Maximes de Mlle de Villedieu
Les poèmes et maximes de Mademoiselle de Villedieu
des Annales galantes, 1683
Chef-d'oeuvre de casuistique amoureuse. Toutes les ruses de l'Amour y sont décryptées. Suivent les maximes et les conseils avisés pour mieux profiter de ce qui constitue l'essence même de la vie. Je n'ai retenu ici que les textes à caractère poétique, leçons théoriques et pratiques des innombrables anecdotes qui servent d'appuis.
Chanson sur l'air des pélerins de Saint Jacques
Nous sommes de l'amour sans bornes
Des pèlerins,
Qui nous en allons plantant cornes
Par tous chemins,
L'accorder tout à ses désirs
Prêchant l'usage,
Nous allons au Dieu des plaisirs
Faire un pèlerinage.
Dame qu'une servile crainte
Des sots discours,
Fait passer en rude contrainte
Tant de beaux jours,
Contre les critiques esprits
L'âme aguerrie,
Venez des crédules maris
Fonder la confrérie.
Enseignez-nous, gens charitables,
Dans nos besoins,
Quelques retraites favorables
Loin des témoins,
Et nous prierons ce même Amour
Dieu de nos âmes,
Que nous puissions le rendre un jour
A vos filles et femmes.
(p. 11)
Maxime 1
En Amour il est dangereux
De donner un pouvoir trop ample,
Et d'agents agissant pour eux,
On fournirait plus d'un exemple.
Si le pouvoir n'est limité,
Souvent le trop d'autorité
Rend permis tout ce qu'on désire,
Contre soi-même on ne prend loi de rien.
Et l'électeur qui peut s'élire
Prononce rarement d'autre nom que le sien.
16
Madrigal
Tant que les amoureux désirs
Trouvent des coeurs inexorables,
Ils semblent des insatiables
Que l'Amour ne saurait assouvir de plaisirs :
Mais sitôt que l'indifférence
Se laisse surmonter à la compassion,
Qu'on leur donne à discrétion
De quoi soulager leur souffrance,
Peu de chose suffit pour leur réfection,
Et six jours de possession,
Du plus ardent en apparence,
Eteint toute la passion.
20
Maxime 2
Vous sous trompez, trop crédules amants,
Quand vous espérez que les Dames
Immoleront au repos de vos âmes
Leur parure et leurs agréments.
Accommodez votre espoir téméraire
Au triomphe de leur beauté ;
Il ne leur faut parler que de vaincre et de plaire,
Quand on veut être écouté.
Si votre Amour soutient leur qualité de belle,
Tous ses effets leur seront doux ;
Mais si vos mouvements jaloux,
A l'esprit de conquête osent faire querelle,
Car je ne sais quoi qu'on appelle
Vulgairement loi naturelle,
Triomphera toujours du devoir et de vous.
31
Maxime 3
Il est des maris si charmants
Qu'ils peuvent être époux, sans cesser d'être amants,
Lorsqu'une âme tendre a l'adresse
D'assembler les devoirs de Femme et de Maîtresse,
Ceux d'Amant et d'Epoux s'assemblent à leur tour,
Quand par la loi du coeur une main s'est donnée,
Le Ciel n'a pas fait l'Hyménée
Pour être, comme on dit, le tombeau de l'Amour.
39
Maxime 4
Au moment que l'Amour se montre,
S'il se fait contre lui quelque exploit important,
C'est en évitant sa rencontre,
Et non pas en la combattant.
43
Maxime 4 (sic)
Mais voici votre leçon :
Si de quelque malheur vous voyez l'apparence,
Cachez-en plutôt le soupçon
Que de tirer vos femmes d'ignorance.
Dans un cas si mystérieux,
Si l'Epoux est judicieux
Il se rend de ses maux l'auteur et le complice.
Et de quelques désirs qu'un coeur sait combattre,
C'est un méchant moyen d'enseigner la vertu,
Que de la faire voir par le portrait du vice.
63
Maxime 7
C'est l'assaisonnement au goût d'une conquête,
Que d'en devoir le fruit aux soupçons d'un jaloux.
Des plaisirs que l'amour apprête,
Les dérobés sont toujours les plus doux
D'Amants trompant la commune croyance :
On en voit assez chaque jour ;
Mais tromper d'un jaloux la vaine prévoyance,
C'est un sort qui n'est dû qu'aux élus de l'Amour.
75
Maxime 8
Ministres indiscrets de l'empire amoureux,
Si communs aux siècles où nous sommes,
Qui ne pensez pas être heureux,
Si vous n'êtes crûs tels au jugement des hommes,
Que ne pouvez-vous quelque jour
Vous résoudre à traiter discrètement l'Amour !
A cacher l'air content que votre orgueil vous donne,
A vous rendre jaloux de vos propres désirs,
Et vous verrez que les plus doux plaisirs
Sont ceux qu'un mystère assaisonne.
91
Maxime 9
A l'aspect de l'Hymen il faut que l'amour cesse,
Le dégoût est un mal commun,
Et si l'on confondait la femme et la maîtresse,
Trop d'états différents seraient unis en un.
112
Articles du mariage clandestin
Nous, Amants que l'Amour destine
Au mariage clandestin,
Promettons rareté de faveur clandestine,
L'abondance des mets dégoûte du festin.
D'aucun amour d'obéissance
L'Epouse ne suivra les lois,
Et l'Epoux renonçant à la tout-puissance,
En figure de dons recevra tous ses droits.
En cas qu'un jour l'Epoux prétende
Arracher au devoir un tribut de plaisirs,
Il permet à l'Epouse un fâcheux de commande,
Un obstacle à propos aiguise les désirs.
S'il nous vient un dessein en tête
De quelque publication,
Nous en déclarons la requête
Une pure tentation.
Comme femme discrète est rare,
De notre hymen futur voici le fondement,
S'il faut que par l'Epouse un jour il se déclare,
Il sera nul dès ce moment.
120
Règle, et constitutions à l'usage des fraticelles
129
Le sermon du fraticelle
(Eloge de l'Amour de Dieu et surtout de l'Amour terrestre)
p. 145
Epitaphe
Sous cette tombe ici repose
Un qui ne reposa jamais,
Prévenant jusques aux souhaits ;
Osant plus en amour que l'amour même n'ôse,
En dix lieux différents jour et nuit agissant,
Soulageant seul tous les maris de Rome,
Je gagerais qu'aucun passant
Ne croira qu'ici gît un homme.
166
Pour une beauté ingénue
Madrigal
Qu'il faut avoir peu de discernement,
Pour ne pas adorer une bouche ingénue,
Qui découvre toujours une âme toute nue
Aux avides regards d'un curieux amant.
C'est ainsi que l'amour s'explique avec sa Mère,
C'est par de tels discours qu'on rend un homme heureux,
Et l'âme innocente et sincère
Mérite seule ici nos transports, et nos voeux
214
Cinquième partie des Annales galantes
Maxime 1
C'est là le remède suprême
Contre l'ennui d'un long engagement,
Pour guérir le plus tendre Amant
Il ne faut que l'aimer tout autant comme il aime,
La tiédeur irrite les feux,
D'un désir sans effet on en voit cent renaître ;
Mais sitôt qu'il se croit heureux,
Il sent qu'il se lasse de l'être.
213
Maxime 2
L'âge entreprend en vain de rendre un vieillard prude,
Qui s'enflamma peut s'enflammer :
L'amour est un mal d'habitude,
Plus on aime, dit-on, plus on voudrait aimer
226
Rondeau
A l'aide d'un pauvre coeur
Déjà consommé d'ardeur,
Pour une gentille Pucelle,
Inutilement j'appelle
Le secours d'un sens majeur.
Le pauvre est sans vigueur,
Car cet objet enchanteur
D'une puissance immortelle
A l'aide.
Mais si mon espoir flatteur
Pouvait n'être point trompeur,
Qu'un jour maître de la Belle,
Mon amour jouât près d'elle
Le rôle de possesseur.
A l'aide !
234
Maxime 3
Très dangereuse confidence,
Dont tous Amants se piquant de Prudence
Doivent sagement s'abstenir :
C'est en amour une règle infaillible
Qu'il faut toujours feindre impossible
Ce qu'on voudrait qui pût le devenir.
246
Chanson
Je ne suis point Pilote téméraire,
Selon le vent, je mets ma Barque en mer,
L'Amant qui n'est pas sûr de plaire,
Vainement se laisse charmer.
Il faut éviter, quand on aime,
Les périls d'un coeur égaré,
Le prudent Laboureur ne sème
Que dans le champ bien préparé.
276
Maxime 6
Mais il n'est froid si redoutable,
Qui ne cède aux ardeurs d'une Maîtresse aimable.
En vain pour modérer les transports d'un Amant
La saison la plus rigoureuse
Le prendrait pour l'objet de son dérèglement,
Dès que l'amour travaille à son soulagement,
Un instant d'heure bienheureuse
Répare un siècle de tourment.
288
Maxime 5
L'Amour n'a pas besoin de cette ressemblance
Pour trouver l'art d'unir deux coeurs,
Ses capricieuses ardeurs,
Par leur secrète violence,
Font de tous les tempéraments
De bizarres assortiments.
L'âme par la nature est en vain garantie,
En mille occasions l'amour a su prouver
Que tout devient pour lui matière à sympathie,
Quand il fait tant que d'en vouloir trouver
194
Madrigal
Il est ingrat, il est parjure,
Rien ne peut égaler l'injure
Qu'il fait aux amoureuses lois ;
Mais il sut me plaire autrefois :
Faibles ressentiments, cessez votre murmure.
Je dois toute ma haine à qui m'a pu trahir,
Mais je l'ai trop aimé pour le pouvoir haïr.
Au bas ce vers il y avait écrit :
PROFESSION DE FOI AMOUREUSE
305
Maxime 4
Mais en amour les grands obstacles
Sont des appas pour les désirs.
Le Dieu se plaît à faire des miracles,
Et fuit les tranquilles plaisirs ;
Tout ce que la raison trouverait légitime
Est l'apanage de l'estime :
L'Amour n'y prend aucune part ;
Faut-il commettre une injustice ?
Renoncer au bon sens et suivre le caprice,
L'Amour lève son étendard
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