les blanches mosaïques,

Du bout léger de nos fusains,

Nous tracerons le symétrique

Et réglementaire dessin.

 

Cependant que de dalle en dalle,

Vous ferez le tour convenu,

La chûte de votre sandale

Révèlera votre pied nu.

 

Mais d'un geste qui le dérobe,

Rougissante de ce dessein,

Vous cacherez sous votre robe

Son modelé trop enfantin.

 


 

 

La jongleuse


Défaite de cette Vénus

Dont le marbre antique proteste,

Voici qu'un clair de lune atteste

Le triomphe de deux bras nus.

 

Nulle tige molle ne trace

Ces arcs de bracile beauté,

Nul lis n'a cette pureté,

Nul ivoire n'a cette grâce.

 

Jongleuse pensive, une enfant

D'un geste aux nobles alternances,

Lance des roses au silence

Harmonieux du firmament.

 


 

 

 Tennis

 

Tennis. Carré de jeunes filles,

Cheveux enchantés de fleurs blanches,

Ruban d'azur des espadrilles,

Fichus de dentelles aux branches.

 

La balle rebondit, et, souple,

De Laure vole à Marjolaine,

Ou s'en va déranger un couple

De ramiers heureux, dans un chêne.

 

Maintes fois, erreur ou caprice,

- Qui le saurait mieux que ces filles? -

Elle choit, peut-être complice,

Au creux d'interdites charmilles.

 

Dans le jardin qu'un père sage

Fit cloturer d'un mur de roses,

Car, des faunes, sous ces feuillages,

Cultivent l'art d'étranges poses.

 

Ce n'est pas pour eux que les belles

Veulent franchir la palissade,

Et lancent la balle aux tonnelles

Pour motiver leur escalade...

 

Sachez que Luce ou bien Odile,

L'ira reprendre en les mains fraîches,

D'un éphèbe qui lit Virgile

En savourant de rondes pêches.

 

 


 

Le cerceau

 

Rebondis sous les lilas blancs,

Et les troènes, mais redoute,

De conduire ce bel enfant

Vers l'inconnu de la grand'route.

 

Cerceau, suis les contours du clos,

Entre les iris polychromes,

Et les muguets aux fins grelots

Qui t'enchantent de leurs arômes.

 

Evite, au plus secret du parc,

Cette fontaine où se renverse

D'un Amour qui bande son arc,

L'image impudique et perverse.


 

Le chat et la souris

 

Sur le gazon anglais, ondule

Des fillettes, la ronde rose,

Qui se meut dans le crépuscule

Comme une guirlande de roses.

 

Entre les arcs grêles et souples

Que les bras arrondis dessinent

Se faufile, adorable, un couple

A la grâce encore enfantine.

 

Hier, la candide Isabelle,

Essayait ses quinze ans, riante,

Ainsi qu'une robe nouvelle

Entre toutes la plus seyante.

 

Et le collégien imberbe,

Aussi blond que l'adolescence,

Fragile séducteur en herbe,

Vers sa partenaire s'élance.

 

Il est le chat, elle est, perverse,

La souris mutine et narquoise,

Qui connaît des ruses diverses;

Et sous les mains qui s'entrecroisent.

 

Elle se glisse, elle zigzague,

Et virevolte, et s'insinue,

Et, dans le cercle qui la bague

Triomphe sa gloire ingénue.

 

Mais, au ruban d'une espadrille,

La souris légère trébuche,

La guirlande de jeunes filles

Bourdonne alors comme une ruche,

 

Car l'adolescent aux yeux tendres

Pareils à de jeunes glycines,

En ses bras gauches vient de prendre

Une taille flexible et fine,

 

Et sa bouche, encore discrète,

Au niveau de la nuque brune,

Se pose, palpite, s'arrête,

Pour un baiser au clair de lune.

 


 


 

Henry Rey

 


 


Automne roux

 

Automne roux, automne rouge, automne amer

Aux yeux de cuivre, à la main chaude, aux lourdes lèvres,

Frère de cet amour, beau péché de ma chair,

Dont j'accepte sans geste et sans lutte la fièvre.

Venez. Que la saveur de votre bouche soit

Comme l'âpre baiser dont la mienne est gourmande,

Que je retrouve dans le goût de votre offrande

Celui du rêve auqul je bois depuis des mois.

Que je cache parmi mes boucles dénouées

Mon grand front paraphé de songe et désir,

Et, de réveiller mon jeune souvenir,

Leur âcre odeur de feuilles mortes soit louée.




Les statues
 
Jeux divins au clair de la lune!
Chacune danse et vire, grise
Puis, en une pose opportune,
Se donne au baiser de la brise.
 
L'une a des gestes de Victoire
Dédiant ses seins à l'espace,
L'autre entrelace d'un bras d'ivoire
Le balustre de la terrasse.
 
Laissant flotter sa chevelure
Si longue au fil de l'eau fuyante
La troisième dans sa ceinture
Tord de vertes touffes de menthes.
 
Et la plus jeune, la plus belle,
Svelte et blonde comme une abeille,
Semble appeler des tourterelles
Dans ses bras ouverts en corbeilles.
 
Et l'eau tranquille, bleue et calme,
Poète émerveillé dévoile,
Entre deux battements de palmes,
Leurs gestes tendres aux étoiles.
 
 
Les ricochets
 
Quinze ou seize ans, sarrau de toile,
Catogan d'or sur un col pur,
Au ciel il n'est pas une étoile
Qui vaille ce regard d'azur.
 
Elle naquit aux heures blanches
Qui précèdent la Fête-Dieu,
Sa mère l'appela Pervenche
À cause du bleu de ses yeux.
 
Et chaque jour, vers la rivière,
Elle vient d'un pas nonchalant,
Lancer l'harmonieuse pierre
Du ricochet rebondissant.
 
Onduleuse et rose couleuvre,
Son bras fait un arc sur le ciel,
Elle sourit d'être un chef-d'œuvre
Si purement matériel.
 
Puis, quand sur les joncs du rivage,
Frissonnent les brumes du soir,
Elle baise sa blonde image
Sur l'eau lisse comme un miroir.

 

Publiés sur la page de la Maison de la poésie


 

 

 Autres recueils

- Volonté de l'ombre (1939)

- Le cheval fou (1947)

- Consulter aussi la Revue "L'Archer" (années 30)



11/06/2011
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