Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Renaud (Suzanne)

Suzanne Renaud

1889-1964

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La Muse Française 

Radio Prague (La vie et l'oeuvre)

- Radio Prague (Les trésors enfouis de la poésie populaire: traductions de Suzanne Renaud)

Les amis de Suzanne Renaud et Bohuslav Reynek

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Document emprunté à Radio Prague

 

La Muse Française 10-01-1924 DOIGT 26.jpg

L'oiseau bleu

 

Le soir tombant, comme une cendre mauve et grise,

S'amasse lentement sur la ville indécise ;

Et sur notre âme éteinte, où nul espoir ne luir,

S'amasse lentement la cendre de l'ennui.

Fait de labeur sans charme et d'effort monotone

Ce jour fut un de ceux dont le rêve s'étonne ;

Tout nous est étranger ; rien ne souffre avec nous ;

Et nous cherchons en vain, d'un regard triste et doux,

Un sourire invisible au fond du vide espace...

Ah ! Ce nuage au ciel ; c'est l'oiseau bleu qui passe...

 

 

L'oubli

 

La mémoire s'éveille, inquiète et fidèle,

Et parle au coeur distrait de son émoi passé :

"Ecoute !... Un peu de lune argentait la tonnelle ;

On n'entendait ni pas, ni souffle, ni bruit d'aile ;

Tout semblait, comme vous, tendrement oppressé ;

Ecoute encor !... Je sais les heures en silence,

Où ta douleur saignait ainsi qu'un raisin mûr ;

Je n'ai rien oublié ; tendre magicienne

Je te rends chaque mot d'une lettre ancienne ;

Même, si tu veux, de plus humbles détails :

Un reflet sur le sable, un dessin d'éventail...

 

Reprends tous ces trésors et leur donne la vie !

Je ne puis, comme un pâtre au revers du talus,

Que nourrir, brin par brin, la flamme à l'agonie... "

Mais le coeur dit tout bas : " Ces choses sont finies ;

Je ne me souviens plus... Je ne me souviens plus."

 

 

La Muse Française, 10-01-1927 DOIGT 26.jpg

 

I - Nocturne

 

La nuit, la pluie, un peu de vent...

O ma mémoire la plus vraie,

Qu'as-tu recueilli dans ton van ?

Si peu de bon grain, tant d'ivraie...

 

La nuit, la pluie, un peu de vent...

 

Triste coeur qui t'en vas rêvant

Ainsi qu'un vagabond avide

Que de fois, caché sous l'auvent,

As-tu trouvé l'auberge vide !

 

La nuit, la pluie, un peu de vent ...

 

Ah ! l'espoir a lui bien souvent,

Mais vacillante en est la flamme ;

C'est toujours, après comme avant,

Sur les chemins nus de votre âme

 

La nuit, la pluie, un peu de vent ...

 

 

II

 

Mon rêve, éveille-toi ! Voici l'heure opportune

Où la rumeur du jour s'éteint...

La jonquille se fane au pré du ciel lointain ;

Mon rêve éveille-toi ! Voici fleurir la lune...

 

J'ai pris mon humble part de la tâche commune,

J'ai subi mon humble destin !...

Qu'il est doux, sur son lit d'un si mauve satin,

Le corps harmonieux de la colline brune !

 

Nos espoirs sont pareils à des pas sur la dune

Qu'efface le vent du matin !

Voici qu'à l'horizon un reflet argentin

Fait déjà pressentir les étoiles. Chacune

 

Va couler, pleur divin, sur l'humaine infortune.

Tout astre est un ami lointain

Qu'implore tristement, dans l'ombre du jardin,

Le jet d'eau scintillant et pâle sous la lune...

 

Mon rêve, éveille-toi ! Voici l'heure opportune !...

 

 

III

 

Comme un guerrier trahi par sa brillante armure,

Le soir tombe, percé d'un javelot de feu,

Et l'on voit l'horizon s'assombrir peu à peu

Sous le flot empourpré qui fuit de sa blessure...

La Nuit s'approche alors : douce aux vaincus meurtris,

Sur sa funèbre couche elle épand des iris

Et pose, triste ainsi qu'une amante voilée,

Au front blême du Soir ses deux mains étoilées...

 

 

La Muse Française 1938

Poèmes

 

I - Barque

 

Cette ombre qui vole en silence

Vers un secret chéri d'avance

Comme la flèche du désir

 

Poursuivant son tendre ravage

Pénètre un frissonnant feuillage

Etoilé d'or et de saphir ;

 

Et toujours la fluide proie

Se dénoue en perles de joie,

Se prodigue en tremblantes fleurs ;

 

Et toujours la rame qui glisse

Y recrée un mouvant délice

Et l'aube d'un nouveau bonheur.

 

II

 

Ce long soir calme et blanc, tunique sans couture,

D'une fraîcheur de lin vêt toute la nature ;

Sous le ciel incliné comme un tranquille auvent

On entend chuchoter l'épi mûr et le vent ;

Ce soir la Parque rêve, à sa tâche infidèle,

Son noir fuseau s'envole et devient hirondelle.

 

III

 

Crépuscule est beau comme ceux d'autrefois ;

La lune encor lointaine irise un peu les toits

Et, fantôme enivrant que le vent tiède apporte,

L'odeur du foin coupé s'en va de porte en porte ;

La nuit vient ; l'angélus tombe sur le hameau

Comme un tremblant appel de l'invisible agneau

Et seule je m'en vais dans la pénombre accrue

Cherchant à mes côtés la forme disparue.

Ah! Sans doute il existe, interdits à nos sens,

D'éblouissants jardins sous les célestes dômes

Où l'âme après la mort par degrés fleurissant

Peut exhaler enfin son plus secret encens,

Mais prends aussi ta part de notre humble royaume,

Vois ! J'ai cueilli pour toi la fleur pâle du soir

Où brille encore un pleur de tristesse et d'espoir

Et je t'offre, à travers l'innombrable mystère,

Cette pauvre douceur des choses de la terre.

 

 

IV

 

Après avoir suivi tant de chemins hagards

Et si souvent saigné au trébuchet des ruses

Et longtemps écouté de grandes voix confuses

Et longtemps fait pleurer d'invisibles regards,

 

Repose ! L'ombre vient ; la paix dort sur la pierre

Et le vent porte au loin dans l'âme à l'abandon

Cette odeur de silence et de triste pardon

Qu'ont les rose de cimetière.

 

 

V - Songes d'hiver

 

Nous irons vers ces pays

D'incertaine aurore

Où ni les jours ni les nuits

Ne peuvent éclore ;

 

Où l'aube n'a pour berceau

Qu'infinis espaces

Où le temps comme un vaisseau

Est pris dans les glaces ;

 

Là ni pleurs, ni champs d'amour,

Ni cris de colère,

Rien que le vol mat et lourd

D'un oiseau polaire ;

 

Là nos coeurs pourront dormir

Dans le froid silence 

Délivrés du souvenir

Et de l'espérance,

 

Là nous verrons au ciel lent

S'éteindre les astres

Comme un long reflet sanglant

Des humains désastres

 

Sur des champs toujours vermeils

Où rien ne peut vivre

Que de beaux rêves pareils

A des lys de givre

 

VI

 

C'est le jardin sans nom, c'est le jardin sans hôte

Où le rouet des jours s'est tu depuis longtemps

Follement enlacé de liane et de vent

Dans le triste parfum qu'ont les herbes trop hautes ;

 

L'araignée y suspend sa rosace flottante ;

Là notre enfance morte erre de l'aube au soir,

Notre enfance qui fut fraîche et confuse attente

Et divine buée au cristal de l'espoir.

 

O printemps ! O passé ! Ombres, sources, dédales !

Le rameau se balance et la fleur prend son vol ;

Il suffit tout à coup d'un poids de rossignol

Pour que pleuvent en nous tant de secrets pétales ;

 

Mais ce jardin sans nom, mais ce jardin sans porte,

Vasque d'où le bonheur ruisselait à pleins bords

Au parfum doux-amer qu'un vent de songe apporte

Est-il d'avant la vie, est-il d'après la mort ?

 

La Muse Française 1922

Renaud 01 10-03-1922.jpg

 

Renaud 02.jpg

 

La Muse Française 1926

Renaud Muse F 10-06-1926.jpg



25/01/2015
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