Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Gilbert Mauge (15 mars 1931)

15 mars 1931

 

 

 

Mais  dans le lit de toile

 

 

 

Du lit de toile froide où je suis étendu

 

Je vois les rideaux longs et le miroir hostile,

 

Je rêve à la science, à l'amour inutile

 

A cette habileté qu'exige la vertu

 

- entre les longs rideaux et le miroir hostile.

 

 

 

Les murs de ma maison s'appuient aux trottoirs blancs,

 

Peut-être qu'un oiseau saute sur la corniche

 

Et que, dehors, près du kiosque et des enfants,

 

Le soleil frappe aux murs le rouge de l'affiche.

 

 

 

Peut-être que l'oiseau sur l'arbre est descendu?

 

 

 

Mais dans le lit de toile où je suis étendu

 

Seul, entre les miroirs, les longs rideaux à frange,

 

Seul, je fais, je défais mon esprit et me change...

 

 

 

 

 

Cet arbre

 

 

 

Cet arbre dont le vent trouble, tire et replace

 

Au-dessus de la mer le feuillage vivace

 

Se tord sous la fenêtre étrangère où j'entends

 

Claquer au mur la vitre et le fer des battants.

 

Parfois il s'emplit d'ombre et parfois, vaincu, s'ouvre

 

A la bourrasque blanche. Un tronc luit, se découvre.

 

Soudains;, de son feuillage épars, il se revêt

 

Et si le vent s'élève et courbe son sommet,

 

Chaque branche rejoint d'autres branches en fuite,

 

L'arbre se mêle à soi: sa figure est détruite.

 

Puis les lignes de l'air, froides sur mon front nu

 

Se partagent. Au seuil du logis inconnu

 

Je vois enfin le sol frissonnant d'herbes vagues

 

Où tu traças la spire exacte de ces vagues.

 

Et, sans que je le sache, au fond de mon esprit

 

Le lourd dessin mouvant de l'orage s'inscrit

 

Comme si j'espérais que l'air, la violence

 

Et l'eau fussent pareils à ton intelligence...

 

 

 

 

 

 

 

Zoo

 

 

 

Les bleus singes sauteurs de travée en travée

 

Suspendus aux barreaux de leur cage élevée

 

Plissent, quand nous passons, la peau cernant leurs yeux,

 

Tandis qu'un chimpanzé pensif et le flanc creux

 

Compose en grelottant son système et qu'un dogue

 

Vêtu de cuir aboie à notre dialogue

 

Ou d'un cri rauque mord le silence des gens.

 

Verrons-nous les lions séparés par des fosses

 

Et la voix du désert heurtant les roches fausses

 

Viendra-t-elle couper tes mots intransigeants?

 

Ou faut-il préférer Sumatra, les caresses

 

Que font à leurs petits les mourantes tigresses,

 

Voir courir le chameau, les chèvres, l'éléphant

 

Sur lequel sont juchés la nourrice et l'enfant?

 

 

 

Asseyons-nous plutôt près de ce ruisseau triste

 

Où se déplume un ibis rose et masochiste.

 

Et pour moi seul, aux cris des aras argentins

 

Tu détruiras le songe et le savoir humains...

 

 

 

 

 

 

 

Cuivre

 

 

 

Au fond du paysage, en forme de théâtre,

 

Il s'asseoit et, gravant l'eau du bassin verdâtre,

 

Réserve, parmi l'arbre inverse, au plan vermeil

 

Et gras du cuivre, un morceau d'eau, blanc de soleil.

 

 

 

Il trace aussi, près du jardin, sous la charmille,

 

L'apparence légère et les bras d'une fille

 

Qui, rêveuse, pressent que sa beauté s'inscrit

 

Au même instant, dans le métal et dans l'esprit.

 

 

 

Or, il lève les yeux: l'air, à travers l'ombelle

 

Enorme du platane ou du chêne, étincelle,

 

Cependant qu'aux gradins, droite et rieuse encor

 

La créature croit emplir le rond décor

 

 

 

Des herbes et briller dans les lignes de marbre,

 

Lui, regarde le vent ternir les fleurs de l'arbre

 

Puis, de la pointe, creuse une grappe de feu,

 

Lorsqu'un brusque frisson le saisit, rompt le jeu...

 

 

 

Il est seul, comme à l'aube, et les doigts sur le cuivre

 

Perçoit soudain la pure amertume de vivre

 

Tandis que belle, lasse et double au vert bassin

 

S'allonge celle qui voit aussi ce jardin...

 

 

 

 

 

Fenêtre

 

 

 

Debout, coupant le plan de son inclinaison,

 

Il se penche et veut voir le mur de sa maison.

 

Ses yeux pleins du décor et sa gorge oppressée

 

Silencieusement composent sa pensée.

 

Il se penche et dans la pierre, comme des fils,

 

Compte des toits au sol, la chute des profils.

 

Mais ayant découvert le long de l'avenue

 

La suite des balcons de fer qui diminue,

 

Glacé, pris de vertige, il ferme les volets,

 

Cependant qu'au dehors, dans le bruit des sifflets

 

Le long tramway chargé de gens et de lumière

 

S'éloigne sur les rails et plisse la rivière...

 

 

 

Il s'assied.Les rideaux tramés de jaune et noir

 

Ferment enfin sa vie et la chambre ce soir.

 

Quelque part, dans la nuit où la maison se cache,

 

Monte le mur glacé d'où son corps se détache...

 

 

 

 

 

 

 

L'enfant  savant, hanté d'un songe

 

 

 

L'enfant sage et savant qui vit, hanté d'un songe

 

Sensuel, se promène aux jardins et prolonge

 

- Jetant à l'herbe chaude une ombre de compas-

 

Rectangulairement le plaisir de ses pas.

 

Un chat rouge traverse en bons les paysages.

 

Les roses, dans l'air bleu, sont comme des visages.

 

Il va jusqu'aux bois hauts, voit les limaces d'or,

 

Les feuillages mêlées de fleur fine et de toile.

 

Immobile, il calcule aux confins du décor

 

Universel, le poids de la dernière étoile.

 

 

 

Un instant, dans la route où brille le rosier,

 

Par un savoir étrange, il s'était extasié.

 

Déjà, son propre corps confusément l'incline

 

A suivre la terrasse au bord de la colline,

 

Mais il s'efforce entre les buis chargés d'odeur

 

De marquer au jardin sans oiseaux et sans branche

 

Géométriquement ses pas d'enfant rêveur

 

Dont le masque doré vers la terre se penche...

 

 

 

 

 

Les boeufs aux deux couleurs

 

 

 

Sur la terre d'hiver vague, vide et verdâtre,

 

Les boeufs aux deux couleurs, rassemblés par un pâtre,

 

Aspirant le brouillard de leurs naseaux blessés,

 

Agrandissent leurs yeux pour voir, dans la vallée,

 

Le long du fleuve, jaune et droit comme une allée,

 

Les charrettes s'emplir de fourrages glacés.

 

 

 

Cependant l'ombre tombe et le troupeau ne bouge.

 

Là-bas, aux faubourgs gris de la ville, un portail

 

Montre encor le carré de sa peinture rouge:

 

De ce coteau, le triste et tranquille bétail

 

Voit-il dans l'ombre aussi sortir par cette porte,

 

Un char où pend au croc la grosse vache morte?

 

 

 

Mais l'horizon se trouble et la nuit au repas

 

Se mêle. Un boeuf s'ébranle enfin. Son double pas

 

Brise le chaume. Tous baissent mufles et cornes

 

Et leur oeil latéral, terni de songes mornes,

 

Au sol retrouve enfin le chaume humide et ras.

 

 

 

 

 

 

 

Le salon de bois

 

 

 

Méprisant aux lambris la fadeur des portraits

 

Le prêtre en robe noire écoute et voit la fille

 

Pensive, au manteau vert, d'une bouche qui brille

 

Lentement peindre - et comme avec des mots distraits

 

Dont l'écho sur les murs la surprend et la blesse -

 

Les jours, les gens et les décors de sa jeunesse.

 

Elle se nomme, cherche, attend - qui la troubla?

 

 

 

Est-ce elle qu'elle trouve et tourmente? Elle est là,

 

 

 

Elle parle... parfois sa lèvre se soulève

 

Et son regard s'attache au grand lustre de rêve

 

Où blêmes, lorsque son manteau glisse, ses mains

 

Touchent dans l'invisible à des pays lointains

 

Et devant les portraits, les miroirs, suspendues

 

Sont prêtes à saisir les actions perdues...

 

Sa voix soudain s'est tue. Elle est à ce moment

 

Même. La vie enfin cesse et la connaissance

 

De soi; bizarrement se rompt la conscience

 

Et le regard se fixe à ce noir vêtement...

 

 

 

 

 

 

 

Mourir

 

 

 

Les châteaux droits, la ville noire et basse au bord

 

D'un canal bleu, les prés que revêt un peu d'or,

 

Tout le sol passe, monte au hasard et se creuse

 

Loin, tandis qu'il fuit, plié, vers la mer heureuse.

 

 

 

Le vent frappe au rebours de la course, ses yeux

 

Ternes, son esprit vide - et le bruit des essieux,

 

Du frein, du roulement, il l'entend, surpris d'être

 

Soi-même, ce qu'on rêve aux bruits de sa fenêtre...

 

Chaque jour, quelque objet commet dans l'univers

 

Le crime de le moins aimer - et les monts verts,

 

Le soleil suspendu, l'air, la douceur des bêtes

 

Rayonnent vainement, et sur lui se reflètent...

 

 

 

Il fuit dans le vacarme, ayant tout oublié

 

De ce monde, jusqu'à penser. Il fuit, plié

 

Et ne voit pas qu'enfin, dans son esprit stupide

 

Monte à l'horizon pur, la mer! la mer l'impide,

 

 

 

Brillant, rose et jaunâtre, entre mille blancheurs

 

Que la brise balance au champ des grandes fleurs

 

Rustiques, où l'odeur amère de l'ombelle

 

Avec le sel humide, en l'air marin se mêle...

 

 

 

 

 

 

 

Ce champ

 

 

 

Couvrant les étendues

 

De ses tiges fendues

 

Un champ roux, rose et rouge

 

Voit que le ciel bleu bouge

 

 

 

Et perpendiculaire

 

Dans les lignes de terre

 

Autour des tiges sèches

 

L'eau tend ses cordes fraîches.

 

 

 

De l'humus que d'obscures

 

Et basses nourritures

 

Transforment, sort et pique

 

La chaude odeur chimique.

 

 

 

Haut, le dessous des ailes

 

Et du cou des sarcelles

 

Qui glissent, entre

 

L'azur, pattes au ventre...

 

 

 

 

 

 

 

Microscope

 

 

 

Agile et transparente, entre le verre et l'eau

 

Une daphnie écarte, allonge et tord sa peau.

 

Aux bords du petit cercle en feu s'opiniâtre

 

La molle chair d'argent où saute un coeur bleuâtre.

 

 

 

Pour pêcher dans la cuve au milieu du cresson

 

Les infusoires vifs qu'avant notre leçon

 

Le maître avait, au mur, dessinées sur des planches

 

Nous avions revêtu de longues blouses blanches

 

 

 

Pour voir en ce laboratoire - et l'air sentait

 

L'acide ainsi que l'eau corrompue et le cuivre -

 

A travers la lunette, aller, venir et vivre

 

L'un des deux infinis où Pascal se heurtait...

 

 

 

 

 

 

 

Il voit le paysage

 

 

 

Il voit le paysage et l'air, les arbres hauts,

 

Le terrestre décor plein de choses défaites,

 

Ce jardin nostalgique où les bassins reflètent

 

Un bouillonnant feuillage aux foyers de leurs eaux.

 

Il regarde longtemps le sable, vieilles heures,

 

Et la pelouse froide et l'arbre, les oiseaux

 

Chantant - nul ne le dit - là comme les chiens pleurent.

 

Un train, dans le vallon, croise des chariots.

 

Au ciel vertigineux brillent de blancs oxides.

 

Il se lève, s'en va, le front nu, les mains vides

 

Et rêve d'un jardin bizarrement tracé

 

Qui rendrait à l'esprit tout ce qu'il a pensé...

 

 

 

 

 

 

 

Les cheveux

 

 

 

Sa raison se défait dans la maison sévère

 

Et devant les flacons, les cuvettes de verre

 

Aux parfums colorés, l'esprit confus d'ennui

 

Elle pleure en peignant ses cheveux dans la nuit,

 

Pour revivre - à côté de quelque autre fenêtre -

 

La vie abstraite, il suffirait de fuir peut-être...

 

Elle touche au carreau la lune et la forêt,

 

Natte sa chevelure, approche son visage

 

Et se mire, étrangère et mêlée à l'arrêt

 

vertigineux des troncs, des branches, du feuillage...

 

Elle rêve. Plus haut, dans la maison, sans bruit

 

Quelque enfant trouve enfin l'indicible minuit

 

Cependant qu'une odeur fade d'eau tiède et d'ambre

 

Flotte entre son épaule et les murs de la chambre.

 

Songe! qui sait l'effort de notre entendement

 

Pour s'engager dans le plus clair enchaînement,

 

Quels bras tendus, quel front levé, quels yeux d'angoisse

 

vers une suite pure et qui sans rompre croisse...

 

Que simple alors l'esprit s'évade... Une clarté

 

Pleine de paix nocturne et de féminité

 

Trace, agite et bleuit sur les vitres épaisses

 

Un vêtement qui glisse et des cheveux en tresses...

 

 

 

 

 

Par delà les battants d'azur

 

 

Par delà les battants d'azur de ces fenêtres

 

Il voit la ville et de nouveau s'entrepénètrent

 

Les pierres, les toits, l'air, les choses de l'esprit.

 

Dans la chambre un miroir s'étire, fuit, débouche

 

Au point pur de la lune. Et lourde sur le lit

 

Pleine de rêve et d'os obscurs que le sang touche

 

La vie étrangement, écoute, attend - perçoit

 

L'odeur fade des lacs s'élevant vers le toit

 

Et demeurant inerte au reflet du drap blême

 

Se mélange au décor, qu'elle ajoute à soi-même.

 

 

 

 

 

Fin

 



25/12/2013
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