Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Labat (Elisabeth), moniale (1897-1975)

Elisabeth-Paule Labat

(1897-1975)

 

- Nièce du poète Jules Laforgue dont elle était la confidente.

- Etudes musicales à la Schola cantorum sous la direction de Vincent d'Indy.
- Moniale (monastère de Kergonan).

- Organiste, bibliothécaire.

- Influences de Claudel et du théologien Urs von Balthazar.

 

Bibliographie

 

- Essai sur le mystère de la musique (1963).

- Sublime et drame humain. (1963)

- Louange à Dieu et chant grégorien (1969, édité par Maurice Courant).

- Louange à Dieu et chant grégorien (1975)

- Présence et présences (1978).

- Petits poèmes sans nom (1986, édité par Maurice Courant).

- Vers la source de la Beauté (sans date).


 

 

Petit poème sans nom

 

J'irai dans les espaces sans espace

Et là, je Te verrai.

Là tu vis, Tu crées, Tu appelles,

Mon Bien-Aimé.

Ta voix a déchiré mon coeur,

O l'Eternel Affamé!

Le "Oui" d'Amour que Tu es pour le Père,

Je le serai.

Dans ton grand Océan de silence

Je me tairai,

Et en Toi, l'Unique Verbe prononcé,

Je parlerai.

Je ne Te dirai pas que je T'aime,

Car c'est trop vrai;

Mes yeux, sous le feu de Ton Visage,

Je les fermerai.

O Toi, la Réalité suprême,

Toi seul, Tu sais,

Et tout défaille, tout se perd, tout se révèle

En Ta Beauté!

 

                                                Petit Poème sans nom

 


 

 (Voici que le soir tombe)

 

   Voici que le soir tombe et que l'on ne sait pas trop où va l'humanité, avec ses vertigineuses conquêtes et son exaltation de l'homme. Qui fera face au rêgne de la matière, sinon celui de l'Esprit?

   Qui nous donnera de transcender les trésors d'une sagesse terrestre sinon l'Esprit d'amour nous révélant le "mystère" au regard duquel toutes les acquisitions humaines ne sont que paille et cendre? Sinon l'Esprit qui, au-delà de la mort, nous attend pour nous enfoncer dans l'Océan de la Déité, avec le Christ devenu Esprit Vivifi-ant?  

   L'Esprit et la Clarté suave et flamboyante qui montre aux yeux illuminés du coeur un monde transfiguré par l'amour et contenant en germe sa gloire eschatologique.

   Un monde jaillissant de la Pensée éternelle de Celui qui, en l'unique instant de sa vie, le contemple en son Verbe, le Spire en son Esprit;

   Un monde qui déborde la sphère du mal, du péché et de la mort et, en dépit de tant de souffrances et de luttes, est rempli de la miséricorde divine;

   Un monde destiné à passer par la mort, mais pour vivre d'une vie indéfectible qui projette déjà en lui, hiérarchisées selon les lois d'une sagesse insondable, ses infinies perfections, un monde enfin tout entier épiphanie de Dieu, où la matière doit être le canal de l'Esprit et où, un jour, l'Esprit transformera la matière jusqu'à l'apothéose d'une résurrection dans la chair des élus de Dieu.

 

Notes manuscrites

 

 


 

 

 (Poète)

 

   Poète, tout homme qui découvre ou met dans la banalité des choses, des êtres, une vie secrète: incrnation dans le sensible et le fini d'une âme de vérité, d'un monde nouveau où s'opère une sorte de création de ce qui semblait inaccessible et inexprimable. Poétique, donc, tout ce qui suggère et opère ce prodige d'animer intérieurement, une matière jusqu'alors vue du dehors ou appesantie par des mots sans âme et des formes mortes. Poème, toute oeuvre qui fait passer ce courant de vie en suscitant, de façon nostalgique et tonifiante à la fois, ce frisson de l'infini sous les espèces de sons ou d'images évocatrices. Mais aussi, nous ne trouverons de poésie nulle part, si nous n'en portons en nous.

 

 


 

 

 

 

L’artiste et le saint

   Aussi y a-t-il, nous l’avons vu, entre l’artiste de génie et le saint, toute la distance qui sépare l’inspiration du Dieu rédempteur et sanctificateur. Le musicien peut bien être appelé divin - les Allemands disent: le divin Schubert -, mais c’est à la façon du héros, non du saint. L’inspiration à laquelle il obéit est une motion spéciale et d’ordre naturel située au-dessus des délibérations de la raison, comme le reconnaissent les anciens philosophes et les théologiens. Mais le saint, lui, est mû par cet amour émanant du coeur brûlant qu’est, au sein de la Trinité sainte, l’Esprit mutuel du Père et du Fils dans leur éternel embrassement.
   Le premier est porteur d’un message capable de procurer aux hommes une joie spirituelle très haute, situé qu’il est, non en deçà du péché, mais au-delà de la mort.
   L’un apporte aux hommes une oeuvre où resplendit la clarté de l’Etre et d’où émane la vie. L’autre est lui-même le chef-d’oeuvre de Dieu, chef-d’oeuvre vivant de la vie propre et intime de son auteur et que celui-ci, inlassablement, retouche.
   L’un, créant, se sépare de son oeuvre et nous savons, hélas! quelle faille il peut y avoir entre cette oeuvre imprégnée de beauté et d’amour et les déficiences morales de celui qui l’a faite. L’autre ne fait qu’un avec son oeuvre, puisqu’elle est sa personne même et sa vie. Tout en lui est amour et saisi par l’amour.
   Le premier, captant les harmonies de l’univers, achève l’oeuvre de la création par laquelle les choses fluant de Dieu se détachent de lui, en gardant un vestige de lui. Le second, placé dans ce centre d’unité d’où jaillit et où converge toute harmonie, achève l’oeuvre de la passion du Christ...et participe au retour de toutes choses à Dieu dans l’immense mouvement de “recapitulation” du Christ  médiateur.
   Le premier vit immergé dans la création et se voit coexistant à tous les êtres dans une immense solidarité. Le second, en contemplant cette création à la lumière du don de Sagesse, la transcende, mais en même temps, il communie à elle d’une manière combien plus profonde, car c’est avec la charité même de Dieu qu’il l’aime: tel saint François d’Assise: “ma soeur l’eau, mon frère le feu...” Ce n’est pas là simple poésie, langage plein de charme, mais expression d’une expérience rare et personnelle.
   Tous deux sont aux écoutes: l’un pour capter les voix silencieuses et secrètes de la nature et des choses; l’autre, pour percevoir au plus intime de son âme la voix du Dieu qui a établi en elle sa demeure, voix qui est à la fois celle d’un père, d’un frère, d’un époux, d’un ami, d’un être enfin qui, dans l’unité de sa nature, est adorablement personnel.
   Tous deux sont en même temps solidarisés à l’univers et cependant séparés de tout. Mais tandis que, pour le premier, ces deux pôles contraires créent un déchirement qui est une des plus poigantes souffrances du génie, pour le second, la contradiction se résout dans l’amour.

Essai sur le mystère de la musique, ed. Fleurus, 1963, p. 94-96



10/08/2011
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