Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Altenheym (Gabrielle d') 1814-1886

Gabrielle d'Altenheym

ou Gabrielle Soumet

ou

"Dame Beauvain d'Altenheim"

(1814-1886)

Les fauteuils illustrés (1860)

Une soirée du théâtre français : Le gladiateur, le chêne du roi (1841)

 

SAPHO 

 

Ou me dit son amante et je suis sa prêtresse

 

Oh ! préparez l'encens, blondes vierges de Grèce, 

 

Cliantez au bruit des mers... Il vient, il vient, c'est lui 

 

Dans mon Olympe en deuil sa jeune étoile étoile a lui. 

 

Voyez les flots blanchir, et ces barques heureuses 

 

Qui gonflent de parfums leurs voiles amoureuses. 

 

Je quitte l'Italie, et ses dieux étrangers. 

 

 L'amour, ce ciel plus doux que son ciel d'orangers, 

 

L'attend. Oh ! qu'en vos bras lentement sur la rive, 

 

Je prépare au bonheur mon âme fugitive. 

 

Couchez-moi sur des fleurs ; et jetez en passant 

 

Vos voiles parfumés sur mon front pâlissant. 

 

Car je veux recueillir en moi pour sa présence, 

 

Toute la vie enfin que me laissait l'absence. 

 

Si vous saviez, enfants, qu'un seul rayon du jour 

 

Rien qu'en baisant son aile, effarouche l'amour, 

 

Il triomphe et s'effraie ; et pourtant j'abandonne 

 

Et mon luth et ma vie à la foi ce qu'il donne ; 

 

Aux pleurs de son extase, aux feux de sa langueur, 

 

A l'inspiration qui fleurit dans le cœur ! 

 

Phaon, oh ! que mes yeux cherchent dans ton sourire, 

 

De quels sons lumineux doit rayonner ma lyre ! 

 

Faut-il chanter Neptime et son char écumant ? 

 

Oui, le dieu de la mer m'a rendu mon amant ! 

 

Rassemblez mes cheveux épars, Phaon s'avance ; 

 

Dites à ses rivaux qu'ils sont vaincus d'avance : 

 

Préparez à genoux le triomphe inspiré. 

 

Placez haut la couronne et je la saisirai ! 

 

La terre est à mes pieds, il me voit grande et belle ; 

 

Il suit dans ses élans ma course d'immortelle

 

Ma voix devient son âme, et sur mon luth vainqueur 

 

Des chaînes d'harmonie ont attaché son cœur. 

 

Oh ! je veux aspirer, défaillante et ravie, 

 

Apollon et l'amour, la lumière et la vie. 

 

Je veux près de Phaon, parmi des flots d'encens, 

 

Livrer à son orgueil mes lauriers frémissants ; 

 

Je veux, le couronnant de toute ma victoire, 

 

Sur son front radieux déifier ma gloire ! ! ! 

 

Ainsi parlait Sapho ; mais légers et chantants, 

 

Quand sont entrés au port tous les esquifs flottants, 

 

Qiiand la nuit a jeté, sous l'azur de ses voiles. 

 

Aux flots clairs et dormants ses familles d'étoiles ; 

 

Pourquoi sur un rocher, pâle et nue à demi, 

 

Sa lyre sur son cœur, comme un dernier ami, 

 

Image du génie éteint dans la démence, 

 

Gémit-elle immobile au bord de l'onde immense ? 

 

« Les flots brillent au loin si purs, les cieux si beaux. 

 

Oh ! qui rappellera les morts de leurs tombeaux ! 

 

Qui me rendra l'amour, fleur qu'un seul être donne. 

 

Et que je regardais pour croire à ma couronne ! 

 

Il ne savait donc pas, même avant mon affront, 

 

Combien ce vain laurier tenait peu sur mon front ! 

 

Il ne savait donc pas, même avec l'espérance, 

 

Ce qu'une heure d'amour me coûtait d'existence ? 

 

La source en est tarie à présent, ô Phaon, 

 

Je ne pourrai donc plus loin des yeux d'Apollon, 

 

Esclave à tes genoux, oui, ton esclave unique, 

 

Essuyer de tes pieds la poussière olympique ? 

 

Suivre de l'œil ton char à l'horizon vermeil. 

 

Ou veillant près de toi, chanter pour ton sommeil .

 

 

Je te maudis du sein des ondes. 

 

Terre au prestige suborneur ;  

 

Dont les entrailles si fécondes. 

 

N'ont pas un germe de bonheur ! 

 

Le sort à ta fête éphémère. 

 

Semble nous jeter triomphants ; 

 

Mais bientôt sur la gerbe amère. 

 

Chacun de nous crie : ô ma mère î 

 

Tu ne peux nourrir tes enfante ! 

 

 

Et toi, lyre, poids qui me blesse, 

 

Toi dont la vue est un remord. 

 

Tu n'es pas l'amour ; ta faiblesse 

 

Ne triomphe que de la mort. 

 

Du monde avec moi sois absente ; 

 

Eteins tes oracles proscrits ; 

 

Et que sur l'onde gémissante, 

 

La gloire, déesse impuissante, 

 

Ne ramasse pas tes débris. 

 

 

Car le front qu'Apollon réclame 

 

Garde une éternelle pâleur. 

 

Ses rayons tombés sur notre âme, 

 

Y fertilisent le malheur. 

 

Les spectres dont elle est peuplée. 

 

S'y dressent tous à son flambeau : 

 

Au lieu de la Muse appelée. 

 

C'est l'Euménide échevelée. 

 

Qui s'élance de ce tombeau. 

 

 

Je préfère à son noir mystère. 

 

Le flot qui baigne mes pieds nus. 

 

Je prends pour cercueil solitaire 

 

L'orageux berceau de Vénus. 

 

Vénus ! contemple ta victime, 

 

Flétrie au souffle d'un mortel ; 

 

Et qui vient, mourant de son crime. 

 

Te vouer, du fond de l'abîme, 

 

Ce rocher pour dernier autel ! 

 

 

En achevant ces mois l'inconsolable amante 

 

S'élance et disparaît sous la vague écumante, 

 

Et sa lyre, sa lyre aux immortels échos. 

 

Comme un nid d'alcyons qui chante sur les eaux. 

 

Prête son harmonie au flot qui la balance; 

 

De la nuit qui s'enfuit fait pleurer le silence ; 

 

Vogue au souffle attendri des vents..., et, de Phaon, 

 

En battant les rochers, vient murmurer le nom. 

 

 

Bibliographie:

 

- Les Filiales, prose et vers, Paris, 1836

- Le clône du roi, 1841

- Berthe-Bertha, roman en vers, Paris, 1843

- La Croix et la Lyre, Paris, 1858

- Le Gladiateur, tragédie représentée au Théâtre-Français, 1841

- Jane Grey, tragédie représentée à l'Odéon

(Ces deux tragédies ayant été écrite avec la collaboration d'A. Soumet, son père.)

 



29/06/2010
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