Poèmes d'amour au féminin
Quand les femmes chantent l'amour
Faut-il dédier cette page à tant d'auteurs d'anthologies intitulées "Les plus beaux poèmes d'amour de la langue française", qui ne comportent pas (ou si peu) de poèmes de femmes ? Deux hypothèses: elles ne savaient pas écrire ou bien ne savaient pas aimer... ou encore les deux à la fois.
Ce dont une femme doit se garder : l'expression de ses désirs !
Lire la sévère mise en garde publiée dans l'Echo de la littérature... en décembre 1843
Table des matières et liens en construction
A
Ackermann (Louise) 1813-1890 : L'amour et la mort (1ère partie)
Angliviel (Doëtte) 1898-1948 : Les gages
Arbey (Louise) Début 19ème : La novice
Arbouville (Sophie) 1810-1850 : Ne m'aimez pas
Aubépine (Madeleine de) 1546-1596 : Pour le plus doux ébat... (Poésie érotique)
Autriche (Marguerite d') 1480-1530 : Belles paroles
Avellaneda : Las Contradicciones (soneto)
Azaïs (Simonne) vers 1950 : Chant d'amour
B
Barney (Natalie) 1877-1972 : (Amour)
Bataille (Alice) : A un passant
Bauguion-Cariou (Clotilde) 1887-1976 : Rêve
Bectoz (Claude de) 1490-1547 : (Quand vous voyez...)
Bédacier (Durand, Catherine) 1670-1737
Bertin (Louise) 1805-1877 : L'amour
Brabant (Marie de) 1602
Brégy (Contesse de) 1619-1693 : Stances
Burnat-Provins (Marguerite) 1872-1952 : Je t'aime
C
Catulle-Mendès (Jane) 1867-1955 : Le livre de Cynthia (1) 1912
Champagne (Elise) : l'Aphrodite des faubourgs
Charasson (Henriette) 1884-1972 : Permets-moi de dire tout bas
Cluchier (Alice) : Au Rouet de l'Amour
D
D'Alençon (Emilienne) 1869-1946 : Courtisane
Darget (France) 1886-? : Chanson barbare
Daudet (Julia) : 1844-1940 : Femmes
Dauguet (Marie) 1860-1942 : Ode à l'amant
De Brimont (Baronne de) 1880-1943 : Obsession (dans page 1875)
Delarue-Mardrus (Lucie) 1874-1945 : La figure de proue
De Montanclos : (Marie-Emilie Maryon de, Baronne de Prinzen) 1736-1812 : Chant d'un pêcheur
De Nyse (Berthe) : Litanies de la chair
Desbordes-Valmore (Marceline) 1786-1859 : Le réveil créole
Descartes (Catherine) 1637-1706 : Impromptu
Deshoulières (Antoinette) 1637-1694 : Stances (Hé ! que te sert, Amour...)
: Stances (Agréables transports...)
Deshoulières (Antoinette-Thérèse (1662-1718) : Stances
Des Roches (Catherine): L'Amour
De Thouars): Epître à Mr de la Trémouille (1545)
Die (Béatrice de) 1140-1175 : Chanson
Dominique (Jean) 1873-1952 : Le don silencieux
Dorian (Tola) 1841-1918 : L'essence de l'amour
Dromart (Marie-Louise) 1880-1937 : Juin
Dufrénoy (Adélaïde) 1765-1825 : L'Amour
Durand (Catherine) : La vengeance contre soi-même
Durry (Marie-Jeanne) 1901-1980 : Attente
F
Faubert (Ida) 1882-1969 : Mon amour, attendez
Ferrand-Weyher (Yvonne) 1873-1963 : Combat singulier
Fleurentin (Zoé) 1815-1863 : Les trois couronnes
Fourcade (Claude (19..-1983) : Idylle
France (Marguerite de) : L'amour ressemble un champ
France (Marie de) 12ème siècle : Extrait du lai d'Eliduc
G
Gay (Delphine, Mme Emile de Girardin) 1804-1855 : L'étranger
Gello (années 1910-20) : Sonnet à l'inconnue
Gérard (Rosemonde) 1866-1953 : Il faut aimer
Gillot (Marguerite) Début XXème siècle : Veillée
Goll (Claire) 1890-1977 : Sept souhaits
Grignan Simiane (Pauline de) : Madrigal
Guibert (Elisabeth) 1725-1787 : A Monsieur de...
Guillet (Pernette du) 1520-1565 : Elégie
Guyon (Jeanne) 1948-1717 : Merveilleuses contrariétés qu'on expérimente dans l'amour
H
Haupoul (Anne-Marie d') : Incertitude
Hennique (Nicolette) 1882-1956 : Jalousie
Héritier de Villandon (Jeanne l') 1664-1734 : Rondeau, Impromptu à Madame de ...
Houdetot (Comtesse d') 1730-1813 : Madrigal, Aimer, Chanson sur le départ de Saint-Lambert
: Pour un jeune homme à qui une jeune femme avait écrit sous le nom d'une vieille
Huot (Marie) 1846-1930 : Les Statuettes
K
Kermorvan (Marie-Aimée) 1904-1985 : Sonnet à l'amour
Krysinska (Marie) 1864-1908 : Les yeux d'amantes
L
Lautère (Adrienne) 1886- vers 1964 Le baiser
Lauvergne (Madame de) fin 17ème : Stances
Lavallière (Louise de) 1644-1710 : Sonnet (au Roi Louis XIV)
L. D. P. P. (Mademoiselle) 17ème siècle : La Nouvelette
Lenclos (Ninon de l') 1620-1705
Liencourt (Madame de) début 18ème : En quel état...
M
Masquière (Mlle) 17ème siècle : (Importun souvenir)
M. (Aline de) dates inconnues, vers 1830 : Elégie III
Montanclos (Marie-Emilie-Marion de) 1736-1812 : Chant d'un pêcheur
: Deux baisers : Sur un baiser ravi la veille de mon mariage, Sur un baiser trois jours après...
Murat (Comtesse de) 1670-1716 : La Discrétion
N
Navarre (Agnès de) vers 1330 : Chanson royale
Navarre (Marguerite de) 1492-1549 : Un ami vif à la Dame morte
Nize (Berthe de, ou Berthe Denyse de Magny) vers 1910-1920 : Litanies de la chair
Nizet (Marie) 1559-1922 : La bouche
Noiram (Rita del) vers 1920 : Désir
O
O'Santry ou O'Carrey (Sybil) 1881-1950 : La Guirlande
Pape-Carpantier (Marie) 1815-1878 : A une jeune femme
Pascal (Françoise) 1632-1698?) Les Réflexions de la Madeleine
Pascal (Jacqueline) 1625-1661 : Chanson
Paulin (Louisa) : La pauvre morte
Perdriel-Vaissière (Jane) : Le baiser
Périn (Cécile) : O pauvre amour
Picard (Hélène) : Hymne au bien-aimé
Pigache (Lucie) 1805-1887 : Je ne suis pas belle
Platbuisson (Mme de) début 18ème ? : Quatrain épigrammatique
Pozzi (Catherine) 1882-1934 : Ave
R
Ricard (Lydie de) 1850-1878 : Aubade
Rieder-Chabrier (Violette) ?-? : Amante (1933)
Riom (Aline) 1818-1899 : Amour
Roches (Catherine des) 1542-1587 : L'Amour
Romieu (Marie de) : Paix je ne trouve
S
Sahuqué (Blanche) : Amour, ô dieu méchant
Salètes (Mlle de) : Réponse au Sieur de Bertaud
Sandelion (Jeanne) 1901-1976 : Pâle fruit...
Sandy (Isabelle) 1884-1975 : L'amant
Sauvage (Cécile) : (Dans sa robe à fleurs...)
Scudéry (Madeleine de) 1607-1701 : Madrigal
Ségalas (Anaïs) : un nègre à une blanche
Siefert (Louisa) 1845-1877 : Pourquoi ?
Simiane (Pauline de Grignan) 1676-1737 : La pescheuse
Sormiou (Marie de) 1865-1956 : L'inconsumable
Stern (Daniel) 1805-1876 : l'Adieu
Stuard (Jaqueline de), 16ème siècle : Envoi
Suze (Henriette de la, 1618-1673 : Jouissance (sonnet)
T
Tastu (Amable) 1798-1885 : Lai de la mort d'Amour
Toussaint-Samson (Adèle) 1826-1911 : La jeune morte
Travanet (Marquise de) : Pauvre Jacques (1776)
V
Vacaresco (Hélène) 1864-1947 : il passa ...
Vatry (Madame) 1682-1752 : Parodie de la la fable de La Fontaine, "Le Corbeau et le Renard"
: Réponse à l'un de ses amis au sujet de la mort de Quine, la chienne de Mme Vatry
Vaudère (Jane de la) 1857-1908 : La couleur des baisers
Vigne (Anne de la) 1634-1684 : La passion vaincue
Villard (Nina de) 1843-1884 : Deux sonnets
Villedieu (madame de) 1632-1683 : Sonnet et Jouissance
Vivien (Renée) : Sonnet féminin
Vivonne (Héliette de) fin 16ème : A Desportes
W
Walter (Judith) 1845-1917 : La pivoine
Willette (Henriette) 1886-1976 : vers l'île d'or
X
X (identité inconnue) Années 20 (Chansons pour elles 1923) : Et tu pleures
Au Rouet de l'Amour
Mon amour le plus doux est celui que je file
Avec des fils de vierge à l'aube d'un serment.
Il est si délicat qu'un geste malhabile
Arracherait le voile au bel enchantement.
Mon amour le plus pur est celui que j'enroule
Aux fuseaux du printemps avec un lin tout neuf.
Je l'enchevêtre au nid de l'oiseau qui roucoule,
Car il a l'innocence et la candeur de l'oeuf.
Mon amour le plus fort est celui que je tisse
De mes fibres de chair aux coloris de sang ;
En sa toison d'ardeur le plaisir nu se glisse,
S'électrise aux replis des tons incandescents.
Mais l'amour se dévide à l'abandon des heures,
L'écheveau se ternit aux souffles de l'adieu,
La chaîne se distend à l'usure des leurres,
Et mon Rêve en haillons suit le linceul d'un Dieu.
La pauvre morte
Quand le Prince viendra, adieu ! je serai morte
- Beau jeune homme étourdi s'est trompé de saison -
Tu viendras quand sur moi on fermera la porte,
La porte de la vie et de l'humble maison.
Je tissais pour tes pieds un doux tapis de laine,
Je tissais pour tes yeux un doux tapis de fleurs.
Mais le soir est venu qui a noyé la plaine,
Mais la nuit est venue qui a noyé mon coeur.
Tu n'es pas le soleil, je ne suis pas la rose ;
Tous deux suavement accordent leur plaisir :
Tu resteras muet devant ma porte close
Et je n'aurai pas su le nom de mon désir.
Mai 1933
Par delà
Donne... Elargis tes yeux jusqu'à sentir le vide
S'engouffrer sous ta peau.
Perçois-tu le rivage où le temps se dévide?
Cette grappe d'air chaud,
Cette odeur magnétique et ce bouclier d'ombre,
Cet antre velouté cachant dans ses replis
Les soleils que j'enfourne et ce ciel en décombre,
N'ont-ils pas, sous ta lèvre, un goût de paradis?
Allongé comme un dieu sur la stèle qui bouge,
Tes deux bras soulevant ce calice entr'ouvert,
N'as-tu pas déployé, comme une voile rouge,
Mon désir dont l'essor a dépassé ma chair?
Ah! que ma volupté te soit comme une amphore,
Où ton front viendra boire et buter ton cerveau;
Ce ciel qui nous enserre et que l'instant redore,
D'un bond nous a remis, ce soir, à son niveau.
Je t'ai voulu semblable à ces bêtes qui ploient,
Et dont les reins puissants maintiennent sur le sol
La lumière et l'odeur des saisons qu'on déploie,
Comme si l'univers tirait sur leur licol.
Et cependant nous serons tels que cet abîme,
Les astres flotteront un jour entre nous deux;
Chacun se dressera pour toucher l'autre cime,
Le torse balafré de larmes et d'adieux.
Viens, la nuit qui descend s'élargit comme une île,
Rien de nous ne saurait mourir; ferme tes bras
Sur la chambre qui plane et dont l'orbe immobile
Concentre l'infini des cieux qu'on n'atteint pas.
En me donnant à toi de toute ma tristesse,
T'aurais-je donc courbé vers ma gorge, ô bonheur?
Suis-je un rayon brisé de quelque astre en détresse
Pour sentir ruisseler ces larmes dans mon coeur?
Comme tu m'apparais lumineux et profane,
Avec ta chevelure où ma bouche a roulé.
Golfe du souvenir où cinglent des tartanes,
Dans une odeur de miel et de raisin foulé!
Ah! dussé-je engloutir ma force et disparaître
Dans cette houle où mon baiser s'est suspendu,
J'irai, léchant la trace où s'imprime ton être,
Pour te sentir peser sur mon torse étendu.
J'aurai joui de toi jusqu'à sentir mon rêve
Eclater sous ma tempe. A chaque battement,
Projetée au-delà des saisons qu'on soulève,
J'apercevais notre âme et son aile en suspens.
Mais plus battait le soir, plus je croyais entendre,
Dans un chaos de fleurs, de musique et d'encens,
Nos fronts briser cette ombre où nous allons descendre,
Et cette plainte allait toujours s'élargissant.
Etreignons-nous! le temps a besoin de pâture.
En lui jetant nos corps, puissions-nous contempler
Un halo formidable autour d'une ossature,
Et ciel qui sur nous semble avoir débordé.
La croix de sable, 1927.
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2 - de Baudelaire à Malvina Blanchecotte
en passant par Gello et Alice Bataille
Baudelaire
A une passante
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
Elle
(en écho au poème de Baudelaire)
Sous son vêtement noir, linceul anticipé,
Elle passait, le front penché, la marche lente;
Tu la vis: ton regard craintif, préoccupé,
Suivit sans l'arrêter l'ombre pâle et tremblante.
Au milieu de la foule elle te pressentit;
Elle se retourna d'elle-même, ébranlée;
C'était toi, c'était toi! D'instinct son coeur battit,
Et l'amertume emplit sa paupière gonflée.
Que t'a dit son regard, alors fixe et muet?
As-tu bien constaté cet infini ravage?
As-tu sondé l'angoisse en cet oeil inquiet?
Ce brisement d'un coeur aimé, c'est ton ouvrage.
La vision tremblante a disparu. - Tous deux
Vous avez poursuivi votre route opposée;
Sous l'éblouissement elle a fermé les yeux.
Gello (poétesse des années 1920)
Sonnet à l'inconnue
Charme de l'inconnue qu'on ne voit qu'une fois,
O reflet de notre âme et de notre génie,
Toi que je ne verrai plus jamais de ma vie
Et que j'ai rencontrée dans un jardin bourgeois!
Je vis passer l'éclair de mes propres effrois
Dans les yeux ombragés de fière nostalgie,
Je connus sur ton front la virile énergie
Qui cache la douleur des âmes aux abois.
Mais tu ne me vis point et tes regards stupides
S'attachaient sans la voir à la foule des yeux vides.
Tu n'étais pourtant pas seule car des parents
Près de toi déroulaient leur verbe dérisoire
Que tu n'entendais pas; dans mes songes ardents,
Inconnue! tu viendras flotter sur ma mémoire.
Rita del Noiram
Désir
Au rond-point d'une allée, elle m'est apparue,
Dans le rouge cuivré des feuillages de sang,
L'amazone gracile au souple corps dansant.
Larme à larme, pleurait la lumière décrue,
De mauve se fardait l'androgyne statue,
Sa jambe au galbe fier et son sein frémissant,
Les contours moelleux du buste adolescent,
De la hanche en amphore et de l'épaule nue...
Penthésilée enfant, la langueur de ta bouche
Me semblait démentir ton regard plus farouche,
Dans l'air énamouré de douceurs d'encensoir.
Et mon coeur nostalgique appelait, ô guerrière !
En cette demi-teinte équivoque du soir,
L'impossible baiser de tes lèvres de pierre.
)Dans Les Cahiers Mensuels de la Poésie, janvier, 1922)
A un passant
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2- De Huysmans à Renée Vivien
Huysmans (1881)
Sonnet Masculin
(toutes les rimes sont "masculines, c'est-à-dire sans "e" muet à la rime)
Les rideaux tout souillés des morves d’un branlé
Enveloppaient le lit. — Un bidet rempli d’eau
Attendait. — Le vieillard entra — mit son cadeau,
Cinq francs, dans une coupe en zinc — et l’enculé
Tournant le dos porta ses jumelles rondeurs,
Dames-jeannes d’amour, au bouchon du miché.
A grand’aide de suif, il fut vite fiché
Dans cette cave en chair où fument des odeurs
De salpêtre et de bran, ce dard qui sautillait,
Éperdu, dans ses doigts! — Après un long effort,
Il entra jusqu’au ventre en ce trou qui bâillait.
Et l’anus embroché sonna son doux flic-flac.
C’est bon, dis, petit homme? — Oh oui! va, va, plus fort,
Ah! reste — assez — laisse — ouf! — Et l’on entendit clac!
Renée Vivien
Sonnet féminin
(En écho au poème de Huysmans: toutes les rimes sont féminines, avec "e"muet à la rime)
Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes,
L'anxiété des chants et des odes saphiques,
Et tu sais le secret d'accablantes musiques
Où pleure le soupir d'unions anciennes.
Les Aèdes fervents et le Musiciennes
T'enseignèrent l'ampleur des strophes érotiques
Et la gravité des lapidaires distiques.
Jadis tu contemplas les nudités païennes.
Tu sembles écouter l'écho des harmonies
mortes;
Bleus de ce bleu des clartés infinies,
Tes yeux ont le reflet du ciel de Mytilène.
Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses;
De ton corps monte, ainsi qu'une légère haleine,
La blanche volupté des vierges amoureuses.
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Catherine des Roches (1542-1587)
L'Amour
Sur un laurier triomphant
Amour regarde la belle,
Puis, fermant l'une et l'autre aile,
Il la suit comme un enfant.
Il repose dans son sein
Et joue en sa tresse blonde,
Frisotée comme l'onde,
Qui coule du petit Clain;
Il regarde par ses yeux,
Parle et répond par sa bouche,
Par ses mains les mains il touche,
N'épargnant hommes ni dieux.
Quand il s'en vient entre nous,
Un souris lui sert d'escorte;
Mais qui n'ouvrirait sa porte,
Le voyant humble et si doux?
Hà, Dieu! quelle trahison,
Sous une fraude tant douce!
Je crains beaucoup qu'il me pousse
Hors de ma propre maison.
Marguerite de France (1552-1615)
(L'amour ressemble)
L'amour ressemble un champ, le laboureur l'amant;
L'un et l'autre présument, à la fin de l'année,
Selon qu'elle sera mauvaise ou fortunée,
Moissonner le chardon, la paille ou le froment.
La paille est la douceur d'un vain contentement,
Mais le vent la dérobe aussitôt qu'elle est née;
Le chardon, la rigueur d'une Dame obstinée;
Et la grâce est le grain qu'on recueille en l'aimant.
L'amant ne peut gagner, pour service qu'il fasse,
Un point d'honneur plus haut qu'être en la bonne grâce
D'une Dame accomplie, objet de sa langueur.
La grâce vient du coeur, et toute autre espérance
S'éloigne du devoir d'honnête récompense.
Que désire-t-on plus en amour que le coeur?
1618-1673
(Selon Emile Magne, ce sonnet doit plutôt être attribué à Mme de Villedieu)
Jouissance
Aujourd'hui dans tes bras j'ai demeuré pâmée,
Aujourd'hui, cher Tirsis, ton amoureuse ardeur
Triomphe impunément de toute ma pudeur
Et je cède aux transports dont mon âme est charmée.
Ta flamme et ton respect m'ont enfin désarmée ;
Dans nos embrassements, je mets tout mon bonheur
Et je ne connais plus de vertu ni d'honneur
Puisque j'aime Tirsis et que j'en suis aimée.
O vous, faibles esprits, qui ne connaissez pas
Les plaisirs les plus doux que l'on goûte ici-bas,
Apprenez les transports dont mon âme est ravie !
Une douce langueur m'ôte le sentiment,
Je meurs entre les bras de mon fidèle Amant,
Et c'est dans cette mort que je trouve la vie.
Baronne de Baye (1905)
Silence
Nous nous taisions : c'était l'heure troublante et chaude
Où le soleil frémit sur les rideaux croisés,
L'heure lourde où l'amour, dans l'air assoupi, rôde...
Une rose effeuillait ses parfums apaisés.
Vous ne me disiez rien de vos tristes pensées,
Je ne vous disais rien de mes amers chagrins,
Mais le temps s'écoulait entre nos mains pressées,
Comme un collier de deuil dont on compte les grains.
Nous nous taisions, penchés sur le silence tendre ;
Une caresse errait en cette obscurité,
Et je sentais mon âme éperdument se tendre
Vers votre âme tremblante, éprise de clarté !
L'arôme de la fleur passait, tel un sourire ;
La chambre s'emplissait d'espoir et de regret :
Nous pensions les mots doux que nous n'osions pas dire
Nous nous taisions, gardant chacun notre secret...
Silence ! c'était l'heure troublante et chaude
Où le soleil frémit sur les rideaux croisés,
L'heure lourde où l'amour, dans l'air assoupi, rôde...
Une rose effeuillait ses parfums apaisés.
L'âme brûlante (1905)
Hymne au Bien-Aimé
O jeune corps de joie où la splendeur circule,
Je te glorifierai dans la vague du blé,
Dans les grans horizons, lorsque le crépuscule
Ouvre une route bleue au silence étoilé.
O jeune fleur de vie, ô chair pure et sacrée,
O corps du bien-aimé, je te louerai le jour,
Lorsque la terre boit la lumière dorée,
Quand le soleil est beau comme un rire d'amour.
Je te retrouverai dans les vignes ardentes,
Dans la mûre si lourde aux doigts de la chaleur,
Dans le parfum du foin et des roses brûlantes,
Et dans le tiède sol et dans les fruits en fleur.
Je te désirerai dans les plantes de l'ombre,
Je te savourerai dans le pain du matin,
Je boirai ta douceur au coeur de la nuit sombre,
Et, dans le fleuve beau, je verrai ton destin.
Je baiserai le chêne ou tes dieux te saluent,
L'herbe de la vallée où tu dors en riant,
Le lin, l'outil, le blé que tes mains distribuent,
Belle, je chanterai pour toi vers l'Orient.
Je te respirerai dans les vents de l'automne,
Dans les vents où tournoient les fous insectes d'or,
Ivres, dans le verger qui s'éffeuille et rayonne,
D'avoir goûté les fruits et pressenti la mort.
O bien-aimé, fraîcheur, parfum de la colline
O clarté de mes yeux, ô rythme de mon coeur,
Je mouillerai ta chair d'une larme divine
Et je m'effeuillerai sur toi comme une fleur.
Je t'apprendrai les mots dont s'alimente l'onde,
Dont s'avive l'azur, dont se dore l'été;
Pour toi, je lèverai mes deux bras sur le monde,
Et mes gestes, pour toi, feront de la beauté.
La source des forêts dira notre jeunesse,
Et ma lèvre, sans fin, dans la tienne mourra;
La lune règnera, haute, sur notre ivresse,
Et l'urne de ma vie à tes pieds coulera...
L'instant éternel (1907)
Marie Dauguet (1926)
Ode à l'amant
Tu es la vigueur du soleil
Et ta sève embaume.
Elle est un ruisseau de mai sous l'aubépine,
Plus douce que la fleur du sureau.
Tu te dresses et tu es la force de la forêt!
Tes reins blessent mes mains nouées,
Tu es rude comme un chêne.
Je t'ai baisé comme un rouge-gorge dans ma main,
J'aime la tiédeur de ton corps dans ma main.
Je me rassasie de ton odeur sauvage;
Tu sens les bois et les marécages
Tu es beau comme un loup,
Tu jaillis comme un hêtre
Dont l'énergie gonfle l'écorce.
... Le nœud de tes épaules est dur sous les mains;
L'axe du monde est dans ta chair.
... Mais je louerai ton cri sauvage,
Mais je louerai ton corps qui embaume,
C'est un bois sauvage aux rudes fleurs.
Je louerai ta brutalité,
Le sanglot rauque de ta chair;
Je louerai ta sève immense
Où l'univers est en puissance.
Je louerai tes poings et comment ils se dénouent
Tout à coup quand tu retombes
Au creux d'une épaule,
Plus doux qu'un petit enfant
Et plus innocent qu'un ange.
(Extrait de Ce n'est rien, c'est la vie - Ed. Chiberre, 1926)
Béatrice de Die
Chanson
Grande peine m'est advenue
Pour un chevalier que j'ai eu,
Je veux qu'en tous les temps l'on sache
Comment moi, je l'ai tant aimé;
Et maintenant je suis trahie,
Car je lui refusais l'amour.
J'étais pourtant en grand'folie
Au lit comme toute vêtue.
Combien voudrais mon chevalier
Tenir un soir dans mes bras nus,
Pour lui seul, il serait comblé,
Je ferais coussin de mes hanches;
Car je m'en suis bien plus éprise
Que ne fut Flore de Blanchefleur.
Mon amour et mon coeur lui donne,
Mon âme, mes yeux, et ma vie.
Bel ami, si plaisant et bon,
Si vous retrouve en mon pouvoir
Et me couche avec vous un soir
Et d'amour vous donne un baiser,
Nul plaisir ne sera meilleur
Que vous en place de mari,
Sachez-le, si vous promettez
De faire tout ce que je voudrai.
(Traduction: Pierre Seghers, 1961)
Madeleine de l'Aubépine ou Héliette de Vivonne
Pour le doux ébat que je puisse choisir,
Souvent, après dîner, craignant qu'il ne m'ennuie,
Je prends le manche en main, je le tâte et manie,
Tant qu'il soit en état de me donner plaisir.
Sur mon lit je me jète, et, sans m'en dessaisir,
Je l'étreints de mes bras et sur moi je l'appuie,
Et, remuant bien fort, d'aise toute ravie,
Entre mille douceurs j'accomplis mon désir.
S'il advient, par malheur quelquefois qu'il se lâche,
De la main je le dresse, et, derechef, je tâche
Au jouir du plaisir d'un si doux maniement :
Ainsi, mon bien aimé, tant que le nerf lui tire,
Me contemple et me plaît, puis de lui, doucement,
Lasse et non assouvie enfin je me retire.
Mademoiselle M. D. P. P.
La Nouvellette
Chanson
Il est certain qu’un jour de l’autre mois,
M’est advenu très merveilleuse chose:
Toute seulette étais au fond du bois,
Vint mon ami, plus beau que n’est la rose.
Il me baisa d’un baiser sage et doux,
Et puis après il me fit chose amère,
Si que je dis, avec un grand courroux:
Tenez-vous coi, j’appellerai ma mère.
Il est certain qu’il devint tout transi,
Voyant courir larmes sur mon visage.
A jointes mains il me cria merci, (pitié)
Et cela fit que je fus moins sauvage.
Alors qu’il vit que je parlais si doux,
L’ami s’y prit de tant belle manière,
Que je lui dis, sans avoir de courroux:
Tenez-vous coi, j’appellerai ma mère.
Il est certain que lors il m’arriva
Chose nouvelle, à quoi n’étais pas faite,
Et quasi morte, un baiser m’acheva,
Qui me rendit les yeux clos et muette;
Puis m’éveillai, mais d’un réveil si doux,
Que remourus, tant il me fit grand’chère.
Enfin, besoin ne fut d’être en courroux,
Il devint coi, sans qu’appellai ma mère.
Le fameux sonnet de Louise Labé
et autres imitations de Pétrarque
Sonnet de Pétrarque
(trad. de F. L. de Grammont, 1842)
Pétrarque
Louise Labé (1524-1566)
Sonnet 8
Je vis, je meurs; je brûle et je me noie;
J'ai très chaud tout en souffrant du froid;
La vie m'est et trop douce et trop dure;
J'ai de grands chagrins entremêlés de joie.
Je ris et je pleure au même moment,
Et dans mon plaisir je souffre maintes graves tortures;
Mon bonheur s'en va, et pour toujours il dure;
Du même mouvement je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour me mène de manière erratique;
Et quand je pense être au comble de la souffrance,
Soudain je me trouve hors de peine.
Puis quand je crois que ma joie est assurée
Et que je suis au plus haut du bonheur auquel j'aspire,
Il me remet en mon malheur précédent.
Marie de Romieu (entre 1540-1590)
Paix ne trouve
Anne-Marie d'Haupoul (1763-1837)
Incertitude
Je ne sais plus chanter et je ne sais rien dire;
Mes regards sont baissés, ou rêveurs ou distraits;
Je crains de soupirer, et toujours je soupire,
Je me tais ou gémis, j'expire ou je renais.
Je frissonne, et bientôt une flamme rapide
En parcourant mes sens fait palpiter mon sein;
A la fois délirante, incertaine, timide,
Je le cherche toujours, et toujours sans dessein.
S'il s'offre à mes regards, mon âme est éperdue;
S'il s'éloigne, je meurs! Trop tendre, je ne puis
Soutenir son départ ni supporter sa vue;
Absent, je le souhaite, et présent je le fuis.
Qu'est-ce donc que je sens? est-ce plaisir ou peine?
De ce mal inconnu faut-il mourir un jour?
Il me devient trop cher pour être de la haine,
Et me fait trop souffrir pour être de l'amour.
(Dans Sabatier, 18ème siècle, p. 175)
Poesias liricas (1850)
La contradicciones
Soneto
Epître de madame la Vicomtesse de Thouars à Monsieur de la Trémouille, Vicomte dudit lieu, son époux, lui étant avec le Roi delà les monts. (1545)
Je n'ai personne à qui dire mes plains,
Qui sont de deuil et de regret tout pleins,
J'entends personne ou (où?) réconfort je trouve
Et dont avoir je voulusse l'épreuve (l'éprouve).
Car vous tout seul, monseigneur vous avez
Mon réconfort, despieça (depuis longtemps) le savez,
Vous seul portez l'amoureuse racine
Qui de mon mal doit être médecine,
Vous connaissez plus qu'autre mon vouloir
Et si voyez ce qui me fait douloir,
C'est votre absence, et votre retournée
M'aurait tantôt de liesse atournée.
Mais je sais bien que vous êtes contraint
De demeurer, non de me voir retraint
Et que de l'oeil de mémoire amoureuse
Voyez toujours moi pour langoureuse,
Amour le fait qui de deux nobles coeurs
En a fait un tout arrosé de pleurs,
Ou à monceaux je vois croître pensées
De grands soupirs bien souvent offensées.
Par le jardin mon souvenir vous quiert
Et, tant souvent, désir de vous s'enquiert,
Ma voix vous tait, et mon coeur vous nomme
Cent fois le jour, voire cent mille en somme
Mes pauvres yeux vous regardant par tout
Si au (en?) jardin serez en quelque bout
Vous cuidant voir avec vos gentilshommes
Passer le temps, ou souvent trompés sommes.
Et quand les yeux ont si très fort sailli
Mon pauvre espoir de regret assailli
Ses ailes prend d'affection discrète,
Et va cherchant celui que tant regrette,
Puis me vient dire au secret de mon lit
(Lequel mon corps pour son repos élit)
"Bientôt aurez près de votre personne
Le vôtre époux, et que mot on n'en sonne.
J'attends, j'écoute en pensements divers,
Et par mon lit vais et viens à travers,
Mon corps s'endort, et dormant travaille,
Et vraie amour mon tendre esprit réveille,
Et lui présente un millier de bons tours
Qu m'avez fait en loyales amours.
Aucunes fois m'est avis que je vous baise,
Et vous embrasse, en honneur à mon aise,
A l'autre fois qu'en vous tenant propos
D'honnête amour prenons notre repos.
En quoi faisant, combien (bien) que le corps dorme
Je parle haut voire sans ordre et forme,
Riant, pleurant, chantant, ou lamentant,
Ou en disant hélas je l'aime tant,
Et tellement que mes femmes de chambre
Se vont lever en tremblant membre à membre
Qui tout soudain me viennent réveiller,
Pour empêcher d'ainsi me travailler,
Et souvent suis de pleurs toute couverte,
Froide d'ennui, pâle sous la couverte,
Puis je les fais soudain tourner coucher
Sans leur vouloir de mes pleurs rien toucher,
Disant, allez, ce ne sont fors (que) songes
Troublant l'esprit, et remplis de mensonges.
Ce néanmoins, monsieur, il m'est avis
Que tous mes sens sont devant vous ravis,
Et que sans vous je ne saurais plus vivre,
Délibérée (décidée) en tous lieux de vous suivre.
................................
Aise n'aurai jamais jour que je vive
Jusques à tant qu'on me die, il arrive,
Qui ! monseigneur, le meilleur des meilleurs,
Qui a son coeur en vous, et non ailleurs.
Ce que je suis contrainte vous écrire
Puisque ne puis par ma voix le décrire.
Vous suppliant monsieur et mon époux
Voir votre épouse en pitié sans courroux
Et de votre oeil bénin et aimable
Serez, s'il vous plaît pitiable.
Si ne pouvons approcher nos deux corps,
A tout le moins soyez de moi recors (souvenez-vous),
Que votre esprit une fois le jour vienne
En mon secret, et amour entretienne,
Et mille fois le mien vers ira
Par bon espoir, qui mot ne vous dira,
Mais attendra votre noble présence
Pour obtenir de mon mal allégeance,
Et sous espoir d'avoir en amour mieux
Il attendra votre retour joyeux,
Qui est la fin de ma douce demande
Fors monseigneur qu'à vous me recommande
Très humblement, et prie au créateur
Qu'il soit de vous toujours le protecteur,
Et vous donner bonheur en votre quête,
Puis retourner glorieux en conquête.
Ecrit au lieu de mon secret désir
Sur net papier, d'encre de déplaisir,
Par celle-là qui d'amours le tref (tente du soldat) mouille
De pleurs loyaux attendant la Trémouille.
Simonna Azaïs
Que nos cuisses enlacées
L’odeur de nos corps sans honte
Nos bouches infatiguées
Et nos sexes qui s’affrontent
Mes seins
Ton membre dressé
A l’amour qui nous harcèle
Nos sanglots entrecoupés
Que la jouissance appelle
Notre désir épuisé
Qui revit sous nos caresses
Nos chairs
Émues de baisers
Que des doigts plus fiévreux pressent
Nos ventres
Enfin soudés à l’aube conceptionnelle
Fassent de ces nuits passées
Un chant de rut
Éternel.
Cette poétesse n'a pas toujours bonne réputation. Pourtant, on ne peut rester indifférent à certains aspects de l'oeuvre de cette féministe chrétienne, fille de créole. Le poème qui suit renverse la problématique du Cantique des Cantiques. Y pense-t-elle au début de la 2ème strophe ? "Un nègre a sa beauté" = Nigra sum sed formosa".
Un nègre à une blanche
O blanche, tes cheveux sont d'un blond de maïs,
Et ta voix est semblable au chant des bengalis!
Si tu voulais m'aimer, ce serait douce chose!
Un peu d'amour au noir, jeune fille au teint frais:
Le gommier n'a-t-il pas, dans nos vastes forêts,
Sur son écorce brune une liane rose!
Un nègre a sa beauté: bien sombre est ma couleur,
Mais de mes dents de nacre on voit mieux la blancheur;
Tes yeux rayonnent bien sous tes cils fins, longs voiles,
Mais regarde! les miens ont un éclat pareil:
Ton visage est le jour, tes yeux c'est le soleil;
Mon visage est la nuit, mes yeux sont des étoiles!
Sois ma compagne: au pied du morne que voilà,
Vois ce petit carré de manioc; c'est là
Que pour te recevoir, j'ai préparé ma case:
Ton hamac de filet, de plumes est orné;
De peur qu'un maringouin à ton front satiné
Ne touche, je t'ai fait la moustiquaire en gaze.
Viens; je te donnerai tous mes cactus en fleur,
Et je te cueillerai des fruits pleins de saveur,
Goyaves, ananas. Oh! suis-moi, blanche femme,
Afin que je te serve et te parle à genoux!
Qu'importe ma couleur, si je suis bon et doux,
Et si le noir chez moi ne va pas jusqu'à l'âme!
Si tu veux, pour t'avoir coquillage et corail,
Un oiseau-mouche, oiseau d'escarboucle et d'émail,
J'irai dans la savane et près des tièdes lames,
A l'heure où s'enfuirait le blanc le plus hardi;
Lorsque de tous côtés la chaleur de midi
Enveloppe le corps, comme un manteau de flammes.
O blanche, tes cheveux sont d'un blond de maïs,
Et ta voix est semblable au chant des bengalis!
Si tu voulais m'aimer, ce serait douce chose!
Mais quoi! tu fuis le noir, jeune fille au teint frais;
Oh! plus heureux que moi, le gommier des forêts
Sur son écorce brune a sa liane rose!
Poésies diverses (1836)
Litanies de la chair
Je t'aime, ô mon amant
Ma chair émue garde le souvenir de ton baiser
Baiser doux et subtil, tendre et profond
J'ai la hantise de ta chair pénétrant ma chair
Tu m'as fait tienne
J'ai nié le pouvoir de la chair
Blasphème !...
Ô chair, divine chair
Sois bénie
Je me sens lasse
Délicieusement lasse
Je niais la volupté,
Ô crime, je t'avais reniée, ô volupté !
Je te célèbre aujourd'hui sur le mode majeur et sur le mode mineur
Ce soir je renais à l'amour
Vibration divine
Je me sens lasse, infiniment lasse
De la bonne fatigue,
De la fatigue sacrée
J'ai reçu le baiser de la communion
Et bu l'eau du baptême
Je suis ivre d'amour
Ton baiser savant et répété
A fait sourdre des profondeurs de mon être
Où il croyait pour toujours sommeiller,
Le Désir ancestral des faunesses,
Ah ! verse-moi, verse-moi l'ivresse
Prends-moi, prends-moi toute en ta caresse
De nos corps confondus s'élève une odeur de folie
Tes baisers ont fait chanter toutes les cordes
De mon corps tendues comme une harpe
Et je m'ouvre en un suprême appel
Pour recevoir l'offrande de ton amour.
La passion vaincue
La bergère Liris sur les bords de la Seine
Se plaignait l'autre jour d'un volage berger.
Après tant de serments peux-tu rompre ta chaîne
Perfide, disait-elle, oses-tu bien changer?
Puisqu'au mépris des Dieux tu peux te dégager,
Que ta flamme est éteinte et ma honte certaine;
Sur moi-même de toi je saurai me venger.
Et ces flots finiront mon amour et ma peine.
A ces mots résolue à se précipiter,
Elle hâte ses pas et sans plus consulter.
Elle allait satisfaire une fatale envie.
Mais bientôt s'étonnant des horreurs de la mort;
Je suis folle, dit-elle, en s'éloignant du bord,
Il est tant de bergers, et je n'ai qu'une vie.
Elise Champagne
Les pistons de la fête ont saoûlé les amants,
Les couples ont poussé comme des champignons
Sur les quais où l'on voit trembler de faux brillants
Et l'amour s'étaler sans gêne et sans façon.
Mais la misère, un jour, les tire en sa nacelle
Et la barque s'en va sur le sombre canal,
Vers des terrains jonchés de débris de vaisselle,
De paniers éventrés et de vieux fils d'archal.
L'amour court les pieds nus comme un petit vaurien
Qui le soir, pour voler, entre dans les boutiques.
Il sait pleurer d'un oeil lamentable en public,
Mais vendrait ses parents que nul n'y verrait rien.
Et parfois il revient offrir dans les faubourgs
Des Venus ébréchées en craie éblouissantes
Aux ménages heureux qui ornent leurs amours
D'une mythologie à quatre francs soixante.
Extrait de "Mont-de-Piété" (1932)
AVEU
Je ne t'ai jamais dit assez combien j'aimais
Ta parole éloquente et ta grâce infinie.
Je ne t'ai jamais dit combien tu me charmais ;
Combien ta voix avait d'attrait et d'harmonie.
Je ne t'ai jamais dit mon fol enivrement.
Ni l'adoration de mon âme en délire.
Quand vers moi tu venais... ou passais seuiement
Près de moi. sans un mot, mais avec un sourire.
Je ne t'ai jamais dit. non jamais tu n'as su
Combien je te trouvais au-dessus de ma vie.
Et toi. humble, jamais tu ne t'es aperçu
De ma dévotion à ton culte asservie.
Je ne t'ai jamais dit combien tu m'exaltais.
L'excès d'amour a-t-il une pudeur farouche ?
Souffle-t-il sur sa flamme?... Eh, bien oui!... je sentais
Qu'il éteignait le feu de mon cœur sur ma bouche.
Muette, devant toi, souvent je t'admirais ;
Muette, devant toi, j'écoutais ta parole;
Muette, devant toi, de toi je m'enivrais,
En apparence sage, en réalité folle.
M'entends-tu?... Dans le monde où tu vis, entends-tu
Mon aveu?... Me vois-tu tout à coup dévoilée?...
Dieu me pardonne- t-il, Lui la pure vertu,
De m'être devant toi, sans pudeur révélée?..
La chanson de Mahéli
(Marie-Emilie Maryon de, Baronne de Prinzen)
1736-1812
Chant d'un pêcheur
Le plaisir,
Et non la constance,
Le désir
Sans persévérance,
Voilà ma seule volupté,
Je lui dois toute ma gaîté.
Mon état peut offrir l'image
Des ruses qu'inspire l'amour;
Et voici, sur le rivage,
Ce que je fais tour à tour:
Dans l'onde agitée ou tranquille,
Je jette en riant mes filets,
Et dans ma nacelle mobile,
Avec art j'ai l'oeil aux aguets.
D'abord le poisson fuit l'amorce,
Je le vois sans m'en irriter;
Il court, revient, s'agite et perd sa force;
L'appât est sûr, il ne peut l'éviter.
En amour, je prévois de même:
Beauté que trouble le désir,
Quand la nature veut qu'elle aime,
Lutte en vain contre le plaisir.
Le plaisir,
Oui, le plaisir,
Et non la constance,
Le désir
Sans persévérance,
Voilà ma seule volupté;
Je lui dois toute ma gaîté.
(Almanach des Muse, 1812)
Jouissance (Sonnet)
Aujourd'hui dans tes bras, j'ai demeuré pâmée,
Aujourd'hui, cher Tircis, ton amoureuse ardeur
Triomphe impunément de toute ma pudeur,
Et je cède aux transports dont mon âme est charmée.
Ta flamme et ton respect m'ont enfin désarmée,
Dans nos embrassements je mets tut mon bonheur;
Et je ne connais plus de vertu ni d'honneur,
Puisque j'aime Tircis, et que j'en suis aimée.
O vous faibles esprits, qui ne connaissez pas
Les plaisirs les plus doux que l'on goûte ici-bas,
Apprenez les transports dont mon âme est ravie.
Une douce langueur m'ôte le sentiment,
Je meurs entre les bras de mon fidèle Amant,
Et c'est dans cette mort que je trouve la vie.
(Amour)
– Amour, sport qui nous nuit
Mais dans lequel s'ennuient
Les princes de la nuit.
– Princesse Å pierre fendre
Daignerez-vous descendre
Dans ce pays du Tendre ?
Chanson barbare
A Mme la baronne Augusta de Kabal
J'aime un bandit des montagnes.
Il pille dans les campagnes
Et prie au désert.
- Voici le temps de la crue.
Demain, sur la mousse nue,
Le Nil sera vert.
Il est parti pour la chasse.
La caravane qui passe
Craint son yatagan.
- L'eau monte, et l'écume y danse...
Demain, sur la roche immense,
Le Nil sera blanc.
Mais on l'a pris sur la rive!...
Les cavaliers du Khédive
L'ont pendu ce soir.
- Que de boue au fond du fleuve!
Demain, sur la grève neuve,
Le Nil sera noir.
Et moi, dont le coeur se navre,
J'ai mordu sur son cadavre
La jusquiame en feu...
- L'ombre fuit. L'amour demeure.
... Et sur nos corps tout à l'heure
Le Nil sera bleu.
Juin
Hôte des muses bocagères
Et de la belle-au-bois dormant,
Je ressemble au Prince charmant
Qui fait soupirer les bergères.
Au souffle des brises légères,
La rose de mon coeur d’amant
S’empourpre et brûle... en parfumant
Mon pourpoint tissé de fougères.
Ivre alors des sucs que je bois
A même la fraise des bois,
J’emprunte les ailes de l’ode
Pour cueillir à Mimi Pinson
Au cerisier de ma chanson,
Des pendants toujours à la mode.
Sept souhaits
Que ne suis-je le bandeau autour de ton front
Si proche de tes pensées!
Que ne suis-je le grain de maïs
Qu'écrasent tes dents de chat sauvage!
Que ne suis-je à ton cou la turquoise,
Chaude de la tempête de ton sang!
Que ne suis-je la laine multicolore
Du métier à tisser, qui glisse entre tes doigts!
Que ne suis-je la tunique de velours
Sur le flux et le reflux de ton coeur!
Que ne suis-je le sable dans tes mocassins
Qui ose caresser tes orteils!
Que ne suis-je ton rêve nocturne
Lorsque dans les bras noirs du sommeil, tu gémis!
Le coeur tatoué, 1958
Anthologie Seghers 1971
Le baiser
Comme on hume l'air tiède au bord d'une fenêtre,
et qui vient du jardin, tout chargé de printemps,
nous avons respiré sur le seuil de notre être
le souffle contenu par l'écrin de nos dents.
Ce baiser attendu qui sembla si facile,
plus changeant que le feu, plus léger qu'un soupir,
n'a-t-il été qu'un jeu de nos lèvres habiles?
Engagions-nous par lui tout le vaste avenir?
Je vivais sans amour...La solitude austère
donne au courage humain la trempe du métal.
Mon âme s'envolait éprise de lumière,
mon corps était un doux et docile animal.
Je suivais sans désir, paisiblement tenace,
le plan précis qu'avait tracé ma volonté;
et je m'accoutumais à lutter face à face,
gaiment, sans amertume, avec l'humanité.
De sa houle confuse et comme possédée,
ma barque experte n'effleura que les sommets.
Vagues souples et radieuses, les Idées
lui donnaient un élan que ma raison aimait.
J'avais discipliné cette âme trop fervente
à force d'énergie et de réflexion.
Enfin j'avais acquis la maîtrise savante
dans l'art subtil de manoeuvrer mes passions.
Faut-il que tout cela, ma liberté féconde,
ce prudent équilibre et le pouvoir aisé
d'aller où bon me semble et jusqu'au bout du monde,
se fonde en la douceur trompeuse d'un baiser?
Toi qui viens sans appel, en ton mâle égoïsme,
barrer ma route, es-tu la ruse ou la candeur?
Ne figures-tu pas le traître antagonisme,
l'amour démoniaque empoisonnant le coeur?
Si ta jeunesse ardente aux vanités naïves,
Si ce rire d'audace et ces yeux de clarté
devaient semer un jour les rancoeurs agressives,
qui lèvent sur les champs où meurt la volupté;
si le trésor que ta beauté m'apporte,
follement dépensé, nous laissait appauvris;
que nous découvrions en nos âmes moins fortes
pour avoir trop rêvé, des détails flétris;
si ce qui nous attend était cette détresse,
si la satiété, le morne désespoir
en menace changeaient la brûlante promesse
que ta lèvre ravit à la mienne ce soir;
si notre amour était la prison sans issue
où s'étiole un jour toute vitalité,
s'il lui manquait l'air pur qu'on nomme: liberté,
et s'il se consumait comme un feu diminue,
j'arracherais de moi le langoureux désir;
et vers un coin caché de cette vaste terre,
mon âme emporterait, plié dans son mystère,
d'un seul baiser d'amour le profond souvenir!
Amour et Sagesse, 1921.
Il passa...
Il passa ! J'aurais dû sans doute
Ne point paraître en son chemin ;
Mais ma maison est sur sa route,
Et j'avais des fleurs dans la main.
Il parla : j'aurais dû peut-être
Ne point m'enivrer de sa voix ;
Mais l'aube emplissait ma fenêtre,
Il faisait avril dans les bois.
Il m'aima : j'aurais dû sans doute
N'avoir pas l'amour aussi prompt ;
Mais, hélas ! quand le cœur écoute,
C'est toujours le cœur qui répond.
Il partit : je devrais peut-être
Ne plus l'attendre et le vouloir ;
Mais demain l'avril va paraître,
Et, sans lui, le ciel sera noir.
L'âme sereine, 1896
Amour, ô dieu méchant...
Amour! ô dieu méchant, qui blesse la jeunesse
Et dérange ses jeux,
Quand ce serait si doux de rire avec ivresse,
Lorsque le ciel est bleu!
Quand ce serait si beau d'avoir vingt ans, de croire
Que l'unique bonheur
Est de presser l'été, ses roses et sa gloire
Contre son tendre coeur;
D'emplir éperdument son âme et sa poitrine
De tous les chants vermeils
Et de nouer se bras aux branches d'aubépine
Quand flambe le soleil.
D'épanouir son être, ô volupté profonde,
Comme un rosier humain,
Et de mêler sa bouche à la splendeur du monde;
En un hymen divin!...
Mais tu es là, Amour, et tu guettes ta proie
De ton mauvais regard,
Qui mêle étroitement la truistesse et la joie.
Pour acérer ton dard,
Il te faut la beauté, le rire frais des femmes,
Leurs pleurs à tes genoux,
Et le sang de leur coeur, leur douleur qui se pame,
Pour ton plaisir jaloux.
Et de tes doigts cruels, tu détruis les beaux rêves
Des vjngt ans enchantés,
En soufflant sur les coeurs, les rayons et les sèves
L'amère volupté.
Pages posthumes, 1913
Claude Fourcade
Jamais en nuls regards n'ont coulé de tels pleurs !
Jamais timide orgueil n'eut plus chastes douleurs !
De l'attente amoureuse où rêve sa pensée
La belle solitaire en revient plus lassée
Mais laisse à l'infidèle un espoir de pardon ;
Puis, n'osant croire encore à ces soirs d'abandon
Pareils aux soirs d'avril repliés sous la nue,
Garde secrète au coeur une flamme ingénue ;
Car toujours le silence est plus doux que l'aveu,
Le reflet du flambeau que l'or même du feu,
Plus que la nudité le mystère du voile
Et plus qu'un sûr bonheur la vacillante étoile.
(Publié dans Le Divan, 1939)
VIEILLES BOUTEILLES
Je te revois au comptoir
d'un bar très Toulouse-Lautrec,
parmi les blancs et les métèques.
Sous les ampoules électriques
s'étriquent
tes épaules point symétriques
ô, Maria-Marialaine.
Ton teint, qu'un fard électrise,
frise,
la framboise sous le givre.
Mais, ô désastre du preneur
quel leurre !
Ton cou maigre, au faisan
mort depuis déjà des temps,
fait tout-à-coup songer.
Ah ! Maria-Marialaine
enferme-toi
en des étuis de soies.
Laisse émerger seule ta tête
comme un bouchon sur la bouteille.
Et sois dispensatrice
des voluptés et des caprices,
bouteille des ivresses infinies
Marialaine !
Je te revois au comptoir
d'un bar, très Toulouse-Lautrec,
parmi les blancs et les métèques.
Que sous le ver feu des lampes
Vous êtes toutes bien rangées !
Toi, presque rousse, le champagne sec.
Toi, la brune trop frelatée
de nard et de musc
es-tu l'absinthe au goût de crime ?
Fais-tu monter jusqu'aux cimes
des jets de sang pourpré ?
Et toi la blonde couleur jonquille
Avec ton teint trop blanc,
comme nacré,
liqueur pour jeunes filles
petit verre pour freluquet ?
Ah ! Ah ! sautez bouchons, sautez bouteilles,
tous les vins de toutes les treilles.
............................................................
Maria-Marialaine
dans la lumière d'une aurore
dort.
Flacon cassé, vide, répandu,
son corps gît, moitié sur la table
tandis qu'un amateur, bouche empâtée,
attache d'un air entêté
son gilet déboutonné...
...l'aurore se lève.
*
**
Marialaine, ton corsage entr'ouvert
laisse sortir un sein presque vert,
tableau d'un Van Gogh égaré.
*
Mais voici que l'on clôt
de bois sinistre le bar vidé.
Et c'est, dit un client
qui s'attriste, "la petite mort"
que ces quatre planches de bois.
Dehors
- inattendu essor - Ah ! Ah !
sur Marialaine, il pleura !
Attente
Quand étendu sur moi tu reposes et que je serre entre mes bras ton corps, dans ma poitrine si violemment ton coeur bat que tout en moi se tait pour l'entendre. Que ne puis-je m'endormir d'amour ?
Muette je sens ta vie s'en aller à grands coups et j'épie chacun de nos instants comme le dernier.
(publié dans Marie-Jeanne Durry, Poètes d'aujourd'hui, Seghers)
L'amant
La foule aux cent regards, aux deux cents mains mouvantes
Qui modèle la gloire ou creuse les tombeaux,
La foule qui dira si mes vers furent beaux,
Si j'eus l'âme des dieux ou celle des servantes,
La foule au vaste front, plein d'avenir, qui tend
Vers moi son blanc miroir où la lumière coule,
La foule, bateau ivre, au flanc de l'océan,
Auquel j'ai confié ma destinée, la foule,
Elle a pour moi ce nom magnifique: l'amant !
Et quand certains jugeront folle ma solitude,
Fou l'orgueil de ma chair qui ne s'est pas donnée,
S'étonnent de me voir attachée à l'étude,
Et belle, et seule, et pauvre, aux genoux d'Athénée,
Je ris : c'est que le soir, ciselant un poème,
En un lieu triste et froid où personne ne m'aime,
Où je n'ai, pauvrement, que mon âme à donner,
J'ai senti sur ma tempe un laurier frissonner...
Tandis que s'avançait, puissant comme la houle,
Cet amant merveilleux et multiple : la foule !
Cécile Périn
L'amour noue un instant les corps vite apaisés.
Divine illusion dans l'ombre de l'étreinte !
O désirs confondus et tôt désenlacés !
L'extase naît, vacille, meurt, lueur éteinte...
Le doux bras se détache et la lèvre se tait.
Comme une voile sur la mer le sommeil glisse.
Soupir ! Est-ce un aveu de joie ou de regret ?
Celui qui ne dort pas songe... Ce court délice,
Que t'a-t-il donc livré du bel être alangui
Dont le souffle à présent trouble la nuit pensive
Et qui déjà très loin de toi, très loin, s'enfuit,
sans que ton souvenir impuissant le poursuive ?
Ne confondrez-vous pas un jour vos vérités ?
Irez-vous à tâtons toujours dans la tendresse ?
Silence des amants ! Ah ! savoir écouter
A l'heure grave, où se dissolvent les caresses !
Mais le vent a porté vers le large sans bruit,
Irrésistiblement, hors de toutes atteintes,
O pauvre amour, l'aile invisible des esprits,
O pauvre amour leurré par la poignante étreinte.
(publié dans Le Divan, 1941)
Amour
Toi qu'on n'ose nommer, esprit, charme, puissance.
Amour, où donc es-tu ? quelle est ta pure essence ?
Des astres de l'Ether fils immatériel,
Es-tu le messager ou l'exilé du ciel ?
Es-tu dans le parfum de ces fruits qui mûrissent ?
Dans la sombre fraîcheur de ces bois qui frémissent ?
Dans ces flots soulevés, dont le rapide flux
Peint de la passion les accents éperdus ?
Animes-tu l'oiseau, dont l'aile fugitive
Vole au-dessus du lac et trouve à l'autre rive
L'asile et le doux nid aux fragiles réseaux
Qui semble un fruit chantant aux feuilles des roseaux ?
Conduis-tu le nuage errant dans la campagne
Qui flotte et se suspend à la verte montagne,
Et qui, se dilatant, prisme d'or et vermeil,
Fond et s'évanouit aux baisers du soleil ?
Serais-tu dans l'espace ou l'air qui m'environne?
L'étincelle ou l'espoir qui sur mon front rayonne?
Quand j'écoute, est-ce toi qui me parle tout bas ?
Oh ! dis, est-ce vers toi que se tendent mes bras ?
« Femme, je suis en toi ! j'habite dans ton âme,
« Tu respires, tu vis par ma divine flamme ;
« C'est moi seul qui produis ta soudaine pâleur,
« Moi qui brille en tes yeux, qui palpite en ton coeur.
« Ecoute sans frayeur : je suis le bien suprême ;
« Mon séjour est au ciel, et ce grand Dieu lui-même,
« Qui dit à l'oeil terrestre : « Ouvre-toi, c'est le jour ! »
"- Dit à l'âme immortelle : << Ouvre-toi c'est l'amour ! »
Les Statuettes
Quand la Mort, en riant, nous déshabillera
De notre manteau de théâtre
Et qu'elle lèvera le masque d'opéra
De notre orgueil opiniâtre,
L'un devant l'autre, alors, elle nous placera,
Ainsi que deux rêves de plâtre,
Nus, sur la cheminée et nous tendant les bras
Par-dessus le trou noir de l'âtre,
En s'envoyant du geste et de loin un bonjour :
- Bonjour ! bonjour, ô mon amour ! -
Et, comme deux enfants, deux jumeaux blancs et tendres,
De leur innocence ébahis,
Nos deux coeurs, qui se sont tant aimés, tant haïs,
Iront folâtrer dans les cendres !
L'essence de l'amour
Commencement et but de la Création,
Lumière qui pour ombre as la clarté du monde,
Voile vivant, tissé d'âmes en fusion
Et tramé de soleils... ô fournaise féconde,
D'où la pensée éclate irradiée et sonde
Les Mutabilités de la Possession !
Sang des veines du Temps! Flot du flux de la vie !
Ame de toute chair, chair de l'âme ! Divin,
Unique accord parfait d'immanente harmonie !...
Haleine universelle!... Intangible chemin,
Artère où roule et bat la rumeur infinie
Du coeur multiplié de l'avatar humain !
Lai de la mort d'Amour
Lai de la Mort d'Amour
Cy gist amors qui bien amer faysoit,
Li faulx amans l'ont jeté hors de vie ;
Amors vivant n'est rien que tromperie :
Por franc amors priez Dieu, s'il vos plaist.
THIBAUD, roi de Navarre.
Merci, gentilles Jouvencelles,
M'avez reçu dans le châtel.
Soyez-tendres autant que belles,
Saurez les chants du ménestrel ;
Les retins de mon noble maître,
Car ai tout appris dans sa cour ;
Vous conterai LA MORT D'AMOUR,
Et vous verrai plorer peut-être !
N'est plus Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît !
Que franc Amour avait de charmes !
Quel éclat brillait dans ses yeux !
De sa mort n'avais point d'alarmes,
Le croyais au nombre des Dieux.
L'une de vous pourrait connaître
Que n'ai point flatté le portrait ;
Ne veux pas trahir son secret,
Mais la verrai rougir peut-être.
N'est plus Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît !
Las ! bientôt, malgré sa jeunesse,
Il sentit la faux du trépas ;
Accablé d'ennuis , de tristesse ,
Amour s'éteignait dans mes bras.
Voyais sa force disparaître,
Ses traits se faner et pâlir ;
Un oubli le faisait mourir,
Un regard l'eût sauvé peut-être !
N'est plus Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît !
Mis en bûcher lettre amoureuse,
Sermens félons, trompeurs aveux,
L'azur d'une écharpe menteuse,
Bouquets flétris et blonds cheveux ;
L'astre du soir vint à paraître,
Y portai les restes d'Amour.
Alors, pour le priver du jour,
Mes pleurs auraient suffi peut-être !
N'est plus Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît !
Dans un bocage solitaire
S'élève la tombe d'Amour ;
On verra naïve bergère
Y rêver au déclin du jour.
Puisse un cœur inconstant et traître
Dans ce lieu passer un moment !
Sur l'albâtre du monument
En soupirant lira peut-être :
« Ci-gît Amour qui bien aimer faisait,
Les faux amans l'ont jeté hors de vie ;
Amour vivant n'est rien que tromperie :
Pour franc Amour priez Dieu, s'il vous plaît ! »
Sans trop savoir ce qu'on désire ;
Au même instant rire et pleurer,
Sans raison de pleurer et sans raison de rire ;
Redouter le matin et le soir souhaiter
D'avoir toujours droit de se plaindre,
Craindre quand on doit se flatter,
Et se flatter quand on doit craindre ;
Adorer, haïr son tourment ;
À la fois s'effrayer, se jouer des entraves ;
Glisser légèrement sur les affaires graves,
Pour traiter un rien gravement,
Se montrer tour à tour dissimulé, sincère,
Timide, audacieux, crédule, méfiant ;
Trembler en tout sacrifiant,
De n'en point encore assez faire ;
Soupçonner les amis qu'on devrait estimer ;
Être le jour, la nuit, en guerre avec soi-même ;
Voilà ce qu'on se plaint de sentir quand on aime,
Et de ne plus sentir quand on cesse d'aimer.
Opuscules poétiques, 1806
Stances
Ce qu'on sent pour une maîtresse
N'approche pas de la tendresse
que je sens pour vous chaque jour.
Ne craignez pourtant pas mes désirs, ni ma flamme,
Iris, ce que j'ai dedans l'âme
A plus de raison que l'amour.
Je n'aurais pas cru, je vous jure,
Que pour une amitié si pure,
L'on sentît une telle ardeur.
Je le pris pour l'amour, je m'y trompai moi-même,
Vous en pourriez faire de même;
Mais vous n'en aurez que la peur.
Pourtant une flamme discrète,
Pleine de respect et secrète
Mériterait quelque pitié.
L'amour a tant d'attraits que je ne me puis taire,
Sans la crainte de vous déplaire,
J'abandonnerais l'amitié.
Prenez toujours pour une fable,
Quand on dit "l'amour est blâmable",
Ceux qu'il blesse adorent ses coups.
Il sait remplir d'appas la peine la plus rude,
Et mêler à l'inquiétude
Certain je ne sais quoi de doux.
Tout le reconnaît, tout lui cède,
Et souvent du meilleur remède
Il fait le plus subtil poison.
Qui veut trop le guérir, le rend plus incurable,
Et l'on est toujours misérable
De se conduire par raison.
Je pourrais bien m'y laisser prendre,
Sous le nom de l'amitié tendre
L'on le reconnaît chaque jour.
Ne craignez pourtant pas mes désirs ni ma flamme,
Iris, ce que j'ai dedans l'âme
N'oserait vous paraître amour.
Les Lettres et les Poésies de la Comtesse de B. (Brégy), 1666
Catherine Bédacier (Durand)
La vengeance contre soi-même
La fille d'un Seigneur vivait chez ses parents
Dans la splendeur et l'innocence,
Ses biens, ses charmes, sa naissance,
Lui firent en secret nombre de soupirants.
Déjà dans le pays, (c'était en italie)
On ne parlait que des naissants appas
De l'incomparable Idalie.
Elle seule semblait ne les connaître pas.
Aux oeuvres d'Arachné, souvent à la peinture,
Elle passait un quart du jour ;
La promenade avait son tour,
Le reste s'employait en pieuse lecture.
On ne parlait point là d'amour.
Il était là pourtant père de la nature ;
Tout l'univers est son séjour.
Le jeune Eraste né d'assez haut parentage,
Pauvre de biens, mais riche de courage,
Ayant vu par hasard cette jeune Beauté,
En demeura comme enchanté.
Irai-je offrir mes voeux, disait-il en lui-même,
Moi qui n'ai ni moyens, ni rang ?
C'es maintenant l'argent qu'on aime,
Que sert la noblesse du sang ?
N'importe, hasardons ; il dit, il part, il vole
Droit au château qu'Idalie habitait.
Insinuant, comme il était, il sait jouer son rôle,
Si bien que les parents l'arrêtent dans ces lieux.
Cet emploi n'est pas glorieux ;
Il n'est pas bas aussi. Puis quand l'amour décide,
Voir ce qu'on aime est le solide.
Voilà donc notre jeune amant
Qui, gaule à la main, dompte travail, dresse
L'indocile poulain, la légère jument
Fruit des haras du duc, père de sa maîtresse.
Il faisait beau le voir sur son coursier hautain,
Amasser une tête, enfiler une bague,
Darder une méduse, abattre le faquin,
Plus fier qu'un Amadis qui combat l'Audriague.
D'Adonis, au surplus, c'était le vrai portrait.
C'est dans ses yeux qu'Amour choisit un trait
Pour blesser la jeune Idalie.
Il asséna son coup, elle en eut pour sa vie.
Aussitôt regards de partir
Soupirs d'aller, coeur de se rendre
Sa raison, loin d'y consentir,
Fit mille efforts pour la défendre.
Un domestique, un gueux, disait-elle, tout bas,
Triomphera de mes appas ?
Non, non ... dans ces instants Eraste était loin d'elle.
Il parut, sa raison n'osa plus raisonner,
Elle baissa les yeux, feignit de badiner ;
C'était dans la saison nouvelle.
La scène était au fond d'un bois,
Son amant la trouva si belle,
Qu'il lui parla d'amour pour la première fois.
On accepta ses voeux; l'Amour n'est-il pas maître ?
Jeunes beautés, fuyez si vous voulez parer
Les amorces d'un petit traître
Qui ne flatte nos coeurs que pour les déchirer.
Nos deux amants croyaient s'aimer sans cesse.
Trouble charmant, transports, délicatesse
Assaisonnent toujours
Les nouvelles amours.
Les parents sans soupçon laissent parler la Belle
Au novel écuyer dont on vante le zèle.
Que de rapides jours dans ce bonheur passés !
On se voyait toujours, ce n'était pas assez,
A la fin ce fut trop, non pour Idalie,
Car chacun sait que, sous les lois d'Amour,
Tôt ou tard il arrive un jour
Que l'un serre sa chaîne et l'autre la délie.
Ce jour fatal venu, l'écuyer un matin
Va chercher un nouveau destin;
S'il m'en souvient, ce fut à parme,
Où d'un nouvel objet il se rend le captif.
Déjà pour notre fugitif
De ce nouvel objet la fierté le désarme.
Elle avait un époux, mais ce fripon d'Amour
Du chaste hymen aime à troubler la cour,
Eraste et Eleonor s'aimèrent, se le dirent,
L'hyment et l'époux en souffrirent.
Idalie en apprit jusqu'au fond de ses bois
La funeste nouvelle ;
Qui la lui dit ? Oh ! qui ? la déesse aux cent voix,
Par son moyen tout se révèle;
Les pleurs d'abord furent son seul recours.
Le dépit, la fierté, le désespoir, la honte
En augmentaient, ou suspendaient le cours,
Toutes les passions y trouvèrent leur compte.
La douleur enfin l'emporta,
Mais la douleur la plus amère,
La plus tendre, la plus sincère
Que jamais l'Amour excita.
Pour y chercher remède, on met tout en usage,
On suppose un pélerinage
Promis depuis longtemps à tel Saint, en tel lieu,
On part avec un oncle en pompeux équipage,
Le tout pour la gloire de Dieu.
Dès la première couchée
Idalie ouvre son coeur
A sa suivante touchée
De l'excès de sa langueur,
La cassette aux bijoux toujours nécessaire,
Servit à recouvrer habits d'hommes, chevaux.
On coupa des cheveux si beaux
Que ceux de Bérénice attentifs aux mystères,
Craignirent des astres nouveaux.
Au point qu'on voit briller l'Aurore,
La Belle se dérobe à son oncle en défaut,
Elle monte à cheval, et l'oncle dort encore,
Qu'elle est à Parme, ou peu s'en faut.
Suivons-la, car de l'oncle on a peu de nouvelle.
L'apprenti cavalier arrive à la Cité,
S'enquiert d'Eraste et de sa Belle.
Tout lui confirme, hélas ! la triste vérité,
Toutefois à l'espérance
Un coeur se livre aisément,
Elle allait voir son Amant ;
C'est un plaisir qui balance
Le plus horrible tourment.
Elle va demeurer où logeait l'infidèle.
Cherche à le voir, en fait les premiers pas.
Il prend de l'amitié pour elle,
Il ne la connaît pourtant pas ;
Mais dans ces habits d'homme, elle avait tant d'appas,
Qu'avec plus d'une belle
Elle eut à soutenir d'assez plaisants combats.
Voilà donc ces Amants dont l'amitié s'empresse
A réunir les coeurs qu'a séparé l'Amour ;
Notre héroïne en laisse amuser sa tendresse ;
Avec Eraste au moins elle passe le jour.
Il la mène chez sa Maîtresse,
Dont comparant le coeur et les attraits aux siens,
Il sortira de cette ivresse,
Dit-elle, il reviendra bientôt dans mes liens.
Qu'elle connaissait peu des hommes le caprice !
Esclaves d'une molle et fausse volupté,
Dans leur esprit un peu de vice
L'emporte sur le coeur, même sur la beauté.
D'Eraste cependant la prière importune
Obtint (notre Idalie en vain s'en défendit)
De coucher en sa chambre commune.
En même chambre ? Oui, de plus en même lit.
Ce ci sent la bonne fortune :
Censeur, auras-tu bientôt dit.
Ton jugement est trop subit,
Songe à plaindre une Amante sage.
(Quand vous voyez...)
Quand vous voyez que l'étincelle
De chaste amour sous mon aisselle
Vient tous les jours à s'allumer,
Ne me devez-vous bien aimer?
Quand vous me voyez toujours celle
Qui pour vous souffre et son mal cèle,
Me laissant par lui consumer,
Ne me devez-vous bien aimer?
Quand vous voyez que pour moins belle
Je ne prends contre vous querelle,
Mais pour mien vous veux réclamer,
Ne me devez-vous bien aimer?
Quand pour quelque autre amour nouvelle
Jamais ne vous serai cruelle,
Sans aucune plainte former,
Ne me devez-vous bien aimer?
Quand vous verrez que sans cautelle
Toujours vous aurai été telle
Que le temps pourra affermer
Ne me devez-vous bien aimer?
Elégie (extrait)
Combien de fois ai-je en moi souhaité
Me rencontrer à la chaleur d'été
Tout au plus près de la claire fontaine
Où mon désir avec cil (celui) se promène
Qui exercite en sa philosophie
Son gent esprit duquel tant je me fie
Que ne craindrais, sans aucune maignie (escorte)
De me trouver seule en sa compagnie,
Que dis-je: seule? Mais bien accompagnée
D'honnêteté que vertu a gagnée
A Apollon, Muses et Nymphes maintes,
Ne s'adonnant qu'à toutes oeuvres saintes.
Là, quand j'aurais bien au long vu son cours,
Je le lairrais (laisserais) faire à part ses discours;
Puis peu à peu de lui m'écarterais
Et toute nue en l'eau me jetterais;
Mais je voudrais alors aussi avoir
Mon petit luth accordé au devoir
Duquel ayant connu et pris le son,
J'entonnerais sur lui une chanson
Pour un peu voir quels gestes il tiendroit.
Mais si vers moi il s'en venait tout droit,
Je le lairrais hardiment approcher;
Et s'il voulait, tant soit peu, me toucher,
Lui jetterais pour le moins ma main pleine
De la pure eau de la claire fontaine,
Lui jetant droit aux yeux ou à la face...
Rymes, 1545 (d'après Jeannine Moulin)
Louise Labé
Prédit me fut que devais fermement
Un jour aimer celui dont la figure
Me fut décrite ; et, sans autre peinture,
Le reconnus quand vis premièrement.
Puis, le voyant aimer fatalement,
Pitié je pris de sa triste aventure,
Et tellement je forcai ma nature,
Qu'autant que lui aimai ardentement.
Qui n'eût pensé qu'en faveur devait croître
Ce que le Ciel et destins firent naître ?
Mais, quand je vois si nubileux apprêts,
Vents si cruels, et tant horrible orage,
Je crois qu'(que c')étaient les infernaux arrêts
Qui de si loin ourdissaient ce naufrage.
(Dans l'anthologie de Rosemonde Gérard)
Jacqueline Pascal
Chanson
Sombres déserts, retraite de la nuit,
Sacré refuge du silence,
Un malheureux Amant à qui le monde nuit
Ne vient pas par ses cris vous faire violence.
Son tourment est si doux qu'il n'en veut pas guérir.
Il ne vient pas se plaindre, il ne vient que mourir !
***
Par son trépas dans les lieux fréquentés
On saurait les maux de son âme,
Mais, dans ces bois toujours inhabités,
Il vient cacher sa mort pour mieux couvrir sa flamme.
Ne craignez pas ses pleurs en le voyant périr :
Il ne vient pas se plaindre, il ne vient que mourir !
(Dans Rosemonde Gérard)
Madame de Villedieu
Sonnet
Impétueux transports d'une ardeur insensée,
Douces illusions qui réduisez nos sens,
Souvenirs qui rendez mes efforts languissants,
C'est trop longtemps régner dans ma triste pensée.
Malgré tous vos appas vous serez effacée,
Fatale impression de tant d'attraits puissants ;
Mouvements indiscrets, si doux et si puissants,
Je vous immole tous à ma gloire offensée.
Mais quel trouble secret s'oppose à mes desseins ?
Quel désordre imprévu rend ces mouvements vains ?
Que me demandes-tu, coeur ingrat et rebelle ?
Si l'honneur et la foi ne te peuvent guérir,
Pour éviter les noms de faible et d'infidèle,
Lâche, montre du moins que tu sais bien mourir.
(Dans Rosemonde Gérard)
Jouissance
Aujourd'hui dans tes bras, j'ai demeuré pâmé ;
Aujourd'hui, cher Tircis, ton amoureuse ardeur
Triomphe impunément de toute ma pudeur
Et je cède aux transports don mon âme est charmée.
Ta flamme et ton respect m'ont enfin désarmée ;
Dans nos embrassements je mets tout mon bonheur,
Et je connais plus de vertu ni d'honneur
Puisque j'aime Tircis et que j'en suis aimée.
O vous, faibles esprits, qui ne connaissez pas
Les plaisirs les plus doux que l'on goûte ici-bas,
Apprenez les transports dont mon âme est ravie.
Une douce langueur m'ôte le sentiment,
Je meurs entre les bras de mon fidèle amant
Et c'est dans cette mort que je trouve la vie !...
!Dans Emile Magne, Madame de Villedieu)
Antoinette Deshoulières
Stances
Hé ! que te sert, Amour, de me lancer des traits ?
N'ai-je pas reconnu ta fatale puissance ?
Ne te souvient-il plus des maux que tu m'as faits ?
Laisse-moi dans l'indifférence,
A l'ombre des ormeaux, vivre et mourir en paix.
Souvent, dans nos plaines fleuries,
Je mêle, avec plaisir, mes soupirs à mes pleurs.
Le chant des rossignols, les déserts enchanteurs,
Le murmure des eaux et l'émail des prairies,
Mon chien, sensible à mes douleurs,
Mes troupeaux languissants, ces guirlandes de fleurs
Que le temps, mes soupirs et mes pleurs ont flétries,
Don cher et précieux du plus beau des pasteurs;
Tout nourrit avec soin mes tendres rêveries.
Eloigne-toi, cruel, de ces lieux fortunés ;
La paix y règne en ton absence :
Ne trouble plus, par ta présence,
Les funestes plaisirs qui me sont destinés.
Rassemble en d'autres lieux tes attraits et tes charmes ;
Mon coeur ne sera pas jaloux.
Non! je n'envierai point ces secrètes alarmes
Dont tu rends, quand tu veux, le souvenir si doux.
Mon chien et mes moutons, chers témoins de mes larmes,
J'en atteste les dieux, je n'aimerai que vous !
(Dans Rosemonde Gérard)
Louise de Lavallière
Sonnet
Tout se détruit, tout passe, et le coeur le plus tendre
Ne peut d'un même objet se contenter toujours,
Le passé n'a point eu d'éternelles amours,
Et les siècles suivants n'en doivent point attendre ;
La constance a des lois qu'on ne veut point entendre,
Des désirs d'un grand Roi rien n'arrête le cours,
Ce qui plaît aujourd'hui déplaît en peu de jours,
Son inégalité ne saurait se comprendre ;
Tous ces défauts, grand Roi, font tort à vos vertus ;
Vous m'aimiez autrefois, mais vous ne m'aimez plus,
Mes sentiments, hélas ! diffèrent bien des vôtres...
Amour à qui je dois et mon mal et mon bien,
Que ne lui donniez-vous un coeur comme le mien,
Ou que n'avez-vous fait le mien comme les autres !
Fragment
Deux grands Rois, pour m'avoir, firent un jour la guerre :
Le premier l'est du Ciel, l'autre l'est de la Terre,
le Roi du Ciel vainqueur m'a conduit en ce lieu...
O bonheur sans pareil sur la terre et sur l'Onde,
D'Amante que j'étais du plus grand Roi du monde
Je me vois aujourd'hui l'Epouse du grand Dieu !
(Dans Rosemonde Gérard)
Comtesse d'Houdetot
Madrigal
A rendre heureux l'objet de mes amours,
Dieux, employez votre pouvoir suprême :
Pour son bonheur, faites qu'il m'aime ;
Pour le mien, qu'il m'aime toujours !
Aimer
Jeune, j'aimai ;
le temps de mon bel âge,
Ce temps si court, l'amour seul le remplit ;
Quand j'atteignis la saison d'être sage,
Toujours j'aimai, la raison me le dit ;
Puis l'âge vient et le plaisir s'envole ;
Mais mon bonheur ne s'envole aujourd'hui ;
Car j'aime encore et l'amour me console...
Rien n'aurait pu me consoler de lui !
Chanson sur le départ de Saint-Lambert
L'amant que j'adore,
Prêt à me quitter,
D'un instant encore,
Voudrait profiter...
Félicité vaine
Qu'on ne peut saisir,
Trop près de la peine
Pour être un plaisir !
(Dans Rosemonde Gérard)
Ninon de Lenclos
(Tendre victime...)
Tendre victime, aimable Lavallière,
Qu'Amour en pleurs suit encore aujourd'hui
Sous le cyprès de ce bois solitaire,
Quels noirs chagrins ont troublé ta carrière !
Que ton éclat s'est vite évanoui !
Aussi pourquoi, trop douce et trop sincère,
T'avisais-tu d'aimer un roi pour lui ?
De cet abus tu vois quelle est la suite !
En y cédant on se voue à l'ennui ;
On vit en dupe, et l'on meurt carmélite.
(Dans le volume 5 de la Petite Encyclopédie poétique de Philipon de la Madelaine (1804)
Marquise de Travanet
Pauvre Jacques
Pauvre Jacques, quand j'étais près de toi,
Je ne sentais pas ma misère ;
Mais à présent que tu vis loin de moi,
Je manque de tout sur la terre.
Quand tu venais partager mes travaux,
Je trouvais ma tâche légère.
T'en souvient-il ? tous les jours étaient beaux...
Qui me rendra ce temps prospère ?
Quand le soleil brille sur nos guérets,
Je ne puis souffrir la lumière ;
Et, quand je suis à l'ombre des forêts,
J'accuse la nature entière...
Pauvre Jacques, quand j'étais près de toi,
Je ne sentais pas ma misère ;
Mais à présent que tu vis loin de moi,
Je manque de tout sur la terre !
(dans Rosemonde Gérard)
Delphine Gay (Mme Emile de Girardin)
L'étranger
Il a passé comme un nuage,
Comme un flot rapide en son cours ;
Mais mon coeur garde son image
Toujours.
Mais son regard, plein de tendresse,
A rencontré mes yeux ravis ;
Et, depuis ce moment d'ivresse,
Je vis !
Et ma pensée aventureuse
D'un rêve se laisse charmer ;
Je l'aime... et je me sens heureuse
D'aimer.
Mais parfois aussi je me livre,
Hélas ! au plus cruel ennui,
Quand je songe qu'il me faut vivre
Sans lui !
Quoi ! cette âme que j'ai rêvée,
Que longtemps j'ai cherchée en vain,
Cette âme, je l'avais trouvée
Enfin !
Je l'avais trouvée... ô martyre !
Affreux tourment que j'offre à Dieu !
Je la trouve !... et c'est pour lui dire :
"Adieu !"
Pourtant, si le Ciel nous protège...
Il était si pur, notre amour !
Peut-être encor le reverrai-je
Un jour.
Oh ! qu'un moment je le revoie,
Qu'un moment j'ose le chérir...
Oui, dussé-je de tant de joie
Mourir !
(Dans Rosemonde Gérard)
Louise Ackermann
L'amour et la mort
Regardez-les passer, ces couples éphémères !
Dans les bras l'un de l'autre enlacés un moment ,
Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières,
Font le même serment :
Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent
Avec étonnement entendent prononcer,
Et qu'osent répéter des lèvres qui pâlissent
Et qui vont se glacer.
Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse
Qu'un élan d'espérance arrache à votre coeur,
Vain défi qu'au néant vous jetez, dans l'ivresse
D'un instant de bonheur ?
Amants, autour de vous une voix inflexible
Crie à tout ce qui naît : "Aime et meurs ici-bas !"
La mort est implacable et le ciel insensible ;
Vous n'échapperez-pas.
Eh bien ! puisqu'il le faut, sans trouble et sans murmure,
Forts de ce même amour dont vous vous enivrez
Et perdus dans le sein de l'immense Nature,
Aimez donc et mourez !
(Dans Rosemonde Gérard)
Anne de la Vigne
La passion vaincue
La bergère Liris sur les bords de la Seine
Se plaignait l'autre jour d'un volage berger.
Après tant de serments peux-tu rompre ta chaîne
Perfide, disait-elle, ôses-tu bien changer?
Puisqu'au mépris des Dieux tu peux te dégager,
Que ta flamme est éteinte et ma honte certaine;
Sur moi-même de toi je saurai me venger.
Et ces flots finiront mon amour et ma peine.
A ces mots résolue à se précipiter,
Elle hâte ses pas et sans plus consulter.
Elle allait satisfaire une fatale envie.
Mais bientôt s'étonnant des horreurs de la mort;
Je suis folle, dit-elle, en s'éloignant du bord,
Il est tant de bergers, et je n'ai qu'une vie
(Publié dans SéchéPublié sous une autre forme dans le 1er volume de Joseph de la Porte (1769))
Chanson sur M. L'Abbé Testu
L'aventure est trop ridicule
Pour ne la pas faire savoir.
Il offrait à dame incrédule
Sa chandelle, et la faisait voir.
Sans s'émouvoir, sans s'émouvoir,
La follette tira sa mule,
Et la fit servir d'éteignoir.
Au lieu de venger cette injure,
Les Amours, à malice enclins,
Riaient entre'eux de l'aventure
Du doyen des abbés blondins.
Ces dieux badins, ces dieux badins,
Se disaient: Vois-tu la coiffure
Qu'on a mise au dieu des jardins?
Clotilde Bauguion-Cariou
Rêve
Je voudrais reposer ma tête
Sur tes épaules puissantes
Pour entendre le murmure
De ton être à mes oreilles
Complaisantes !
Je voudrais de ta main fiévreuse
Sentir le délicieux frisson
Sur le revers de ma chevelure
Afin que nos deux peines pareilles
Vibrent à l'unisson !
Je voudrais que l'heure trompeuse
Nous abîme en son ardeur.
Je voudrais que ta chaude caresse
A tout jamais éteigne la détresse
De nos coeurs !
Je voudrais surtout, dépassant le sexe
Dans la flamme qui nous embrase,
Atteindre de ton âme l'extase
Qui voluptueusement nous annexe
A l'ivresse universelle !
Et je voudrais bien qu'en mourant
Sur l'appui de tes épaules
J'entende tout doucement le chant
Des cyprès liturgiques et des saules
Accueillants à ma tête !
(Paru dans le recueil "Poésie")
Doëtte Angliviel
Les gages
Lucinde aux yeux de fleurs, Armelle au col de cygne,
Qui fautèrent à pigeon-vole,
S'apprêtent à se rendre au devoir que désigne
Un destin qui paraît frivole.
Le bel enfant qui signe un éphébat gracile
Paraît sur la terrasse rose,
Et tend d'un geste adorablement malhabile
Sa joue au goût sucré de rose.
Lucinde y met sa bouche en coeur de vierge sage,
Et puis, cache sous son ombrelle,
D'un réflexe dicté par un décent usage,
Une rougeur de jouvencelle.
Mais le dieu qui sourit sur la pelouse verte
Parmi les sauges de l'automne,
D'Armelle ose guider les lèvres inexpertes
Vers un nouveau baiser dont son émoi s'étonne.
(Dans "Jeux aux jardins, 1927)
Berthe de Nyse
Litanies de la chair
Je t'aime, ô mon amant
Ma chair émue garde le souvenir de ton baiser
Baiser doux et subtil, tendre et profond
J'ai la hantise de ta chair pénétrant ma chair
Tu m'as fait tienne
J'ai nié le pouvoir de la chair
Blasphème !...
Ô chair, divine chair
Sois bénie
Je me sens lasse
Délicieusement lasse
Je niais la volupté,
Ô crime, je t'avais reniée, ô volupté !
Je te célèbre aujourd'hui sur le mode majeur et sur le mode mineur
Ce soir je renais à l'amour
Vibration divine
Je me sens lasse, infiniment lasse
De la bonne fatigue,
De la fatigue sacrée
J'ai reçu le baiser de la communion
Et bu l'eau du baptême
Je suis ivre d'amour
Ton baiser savant et répété
A fait sourdre des profondeurs de mon être
Où il croyait pour toujours sommeiller,
Le Désir ancestral des faunesses,
Ah ! verse-moi, verse-moi l'ivresse
Prends-moi, prends-moi toute en ta caresse
De nos corps confondus s'élève une odeur de folie
Tes baisers ont fait chanter toutes les cordes
De mon corps tendues comme une harpe
Et je m'ouvre en un suprême appel
Pour recevoir l'offrande de ton amour.
Dans "Les Litanies de la chair" (1922)
Henriette Charasson
Permets-moi de dire tout bas
D'autres femmes chantent leur amant,
- Permets-moi de dire tout bas comme il est doux de bien s'aimer sous un manteau de cheminée, près du foyer à calme flamme.
D'autres femmes crient un peu trop fort,
- Permets-moi de dire tout bas qu'on est heureux même lorsqu'on murmure.
D'autres femmes, sur le pas de leur porte, clament que nous seules savons aimer,
- Permets-moi de dire tout bas qu'on est heureux à deux, confiants, sans frénésie, et sans ouvrir la porte toute grande.
(Dans "La Revue hebdomadaire, septembre 1925)
Ida Faubert
Mon amour, attendez
Lorsque vous oublierez que vous m'avez tenue
Captive entre vos mains, comme une chose à vous,
Lorsque vous serez las de mon amour très doux,
Pour le dire, attendez que la nuit soit venue.
Vous ne pourrez pas voir mon visage défait,
Ni mes yeux désolés, ni ma bouche tremblante,
Car l'ombre voilera ma douleur accablante :
Attendez que le soir soit venu tout à fait.
Attendez que le vent fasse gémir les arbres,
Et pleurer dans leurs nids tous les oiseaux des bois,
Et vous n'entendrez pas les sanglots de ma voix,
Ni le cri de mon coeur plus glacé que les marbres.
Attendez que l'orage ait assombri les cieux,
Et qu'il pleuve très fort, près de nous, sur la route,
Et dans la nuit, vous confondrez sans doute,
Avec les pleurs du ciel, les larmes de mes yeux.
Un jour vous oublierez que vous m'avez tenue
Captive entre vos mains, comme une chose à vous,
Alors pour me le dire, ayez des mots très doux;
Attendez, mon amour, que la nuit soit venue.
(Dans l'Anthologie de Poésie haïtienne, de Louis Moreau, 1925)
Marguerite Gillot
Veillée
Parmi tant d'heures différentes,
Si d'aucunes tu te souviens
Que ce ne soit de ces dolentes
Et lentes heures où Tou n'est Rien.
Mais garde bien dans ta pensée
Celles qui furent pleines d'instants,
Et que notre amour a bercées
Sur le hamac des coeurs contents.
Claires parmi tant d'autres heures,
Versées à l'oubli des demains,
Ne te souviens que des meilleures
Et comme en songe il en revient.
Mais que dis-je ?... Sais-tu que ces heures si belles
Ont emporté ma vie et ma joie avec elles ?
Vais-je te rappeler chaque jour bienheureux
Quand mon coeur les confond, les mêle tous entre eux,
Lorsqu'il ne connaît plus, tant il aima ces jours,
Comment les partageaient la tendresse et l'amour ?
(Dans Le Mercure de France du 1er décembre 1910)
Nicolette Hennique
Jalousie
Quand nous sommes l'in près de l'autre,
Dans la chambre paisible, moi,
Douce ainsi qu'il faut l'être, et toi
Qu m'apprit tout comme un apôtre ;
Quand notre amour est le plus beau,
Lorsque, riant, tu me vois rire,
Contre mon coeur qu'elle déchire,
La révolte sort d'un tombeau.
La lampe, dont le jour livide
Semble étroit pour mieux rapprocher,
N'a pas le calme d'arracher
Le trouble infus en ma chair vide ;
Et la nuit ne m'apparaît point
Avec ses grandes bontés sombres,
Mais telle qu'un lieu de décombres
Sous lesquels de la haine point.
C'est que ton passé plein de fêtes
Brûle pour moi comme un affront,
Que la muraille de ton front
Mure trop d'heures satisfaites.
Tu ne m'as pas connu enfant,
Mais tu peux lire ma jeunesse :
Elle est bien écrite en sagesse
Sur mon visage triomphant.
Pareille à l'eau de la fontaine
Où les femmes puisent, le soir,
Limpide même dans le noir,
Mon âme n'est jamais lointaine.
Elle s'appuie à ton désir,
Te recherche, quoique contrainte,
Et ne profère nulle plaine,
A voix haute, sans déplaisir.
Jadis, avant que tu n'arrives,
Seule, ma mère m'embrassait,
Et ma pureté ne berçait
Que des allégresses naïves.
Tandis que, malgré nos amours,
Ma soif de repos, si j'écoute
L'écho de tes pas sur la route
Où tu vaguais, vagues toujours,
C'est un bruit de mots et de jupes
Que j'entends marcher avec toi,
C'est pire, c'est je ne sais quoi...
Tu l'évoques, tu t'en occupes !
Oh ! le désespoir fasciné,
L'horreur qui de mes yeux s'épanche,
D'avoir conduit ma robe blanche
Où tant de robes ont traîné.
(Du vent sur la plaine, 1909)
Sybil O'Santry ou Sybil O'Carrey
La guirlande
Entre les doigts de nos mains jointes
Un lys a fleuri sa blancheur,
Nous l'avons respiré, ma soeur,
Lorsque les lampes furent éteintes ;
Mais la clarté de tes prunelles
Et tes cheveux en incendie
Eclairaient la chambre assombrie.
A l'ombre de nos lèvres jointes
Un oeillet s'est épanoui,
Et tous deux nous avons cueilli
La rose éclose en nos étreintes...
La nuit tiède est tombée sur nous
Et, la tête sur tes genoux,
Je tresse nos fleurs en guirlande.
(signé Sybil O'Carrey, et publié dans le Mercure de France de Juillet 1901)
Catherine Pozzi
Ave
Très haut amour, s'il se peut que je meure
Sans avoir su d'où je vous possédais,
En quel soleil était votre demeure
En quel passé votre temps, en quelle heure
Je vous aimais,
Très haut amour qui passez la mémoire,
Feu sans foyer dont j'ai fait tout mon jour,
En quel destin vous traciez mon histoire,
En quel sommeil se voyait votre gloire,
O mon séjour...
Quand je serai pour moi-même perdue
Et divisée à l'abîme infini,
Infiniment, quand je serai rompue,
Quand le présent dont je suis revêtue
Aura trahi,
Par l'univers en mille corps brisée,
De mille instants non rassemblés encor,
De cendre aux cieux jusqu'au néant vannée,
Vous referez pour une étrange année
Un seul trésor
Vous referez mon nom et mon image
De mille corps emportés par le jour,
Vive unité sans nom et sans visage,
Cœur de l'esprit, ô centre du mirage
Très haut amour.
(Très haut Amour,
Jeanne Sandelion
Pâle fruit...
Pâle fruit d'un verger qu'épuise l'abondance,
tu m'offris ? Amitié, ta pulpe douce et fade
mais sur le grenadier, j'ai cueilli la grenade,
toute sang, chair et miel, et l'ai bue en silence.
Amour, robuste Amour, grappe de violence,
source qui jaillissez d'un jet pur, vos saccades
de cristal étouffant la plaintive roulade
d'une qui, frêlement, s'égoutte et ne s'élance,
vin ruisselant du roc et des pressoirs sauvages
et qui nous versez l'aube ou troublez la raison,
divin Amour, bouquet de sucs et de breuvages,
ne verrai-je jamais vos coupes sur ma table
et votre eau vive, au coeur secret de ma maison,
m'encenser en secret de perles délectables.
(Anthologie Marcel Béalu)
Cécile Sauvage
(Dans sa robe à fleurs...)
Dans sa robe à fleurs une aimée,
Dans son habit grave l'amant
Paraissent nus tant leur pensée
Sereine sur le vêtement
Flotte, tant l'habit sombre épouse
Le fin ramage de la blouse.
Ils sont nus ; leurs habits sont faits
D'un fluide suave et secret
Qui les porte sur les clochettes,
Légers dans la brise muette.
(Le Vallon, 1913)
X
(Et tu pleures...)
Et tu pleures avec moi, Mélanthis au pied double,
Le sort joyeux de nos mères, ô Mélanthis!
Hélas sur nous, qui n'avons point connu les gais cortèges,
Bacchus avec Silène et tous les grands satyres!
Nous contenterons-nous avec les boucs? Mais rien
N'habite plus, qui soit divin, le mari de la chèvre,
Et les cornus regagnent le soir leurs étables.
En vérité, la paresse des hommes a regagné les bêtes,
Et ton sang et le vin, ô Bacchus l'ont séché
En la grappe et dans les artères de la vie.
Alors Mélanthis, toutes deux filles de la même mère
Et habitées d'une même mélancolie,
Ivres du regret nous irons ensemble au long des montagnes
Faire entre les troncs des vieux arbres
Errer les dernières Faunesses...
Parfois, à l'heure de midi, trop douloureuses
D'appels inécoutés à l'Eros inconnu,
Nous recréerons l'une après l'une
Et l'une pour l'autre
Tous les jeux préférés de Silène et des Faunes.
Baronne de Baye
Silence
Nous nous taisions : c'était l'heure troublante et chaude
Où le soleil frémit sur les rideaux croisés,
L'heure lourde où l'amour, dans l'air assoupi, rôde...
Une rose effeuillait ses parfums apaisés.
Vous ne me disiez rien de vos tristes pensées,
Je ne vous disais rien de mes amers chagrins,
Mais le temps s'écoulait entre nos mains pressées,
Comme un collier de deuil dont on compte les grains.
Nous nous taisions, penchés sur le silence tendre ;
Une caresse errait en cette obscurité,
Et je sentais mon âme éperdument se tendre
Vers votre âme tremblante, éprise de clarté !
L'arôme de la fleur passait, tel un sourire ;
La chambre s'emplissait d'espoir et de regret :
Nous pensions les mots doux que nous n'osions pas dire
Nous nous taisions, gardant chacun notre secret...
silence ! c'était l'heure troublante et chaude
Où le soleil frémit sur les rideaux croisés,
L'heure lourde où l'amour, dans l'air assoupi, rôde...
Une rose effeuillait ses parfums apaisés.
Marguerite Burnat-Provins
1872-1852
Je t'aime (extrait)
III
Cette nuit tu as pris ma tête entre tes doigts impérieux et tu disais, les dents serrées : Ne bouge pas.
Et je me suis abandonnée, le front cerclé par la couronne ardente qui se rétrécissait.
Pourquoi n'as-tu pas enfoncé les ongles plus avant? Je n'aurais pas bougé et la douleur, venue de toi, serait entrée délicieusement dans ma chair.
Ton désir jeune et délirant peut rompre mes muscles, courber mes os, me faire râler d'angoisse, je suis ta chose, Sylvius, ne laisse rien de moi, puisque ma volonté
s'en est allée à la dérive, dans l'eau attirante de tes yeux.
Et cette nuit, passive et nue, n'étais-je pas une reine sous la couronne vivante de tes doigts refermés.
Pendant cette minute inoubliable où nous nous sommes aimés plus loin que la terre, plus haut que le ciel, dans un monde resplendissant j'ai connu toutes les amours.
Un feu surnaturel les a fondues dans mon cœur, comme en un creuset dévorant.
J'ai été la mère, la sœur, l'amante; j'ai été ta chair, ton sang, ta pensée, ton âme emportée vers l'au delà, vaste et illuminé.
Ton front s'appuyait au mien ; qu' est-il venu de ta vie vers ma vie dans cet éclair de radieuse pureté?
Dis-moi Sylvius, quel dieu puissant nous a prêté alors un moment de sa divinité.
Cantique d'été (1910)
Jane Catulle-Mendès
1867-1955
Le Livre de Cynthia
I
Sur la couche meurtrie où ton beau corps se dresse
Et se penche, crispé du mal d'interroger,
Ne cherche pas, après l'infini passager,
Quelles causes ont fait que je suis ta maîtresse.
N'as-tu pas eu ma voix, mon charme et ma caresse,
Ma volupté prodigue et mon rire léger,
L'aveu que rien n'efface ou ne saurait changer
Et qui marque en le temps notre heure enchanteresse?
Cher rêve grand et pur devenu mon amant,
Eteins ce dur regard. Aimons-nous sans nous plaindre.
Même lorsque deux coeurs n'ont qu'un seul battement
Est-on coupable si l'on ne peut pas s'atteindre,
O mon amour. Tais-toi. Sois mon frère en douceur
Et repose ton front contre mon bras berceur.
Le Livre de Cynthia (1912)
Violette Rieder-Chabrier
(?-?, recueils entre 1905 et 1960)
Amante
Le ciel brûle la terre, une antique lumière
Baise la chair heureuse et les fruits innocents,
Et la paix fleurissant au plus rouge du sang
Flambe, comme en l'azur une rose trémière.
Ah ! c'est toujours le feu, toujours l'aube première
Dont s'enivrait jadis ton coeur adolescent.
Rappelle-toi ces fleurs, ces flammes, cet encens,
Et ce désir jailli de l'humaine poussière.
Candeur des lys, des mousselines et des cierges,
Brûlure de l'hostie à des lèvres de vierges,
Ors ruisselants au seuil des édens interdits,
Et ce frémissement de tout l'être en attente,
O signe annonciateur de cette heure éclatante
Où les corps embrasés trouvent leur paradis.
(Le Mercure de France, 1er mai 1933)
Emilienne d'Alençon
1869-1946
Courtisane
Mes bras se sont ouverts et se sont refermés,
J'ai bu tous les poisons aux coupes exaltantes,
Et si c'est un péché d'avoir beaucoup aimé,
Je veux le premier rang parmi les pénitentes!
Les plaisirs de la chair, se sont sur moi, posés,
La lèvre m'a meurtrie et la dent m'a blessée,
Je porte avec orgueil la trace des baisers,
Je n'ai rien désiré que d'être caressée.
Je ne regrette pas les beaux soirs innocents,
La calme pureté des coeurs de jeunes filles,
Moi qui ne peux calmer la fièvre de mon sang,
Ni l'éclair de mes yeux, quand la volupté brille.
De l'amour prodigué le long des jours passés,
Des baisers pénétrants, sur les lèvres que j'aime,
De ces morceaux de fleurs, entre mes doigts froissés,
J'ai fait un pur collier de perles et de gemmes.
Je porte fièrement ce mystique joyau,
Dont l'éternel éclat me brûle jusqu'à l'âme:
Moi; que l'amour aura marquée à mon berceau,
J'entraîne vers sa loi, le cortège des femmes.
(Sous le masque, 1918)
Marie Dauguet
1860-1942
Ode à l'amant
Tu es la vigueur du soleil
Et ta sève embaume.
Elle est un ruisseau de mai sous l'aubépine,
Plus douce que la fleur du sureau.
Tu te dresses et tu es la force de la forêt!
Tes reins blessent mes mains nouées,
Tu es rude comme un chêne.
Je t'ai baisé comme un rouge-gorge dans ma main,
J'aime la tiédeur de ton corps dans ma main.
Je me rassasie de ton odeur sauvage;
Tu sens les bois et les marécages
Tu es beau comme un loup,
Tu jaillis comme un hêtre
Dont l'énergie gonfle l'écorce.
... Le nœud de tes épaules est dur sous les mains;
L'axe du monde est dans ta chair.
... Mais je louerai ton cri sauvage,
Mais je louerai ton corps qui embaume,
C'est un bois sauvage aux rudes fleurs.
Je louerai ta brutalité,
Le sanglot rauque de ta chair;
Je louerai ta sève immense
Où l'univers est en puissance.
Je louerai tes poings et comment ils se dénouent
Tout à coup quand tu retombes
Au creux d'une épaule,
Plus doux qu'un petit enfant
Et plus innocent qu'un ange.
(Extrait de Ce n'est rien, c'est la vie - Ed. Chiberre, 1926)
Lucie - Delarue Mardrus
1874-1945
La figure de proue
La figure de proue allongée à l'étrave.
Vers les quatre infinis, le visage en avant
S'élance, et, magnifique, enorgueilli de vent,
La bateau tout entier la suit comme un esclave.
Ses yeux ont la couleur du large doux-amer,
Mille relents salins ont gonflé ses narines,
Sa poitrine a humé mille brises marines,
Et sa bouche entr'ouverte a bu toute la mer.
Lors de son premier choc contre la vague ronde
Quand, neuve, elle quitta le premier de ses ports
Elle mit, pour voler, toutes voiles dehors.
Et ses jeunes marins criaient : « Au nord du monde ! »
Ce jour la mariait, vierge, avec l'Inconnu,
Le hasard, désormais, la guette à chaque rive,
Car, sur la proue aiguë où son destin la rive,
Qui sait quels océans laveront son front nu ?
Elle naviguera dans l'oubli des tempêtes
Sur l'argent des minuits et sur l'or des midis.
Et ses yeux pleureront les haures arrondis.
Quand les lames l'attaqueront comme des bêtes.
Elle saura tous les aspects, tous les climats,
La chaleur et le froid, l'équateur et les pôles;
Elle rapportera sur ses frêles épaules
Le monde, et tous les ciels aux pointes de ses mâts.
Et toujours, face au large où neigent des mouettes,
Dans la sécurité comme dans le péril ;
Seule, elle mènera son vaisseau vers l'exil
Où s'en vont à jamais les désirs des poètes;
Seule, elle affrontera les assauts furibonds
De l'ennemie énigmatique et ses grands calmes;
Seule, à son front, elle ceindra, telles des palmes,
Les souvenirs de tant de sommeils et de bonds.
Et quand, ayant blessé les flots de son sillage.
Le chef coiffé de goémons, sauvagement,
Elle s'en reviendra comme vers un aimant
A son port, le col ceint des perles du voyage,
Parmi toutes les mers qui baignent les pays,
Le mirage profond de sa face effarée
Aura divinement repeuplé la marée
D'une ultime sirène aux regards inouïs.
***
... J'ai voulu le destin des figures de proue
Qui tôt quittent le port et qui reviennent tard.
Je suis jalouse du retour et du départ
Et des coraux mouillés dont leur gorge se noue.
J'affronterai les mornes gris, les brûlants bleus
De la mer figurée et de la mer réelle,
Puisque, du fond du risque, on s'en revient plus belle,
Rapportant un visage ardent et fabuleux.
Je serai celle-là, de son vaisseau suivie.
Qui lève haut un front des houles baptisé,
Et dont le cœur, jusqu'à la mort inapaisé,
Traverse bravement le voyage et la vie.
La Figure de Proue.
Jean Dominique
1873-1952
Le don silencieux
(Mis en musique par Fauré)
Je mettrai mes deux mains sur ma bouche, pour taire
Ce que je voudrais tant vous dire, âme bien chère!
Je mettrai mes deux mains sur mes yeux, pour cacher
Ce que je voudrais tant que pourtant vous cherchiez.
Je mettrai mes deux mains sur mon coeur, chère vie,
Pour que vous ignoriez de quel coeur je vous prie!
Et puis je les mettrai doucement dans vos mains,
Ces deux mains-ci qui meurent d'un fatigant chagrin!...
Elles iront à vous pleines de leur faiblesse,
Tout silencieuses et même sans caresse.
Lasses d'avoir porté tout le poids d'un secret
Dont ma bouche et mes yeux et mon front parleraient.
Elles iront à vous, légères d'être vides,
Et lourdes d'être tristes, tristes d'être timides;
Malheureuses et douces et si découragées
Que peut-être, mon Dieu, vous les recueillerez!...
Yvonne Ferrand-Weyher
1873-1963
Combat singulier
Lorsqu'ils devaient se fuir, l'amour s'est abattu
Sur deux coeurs fiers qu'il met aux prises ;
Deux coeurs d'égal orgueil qui, devant la traîtrise,
Rassemblent leur dure vertu.
Chacun se dresse alors saisi d'uns ivre rage,
Et semble avoir pour mission,
Tout entier possédé d'un contraire démon,
De provoquer l'autre courage,
Hostiles jusqu'au bout, ces deux âpres vainqueurs
Serrent sans cesse la mesure.
Ils ne se lâchent pas qu'une rouge blessure
Ne soit ouverte en leurs deux coeurs?
Ils s'excitent ainsi, à des fiertés plus hautes
Et ne cèdent pas le combat ;
La victoire, demain, sera pour qui s'abat
Aujourd'hui même sous ses fautes.
Ces terribles lutteurs, ces étranges rivaux,
Que durement l'amour stimule,
Quand la nuit l'un à l'autre enfin les dissimule,
Ne refoulent plus leurs sanglots.
Mais l'oeil sec et brillant ils reprennent leurs armes
Au jour, et recroisent le fer ;
Pour saisir le défaut le regard est plus clair
Qui fut nettoyé par leurs larmes.
(Publié dans Le Divan, 1930)
Rosemonde Gérard
1866-1953
Il faut aimer
Il faut aimer le soir, l'aurore au talon rose,
Le manteau du mystère et le front du hasard,
Le sentier escarpé que monte un pied d'isard,
L'inaccessible fleur où la neige se pose.
Il faut aimer aussi le mur et le lézard,
Le banc familier et la plus simple chose;
Il faut aimer la brise, il faut aimer la rose,
Il faut aimer la rose et les vers de Ronsard.
Il faut aimer encor l'eau transparente et belle
Qui sur la berge vient aussitôt qu'on l'appelle,
Et l'arbre qui s'efface à la pointe des monts;
Il faut aimer le jour, le lendemain, la veille,
Le nid du rossignol, la ruche de l'abeille...
Il faut aimer surtout ceux-là que nous aimons!
Marie Krysinska
1864-1908
Les yeux d'amantes
Comme des coupes de vin subtil,
Comme des feux de lampes voilées,
Comme des étoiles au firmament d'avril
Brillent les yeux énamourés.
Aux noirs regards d'Espagne
Passe un éclair de lame.
Passion qu'une colère jalouse enflamme.
Pareilles aux sources étincelantes
Sont les prunelles vertes des ardentes
Amantes.
Les yeux bleus des blondes
Recèlent le charme fascinant de l'onde.
De fines bagues d'or,
Comme en des écrins de velours,
Attendent aux yeux, vierges encor,
Le regard promis à leur amour.
Les triomphantes, les adorées,
Portent sous leurs cils, qui rayonnent
Des flambeaux et des couronnes
Les bonheurs reçus, les bonheurs donnés
Y laissent des brumes comme de rosée
Sur les fleurs posée.
Dans l'eau limpide des yeux,
Comme dans l'eau d'un lac heureux,
Se mirent les ciels éblouis
Et les nuages
Lourds d'orages.
Mais une ombre funèbre volette,
Amantes veuves, sous vos paupières,
Ils sont, vos yeux de tristesse,
Comme d'éteintes lumières,
Comme des tombes qu'on délaisse
Où se fanent des violettes.
Intermèdes, 1903
Marie Nizet
1859-1922
La bouche
Ni sa pensée, en vol vers moi par tant de lieues,
Ni le rayon qui court sur son front de lumière,
Ni sa beauté de jeune dieu qui la première
Me tenta, ni ses yeux - ces deux caresses bleues ;
Ni son cou ni ses bras, ni rien de ce qu'on touche,
Ni rien de ce qu'on voit de lui ne vaut sa bouche
Où l'on meurt de plaisir et qui s'acharne à mordre,
Sa bouche de fraîcheur, de délices, de flamme,
Fleur de volupté, de luxure et de désordre,
Qui vous vide le coeur et vous boit jusqu'à l'âme...
Pour Axel de Missie, 1923
Jane Perdriel-Vaissière
1870-1951
Le baiser
Le vent qui court, lissant les lames déferlées,
Sur tes lèvres sécha leur haleine salée,
Et ton baiser, ce soir, a le goût de la mer ;
Il me plaît d'en garder l'âpre saveur intacte,
Car l'amour, dont il inscrivit l'image exacte,
Serait moins pénétrant s'il n'était point amer.
Ta bouche, en le scellant d'une empreinte brûlante,
Semble asservir plus fort celle qui le reçut,
Celle-là dont le coeur ne t'aura point déçu,
Qui garde, obstinément tenace et patiente,
L'ardent et douloureux bonheur qu'elle a choisi
Et librement t'a dit : "Je t'aime et me voici."
La complainte de celles qui ne seront pas épousées, 1908
Lydie de Ricard
1850-1878
Aubade
Mon amoureuse, éveillez-vous !
Venez aspirer, claire amie,
Les alluchants parfums si doux
Qui s'en vont par val et prairie ;
Car voici né le mois d'amour.
Le mois d'amour et d'allégresse I
Déjà, le fauve archer du ciel
Se dresse à la brumeuse arquière
De l'aube, et va d'un trait cruel
Navrer l'étoile matinière !
Plus de frimas ! plus de grésils,
De neige, — qu'au verger ! et d'ores
Et déjà, buissons et courtils
Se font verdelets et sonores.
Car voici né le mois d'amour,
Le mois d'amour et d'allégresse !
Plus de mandolents horizons :
Le ciel d'or vibre d'alouettes !
Les prés ont de douillets gazons
Et des corolles vermeillettes ;
Comme becs d'oiselets naissants
Les bourgeons brisent leurs coquilles
Claires voix et vols bruissants
Emeuvent les jeunes charmilles !
Mon amoureuse ! éveillez-vous !
Venez aspirer, claire amie,
Ces alluchants parfums si doux
Qui s'en vont par val et prairie !
Ne prenez souci d'afTaiter
Ce gentil corps qui tant m'agrée ;
Voit-on pas les lys nus fêter
Chastement l'Aube diaprée ?
Ni fin joyau! ni jaseran
Tressé comme une chevelure !
Ni mantel ! ni soyeux bliant !
Les deux lys n'ont point de parure.
Le voici né, le mois d'amour,
Le mois d'amour et d'allégresse !
Rayons d'aurore atourneiont
Vos grâces, des siennes jumelles,
Et clairement les vêtiront :
Vos joyaux seront fleurs d'amelles ;
Et vous m'abèlirez tant mieux :
Riche habit ne vaut ce qu'il cèle ;
Bien plus qu'émail, est précieux
L'éclat d'une pousse nouvelle I
Mon amoureuse ! éveillez-vous !
Venez aspirer, claire amie,
Les alluchants parfums si doux,
Qui s'en vont par val et prairie :
Le voici né, le mois d'amour,
Le mois d'amour et d'allégresse !
Au bord du Lèze, 1891
Marie de Sormiou
1865-1956
L'Inconsumable
Flamme qui brûle au coeur tant qu'on vit, nuit et jour,
Sans jamais changer en de la cendre incolore
Un seul rouge tison ! un seul supplice! Amour
Qui ne consume rien du bûcher qu'il dévore!
Jane de la Vaudère
1857-1908
La couleur des baisers
Les mots ont leur couleur et les baisers aussi
Les uns, du ton pâli des roses effeuillées,
S'envolent tristement vers les cimes brouillées
Où pleure le regret du souvenir transi.
D'autres, dernières fleurs, sur le chemin durci,
Aux pétales de givre, aux corolles fouillées
Dans des pleurs de cristal, sont aux âmes rouillées
D'un blanc immaculé sous le ciel obscurci.
Quelques-uns ont le ton discret des violettes;
D'autres, presque effacés, doux et frêles squelettes,
Me semblent un essaim de grands papillons gris.
Le baiser noir du mal mord ainsi qu'une gouge,
Mais le roi des baisers dont mon être est épris
Est ton baiser de sang, ton ardent baiser rouge !
L'année des poètes, et Évocation (1893)
Henriette Willette
1886-1976
Vers l'île d'or
Nous aurons une barque idéale, fleurie
De roses rouges qui saigneront sur la mer
De saphir, exhalant leur âme dans l'éther;
Et la mer brillera comme une pierrerie.
Nous irons mollement sur le flot calme et doux;
Notre esquif mené par de fougueux hippocampes;
Les étoiles là-haut, seront nos seules lampes,
Seuls les yeux de la nuit n'ont des regards jaloux.
Et nous aborderons à l'île de mystère,
A l'île d'or, où seul, règne en maître l'Amour.
Nous y aborderons sans songer au retour,
Ivres de ses parfums, ses fleurs et sa lumière.
(Les lys d'eau, 1922)
Louise Arbey
1ère moitié du XIXème
La novice
Oh! quel bonheur étrange,
Bien plus doux à mon coeur
Que le regard d'un ange
Ou le pain du Seigneur!
.................................
Fils du Dieu qui pardonne,
Toi qui lis en nos coeurs,
Regarde, à ma couronne,
Il manque bien des fleurs!
Je n'ai plus, ô mon maître,
Espérance ni foi,
Et tes traits seuls font naître
Une prière en moi!
Jamais mon coeur n'achève
Cette prière, hélas!
Et même dans mon rêve,
Ma voix ne la dit pas!
Car si je m'agenouille
A vos sacrés genoux,
Mon regard qui vous souille
Voit un autre que vous!
Seigneur, pour me séduire,
Il a pris tous tes traits
Et ses yeux bleus font luire
Ton regard de paix.
Sa chevelure blonde,
Comme la tienne aussi,
De se flots d'or inonde
Un col qui penche ainsi.
Son front candide et lisse
Semble rêver le ciel;
On voit que du calice,
Il n'a bu que le miel!
Et c'est lui que j'implore
Quand je veux te prier,
Et c'est lui que j'adore
Quand je veux seul t'aimer!
Mon coeur, Dieu que j'offense!
Par cet amour humain
Trouve plus de constance
Que pour l'amour divin!
Rien ne peut le distraire
De son rêve charmant,
L'église solitaire
M'attire vainement.
Je m'assieds en silence,
Je baise les parvis,
Une image s'élance
A mes regards ravis!
Le soir, quand l'orgue chante
Ses doux et tristes chants,
Quand l'église vibrante
Se parfume d'encens:
Une indicible joie
Se répand dans mon coeur,
Autour de moi tournoie
Et la voûte et le choeur.
Des images frappantes
Frappent mes yeux charmés,
Les saints et les archanges
Se sont tous animés!
Ils tournent, et leur ronde
Me clament sans détour,
"Rien n'est si doux au monde
Que l'amour! que l'amour..."
"Donne vite, ô ma chère,
Pour un de ses souris,
Au vainqueur de la terre
Ta part de paradis!!"
Et mon âme interdite
A ces étranges voeux,
Comme déjà maudite,
Brûle de mille feux!
Par ta puissance efface
O Dieu de charité,
Celui qui tient ta place
Dans mon coeur révolté!
Quelle douleur étrange,
Plus amère à mon coeur
Que la chute d'un ange,
Ou la mort du Seigneur!
(Les Créoles, 1847)
Louise Bertin
1805-1877
L'amour
(Glanes, p. 304)
Julia Daudet
1844-1940
Femmes
Si celui qui t'aima, trahi par de plus belles,
Un jour doute de toi, c'est l'injuste retour ;
S'il s'en prend à ton coeur de leurs voeux infidèles,
S'il s'en prend à tes yeux tout éclairés d'amour
Et s'il les fait pleurer, laisse couler tes larmes,
Même tout en souffrant, car elles laveront
Au fond du souvenir les anciennes alarmes
Et l'ombre qu'il voyait aux pâleurs de ton front.
Dans la chaîne des temps, depuis la chute d'Eve,
Toute rose en l'Eden que dorait le matin,
La femme a supporté sans pitié ni trêve
Tous les ressentiments de son premier destin ;
Victime de la faute, elle en eut l'esclavage,
Garda l'enlacement du mensonge en ses bras.
Lianes et buissons dans le jardin sauvage
On limité toujours sa raison et ses pas !
De la mère à la fille, et des unes aux autres,
Transmettons le fardeau, l'hommage et la douleur,
Et femmes, faisons-nous, pour les femmes, apôtres
Et mesurons leur vie aux peines de leur coeur ;
Puisque le même crime a rendu solidaires
Marthe qui vit le Christ, Psyché qu'Eros aima,
Celles qui n'ont aux doigts que les grains de rosaires
Ou les brillants anneaux que l'amour enflamma ;
Les recluses en Dieu, saintes désenchantées
Glissant au petit jour en l'ombre des arceaux ;
Les mères s'endormant au rebord des berceaux,
Les folles que leur lampe éteinte a déroutées !
Au bord des terrasses (1906)
Zoé Fleurentin
1815-1863
Les trois couronnes
Mary, la blonde enfant, la languissante étoile,
Près du ruisseau d'azur, rêve et choisit des fleurs ;
Lorsqu'elle en a cueilli plein sa robe de toile,
Elle revient s'asseoir à côté de ses soeurs.
Et là, rêveuse encore, elle fait trois guirlandes,
De doux myosotis au symbole charmant,
De chèvrefeuille aimé par les chèvres friandes,
De frêles boutons d'or penchés nonchalamment.
A sa chère compagnes elle offre la première,
La seconde est pour elle et décore son front ;
Mais sur le bleu ruisseau déposant la dernière,
Elle sait que plus loin les flots l'emporteront.
Puis, se penchant alors sur le tiède rivage :
"O couronne d'amour, toi qui soutiens mon coeur,
Vole sans t'arrêter, avec le flot qui nagz,
Jusqu'à la maison verte, où sourit le bonheur !
Et là, te reposant sur la berge du fleuve,
Oh ! dis bien doucement à la mère d'Arthur
Qu'à son fils, pour épouse, il faut, non un veuve,
Mais une jeune fille au regard tendre et pur !"
Poésies élégiaques (1861)
Aline de M.
dates inconnues
Elégie III
Il n'est pas bon, quand on porte un coeur tendre,
Quand tous les feux qu'on respire à vingt ans
Dans un oeil noir se font assez comprendre,
Il n'est pas bon de demeurer aux champs.
Là tout jouit, tout aime, tout soupire:
C'est pour l'amour que chantent les oiseaux,
C'est de l'amour que souffle ce zéphyre,
Et c'est l'amour qui créa ces berceaux!
Je ne sais, mais alors, au trouble qui m'oppresse,
Aux pleurs de volupté que répandent mes yeux,
Je pressens trop d'aimer la redoutable ivresse,
Je pressens un bonheur qui n'appartient qu'aux cieux!
Amour, amour, garde-toi de paraître,
Laisse mon coeur te rêver à loisir;
Et de ce coeur quand tu te rendras maître,
Ne choisis pas pour guide le plaisir!
Poésies diverses, 1828
Marie Pape-Carpantier
1815-1878
A une jeune femme
Quoi ! jamais sur tes jours d’astre qui les éclaire !
Quoi ! toujours dans ton cœur la fatigue et l’ennui !…
Jamais, jamais d’enfant qui t’appelle sa mère !…
Et savoir qu’il faudra demain, la vie entière,
Souffrir comme aujourd’hui !…
Ne pleure pas ; tes pleurs éveilleraient le blâme :
Le monde ?…ah ! comprend-il tous les maux qu’il nous fait ?
Cache-lui, cache à tous les douleurs de ton âme ;
Chante et ris, si tu peux, mais surtout, pauvre femme,
Garde bien ton secret !
Car si, leur découvrant le trait quoi te déchire,
Tu leur disais : << Eh bien ! ce mal que je ressens,
C’est le besoin d’amour, d’ineffable délire !… >>
Ils se diraient entre eux avec un froid sourire :
<< Elle a lu des romans…>>
Honte et mépris sur vous, blasphémateurs impies
Du culte grand et saint qu’on professe à genoux !
Par l’égoïsme ardent vos âmes sont flétries ;
Vous reniez l’amour, les nobles sympathies…
Honte à jamais sur vous !
Enghien, 183…
Préludes, 1841
Lucie Pigache
1805-1887
Je ne suis pas belle
A Eveline
Regarde cette rose éblouissante et belle,
Que le zéphyr, charmé de sa fraîcheur nouvelle,
Caresse avec amour.
Pour plaire, pour aimer, elle est épanouie;
Ah! je voudrais changer mon destin pour sa vie
Et sa beauté d'un jour.
Quoi! tu veux la cueillir pour former ma parure!
Non laisse-la briller sous son dais de verdure,
Tes soins sont superflu;
Tu ne me verras plus, aux fêtes bocagères,
Mêler mes pas joyeux aux danses des bergères;
Tu ne m'y verras plus.
Mais toi, pare ton front. Nommant sa bien-aimée,
Bientôt l'heureux amant dont ton âme est charmée,
Viendra pour te chercher.
Tous deux vous marcherez dans une pure ivresse;
Moi, je n'ai point ces traits qui donnent la tendresse,
Et je veux me cacher.
Je l'ignorai longtemps ce mystère pénible;
Sans y songer jamais, mon coeur était paisible;
Mais un jour je l'appris.
J'entendis mon arrêt de celui que j'adore:
L'heure, ses traits, sa voix, hélas! tout est encore
Présent à mes esprits.
"Oui, dit-il, la beauté seule obtient mon hommage."
Je l'écoutais; soudain un funeste présage
M'annonça les douleurs.
Je courus vers le fleuve, inquiète et tremblante;
J'y contemplai longtemps mon image flottante,
Et je versai des pleurs.
Depuis ce jour fatal je ne sais plus sourire;
D'un mal mystérieux, d'un funeste délire
Mon coeur est consumé.
Je sais trop qu'il n'est pas de fin à ma souffrance;
De lui plaire jamais je n'ai plus l'espérance
Et je l'ai tant aimé!
Adieu! j'entends au loin les doux bruits de la fête;
Vole, vole à ces jeux que le plaisir t'apprête:
Bientôt tu l'y verras.
Ah! s'il te demandait ta compagne fidèle,
Tu lui dirais.... mais, non, non, je ne suis pas belle,
Il n'y songera pas.
Mars 1824
Poésies, 1847
Adine Riom
1818-1899
Présence aimée
Oui, quand vous êtes là... tout me semble adorable
Tout est beau, tout est grand, tout est délicieux,
Ravissant !... Je respire un charme inexprimable
Et je sens tout mon être éclairé par vos yeux !...
Puis, je baisse les miens, craignant que ma paupière,
En laissant échapper les rayons do mon coeur.
Profane cet amour !.., Je tremble, heureuse et fière...
J'ai peur qu'autour de nous on vole mon bonheur !
...................................................................
J'entends battre mon sein... Il bondit, je m'enivre ;
La vie afflue en moi comme dans le réveil !
Oh ! qu'il est doux d'aimer! Oh! qu'il est doux de vivre !
Quand le coeur brûle ainsi ! Ne pourrais-tu, soleil,
Donner plus de rayons ? Oh ! ne pourriez- vous, roses,
Livrer tous vos parfums plus suaves, plus doux ?
Et moi-même, ne puis-je animer toutes choses.
Et créer pour lui seul un ciel autour de nous ?
Il m'aime, Dieu puissant! N'appelle pas mon âme !
Comment veux-tu qu'on meure en ce rêve d'amour ?
Non, si tu m'appelais, ma faible voix de femme
Dirait : c'est impossible ! attends la fin du jour !
Seigneur., de l'inconnu vous soulevez les voiles
Quand vous voulez encore être plus adoré.
Et les regards de feu de toutes vos étoiles
Se fixent aussitôt sur votre front sacré...
Pour vous aimer toujours, n'avez-vous pas des anges ?
Des astres qui peut-être avant nos cieux ont lui ?
Des purs esprits créés les divines phalanges ?
Vous avez tout. Seigneur, laissez-moi donc à lui ! ! !
Louisa Siefert
1845-1877
Pourquoi?
Pour la première fois, quittant votre air morose,
Vous m'avez, hier soir, donné le bras. Tandis
Que j'allais près de vous ainsi, comme jadis,
J'ai senti contre moi palpiter quelque chose.
Mon visage soudain est devenu tout rose ;
Vous m'avez demandé ce que j'avais, je dis
N'importe quoi… : Mon Dieu ! c'était mon paradis,
Dont la porte s'ouvrait quand je la croyais close.
J'écoutais, j'écoutais (hélas ! le saviez-vous ?)
Votre cœur, sous ma main, qui battait à grands coups,
Et je vous regardais, disant : Il ressuscite !
Mais l'effroi s'abattit alors sur moi, plus vite
Qu'une pierre qui tombe en un lac… Oh ! pourquoi
Ton cœur bat-il si fort s'il ne bat pas pour moi ?
26 Juin 18… Rayons perdus
Daniel Stern (Marie d'Agoult)
1805-1876
L'Adieu
Non, tu n'entendras pas, de sa lèvre trop fière,
Dans l'adieu déchirant un reproche, un regret.
Nul trouble, nul remords pour ton âme légère
En cet adieu muet.
Tu croiras qu'elle aussi, d'un vain bruit enivrée,
Et des larmes d'hier oublieuse demain,
Ella a d'un ris moqueur rompu la foi jurée
Et passé son chemin.
Et tu ne sauras pas qu'implacable et fidèle,
Pour un sombre voyage elle part sans retour;
Et qu'en fuyant l'amant dans la nuit éternelle
Elle emporte l'amour.
Adèle Toussaint-Samson
1826-1911
La jeune morte
A Mlle Agar
Ces vers ont été faits sur une jeune fille qui s'était suicidée pour cacher sa faute, qu'on repêcha morte, et dont le nom parut dans le journal le lendemain.
Pauvre enfant! morte ici pour le crime d'un autre,
Tu pensais dans la mort cacher ton déshonneur;
Tu demandais l'oubli; mais tout scandale est nôtre;
Le monde vient fouiller et ta vie et ton coeur.
Pauvre enfant! ton seul crime ici-bas fut de croire,
De répondre à l'amour par l'amour; d'ignorer
Que c'était pour la femme une suprême gloire
Que de fermer son coeur et de ne rien aimer!
Peut-être, à tes genoux, il t'avait, tout en larmes,
Répété qu'il mourrait de ta longue rigueur;
Et tu crus, sous le poids de mortelles alarmes,
Trop peu payer sa vie au prix de ton honneur!
On ne t'avait pas dit que l'homme n'est sur terre
Que pour tromper la femme et rire de ses pleurs;
Que, lorsque, palpitante, il la tient sous sa serre,
Triomphant il sourit, l'étreint, et lui dit: meurs!
"Meurs! le monde le veut. Il t'a, dans sa justice,
D'un stigmate marquée un jour au front;
De mon crime c'est toi qu'il veut que l'on punisse:
Meurs! si tu ne veux pas te courber sous l'affront!
Sur ton visage, enfant, lorsque la rougeur monte,
J'ai le droit d'être fier et de m'enorgueillir.
Le monde m'applaudit; et ma gloire est ta honte:
Aimer pour moi, c'est vaincre; et pour toi, c'est mourir!"
On ne t'avait pas dit tout cela, pauvre fille!
Mais lorsque ton enfant tressaillit en ton sein,
Tu vis surgir debout l'honneur et la famille;
Tu compris tout alors, car tu pâlis soudain;
Et, bientôt, t'élançant dans l'abîme au flot sombre,
Tu crus engloutir là le secret de ton coeur;
Mais le monde était là qui te guettait dans l'ombre;
C'était peu que ta vie, il voulait ton honneur!
(1863)
Nina de Villard
1843-1884
Deux sonnets
ISEULT
O timide héros oublieux de mon rang,
Vous n'avez pas daigné saluer votre dame !
Vos yeux bleus sont restés attachés sur la rame.
Osez voir sur mon front la fureur d'un beau sang.
TRISTAN
J'observe le pilote assoupi sur son banc,
Afin que le navire où vient neiger la lame
Nous conduise tout droit devant l'épithalame.
Je suis le blanc gardien de votre honneur tout blanc.
ISEULT
Qu'éclate sans pitié ma tendresse étouffée !
Buvez, Tristan. Je suis la fille d'une fée ;
Ce breuvage innocent ne contient que la mort.
TRISTAN
Je bois, faisant pour vous ce dont je suis capable.
O charme, enchantement, joie, ivresse, remord !
Je renferme l'amour, ce breuvage coupable.
LA JALOUSIE DU JEUNE DIEU
Un savant visitait l'Egypte ; ayant osé
Pénétrer dans l'horreur des chambres violettes,
Où les vieux rois Thébains, en de saintes toilettes,
Se couchaient sous le roc, profondément creusé,
Il vit un pied de femme, et le trouva brisé
Par des Bédouins voleurs de riches amulettes.
Le baume avait saigné le long des bandelettes,
Le henné ravivait les doigts d'un ton rosé.
Car le pied conservait dans ses nuits infernales
Le charme doux et froid des choses virginales :
L'amour d'un jeune dieu l'avait pris enfantin.
Ayant baisé ce pied posé dans l'autre monde,
Le savant fut saisi d'une terreur profonde
Et mourut furieux, le lendemain matin.
Feuillets parisiens, 1885
Judith Walter
1845-1917
La pivoine
Elle riait, collant son front lisse au treillage,
De voir trembler dans l'or aux sept toits de métal
Et de compter sur l'eau les perles d'un sillage.
Près d'une porcelaine où seule et sans feuillage,
Une pivoine rêve à son jardin natal,
Elle faisait chanter la flûte de santal,
Ou peignait d'oiseaux fins le dos d'un coquillage.
Pourquoi, oubliant les soirs de cuivre roux,
Les jonques et le son du santal à huit trous,
Mordille-t-elle un ongle étroit, teint d'antimoine?
C'est qu'elle a vu passer, doux en la regardant,
Un poète. Son front n'a plus qu'un rêve ardent,
Comme une porcelaine où trempe une pivoine.
Poésies, 1911
Marceline Desbordes-Valmore
1786-1859
Le réveil créole
N'a plus pouvoir dormir tout prêt toi dans cabane,
Sentir l'air parfumé courir sur bouche à toi,
Gagner plaisir qui doux passé mangé banane,
Parfum là semblé feu qui brûler coeur à moi,
Moi vlé z'éveiller toi.
Baï moi baiser si doux, n'oser prend'li moi-même,
Guetter réveil à toi...longtemps trop moi languir.
Tourné côté coeur moi, rend-li bonheur suprême,
Mirez l'Aurore aller près toi va pâlir.
Longtemps trop moi languir!
Veni sous bananiers nous va trouvé z'ombrage;
Petits oiseaux chanter pendant nous fait l'amour,
Soleil est jaloiux moi, li caché sous nuage,
Mais trouvé dans yeux toi l'éclat qui passé jour.
Veni faire l'amour.
Non, non, toi plus dormir, partager vive flamme,
Baiser toi semblé miel cueilli sur bouquets fleurs,
Coeur à toi soupirer, veni chercher mon âme;
Prends-li sur bouche à moi, li courir dans mes pleurs,
Moi mourir sous des fleurs.
Elégies, Marie et romances, 1819
Elisabeth Guibert
1725-1787
A Monsieur de ***
Quoi! de l'amitié la plus tendre,
Vous me refusez le retour!
Ah! je n'y dois donc plus prétendre!
Vous ne m'offrez que de l'amour.
Un sentiment plus vif a pénétré votre âme:
Il passera ce sentiment!
Je vois déjà s'éteindre votre flamme.
Je voulais un ami: vous n'êtes qu'un amant.
Dans l'Almanach des Muses
Sophie d'Houdetot
1730-1813
Pour un jeune homme
A qui une jeune femme avait écrit sous le nom d'une vieille.
Du bon Robert vous connaissez l'histoire:
Ferme en amour et jamais rebuté,
Vous le savez, il servit avec gloire
Et la vieillesse et la difformité.
Des chevaliers en tous sens le modèle,
Soumis au sexe et toujours amoureux,
Il obéit, il fut heureux,
Et la beauté récompensa son zèle.
Ne pourrai-je espérer un jour
Le prix de son obéissance?
J'ai comme lui servi l'Amour;
N'aurai-je pas sa récompense?
Publié dans les oeuvres de Robert de Crèvecoeur, son amant
Marie-Emilie-Marion de Montanclos
1736-1812
Chant d'un pêcheur
Le plaisir,
Et non la constance,
Le désir
Sans persévérance,
Voilà ma seule volupté,
Je lui dois toute ma gaîeté.
Mon état peut offrir l'image
Des ruses qu'inspire l'amour;
Et voici, sur le rivage,
Ce que je fais tour à tour:
Dans l'onde agitée ou tranquille,
Je jette en riant mes filets,
Et dans ma nacelle mobile,
Avec art j'ai l'oeil aux aguets.
D'abord le poisson fuit l'amorce,
Je le vois sans m'en irriter;
Il court, revient, s'agite et perd sa force;
L'appât est sûr, il ne peut l'éviter.
En amour, je prévois de même :
Beauté que trouble le désir,
Quand la nature veut qu'elle aime,
Lutte en vain contre le plaisir.
Le plaisir,
Oui, le plaisir,
Et non la constance,
Le désir
Sans persévérance,
Voilà ma seule volupté;
Je lui dois toute ma gaîté.
(Almanach des Muses, 1812)
Madame de Liencourt
Début 18ème
(En quel état)
En quel état me trouvai-je réduite,
Pour obéir à mon devoir !
Je fuis Tircis ; mais que me sert ma fuite,
Qu'à m'ôter le plaisir de le voir.
Que me sert-il de ne le pas entendre ?
Je devine tous ses discours :
Et mon coeur redit mille fois tous les jours,
Ce qu'une fois il m'aurait dit de tendre.
Je m'imagine à tous moments,
L'entendre m'exprimer ses plus doux sentiments,
Et peut-être, hélas ! qu'à ma honte,
Quand de son entretien j'évite les appas,
Je m'engage à lui tenir compte
De cent mille douceurs qu'il ne me dirait pas.
(Dans l'Histoire littéraire des femmes françaises de Joseph de la Porte), vol. 3
Catherine Durand
16..-1736
Le chat amoureux
Un jeune chat vivait dans le sein du repos,
Mollement élevé par des mains bienfaisantes ;
Pour ménager ses quenottes naissantes,
On lui donnait du lait, du mou, de tendres os.
Il était doux, flatteur, son corps de blanche hermine
Etait noblement habillé,
Ses yeux étaient sereins, on voyait à sa mine,
Que d'aucun crime encor son coeur n'était souillé.
Le printemps vint, saison fatale !
A toute gent qui forme des désirs ;
En est-il d'autre en l'âge des plaisirs ?
Sur ce point-là toute gent est égale,
Novice encor l'adolescent
Est averti par la nature
Que sur les toits, tant que la saison dure,
Il trouvera pratique, et d'abord bondissant
Il s'échappe de son asile :
Il court, il vole aux cris d'une troupe indocile,
Choisit une maîtresse, en approche en tremblant.
Comme il possède le talent
De la société civile,
Qu'Amour y mit ce qu'il y a de galant
que son Iris est vive et brune,
Qu'il est beau, gras et parfumé,
Bientôt leur ardeur est commune !
Possesseur aussitôt qu'aimé ;
Rien n'est égal à la fortune.
Notre Amant en jeune entêté
S'enivre des transports de sa première flamme.
Manger lui paraîtrait une grossièreté.
Qu'a-t-il fait jusqu'alors, qui satisfît son âme ?
Il était bien couché, bien nourri, bien flatté,
Belle comparaison de telle volupté
A ce qu'il sent près de sa Dame ;
Voilà le beau, le laid suivra de près.
La dame était du siècle, elle agissait d'exemple,
Et du Dieu qui lance des traits
Elle avait visité le Temple
Avec d'autres amants moins polis et moins frais.
Leur malheur les réconcilie,
Sensible à l'infidélité,
La troupe bruyante et trahie
A punir la témérité
Par un affreux serment se lie.
Il n'en fallait pas tant ; le pauvret endormi,
A force de plaisirs languissait près sa belle
Ses rivaux irrités d'une rage cruelle, ne voulant se venger à demi;
L'un le prend par les pieds, l'autre saisit la tête,
D'un troisième la patte à l'immoler s'apprête.
"Vous ne savez point vous venger",
Dit un vieux scélérat blanchi sous la malice,
Lissez-moi choisir le supplice.
Aussitôt il le va plonger
Dans un abîme affreux plein de sang et de fange,
"C'est un bain d'eau de fleur d'orange",
Ajoute-t-il, notre jeune Amoureux,
Vous voilà propre à faire des conquêtes,
Et nos Maîtresses seront prêtes
En sortant de ce bain à recevoir vos voeux",
Il dit ; et ce trait d'ironie
Attire de longs cris l'importune harmonie,
Le pauvre infortuné n'ôse lever les yeux,
Délicat dès son plus bas âge,
Ses sens sont engloutis dans ce gouffre odieux,
Il voudrait en perdre l'usage :
Mais eux-mêmes ont fait le mal,
Il faut qu'ils soient punis ; fidèle à ses Pénates
S'il n'eût point quitter ses foyers,
Il eût de sa vertu reçu de doux loyers,
Il marcherait sur quatre pattes.
Voici le dénouement. La pitié, ce matin,
La tiré de son antre sombre,
Mais sanglant, las, estropié, malsain,
De lui-même ce n'est que l'ombre
Dont se joue encor le destin.
O fol Amour ! grossière incontinence !
De vos amis voilà la récompense.
Fin
La Vengeance contre soi-même, et le chat amoureux, contes en vers, 1712
Catherine Descartes
1637-1706
Impromptu
Coulange, le matin et le soir,
Je crois vous entendre et vous voir,
Mais, ne vous voyant qu'en idée,
Heureuse, dis-je à tout moment,
Qui de même amour possédée
Peut vous voir effectivement.
Déjà sur l'écorce des bois
J'ai gravé le nom mille fois
De ce beau berger que j'adore;
J'ai prié les jeunes Zéphirs
D'oublier pour quelque temps Flore,
Et de lui porter mes soupirs.
Ainsi, de mes tendres propos
Je fais résonner les échos,
Et, quand je prononce Coulange,
Ils prennent plaisir tour à tour
De répéter tant de fois ange,
Qu'ils en augmentent mon amour.
Jeanne Guyon
1648-1717
Merveilleuses contrariétés qu'on expérimente dans l'amour
Vaste désert, rochers, forêt obscure
Où le soleil ne pénètre jamais,
Lieux qui sont terribles à la nature,
En vous je trouve tout ce qui me plaît.
... Soleil, je me dérobe à ta lumière,
Je m'éloigne avec soin de ta clarté:
La sombre nuit en fermant ma paupière
M'éclaire bien plus sur la vérité.
Lieux de tous temps consacrés au silence,
Bois dont le front semble approcher les cieux,
Je puis avec vous en toute assurance
Plaindre un tourment qui m'est délicieux.
...Qui peut faire des effets si contraires?
Ah! qui les fait, Amour, si ce n'est vous?
Mon coeur content, qui peut le satisfaire?
Est-ce le rien ? Serait-ce mon Epoux?...
Mademoiselle L. D. P. P.
17ème siècle
La Nouvellette
Chanson
Il est certain qu’un jour de l’autre mois,
M’est advenu très merveilleuse chose:
Toute seulette étais au fond du bois,
Vint mon ami, plus beau que n’est la rose.
Il me baisa d’un baiser sage et doux,
Et puis après il me fit chose amère,
Si que je dis, avec un grand courroux:
Tenez-vous coi, j’appellerai ma mère.
Il certain qu’il devint tout transi,
Voyant courir larmes sur mon visage.
A jointes mains il me cria merci, (pitié)
Et cela fit que je fus moins sauvage.
Alors qu’il vit que je parlais si doux,
L’ami s’y prit de tant belle manière,
Que je lui dis, sans avoir de courroux:
Tenez-vous coi, j’appellerai ma mère.
Il est certain que lors il m’arriva
Chose nouvelle, à quoi n’étais pas faite,
Et quasi morte, un baiser m’acheva,
Qui me rendit les yeux clos et muette;
Puis m’éveillai, mais d’un réveil si doux,
Que remourus, tant il me fit grand’chère.
Enfin, besoin ne fut d’être en courroux,
Il devint coi, sans qu’appellai ma mère.
Dans le Parnasse des Dames
Madame de Lauvergne
fin 17ème
Stances
Amour qui m'as fait voir Timandre si charmant,
Fais lorsqu'il me verra qu'il me trouve de même,
Qu'il brûle de l'ardeur qui me va consumant,
Et qu'il me puisse aimer autant comme je l'aime.
Fais si bien toutefois qu'il ne découvre rien,
N'épargne en ce dessein, ni ruse ni souplesse,
Qu'il me donne son coeur sans espérer le mien,
De peur qu'il ne triomphe enfin de ma faiblesse.
Le temps me presse, amour, va faire ton devoir,
Va m'ouvrir dans son coeur un glorieux passage,
Et s'il veut résister à ton divin pouvoir,
Mets pour le surmonter tous tes traits en usage.
Je sens que la pudeur, la crainte et la raison
S'unissent dans mon âme afin de te détruire;
Mais tous leurs vains efforts ne sont plus de saison;
Comment les écouter quant ils veulent te nuire.
Je m'abandonne, amour, ma raison y consent,
Que dis-je, ma raison; hélas! tout au contraire,
Ce que tu me prescris, elle me le défend;
Je n'oserais parler et je ne puis me taire.
Mon esprit se confond dans ce raisonnement,
D'un et d'autre côté le péril est extrême,
Si je ne parle point, je perdrai mon Amant,
Et si j'ose parler, je me perdrai moi-même.
Pudeur, crainte, raison qui blâmes mes soupirs
Cédez à mon amour, il est temps de se rendre,
Cessez de condamner mes innocents désirs,
Et pour être écoutés, parlez-moi de Timandre.
C'est par là seulement, crainte, raison, pudeur,
Que vous pouvez avoir empire sur mon âme;
Je ne vous défends pas le séjour de mon coeur,
Mais gardez-vous au moins d'attenter à ma flamme.
Recueil de poésies, 1680
Mlle Masquière
17ème
(Importun souvenir...)
Importun souvenir d'un aimable infidèle,
Pourquoi faut-il encor que mon coeur te rappelle ?
Et toi, cher inconstant, qui vient de me trahir,
Pour t'avoir trop aimé, ne puis-je te haïr ?
Qu'ai-je dit ! De quel nom appellé-je un parjure,
Qui fait à mon amour la plus cruelle injure ?
Ah ! puisque de mon coeur je ne puis le bannir,
C'est pour le détester qu'il faut m'en souvenir.
Prenons dans ce dessein, l'amour même pour guide ;
Autant que je l'aimai, haïssons le perfide ;
Mon coeur à ce seul prix peut être assez vengé ;
Transformons en fureur mon amour outragé ;
Et que de mes bontés l'éternelle mémoire
Me fasse de son crime une image plus noire.
Rappelons, s'il le faut, ces trop heureux moments,
Où mon coeur répondait à ses empressements.
Hélas ! je me faisais mille tendres alarmes ;
Au gré de mon amour, j'avais trop peu de charmes ;
Je ne croyais jamais combler tous ses désirs ;
Et j'étais malheureuse au milieu des plaisirs.
Je pressentais déjà sa fatele inconstance :
Du plus parfait amour injuste récompense !
Ingrat, pour m'attirer un si cruel tourment,
Qu'avais-je fait. Hélas ! j'aimais trop tendrement.
Quoi ! faut-il qu'aujourd'hui trop d'amour nous sépare !
De quoi me punis-tu ? Va, cruel ; va, barbare,
Cours chercher ma rivale ; apprends-lui mes douleurs ;
Donne à tes trahisons les plus vives couleurs.
Son coeur est à ce prix. Plus tu seras coupable,
Plus à ses yeux charmés tu paraîtras aimable.
Mais ne te flatte pas d'être longtemps heureux :
D'une infidélité l'exemple est dangereux.
Tu vas au changement lui servir de modèle ;
Pour punir un perfide, il faut une infidèle.
Sur ma sincère ardeur alors ouvrant les yeux,
Peut-être, mais trop tard, tu me connaîtras mieux ;
Et peut-être honteux de ta lâche inconstance ;
Tu viendras à mes pieds expier ton offense.
O Ciel ! s'il revenait encore à mes genoux !...
Mais que fais-je. Je sens affaiblir mon courroux.
Tu soupires ! mon coeur, n'en dis pas davantage ;
Je ne t'entends que trop, sans ce honteux langage.
Hélas ! à me trahir tout conspire en ce jour ;
Et ma haine est plus tendre encor que mon amour.
Dans l'Histoire littéraire des Femmes françaises de de La Porte, 1769, tome 3 (Gallica)
Françoise Pascal
1632-1698 ?
Les réflexions de la Magdeleine dans le temps de sa pénitence, 1674
Chapitre premier
de ses vanité passées, et de sa conversion
Qu’espères-tu de moi? malheureux souvenir,
Qui viens toujours m’entretenir
De mes félicité mondaines;
Va, souvenir persécutant,
Mon coeur contrit et pénitent
N’a plus que du mépris pour les choses humaines,
En vain tu viens toujours me les représenter,
Par quelque endroit que tu t’exprimes,
J’y vois l’image de mes crimes,
Et je ne les vois plus que pour les détester.
Eloignez-vous de moi, profanes courtisans,
Vous qui de l’erreur vaine et folle,
Vous fit me regarder comme l’unique idole,
A qui vous deviez de l’encens;
Mes yeux où vous trouviez des charmes,
Et dont vous éprouviez les dangereux attraits,
Pour se punir de leurs forfaits,
Ne sont plus occupés qu’à l’usage des larmes;
L’amour Divin a triomphé,
Et mon coeur n’est plus échauffé
Que de l’ardeur qu’il y fit renaître
J’ai plus de plaisir mille fois,
D’être réduite aux pieds de mon Souverain Maître,
Que je n’en avais eu de vous donner des Loix.
Lorsque je faisais mes délices
De vos amoureux Sacrifices,
Que j’abandonnais tout à mes sens révoltés,
Et que mon coeur nageait parmi les voluptés,
Par une force de la Grâce,
Par un secret désir qu’elle vint m’inspirer,
Je repris tout d’un coup la trace
Dont un démon trompeur m’avait fait égarer;
Je fus entendre ce Prophète,
Dont la sainte Doctrine enlevait les esprits,
Et qui des plus obscurs, et plus profonds écrits,
Etait le savant interprète.
A son divin abord mon âme se troubla,
Le redoutable aspect de sa vertu suprême
Me mit dans un désordre extrême,
Et l’amour profane en trembla;
La honte qu’il eut de paraître,
Plein de vice, et d’impureté,
En présence d’un si grand Maître,
Le fit aussitôt disparaître,
Et me laisser en liberté.
Mais quel pouvoir n’eut point cette Bouche divine?
En nous expliquant sa Doctrine;
Et quel charme n’a point la parole d’un Dieu?
Elle perça mon coeur de mille traits de flamme:
Je fus vaincue avant qu’il sortit de ce lieu,
Et quand il en sortit, il emporta mon âme.
Madame de Platbuisson
Fin 17ème - Début 18ème
Quatrain épigrammatique
Où peut-on trouver des amants
Qui nous soient à jamais fidèles?
Je n'en sais que dans les romans,
Ou dans les nids des tourterelles.
Le Parnasse des Dames, 1773
Madeleine de Scudéry
1607-1701
Madrigal
Tircis vous apprend des chansons
Où le coeur s'intéresse;
On dit qu'il y joint des leçons
Qui parlent de tendresse:
Fuyez ce charme séducteur,
C'est un plaisir funeste;
L'oreille est le chemin du coeur,
Et le coeur l'est du reste.
Pauline de Grignan Simiane
1676-1737
Madrigal
Vous me baisez comme une soeur:
Ces baisers sont pleins de douceur;
Mais souffrez que je les condamne.
Je ne suis qu'un mortel, ô nouvelle Diane,
Pourquoi me traitez-vous ainsi qu'un Apollon?
Je serai trop heureux du sort d'Endimion.
1715
Pauline de Grignan Simiane
1676-1737
La pescheuse
Une jeune pescheuse, avec une ligne à la main,
Sur le bord d'un étang parut avant l'aurore;
L'étang de poissons était plein.
L'avidité qui la dévore
Fait qu'à peine à l'appât un poisson mord encore,
Qu'elle détourne et la ligne et la main
Pour un autre poisson qu'elle quitte soudain.
Le soir venu, cette pescheuse enfin,
Ne prit rien pour vouloir trop prendre.
Belles qui ménagez tant d'amours à la fois,
Quand vous multipliez chaque instant votre choix,
A pareil sort vous devez vous attendre.
Madame Vatry
1682-1752
Parodie de la fable de La Fontaine, "Le Corbeau et le Renard"
Joli tendron sur l'herbette couché,
Laissait voir un charmant corsage.
Un jeune amant par ses yeux alléché,
Lui tint à peu près ce langage.
Eh, bonjour, charmante Isabeau;
Que vous avez d'appas! que votre corps est beau!
Avec ce parfait assemblage,
Si votre humeur n'est point sauvage,
Vous êtes le Phénix des belles de ces Bois.
A ces mots Isabeau ne se sent pas de joie;
Et soit par faiblesse, ou par choix,
Elle devient du jeune Amant la proie.
Le galant refroidi lui dit: mon petit coeur,
Sachez que tout conteur
Vit aux dépens de celle qui l'écoute.
Cette leçon déplait beaucoup sans doute.
Le tendron honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
Source: De La Porte: Histoire littéraire des femmes françaises, volume 3
Madame Vatry
1682-1752
Réponse (à l'un de ses amis au sujet de la mort de Quine, la chienne de madame Vatry)
Quine peut nous donner une leçon fidèle
De ce que fait l'Amour quand il est écouté.
Si Quine eût à ce Dieu toujours été rebelle,
Elle serait encor en parfaite santé.
Jeanne l'Héritier de Villandon
1664-1734
Impromptu à Madame de ...
Je n'en crois rien, charmante Séraphine,
Tircis en vain vient me nommer divine,
Tons languissants, enjoués, sérieux
Toujours par moi sont pris pour fabuleux,
Contre tels dits la raison se mutine.
En vain par Vers qui souvent me chagrine,
Par grands soupirs, et languissante mine
Me veut prouver la force de ses feux,
Je n'en crois rien.
Avouerai bien sans en faire la fine,
Que ce Tircis en science raffine,
Qu'il chante juste, et qu'il écrit des mieux :
Mais que jamais je réponde à ses voeux,
Malgré ses vers, sa voix et sa doctrine,
Je n'en crois rien.
Marie-Catherine-Hortense de Villedieu (ou Desjardins)
1632-1683
Poésies paillardes
Dans sa biographie de "Madame de Villedieu" (le Mercure de France, 1907, Emile Magne a montré que les poèmes qui suivent ont été insérés dans ses oeuvres complètes par Gabriel Quinet, libraire et éditeur perfide, sans doute pour rendre hommage à une réputation déjà bien établie... Ils sont extraits des "Vers du Balet du Mail de l'Arsenal". Ils avaient déjà été publiés sans nom de libraire et d'auteur en 1948, dans in 4° de 4 pages. Hortense des Jardins n'avait alors que 6 ans (Voir Emile Magne : Madame de Villedieu, p. 88)
Le batelier aux Dames
Belles que je conduis sur l'eau,
De crainte de faire naufrage,
En vous passant en ce bocage,
Il faut boucher les trous qui sont dans mon bateau.
Le laquais aux Dames
Je suis des laquais le plus sage,
Pour faire un amoureux message,
Mesdames c'est moi nuit et jour
Qui porte le paquet d'amour.
Deux joueurs du mail
Belles voyez notre attirail,
Nous sommes des joueurs du Mail,
Dont l'humeur est joyeuse et franche,
Nous venons nous offrir à vous,
Pourvu que nous jouiions du manche,
Nous ferons toujours de bons coups.
Le patissier
J'ai des pâtes, des darioles,
Des tartelettes, des rissoles,
Des gâteaux et des petits choux,
J'ai bien quelque autre friandise,
Dessous ma houpelande grise
Hé, mesdames, en voulez-vous.
Le Busc, 1664
Madeleine de l'Aubépine
1546-1596
(Pour le plus doux ébat...)
Pour le plus doux ébat que je puisse choisir,
Souvent, après dîner, craignant qu'il ne m'ennuie,
Je prends le manche en main, je le tâte et manie,
Tant qu'il soit en état de me donner plaisir.
Sur mon lit je me jette, et, sans m'en dessaisir,
Je l'étreins de mes bras et sur moi je l'appuie,
Et, remuant bien fort, d'aise toute ravie,
Entre mille douceurs j'accomplis mon désir.
S'il advient, par malheur, quelquefois qu'il se lâche,
De la main je le dresse, et, derechef, je tâche
A jouir du plaisir d'un si doux mouvement:
Ainsi, mon bien-aimé, tant que le nerf lui tire,
Me contemple et me plaît que de lui, doucement,
Lasse et non assouvie, enfin je me retire.
Le luth
Madeleine de l'Aubépine
1546-1596
Sonnet des tourterelles
Rêvant parmi ces bois, je vois s'entrebaiser
Deux tourtres que d'amour l'Amour même convie,
De leurs mignards baisers la source est infinie.
Et sans fin leurs plaisirs je vois recommencer:
O bienheureux oiseaux, qui d'un même penser
Contentez vos esprits francs de la tyrannie
Qu'apporte le respect, l'honneur, la jalousie,
Et mille autres soucis qui me font trépasser.
Vou voletez sans soin, joyeux, de branche en branche,
Eprouvant le bonheur d'une liberté franche,
Et les suaves douceurs d'une égale amitié.
Ha! je puisse mourir si je ne voudrois être,
Avec vous, chers oyseaux, tourterelle champêtre,
Pourveu que, comme vous, j'eusse aussi ma moitié!
Les chansons de Callianthe
Marie-Aimée de Kermorvan
1904-1985
Sonnet à l'amour
Eclate dans mon vers comme un soleil, Amour !
Amour, ainsi qu'un vin répands-toi dans ma veine !
Fleuve qui rafraîchis et brûles tour à tour,
Inonde tout mon sang de ta flamme sereine.
O vous, ô vous que livre à des transports charmants
La fraîche volupté de vos saisons nouvelles,
Accourez, et, riant à l'afflux de vos ans,
Ceignez vos jeunes fronts de ces roses mortelles.
Amour, soleil antique et nouveau, lève-toi !
Vois : la terre s'éveille à ton divin émoi.
L'arbre s'enfle de sève ; et déjà, rougissante,
De son voile à demi couvrant sa joue en fleur,
Et contenant son âme en son sein frémissante,
La vierge tremble au bras d'un époux ravisseur.
Le Jeu de Balance
Jaqueline de Stuard
16ème siècle
Envoi
(à Bonaventure des Périers)
O quel effort cruel, et dangereux,
Quand contre Amour, Amour fait résistance!
O que celui est vraiment malheureux,
Qui contre soi a soi-même en défense!
Je sens en moi cette grande violence
Etant contrainte à autre m'adresser:
Mais qui pourrait de cela me presser,
Vu que changer n'est point à mon usage?
Amour lui-même, il le me fait laisser
Pour me venger de son tort, et outrage.
Catherine des Roches
1542-1587
L'Amour
Sur un laurier triomphant
Amour regarde la belle,
Puis, fermant l'une et l'autre aile,
Il la suit comme un enfant.
Il repose dans son sein
Et joue en sa tresse blonde,
Frisotée comme l'onde,
Qui coule du petit Clain;
Il regarde par ses yeux,
Parle et répond par sa bouche,
Par ses mains les mains il touche,
N'épargnant hommes ni dieux.
Quand il s'en vient entre nous,
Un souris lui sert d'escorte;
Mais qui n'ouvrirait sa porte,
Le voyant humble et si doux?
Hà, Dieu! quelle trahison,
Sous une fraude tant douce!
Je crains beaucoup qu'il me pousse
Hors de ma propre maison.
Mlle de Salètes
fin 16ème siècle
Réponse au Sieur de Bertaut (1597)
Héliette de Vivonne
Demoiselle d'honneur de la reine Elisabeth
fin 16ème
Sonnet adressé à Desportes
Vous, qui savez que c'est, mieux que moi, que l'amour,
Pensez-vous qu'elle puisse être sans jalousie,
Et qu'un coeur bien atteint, une âme bien saisie
Veuille à son corrival faire quelque bon tour ?
Ha ! Vous vous trompez fort, de me faire la cour,
Pour recevoir d'une qui est ma vie,
D'une qui est mon coeur, ma maîtresse et ma mie,
Qui recèle en ses yeux ma clarté et mon jour.
Si quelque point me manque à lui faire servie,
Je ne veux pour cela lui quitter mon office ;
Toutefois (s'il lui plaît), l'accord je vous présente
Qui nous rendra tous deux d'accord, à mon avis :
Je servirai les jours, vous servirez les nuits.
Ha ! Vous ne voulez pas ? Eh bien ! j'en suis contente.
Publié dans la Muse française du 15 janvier 1935
Marguerite d'Autriche
1480-1530
(Belles paroles...)
Belles paroles en paiement
A ces mignons présomptueux
Qui contrefont les amoureux
Par beau semblant et autrement.
Sans nul credo, mais promptement
Donnez pour récompense à eux
Belles paroles.
Mot pour mot, c'est fait justement,
Un pour un, aussi deux pour deux.
Si devis ils font gracieux,
Répondez gracieusement
Belles paroles.
Poème repris de l'ouvrage de Francisque Thibaut,
"Marguerite d'Autriche et Jehan Lemaire des Belges"
Paris, Ernest Leroux, 1888 (p. 41-53)
Marguerite de Navarre
1492-1549
Un ami vif vint à la dame morte
Un ami vif vint à la dame morte,
Et par prière il la cuida tenter
De le vouloir aimer de même sorte,
Puis la pressa jusqu'à la tourmenter ;
Mais mot ne dit, donc, pour se contenter,
Il essaya de l'embrasser au corps.
Contrainte fut la Dame dire alors :
" Je vous requiers, ô Ami importun,
Laissez les morts ensevelir les morts,
Car morte suis pour tous, sinon pour un. "
Béatrice de Die
1140-1175
Chanson
Grande peine m'est advenue
Pour un chevalier que j'ai eu,
Je veux qu'en tous les temps l'on sache
Comment moi, je l'ai tant aimé;
Et maintenant je suis trahie,
Car je lui refusais l'amour.
J'étais pourtant en grand'folie
Au lit comme toute vêtue.
Combien voudrais mon chevalier
Tenir un soir dans mes bras nus,
Pour lui seul, il serait comblé,
Je ferais coussin de mes hanches;
Car je m'en suis bien plus éprise
Que ne fut Flore de Blanchefleur.
Mon amour et mon coeur lui donne,
Mon âme, mes yeux, et ma vie.
Bel ami, si plaisant et bon,
Si vous retrouve en mon pouvoir
Et me couche avec vous un soir
Et d'amour vous donne un baiser,
Nul plaisir ne sera meilleur
Que vous en place de mari,
Sachez-le, si vous promettez
De faire tout ce que je voudrai.
(Traduction: Pierre Seghers, 1961)
Agnès de Navarre
vers 1330
Chanson royale
Ami, je t'ai tant aimé et chéri
Qu'n toi aimant me cuidoie sauver.
Lasse, dolente, et je ne puis en ti,
N'en ton dur coeur telle douceur trouver.
Pour ce de moi veil hors jois bouter (je veux de moi ôter le joie)
Et renoier amours d'or en avant (et renier amour dorénavant),
Sa loi, son fait et son faux convenant;
Quand tu portes son visage de fée:
Coeur de marbre, couronné d'aimant (pour diamant),
Ourlé de fer, à la pointe acérée.
Quand ta beauté mon coeur en toi ravi.
Amour voulut si fort m'énamourer
De ton gent corps, coint (coquet), appert (en évidence), et joli,
Que ne puis-je autre que toi aimer.
Or ne me veux ouïr et regarder.
Si n'aimerais jamais en mon vivant,
Ni fiance (fiançailes) n'aurai, si bien suis avisée,
Coeur de marbre, couronné d'aimant,
Ourlé de fer, à la pointe acérée.
Si je me plains et dis souvent: Aimmi! (Malheur à moi)
Qu'en puis-je mais? Ne dois-je bien pleurer;
Car je n'ai pas la peine desservi (mérité)
Qu'il me convient souffrir et endurer.
Elle me fait trembler et tresseuer (suer)
Feindre, pâlir, frémir en tressaillant,
Quand pour ma mort vois en corps si vaillant,
Ouvertement, de fait et de pensée,
Coeur de marbre, couronné d'aimant,
Ourlé de fer, à la pointe acérée.
Honteuse suis quand je parole ainsi,
Et laidure est seulement d'y penser,
Qu'il n'appartient que dame à son ami
Doive merci ni grâces demander;
Car dame doit en riant refuser,
Et ami doit prier en soupirant,
Et je prié souvent en pleurant.
Mais en toi truis (trouve), quand je suis éplorée.
Coeur de marbre, couronné d'aimant,
Ourlé de fer, à la pointe acérée.
..........................................
Envoi
Princes, onques ne vi fors que maintenant (Jamais ne vis excepté maintenant)
Amant à coeur plus dur qu'un diamant
Ourlé de fer, à la pointe acérée.
(Dans l'anthologie d'Alphonse Séché)
Marie de France
12ème siècle
Extrait du lai d'Eliduc
Déjà marié, Eliduc, un vaillant chevalier de la Petite-Bretagne, va chercher en Angleterre de quoi occuper son courage. Il se met au service du vieux Roi d'Exeter, en guerre avec ses voisins. Le Roi lui demandera de rester à sa solde pendant un an.
Guilladon, la fille du Roi tombe amoureuse de lui...
"j'aime le nouveau soudoyer,
Eliduc, le bon chevalier;
Ne puis la nuit trouver repos,
Et n'ai pu dormir, les yeux clos.
Si par amour il veut m'aimer,
Et de son corps bien m'assurer,
Je ferai tout pour son plaisir;
Lui en peut grands biens advenir:
De cette terre, il sera roi.
Il est si sage et si courtois,
Que, s'il m'aime avec douceur
Mourir me faut à grand douleur."
Sophie d'Arbouville
1810-1850
Ne m'aimez pas
En réponse à une lettre de Sainte-Beuve
Ne m'aimez pas !... je veux pouvoir prier pour vous,
Comme pour les amis dont le soir, à genoux,
Je me souviens, afin qu'éloignant la tempête,
Dieu leur donne un ciel pur pour abriter leur tête.
Je veux de vos bonheurs prendre tout haut une part,
Le front calme et serein, sans craindre aucun regard ;
Je veux, quand vous entrez, vous donner un sourire,
Trouver doux de vous voir, en osant vous le dire.
Je veux, si vous souffrez, partageant vos destins,
Vous dire : Qu'avez-vous ? et vous tendre les mains.
Je veux si, par hasard, votre raison chancelle,
Vous réserver l'appui de l'amitié fidèle,
Et qu'entraîné par moi dans le sentier du bien,
Votre pas soit guidé par la trace du mien,
Je veux, si je me blesse aux buissons de la route,
Vous chercher du regard, et sans crainte, sans doute,
Murmurer à voix basse : ami, protégez-moi !
Et prenant votre bras, m'y pencher sans effroi.
Je veux qu'en nos vieux jours, au déclin de la vie,
Nous détournant pour voir la route… alors finie,
Nos yeux en parcourant le long sillon tracé,
Ne trouvent nul remords dans les champs du passé.
Laissez les sentiments qu'on brise et qu'on oublie ;
Gardons notre amitié, que ce soit pour la vie !
Votre soeur, chaque jour, vous suivra pas à pas...
Oh ! je vous en conjure, ami, ne m'aimez pas !...
Comtesse de Murat 1670-1716
La Discrétion
Si quelqu'un, bien traité des belles,
Fait, des faveurs qu'il obtient d'elles,
Un trophée à sa vanité,
Qu'il soit partout si mal traité,
Qu'il ne trouve que des cruelles.
Aimer à publier les grâces qu'on reçoit
Marque, ordinairement, qu'on les sent comme on doit.
En amour, c'est une autre affaire,
C'est les bien ressentir que de les bien celer,
Et, si l'ingratitude est ailleurs à se taire,
En amour, elle est à parler!
Pauline de Grignan Simiane 1676-1737
La pescheuse
Une jeune pescheuse, avec une ligne à la main,
Sur le bord d'un étang parut avant l'aurore;
L'étang de poissons était plein.
L'avidité qui la dévore
Fait qu'à peine à l'appât un poisson mord encore,
Qu'elle détourne et la ligne et la main
Pour un autre poisson qu'elle quitte soudain.
Le soir venu, cette pescheuse enfin,
Ne prit rien pour vouloir trop prendre.
Belles qui ménagez tant d'amours à la fois,
Quand vous multipliez chaque instant votre choix,
A pareil sort vous devez vous attendre.
Pernette du Guillet
(Quand vous voyez...)
Quand vous voyez que l'étincelle
De chaste amour sous mon aisselle
Vient tous les jours à s'allumer,
Ne me devez-vous bien aimer ?
Quand vous me voyez toujours celle,
Qui pour vous souffre et son mal cèle,
Me laissant par lui consumer,
Ne me devez-vous bien aimer ?
Quand vous voyez que pour moins belle
Je ne prends contre vous querelle,
Mais pour mien vous veux réclamer,
Ne me devez-vous bien aimer ?
Quand pour quelque autre amour nouvelle
Jamais ne vous serai cruelle,
Sans aucune plainte former,
Ne me devez-vous bien aimer ?
Quand vous verrez que sans cautelle
Toujours vous serai été telle,
Que le temps pourra affe(i)rmer,
Ne me devez-vous bien aimer ?
(Anthologie Busoni, 1841)
Madame Deshoulières
1633-1694
"Parmi les peines qui affligèrent mademoiselle Deshoulières, la plus sensible fut la mort d'un jeune officier plein de mérite qu'elle devait épouser et qui fut tué à l'armée." (Busoni)
Stances
Agréables transports qu'un tendre amour inspire,
Désirs impatients, qu'êtes-vous devenus ?
Dans le coeur du berger pour qui le mien soupire,
Je vous cherche, je vous désire,
Et je ne vous retrouve plus.
Son rival est absent, et la nuit qui s'avance
Pour la troisième fois a triomphé du jour,
Sans qu'il ait triomphé de cette heureuse absence ;
Avec si peu d'impatience,
Hélas ! on n'a guère d'amour !
Il ne sent plus pour moi ce qu'on sent quand on aime,
L'infidèle a passé sous de nouvelles lois.
Il me dit bien que son mal est extrême ;
Mais il ne le dit plus de même
Qu'il me le disait autrefois.
Revenez dans mon coeur, paisible indifférence,
Quel l'amour a changée en de cruels soucis.
Je ne reconnais plus sa fatale puissance,
Et, grâce à tant de négligence,
Je ne veux plus aimer Tircis.
Je ne veux plus l'aimer ;ah! discours téméraire !
Voudrais-je éteindre un feu qui fait tout mon bonheur ?
Amour, redonnez-lui le dessein de me plaire ;
Mais quoi que l'ingrat puisse faire,
Ne sortez jamais de mon coeur !
Anthologie Busoni, 1841
Antoinette-Thérèse Deshoulières, fille de Thérèse Deshoulières
1662-1718
Stances
Quel sort au mien est comparable ?
Tous mes jours sont marqués par de nouveaux malheurs ;
De quels crimes suis-je coupable ?
Ciel ! ne suis-je ici-bas que pour verser des pleurs ?
A tes ordres sans cesse et soumise et fidèle,
J'ai toujours de tes lois respecté le pouvoir ;
L'excès de ma douleur mortelle
Livrera-t-il mon coeur à l'affreux désespoir ?
D'un torrent de malheurs ma vie est traversée ;
On dirait, en voyant dans cet heureux séjour
Les peines, les ennuis où je suis exposées,
Et le funeste sort de mon fidèle amour,
Sue du ciel, contre moi, la bonté courroucée
Me partage à regret la lumière de jour.
Cependant cet amour, si fidèle et si tendre,
Toujours sur mon devoir a réglé ses désirs ;
Hélas ! à d'autres innocents plaisirs
Quel coeur, plus que le mien, eut plus droit de prétendre ?
Quel coeur sentit jamais plus de vives frayeurs,
Lorsque la tendre Philomèle
Annonça, par ses chants, le retour des horreurs
Que Bellone, en courroux, traîne en foule après elle ?
Arbres, ruisseaux, charmantes fleurs,
Quel coeur brûla jamais d'une flamme plus belle ?
Et vous, vastes forêts, témoins de mes douleurs,
Et dont tout ici renouvelle
De mon funeste sort les constantes fureurs ;
Quelle aventure plus cruelle,
Quelle mort, quel amant mérita mieux mes pleurs ?
Je ne viens point rappeler sous vos ombres
Ce que Tircis eut de charmant.
L'horreur qui suit la mort de mon amant
M'attire et me retient dans vos demeures sombres.
Seule dans ces forêts, loin du monde et du bruit,
J'abandonne mon coeur à sa douleur mortelle ;
Et je goûte à longs traits les maux qu'elle produit
Dans un coeur accablé, malheureux et fidèle.
Anthologie Busoni, 1841
Marie-Emilie de Montanclos (1736-1812)
Sur un baiser ravi la veille de mon mariage avec M. de M.....
De vos larcins mon coeur toujours complice
Finit enfin par vous donner :
Il faut bien que je m'enhardisse,
Pour n'avoir pas sans cesse à pardonner.
Je trouve si fâcheux de gronder ce qu'on aime ;
De bouder le plaisir, lorsqu'il nous rend heureux !
Prenez donc ces baisers, mais bornez-y vos voeux ;
Car (Amour me l'a dit) c'est le plaisir suprême.
Sur un baiser trois jours après mon mariage
Dernier baiser de mon amant
Enivrez mon âme attendrie !
Je vous reçus du sentiment,
Reprenez pour lui seul une nouvelle vie ;
Je sens déjà le plus tendre désir
Vous rappeler sur mes lèvres brûlantes ;
Ramenez-y le doux plaisir ;
Fixez-y, s'il se peut, des grâces séduisantes ;
Qu'aux yeux d'un amant adoré
Ma bouche soit toujours plus belle :
Et qu'un baiser, à longs traits savouré,
Soit un charme de plus qui le rende fidèle.
Catherine Bernard (1662-1712)
La passion vaincue
Sonnet
La bergère Liris, sur le bord de la Seine,
Se plaignait l'autre jour d'un volage berger.
Après tant de serments, peux-tu rompre ta chaîne ;
Perfide, disait-elle, oses-tu bien changer ?
Puisqu'au mépris des dieux tu peux te dégager,
Que ta flamme est éteinte et ma honte certaine ;
Sur moi-même, de toi je saurai me venger,
Et ces flots finiront mon amour et ma peine.
A ces mots, résolue à se précipiter,
Elle hâta ses pas, et, sans plus consulter,
Elle allait satisfaire une fatale envie ;
Mais bientôt, s'effrayant des horreurs de la mort :
Je suis folle, dit-elle, en s'éloignant du bord :
Il est tant de bergers, et je n'ai qu'une vie !
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