Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Angliviel (Doëtte) ou Odette Mathilde Fourgassié (1898-1948)

Doëtte Angliviel

Jeux au jardin

 

aux éditions de l'Archer, Toulouse, 1929

 

Pour Henry Muchart

 

 

Liminaire

 

Sur la terrasse, au bord du fleuve nonchalant

         Où se mirait la belle Paule,

Dire vos coudes nus et vos yeux purs d'enfants

         Et la neige de vos épaules?

 

Dire vos jeux parmi les tournesols ouverts,

         Ainsi que vos danses habiles,

Le kimono pervenche ou le boléro vert

         Et les bonds de vos pieds dociles.

 

Dire la bulle de savon qui s'échappe

         Du frêle chalumeau de paille,

L'écharpe où luisent les pompons d'un mimosa.

         Le papillon pris dans les mailles.

 

Et dire aussi, pour parfumer nos souvenirs,

         Les revers joyeux de raquettes

Lançant des roses aux comètes, les plaisirs

         Du voyage en escarpolette.

 

Rêves cueillis au clair des étoiles, retour

         Au milieu des massifs d'alises,

tandis que, de l'étang, un jeune enfant Amour

         Vous sourit narquois et complice,

 

Et que, pour mieux bercer vos coeurs adolescents,

         Douce, et si féline ronronne,

Autour du jardin clos fleuri de rosiers blancs

         L'âme chère de la Garonne.

 

 

 

Trinité

 

Girandoles au front des faunes,

Guirlandes d'azur dans les mains

Des amours graciles qui trônent

Sur le velours des boulingrins.

 

Frêles bracelets de pervenches.

Bleus anneaux de myosotis

Aux pieds nus d'une nymphe blanche

Immobile parmi les lis.

 

O fête éternelle et sereine

D'une adorable Trinité.

Présence exquise et souveraine

De beauté, de Joie et d'Eté.

 

 

 

Jeux

 

Sveltesse de ces jeunes filles,

Du printemps au coeur de l'automne.

Un frisson d'avril dont s'étonne 

Le roux émoi de la charmille.

 

Echo des jeux... rires sonores...

Chat perché? Croquet? Danses? Rondes?...

Au vent flottent des boucles blondes

Et des volants couleur d'aurore.

 

Et les roses, l'une après l'une,

Se flétrissent, meurent, s'effeuillent,

Cependant qu'un nuage endeuille

Déjà le croissant de la lune.

 

Et sur ce paysage grave

Qui nous précise un hiver proche

Ces fillettes en robe-cloche

Plus encor que des fleurs suaves

 

Déroulent une farandole

Onduleuse, molle, légère,

Où s'abolit cette heure amère

Dans des ambiances frivoles.

 

 

 

 

La jongleuse

 

Défaite de cette Vénus

Dont le marbre antique proteste,

Voici qu'un clair de lune atteste

Le triomphe de deux bras nus.

 

Nulle tige molle ne trace

Ces arcs de bracile beauté,

Nul lis n'a cette pureté,

Nul ivoire n'a cette grâce.

 

Jongleuse pensive, une enfant

D'un geste aux nobles alternances,

Lance des roses au silence

Harmonieux du firmament.

 

 

 

Jeune fille

 

Le jardin fait la confidence

De vos quinze ans aux lis heureux,

La ferveur même du silence

Est un hommage à vos yeux bleus.

 

Ni la Vénus de la terrasse,

Ni la Nymphe des claires eaux,

Ne peuvent à vos fraîches grâces

Comparer leurs charmes rivaux.

 

Le faune à la barbe de roses

Nose risquer son rire amer,

Quand votre main pure se pose

Sur son socle de marbre vert.

 

L'Amour dont nul sermon n'empêche

Le geste par trop libertin,

Sous vos regards cache la flèche

Qu'il destinait au coeur mutin.

 

La belle amante qui grapille

Le rouge baiser savoureux

Quand vous passez sous la charmille

Rougit et détourne les yeux...

 

Car, vous êtes la jeune fille.

 

 

 

Le croquet

 

Un petit jardin de province,

Delphiniums et dalhias;

Et des jeunes filles très minces

Comme la mode l'exigea.

 

On est au temps roux des arbouses,

Et des romantiques décors,

Le croquet luit sur la pelouse

Où se meurent des feuilles d'or.

 

Heurt mât des boules qui se choquent,

Rires des blonds petits cousins

Trop impitoyables qui croquent

Et roquent en un tour de main.

 

Dreling... La clochette argentine

Nous avertit subtilement

Que la divine Valentine

Passe la cloche en ce moment.

 

Ne savons-nous pas que la guette

Un brun potache discourtois,

Ignorant encor quelle fête

Peut offrir un calme minois?

 

Mais que se passe-t-il? Vaincue,

Valentine pleure tout bas,

Et contre son épaule nue,

Loin d'un père qui ne voit pas,

 

Le potache qu'un remords brûle,

Pose une bouche de velours

Où glisse par ce crépuscule

Le premier frisson de l'Amour.

 

 

 

 

 Les statues

 

Jeux divins au clair de lune!

Chacune danse et vire, grise,

Puis, en une pose opportune,

Se donne au baiser de la brise.

 

 

L'une a des gestes de Victoire

Dédiant ses seins à l'espace,

L'autre enlace d'un bras d'ivoire

Le balustre de la terrasse.

 

 

Laissant flotter sa chevelure

Si longue au fil de l'eau fuyante

La troisième dans sa ceinture

Tord de vertes touffes de menthes.

 

 

Et la plus jeune, la plus belle,

Svelte et blonde comme une abeille,

Semble appeler des tourterelles

Dans ses bras ouverts en corbeilles.

 

 

Et l'eau tranquille, bleue et calme,

Poète émerveillée dévoile,

Entre deux battements de palmes

Leurs gestes tendres aux étoiles.

 

 

 

 

La marelle

 

 

Il sied de reprendre, Gisèle,

Puisque l'Avril est revenu,

Le jeu dansant de la marelle

Triomphe de vos pieds menus.

 

Par ce bleu matin qui rayonne,

Nous irons, si cela vous plaît,

Sur le sable de la Garonne,

Choisir le plus rose galet.

 

Puis, sur les blanches mosaïques,

Du bout léger de nos fusains,

Nous tracerons le symétrique

Et réglementaire dessin.

 

Cependant que de dalle en dalle,

Vous ferez le tour convenu,

La chute de votre sandale

Révèlera votre pied nu.

 

Mais d'un geste qui le dérobe,

Rougissante de ce dessein,

Vous cacherez sous votre robe

Son modelé trop enfantin.

 

 

 

Pigeon vole

 

Sous la tonnelle qui frissonne au soleil rose

       Elles sont quatre filles folles,

Laure avec Isabelle, et Luce, et Mary-Rose,

       Qui jouent à pigeon vole.

 

Colombes, colibris, coucous et tourterelles,

       Oiseaux de paradis, autruches,

Fauvettes, roitelets, merles et hirondelles

       Ibis, spatules et perruches.

 

Et les doigts chastes vers le ciel du printemps grave

       Pointent, ainsi de frêles cierges,

L'air sent bon la douceur des glycines suaves

       Et l'haleine pure des vierges.

 

Mais dans le jeu qui vient du temps de nos grand'mères,

        L'Amour lance d'habiles flèches,

Effleurant de leurs pointes d'or les nuques claires,

       Duveteuses comme des pêches.

 

Et Laure, et Mary-Rose, et Luce, et Isabelle

       S'entre-regardent et s'effarent,

Et puis, sous le feuillage frais de la tonnelle,

       Au caprice des mots leurs blancs propos s'égarent.

 

 

 

 

Les gages

 

Lucinde aux yeux de fleurs, Armelle au col de cygne,

Qui fautèrent à pigeon-vole,

S'apprètent à se rendre au devoir que désigne

Un destin qui paraît frivole.

 

 Le bel enfant qui signe un éphébat gracile

Paraît sur la terrasse rose,

Et tend d'un geste adorablement malhabile

Sa joue au goût sucré de rose.

 

 Lucinde y met sa bouche en coeur de vierge sage,

Et puis, cache sous son ombrelle,

D'un réflexe dicté par un décent usage,

Une rougeur de jouvencelle.

 

Mais le dieu qui sourit sur la pelouse verte

Parmi les sauges de l'automne,

D'Armelle ose guider les lèvres inexpertes

Vers un nouveau baiser dont son émoi s'étonne.

 

 

 

Les ricochets

 

Quinze ou seize ans, sarraut de toile,

Catogan d'or sur un col pur,

Au ciel il n'est pas une étoile

Qui vaille ce regard d'azur.

 

Elle naquit aux heures blanches

Qui précèdent la Fête-Dieu,

Sa mère l'appela Pervenche

A cause du bleu de ses yeux.

 

Et, chaque jour, vers la rivière,

Elle vient d'un pas nonchalant,

Lancer l'harmonieuse pierre

Du ricochet rebondissant.

 

Onduleuse et rose couleuvre,

Son bras fait un arc sur le ciel,

Elle sourit d'être un chef-d'oeuvre

Si purement matériel.

 

Puis, quand sur les joncs du rivage,

Frissonnent les brumes du soir,

Elle baise sa blonde image

Sur l'eau lisse comme un miroir.

 

 

 

Colin-Maillard

 

Les doigts qui nouèrent, frivoles,

Ce léger bandeau sur vos yeux,

Ignoraient-ils, ô fille folle,

Les dangers charmants de ce jeu?

 

Casse-cou. derrière les roses

Où s'égrène un jet d'eau d'argent

Un petit dieu de marbre rose

Guette vos pas adolescents.

 

Mais déjà, l'étrange surprise,

Vous heurtez son corps gracieux

Et plus rouge qu'une cerise

Ne sachant défaire les noeuds

 

Qu sur votre nuque fragile

Vos soeurs serrèrent en riant,

Vous sentez le goût de l'idylle

Monter à votre coeur d'enfant.

 

 

 

Greli-grelot

 

Greli, grelot... Vous souvient-il, Lucile,

    De ce passé plein de douceur,

Où, blonde, vous jouiez, sur le bord de l'idylle,

    A l'heure des lilas en fleurs?

 

Greli, greli, grelot... De petits cailloux roses,

    Pêchés par vous au fond des eaux,

Se blottissaient au creux nacré de vos mains closes,

    Pépiant comme des oiseaux.

 

Greli, greli, grelot... Vos deux poings en cadence,

    Frappaient contre vos genoux ronds.

Autour de votre front, voltigeait une danse

    Vaporeuse de papillons.

 

Greli, greli, grelot... D'un merle les arpèges

    Emerveillaient tous les échos.

Greli, greli, grelot... - Petit Jean, combien ai-je

    De pierrettes dans mon sabot? -

 

Petit Jean qui suivait le jeu d'une fossette,

    Tout près de votre coude, là

Où le volant plissé de la manche s'arrête,

    Pris au dépourvu se troubla.

 

Au hasard, il compta les lettres de Lucile,

    Et son compte fut celui-là.

Vous souvient-il, le beau printemps sentait l'idylle

    Et c'était l'heure des lilas.

 

Greli, greli, grelot... Vides étaient vos poches

    Du beau lot de galets rosés,

Cachant votre pudeur sous le grand chapeau cloche.

    Vous le payâtes d'un baiser.

 

Un merle rit, alors, dans l'arbre le plus proche.

 

 

La chasse au papillon

 

Voici déjà le clair de lune,

L'heure des rêves aux balcons.

Mais vous portez une fortune,

Fillette, en votre filet blond.

 

Un papillon!... Point ne fut vaine

La chasse de l'après-midi

Parmi d'odorantes haleines

Où son caprice le perdit.

 

Ou de l'avoir, de rose en rose,

Ainsi poursuivi jusqu'au soir,

Vous êtes d'un rose si rose

Qu'il encante votre miroir.

 

Le captif de son aile blonde

Effleure en battements pressés,

La pourpre de vos lèvres rondes

Et le bout de vos cils baissés.

 

Il est en vos mains, Arabelle,

Adorable comme une fleur...

Hélas! vous l'épinglez, cruelle,

A votre écharpe, près du coeur.

 

 

 

L'escarpolette

 

Au ciel tu mords à pleine bouche,

- O jeu clair de l'escarpolette -

Et la pointe de ta babouche

Perce le coeur d'une comète.

 

Dans ta gorge de l'azur coule,

Et d'azur tu te gargarises

Cependant qu'à ton cou s'enroule

La douceur moite de la brise.

 

Tes deux jambes fraîches et nues

Montent vers l'étoile polaire,

Cueillir, au milieu de la nue,

Le lis des rêves légendaires.

 

Aux volants de ta robe verte

Des rayons de lune cascadent,

Et sur ta casaque entr'ouverte

S'égrène toute une pléiade.

 

A tes poignets de jeune fille,

Parure exquise et fabuleuse,

Se referme, qui tremble et brille,

Le blanc anneau des nébuleuses.

 

Pour ta chevelure d'aurore

Sais-je de plus purs diadèmes

Que ceux, légers, des météores

Que cette nuit de printemps sème?

 

Jeune fille à la claire joie,

Tes ongles aigüs qui déchirent

Tant de lumière et tant de soie

Sont les seuls dignes de la lyre.

 

A toi seule la grâce insigne

D'atteindre à la fin de la course,

Le beau lac où glissent le Cygne,

Le Chariot et la Grande Ourse.

 

L'homme pâli par les études

Et qui perd son temps en querelles,

Fillette, crois-tu qu'il élude

Mieux que toi le rêve des ailes?

 

Oh! ne désire et ne regrette,

Ni ses avions, ni ses voiles,

Car seule ton escarpolette

Peut conduire dans les étoiles.

 

 

 

Le furet

 

Il court, il court, sous vos bagues,

Mélancoliques Phyllis,

Couleur de vos rêves vagues,

Le Furet du Bois joli.

 

Il court autour de vos âmes,

Ne resserrez point vos doigts:

Il est dangereux, Mesdames,

Le souple Furet du Roi.

 

Il court, - voici qu'il repasse,

Chères, laissez-le partir,

Le coeur si vite se casse

A le vouloir retenir.

 

Et sous vos ongles que farde

Le reflet d'or du couchant

N'admettez pas que s'attarde

Le Furet du Bois charmant.

 

Il court, il court, glisse et glisse,

Le cercle rose des mains

Ondule et suit son caprice

Comme celui du destin.

 

Et contre vos pures lèvres,

O belles aux noms de fleurs,

L'Amour met la rouge fièvre

De son baiser ravisseur.

 

 

 

Canotage

 

Sur la berge, des jeunes filles,

Ceintes d'écharpes illusoires,

Couleur d'aurore ou de jonquilles

Suivent le jeu des périssoires.

 

De leurs éventails de feuillages

Avec une feinte paresse,

Elles effleurent leurs visages,

Leurs boucles frêles et leurs tresses

 

Puis, elles promettent, très tendres

Avec des mines et des poses,

De laisser, au beau vainqueur, prendre

Un baiser sur leurs ongles roses.

 

Et les bacheliers aux yeux graves,

Qu'enivre encor l'adolescence,

Pour obtenir le prix suave

Se plaisent à des imprudences.

 

Cependant que de leur poitrine,

Une brise légère et fraîche,

S'amuse à découvrir, taquine,

La chair aux matités de pêche.

 

 

 

Jeux sur l'étang

 

Combien se soir là fut en fête,

L'eau lumineuse de l'étang,

Linette, Arlette et Marinette,

De refléter vos corps si blancs.

 

Et l'avez-vous entendu rire,

Quand, la frappant de vos pieds nus,

Vous vous livrâtes au délire

De vos clairs ébats ingénus?

 

Pures, plus pures que les cygnes,

Vous glissiez au milieu des fleurs,

Les étoiles vous faisaient signe

Comme à leurs trois petites soeurs.

 

Nul faune égaré sous les branches

Ne vint troubler vos cris heureux,

Et seule, caressa vos hanches,

La lune, en ses multiples jeux.

 

 

 

Tennis

 

Tennis. Carré de jeunes filles,

Cheveux enchantés de fleurs blanches,

Ruban d'azur des espadrilles,

Fichus de dentelles aux branches.

 

La balle rebondit, et, souple,

De Laure vole à Marjolaine,

Ou s'en va déranger un couple

De ramiers heureux, dans un chêne.

 

Maintes fois, erreur ou caprice,

- Qui le saurait mieux que ces filles? -

Elle choit, peut-être complice,

Au creux d'interdites charmilles.

 

Dans le jardin qu'un père sage

Fit clôturer d'un mur de roses,

Car, des faunes, sous ces feuillages,

Cultivent l'art d'étranges poses.

 

Ce n'est pas pour eux que les belles

Veulent franchir la palissade,

Et lancent la balle aux tonnelles

Pour motiver leur escalade...

 

Sachez que Luce ou bien Odile,

L'ira reprendre en les mains fraîches,

D'un éphèbe qui lit Virgile

En savourant de rondes pêches.

 

 

 

Cligne-Musette

 

Cligne-Musette. le printemps

Rit aux éclats dans les quinconces.

Et les jeunes filles, aux ronces,

Déchirent ruches et volants.

 

Clair émoi dans les labyrinthes,

Ebats légers dans les massifs,

Qui donc osa courber cet if,

Quel pied meurtrit cette jacinthe?

 

Angélique, aux regards plus verts

Que l'eau fuyante des fontaines,

Malgré l'épaisseur de ce chêne

On voit flotte vos rubans clairs.

 

Et nous déplorerons, Aline,

Ensemble, si vous voulez bien,

Que si blanche soit votre main

Parmi ces si mauves glycines.

 

Laure qui crûtes posséder

Le secret des bonnes cachettes,

Nous sècherons les larmes prêtes

Qu'un dépit va faire couler.

 

Mais, voyez-vous, petite fille,

Pour le pourchasseur printanier,

Il n'existe, sous les charmilles,

Point de barrières d'églantiers.

 

Et quand l'heure charmante sonne,

D'un joli rêve à peine osé,

Sans se défendre il faut qu'on donne,

Le gage divin du baiser.

 

 

 

Le cerceau

 

Rebondis sous les lilas blancs,

Et les troènes, mais redoute,

De conduire ce bel enfant

Vers l'inconnu de la grand'route.

 

Cerceau, suis les contours du clos,

Entre les iris polychromes,

Et les muguets aux fins grelots

Qui t'enchantent de leurs arômes.

 

Evite, au plus secret du parc,

Cette fontaine où se renverse

D'un Amour qui bande son arc,

L'image impudique et perverse.

 

 

 

Rondes

 

Faune, ne riez pas trop fort,

Laissez ces belles jeunes filles,

Danser dans une gloire d'or,

Sur la pelouse de jonquilles.

 

Gardez-vous d'approcher vos mains,

Indignes de caresses pures,

Des nuages légers et fins

De leurs fluides chevelures.

 

Leurs bouches n'ont jamais mordu

Dans le fruit salé de la faute,

Autour du jardin défendu,

Innocente, leur ronde saute.

 

L'herbe est fraîche à leurs beaux genoux,

Leur ronde vient, va, se déroule,

Cachez-vous, faune, cachez-vous!

Vers vous le soleil les refoule.

 

Oh! respectez ces coeurs chantants

Que la blancheur des vierges drape!

Las! l'une a vu contre vos dents

Luire les rubis d'une grappe.

 

 

 

Les tresseuses de couronnes

 

Sur le seuil clair que le printemps

Orne de folles girandoles,

Le geste de leurs mains d'enfants

Est comme une aile qui s'envole.

 

De leurs doigts dansant et légers,

Elles tressent un vert feuillage

Pour parer, sous les orangers,

Le front d'un petit dieu volage.

 

Elles s'entretiennent tout bas

De rêves et d'amours secrètes.

Une seule ne parle pas,

Baissant ses yeux de violettes.

 

Et courbant son chaste col blanc,

De sa couronne incarnadine,

Une à une, dévotement,

Elle ôte toutes les épines.

 

 

 

Le chat et la souris

 

Sur le gazon anglais, ondule

Des fillettes, la ronde rose,

Qui se meut dans le crépuscule

Comme une guirlande de roses.

 

Entre les arcs grêles et souples

Que les bras arrondis dessinent

Se faufile, adorable, un couple

A la grâce encore enfantine.

 

Hier, la candide Isabelle,

Essayait ses quinze ans, riante,

Ainsi qu'une robe nouvelle

Entre toutes la plus seyante.

 

Et le collégien imberbe,

Aussi blond que l'adolescence,

Fragile séducteur en herbe,

Vers sa partenaire s'élance.

 

Il est le chat, elle est, perverse,

La souris mutine et narquoise,

Qui connaît des ruses diverses;

Et sous les mains qui s'entrecroisent.

 

Elle se glisse, elle zigzague,

Et virevolte, et s'insinue,

Et, dans le cercle qui la bague

Triomphe sa gloire ingénue.

 

Mais, au ruban d'une espadrille,

La souris légère trébuche,

La guirlande de jeunes filles

Bourdonne alors comme une ruche,

 

Car l'adolescent aux yeux tendres

Pareils à de jeunes glycines,

En ses bras gauches vient de prendre

Une taille flexible et fine,

 

Et sa bouche, encore discrète,

Au niveau de la nuque brune,

Se pose, palpite, s'arrête,

Pour un baiser au clair de lune.

 

 

 

Le jeu de grâces

 

Lucinde vous souvenez-vous

De l'époque si peu lointaine,

Où, pour mieux railler le courroux,

Du vieux faune de la fontaine.

 

Dégageant votre clair bras nu

D'un geste plein de jeune grâce,

Vous coiffâtes son chef cornu

Du cercle d'or du jeu de grâces?

 

 

 

Le volant

 

Ton volant trace, Bérénice,

Sa trajectoire dans l'azur,

Cerclant la lune, son vol pur,

Avec le météore glisse.

 

N'est-ce qui prit son duvet blanc

A la colombe, ô jouvencelle,

Ton rêve qui se pare d'ailes

Pour illustrer le firmament?

 

 

 

Cache-mouchoir

 

Où donc courez-vous, Rosemonde?

Ici c'est l'hiver et la glace,

Nul espoir sur cette terrasse

Où pourtant les lilas abondent.

 

Laissez en paix cette verveine,

Ma soeur, vous le répèterai-je,

Ici c'est encore la neige

Et vos recherches seraient vaines.

 

Et Rosemonde aux mains émues.

Caressant les fleurs au passage,

S'égare au coeur vert des boccages

Où s'érigent des nymphes nues.

 

Elle s'attarde près du cygne

Et de Léda songeuse et blanche,

Cependant qu'à travers les branches

Un petit Eros lui fait signe.

 

Le printemps revient, Rosemonde,

Aurons-nous l'été tout-à-l'heure?

Mais craintive, l'enfant demeure

Près d'une vénus chaste et blonde.

 

Puis, elle fait un pas, recule,

Avance encore, et se hasarde,

Les roses de l'émoi la fardent,

Car son amie a dit: tu brûles.

 

Et vers l'idole défendue

Par la maman sage et prudente,

La charmante fille éperdue

Etend une main réticente.

 

Car, dans le creux léger d'une aile,

Candide comme l'est l'enfance,

Sa soeur cacha, - quelle imprudence, -

Le petit mouchoir de dentelles.

 

 

 

La bulle de savon

 

Laisse, intolérante Arabelle,

La bulle suivre son destin.

Elle ne quitte la tonnelle

Que pour mourir dans le jardin.

 

Ne la prends pas entre tes paumes,

Pour elle le temps est si court

De jouir de tous les arômes

Et d'être le miroir du jour.

 

Mais, si tu la suis en silence,

Le long des rosiers blancs du clos,

Tu commenteras l'imprudence

De baiser les lèvres d'Eros.

 

La bulle légère étant morte,

Tu songeras à la leçon,

A moins que tu n'ouvres ta porte

Plus grande à ce vilain garçon.

 

 

 

Le jeu du bouquet

 

Alice vous serez le lis,

Ghislaine sera la glycine

Et Maryse l'amaryllis:

Et pour nouer la gerbe fine,

 

Petite Rose aux yeux baissés,

Vous serez cette faveur blanche

Qui, sur les blonds cheveux tressés,

Flotte les matins du Dimanche.

 

Et l'Ephèbe aux yeux ingénus,

Cueillant les fleurs l'une après l'une,

Mettra les lis sur les pieds nus

Des danseuses des clairs de lune.

 

La glycine au léger balcon

De sa chambre de clair de poète,

L'amaryllis sur le gazon

Parmi du beau printemps en fête.

 

Et, se doutant bien de la chose,

Devant votre tendre rougeur,

La faveur, ô petite Rose,

Il la placera sur son coeur.

 

 

 

Le jeu du portrait

 

- Il ou Elle? La douce Armelle

Avec un battement de cils

Et l'émoi clair des tourterelles,

Rougissant un peu répond: Il

 

- Est-il brun ou blond, Bérangère?

Et Bérangère aux grands yeux longs,

D'une voix que feutre un mystère,

Laconique, murmure: Blond.

 

- Savez-vous son âge, Cécile?

Et Cécile d'un ton chantant,

Epelle celui de l'idylle,

La saison verte du printemps.

 

Est-il grand ou petit, Aurore?

- Aussi svelte qu'un jeune pin,

Il a la grâce d'une amphore

Et la souplesse d'un jasmin.

 

- L'aimes-tu? - Je ne puis le dire,

La couleur de ses yeux? - Clarté,

Si l'azur n'existait, Elvire,

Je crois qu'il l'aurait inventé.

 

Couronne de roses d'épines,

Haillons sordides, ou velours?

Alors, Elvire qui devine

De roses d'or coiffe l'Amour.

 

 

 

Le goûter

 

Rouges corbeilles de groseilles

Et mauves paniers de framboises

Qu'effleurent des ailes d'abeilles

Dont les vols dorés s'entrecroisent.

 

Croquignoles et confitures,

Beignets soufflés, blondes brioches,

Et sur tout cela, le murmure

Caressant les aristoloches.

 

Sirop d'orgeat, bonbons et glaces,

Crèmes et tartes à la fraise,

O goûters, fins chefs-d'oeuvre, grâces

Des seules provinces françaises.

 

Vous conviez sous les tonnelles

Des adolescentes exquises,

Qui, sous les collets de dentelles

Tordent des colliers de cerises.

 

Elles ont des robes légères,

A pois bleus ou bien à fleurs roses,

Et sur leurs chapeaux de bergères

Saigne la pourpre d'une rose.

 

Et parce qu'elles sont très pures

Comme les choses angéliques,

Leur rire, vierge de fêlures,

Evoque de blanches musiques.

 

 

 


 

 

 

 

 



11/06/2013
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 165 autres membres