Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Delarue-Mardrus (Lucie) 1874-1945

Lucie Delarue-Mardrus

(1874-1945) 
 
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Lucie Delarue-Mardrus vue par Rémy de Gourmont (1908?)

Association "Lucie Delarue-Mardrus"


Une bien curieuse photo de la poétesse dans le rôle de la Pythie antique, délivrant ses oracles à un parterre médusé de photographes et ... de chanoines, elle qui ne fut pas toujours un parangon de vertu!

Lucie Delarue-Mardrus disant sa ballade, 1926
(Agence Meurisse, Gallica)
Cliquer pour agrandir la photo
 
 
 
 
Races

Vous autres qui traînez vos généalogies
A travers les bonheurs et les malheurs
Des âges, et croyez savoir par cœur
Quel sang vous bouillonne ou vous stagne au cœur,

Vous ne me direz pas, vous, de quelles orgies
          De misère et d'orgueil je sors,
          Ni quels vivants furent les morts
Dont je suis descendante au soleil d'aujourd'hui.

Ainsi, l'énigme de moi-même me fuit.
Mais je sens en moi des millions d'aïeux
Se battre. Et sais-je bien ce que je veux et peux.
          Debout sur cette foule profonde?

Or, sur la berge où les usines grondent,
Si, des soirs, j'ai compris que je sortais des reins
Des gueuses et des gars manieurs de surins
Dont je frôle en passant le cousinage sombre.

          Et si, dans l'oreiller de soie,
Inerte d'indolente et délicate joie,
          J'ai frissonné tous les frissons subtils,
Un regard autocrate et peureux dans les cils,

Maintenant je demande, — et de toute mon âme ! —
Votre mort dans ma chair, votre mort dans mon âme.
          Tas de femelles et de dames
          Qui me circulez dans le sang.

          Garces d'amour, de rêve et de sang,
          Filles d'honneur, filles de joie
Horde en tumulte, horde interne qui s'éploie,
Femmes de mer, femmes de terre,

          O contradictoires, mes Mères !

                                            Horizons.

 
 
 

L'injustice

Pendant que notre corps et notre âme se donnent
          Librement à notre seul homme,
             Que pures, fraîches, libres,
          Riches du trésor d'être honnêtes,
Nous contentons aussi le rêve de nos têtes
                    Et de nos fibres,

          Je pense, avec un cœur serré,
A vous qui, malgré vous, faites l'amour, les filles !
A votre pauvre corps de louage qu'on pille.
Et mon être est meurtri des maux que vous souffrez.

Les instincts ont croisé leurs lames de duel :
Le mâle .que tourmente une bête cachée
S'approche. On lui vendra le geste naturel.
L'un cherche son plaisir, l'autre cherche son pain,
                     Chacun sa faim !
           C'est la quotidienne bouchée.

Or les épouses sont, dans leur lit bienheureux,
Avec l'homme choisi roulé dans leurs cheveux.
Celles qu'on respecte et qu'on berce et qu'on soigne...
Les filles ! Vous aussi êtes celles qu'on soigne,
          Mais c'est au fond des lupanars !
          Pour que tout homme de hasard
Puisse en sécurité vous broyer dans ses poignes.

Ainsi l'amour public déferle sur vos corps
          Sans que jamais personne vous aime.
          Et vous ne savez plus vous-mêmes
La profondeur d'horreur de votre sort.

— Très précieuse chair dont on a perdu l'âme.
Ah ! combien dans mon cœur s'amasse de rancune
Contre votre fatale et mauvaise fortune.
Filles qui malgré tout, êtes ma sœur, la femme !
                        
                                                Horizons.

 

 

 


La figure de proue

La figure de proue allongée à l'étrave.
Vers les quatre infinis, le visage en avant
S'élance, et, magnifique, enorgueilli de vent,
La bateau tout entier la suit comme un esclave.

Ses yeux ont la couleur du large doux-amer,
Mille relents salins ont gonflé ses narines,
Sa poitrine a humé mille brises marines,
Et sa bouche entr'ouverte a bu toute la mer.

Lors de son premier choc contre la vague ronde
Quand, neuve, elle quitta le premier de ses ports
Elle mit, pour voler, toutes voiles dehors.
Et ses jeunes marins criaient : « Au nord du monde ! »

Ce jour la mariait, vierge, avec l'Inconnu,
Le hasard, désormais, la guette à chaque rive,
Car, sur la proue aiguë où son destin la rive,
Qui sait quels océans laveront son front nu ?

Elle naviguera dans l'oubli des tempêtes
Sur l'argent des minuits et sur l'or des midis.
Et ses yeux pleureront les haures arrondis.
Quand les lames l'attaqueront comme des bêtes.

Elle saura tous les aspects, tous les climats,
La chaleur et le froid, l'équateur et les pôles;
Elle rapportera sur ses frêles épaules
Le monde, et tous les ciels aux pointes de ses mâts.

Et toujours, face au large où neigent des mouettes,
Dans la sécurité comme dans le péril ;
Seule, elle mènera son vaisseau vers l'exil
Où s'en vont à jamais les désirs des poètes;

Seule, elle affrontera les assauts furibonds
De l'ennemie énigmatique et ses grands calmes;
Seule, à son front, elle ceindra, telles des palmes,
Les souvenirs de tant de sommeils et de bonds.

Et quand, ayant blessé les flots de son sillage.
Le chef coiffé de goémons, sauvagement,
Elle s'en reviendra comme vers un aimant
A son port, le col ceint des perles du voyage,

Parmi toutes les mers qui baignent les pays,
Le mirage profond de sa face effarée
Aura divinement repeuplé la marée
D'une ultime sirène aux regards inouïs.

***

... J'ai voulu le destin des figures de proue
Qui tôt quittent le port et qui reviennent tard.
Je suis jalouse du retour et du départ
Et des coraux mouillés dont leur gorge se noue.

J'affronterai les mornes gris, les brûlants bleus
De la mer figurée et de la mer réelle,
Puisque, du fond du risque, on s'en revient plus belle,
Rapportant un visage ardent et fabuleux.
Je serai celle-là, de son vaisseau suivie.
Qui lève haut un front des houles baptisé,
Et dont le cœur, jusqu'à la mort inapaisé,
Traverse bravement le voyage et la vie.

                                         La Figure de Proue.

 

 


L'étreinte marine

Une voix sous-marine enfle l'inflexion
De ta bouche et la mer est glauque tout entière
De rouler ta chair pâle en son remous profond.

Et la queue enroulée à la stature altière
Fait rouer sa splendeur au ciel plein de couchant,
Et. parmi les varechs où tu fais ta litière.

Moi qui passe le long des eaux, j'ouïs ton chant
Toujours, et, sans te voir jamais, je te suppose
Dans ton hybride grâce et ton geste alléchant.

Je sais l'eau qui ruisselle à ta nudité rose.
Visqueuse et te salant journellement ta chair
Où une flore étrange et vivante est éclose;

Tes dix doigts dont chacun pèse du chaton clair
Que vint y incruster l'algue ou le coquillage
Et ta tête coiffée au hasard de la mer;

La blanche bave dont bouillonne ton sillage.
L'astérie à ton front et tes flancs gras d'oursins
Et la perle qui prit ton oreille au passage ;

Et comment est plaquée en rond entre tes seins
La méduse ou le poulpe aux grêles tentacules.
Et tes colliers d'écume humides et succincts.

Jumelle de mon âme austère et sans plaisir,
Sirène de ma mer natale et quotidienne,
sirène de mon perpétuel désir !

Chevelure ! O hanche enflée avec la mienne.
Seins arrondis avec mes seins au va-et-vient
De la mer, ô fards clairs, ô toi, chair neustrienne !

Quand pourrai- je sentir ton coeur contre le mien
Battre sous ta poitrine humide de marée
Et fermer mon manteau lourd sur ton corps païen.

Pour t' avoir nue ainsi qu'une anguille effarée
A moi, dans le frisson mouillé des goémons.
Et posséder enfin ta bouche désirée?

Ou quel soir, descendue en silence des monts
Et des forêts vers toi, dans tes bras maritimes
Viendras-tu m'emporter pour, d'avals en amonts,

Balancer notre étreinte au remous des abîmes?...

                          (Occident.)




Litanies féminines

O Dame souveraine, O Vierge entre les vierges,
Pudique aux bras croisés chastement sur les seins,
Triomphante aux cheveux glorieusement ceints
Vers qui montent l'encens et le frisson des cierges !

Puisque tant, les doigts joints et les genoux ployants,
Viennent pleurer leur mal aux plis de votre robe,
Moi je ne serai pas qui raille et se dérobe,
Je lèverai vers vous mes regards incroyants,

Afin de vous prier, ô refuge des âmes,
O source ! aube ! vesprée et mystère des nuits,
- Pour que Dieu veille mieux le sexe dont je suis -
D'avoir des oraisons spéciales aux femmes.

O Dame! !regardez tout ce monde si cher,
Cette féminité dont vous fîtes partie
Et voyez son enfance honteuse et pervertie
Déjà frôlée aux sens et pêchant en sa chair ;

O Dame ! regardez la prime adolescence,
Les vierges aux pensers troubles, aux cils menteurs,
Chastement abaissés sur de fausses pudeurs,
Et qui savent déjà la presque jouissance ;

O Dame ! regardez celle qui tournent mal
Les épouses en qui la chair ne peut se taire,
Qui trahissent sans honte et pour qui l'adultère
Finit par n'être plus qu'un passe-temps normal ;

O Dame ! regardez ces reines captieuses
Qui dans leurs manteaux d'or emportent les raisons,
Les courtisanes dont absorbent les poisons
Tous ceux qu'ont pris aux nerfs leurs lèvres vicieuses ;

O Dame ! regardez au fond des lupanars
Ces rebuts de pavé dites filles de joie
Marchandant au passant que le hasard envoie
Leur peau triste et fanée où luisent tous les fards ;

O Dame ! regardez enfin ces raffinées,
Celles qui vont fuyant les baisers masculins
Pour entre elles unir par des gestes câlins,
Leurs féminines chairs de l'homme détournées...

Regardez ! Et qu'un peu de votre chasteté
Tombe de front étoilé de couronnes
Sur ce monde d'enfants, de femmes, de matrones
Qui vivent dans le mal et l'impureté !

O Dame souveraine, O Vierge entre les vierges,
Pudique aux bras croisés chastement sur les seins,
Triomphante aux cheveux glorieusement ceints
Vers qui montent l'encens et le frisson des cierges !


Occident, poèmes, Éd. de la Revue Blanche, 1901, p. 96.


Voir aussi le site québécois d'un admirateur de Lucie Delarue-Mardrus



Bibliographie selon  Séché:
Poésie :
- Occident, éditions de la Revue Blanche. Paris, 1900, in-8° .
- Ferveur, éditions de la Revue Blanche, Paris, 1902, in-16.
- Horizons, Fasquelle, Paris. 1904, in-18.
- La Figure de Proue, Fasquelle, Paris, 1908, in-18.

Bibliographie Wikipedia
Toutoune et son amour, 1919
Les Trois Lys - Les Oeuvres inédites N°11, 1920
La Cigale, 1920
La Mère et le Fils, 1920
À côté de l'amour, 1922
Le Pain blanc, 1923
Marie, fille-mère, 1924
Deux amants, 1925
Embellissez-vous, 1926
Sainte Thérèse de Lisieux 1926
Le Roi des reflets, 1926
Amanit, 1929
Hortensia dégénéré, 1929
Le Beau Baiser, 1929
Les Amours d'Oscar Wilde, 1929
Anatole, 1930
Le Roman de six petites filles, 1930
La Petite Fille comme ça, 1930
Le Cheval, 1930
L'Amour à la mer, 1931
L'Autre Enfant, 1931
La Pirane, 1931
Rédalga, 1931
Graine au vent, 1932
L'Ex-voto, 1932
L'Amérique chez elle, 1933
L'Ange et les Pervers, 1934
Rouen, éd. Henri Defontaine, Rouen, 1935
Illustrations de Robert Antoine Pinchon
François et la Liberté, 1936
Un cancre, 1936
L'Amour attend, 1937
L'Enfant au coq, 1937
Fleurette, 1938
L'Hermine passant, 1938
Mes mémoires, 1938
La Girl, 1939
Une femme mûre et l'amour, 1939
L'Homme du rêve, 1939
Peaux d'lapins, 1944
El Arab, éd. Lugdunum, Lyon, 1944
Verteil et ses amours, 1945
La Perle magique, 1945
Nos secrètes amours, 1951 (Posth.)
Lumières de Honfleur, éd. Vialetay, 1964
Illustrations de André Hambourg

Concernant ses Mémoires

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Décembrales

(Dans "la Revue", 15-03-1902)

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Ballade

(La Phalange, 15-03-1938)

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In Memoriam

(La Figure Proue, 1908)

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A la Mémoire d' Alphonse Allais

(L'éclat de rire 1937)

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Publié dans "Les Poètes Contemporains", 1938

 

 

 

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Poèmes publiés par Charles-Théophile Féret

dans  L'Anthologie critique des poèmes normands de 1900 à 1920

1920

 

 

Oraison

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A Raphael Schwartz
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Aumône
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Honfleur
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Hymne
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Le poème du lait normand
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Dans La Renaissance (08-06-1929)

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En Normandie

Femina (15-08-1910)

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Femina 01-12-1911

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Correspondance

Merci à Richard Shryock, spécialiste de Gustave Kahn, pour les document suivants

Consulter ici les autres lettres de la "Collection" 

L'Archive Virtuelle Gustave Kahn
Etablie par Richard Shryock
Virginia Polytechnic Institute & State University (Virginia Tech)
http://wiz.cath.vt.edu/gkahn/

 

Lettres adressées à Gustave Kahn



08/03/2010
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