Angliviel (Doëtte) ou Odette Mathilde Fourgassié (1898-1948)
Doëtte Angliviel
Jeux au jardin
aux éditions de l'Archer, Toulouse, 1929
Pour Henry Muchart
Liminaire
Sur la terrasse, au bord du fleuve nonchalant
Où se mirait la belle Paule,
Dire vos coudes nus et vos yeux purs d'enfants
Et la neige de vos épaules?
Dire vos jeux parmi les tournesols ouverts,
Ainsi que vos danses habiles,
Le kimono pervenche ou le boléro vert
Et les bonds de vos pieds dociles.
Dire la bulle de savon qui s'échappe
Du frêle chalumeau de paille,
L'écharpe où luisent les pompons d'un mimosa.
Le papillon pris dans les mailles.
Et dire aussi, pour parfumer nos souvenirs,
Les revers joyeux de raquettes
Lançant des roses aux comètes, les plaisirs
Du voyage en escarpolette.
Rêves cueillis au clair des étoiles, retour
Au milieu des massifs d'alises,
tandis que, de l'étang, un jeune enfant Amour
Vous sourit narquois et complice,
Et que, pour mieux bercer vos coeurs adolescents,
Douce, et si féline ronronne,
Autour du jardin clos fleuri de rosiers blancs
L'âme chère de la Garonne.
Trinité
Girandoles au front des faunes,
Guirlandes d'azur dans les mains
Des amours graciles qui trônent
Sur le velours des boulingrins.
Frêles bracelets de pervenches.
Bleus anneaux de myosotis
Aux pieds nus d'une nymphe blanche
Immobile parmi les lis.
O fête éternelle et sereine
D'une adorable Trinité.
Présence exquise et souveraine
De beauté, de Joie et d'Eté.
Jeux
Sveltesse de ces jeunes filles,
Du printemps au coeur de l'automne.
Un frisson d'avril dont s'étonne
Le roux émoi de la charmille.
Echo des jeux... rires sonores...
Chat perché? Croquet? Danses? Rondes?...
Au vent flottent des boucles blondes
Et des volants couleur d'aurore.
Et les roses, l'une après l'une,
Se flétrissent, meurent, s'effeuillent,
Cependant qu'un nuage endeuille
Déjà le croissant de la lune.
Et sur ce paysage grave
Qui nous précise un hiver proche
Ces fillettes en robe-cloche
Plus encor que des fleurs suaves
Déroulent une farandole
Onduleuse, molle, légère,
Où s'abolit cette heure amère
Dans des ambiances frivoles.
La jongleuse
Défaite de cette Vénus
Dont le marbre antique proteste,
Voici qu'un clair de lune atteste
Le triomphe de deux bras nus.
Nulle tige molle ne trace
Ces arcs de bracile beauté,
Nul lis n'a cette pureté,
Nul ivoire n'a cette grâce.
Jongleuse pensive, une enfant
D'un geste aux nobles alternances,
Lance des roses au silence
Harmonieux du firmament.
Jeune fille
Le jardin fait la confidence
De vos quinze ans aux lis heureux,
La ferveur même du silence
Est un hommage à vos yeux bleus.
Ni la Vénus de la terrasse,
Ni la Nymphe des claires eaux,
Ne peuvent à vos fraîches grâces
Comparer leurs charmes rivaux.
Le faune à la barbe de roses
Nose risquer son rire amer,
Quand votre main pure se pose
Sur son socle de marbre vert.
L'Amour dont nul sermon n'empêche
Le geste par trop libertin,
Sous vos regards cache la flèche
Qu'il destinait au coeur mutin.
La belle amante qui grapille
Le rouge baiser savoureux
Quand vous passez sous la charmille
Rougit et détourne les yeux...
Car, vous êtes la jeune fille.
Le croquet
Un petit jardin de province,
Delphiniums et dalhias;
Et des jeunes filles très minces
Comme la mode l'exigea.
On est au temps roux des arbouses,
Et des romantiques décors,
Le croquet luit sur la pelouse
Où se meurent des feuilles d'or.
Heurt mât des boules qui se choquent,
Rires des blonds petits cousins
Trop impitoyables qui croquent
Et roquent en un tour de main.
Dreling... La clochette argentine
Nous avertit subtilement
Que la divine Valentine
Passe la cloche en ce moment.
Ne savons-nous pas que la guette
Un brun potache discourtois,
Ignorant encor quelle fête
Peut offrir un calme minois?
Mais que se passe-t-il? Vaincue,
Valentine pleure tout bas,
Et contre son épaule nue,
Loin d'un père qui ne voit pas,
Le potache qu'un remords brûle,
Pose une bouche de velours
Où glisse par ce crépuscule
Le premier frisson de l'Amour.
Les statues
Jeux divins au clair de lune!
Chacune danse et vire, grise,
Puis, en une pose opportune,
Se donne au baiser de la brise.
L'une a des gestes de Victoire
Dédiant ses seins à l'espace,
L'autre enlace d'un bras d'ivoire
Le balustre de la terrasse.
Laissant flotter sa chevelure
Si longue au fil de l'eau fuyante
La troisième dans sa ceinture
Tord de vertes touffes de menthes.
Et la plus jeune, la plus belle,
Svelte et blonde comme une abeille,
Semble appeler des tourterelles
Dans ses bras ouverts en corbeilles.
Et l'eau tranquille, bleue et calme,
Poète émerveillée dévoile,
Entre deux battements de palmes
Leurs gestes tendres aux étoiles.
La marelle
Il sied de reprendre, Gisèle,
Puisque l'Avril est revenu,
Le jeu dansant de la marelle
Triomphe de vos pieds menus.
Par ce bleu matin qui rayonne,
Nous irons, si cela vous plaît,
Sur le sable de la Garonne,
Choisir le plus rose galet.
Puis, sur les blanches mosaïques,
Du bout léger de nos fusains,
Nous tracerons le symétrique
Et réglementaire dessin.
Cependant que de dalle en dalle,
Vous ferez le tour convenu,
La chute de votre sandale
Révèlera votre pied nu.
Mais d'un geste qui le dérobe,
Rougissante de ce dessein,
Vous cacherez sous votre robe
Son modelé trop enfantin.
Pigeon vole
Sous la tonnelle qui frissonne au soleil rose
Elles sont quatre filles folles,
Laure avec Isabelle, et Luce, et Mary-Rose,
Qui jouent à pigeon vole.
Colombes, colibris, coucous et tourterelles,
Oiseaux de paradis, autruches,
Fauvettes, roitelets, merles et hirondelles
Ibis, spatules et perruches.
Et les doigts chastes vers le ciel du printemps grave
Pointent, ainsi de frêles cierges,
L'air sent bon la douceur des glycines suaves
Et l'haleine pure des vierges.
Mais dans le jeu qui vient du temps de nos grand'mères,
L'Amour lance d'habiles flèches,
Effleurant de leurs pointes d'or les nuques claires,
Duveteuses comme des pêches.
Et Laure, et Mary-Rose, et Luce, et Isabelle
S'entre-regardent et s'effarent,
Et puis, sous le feuillage frais de la tonnelle,
Au caprice des mots leurs blancs propos s'égarent.
Les gages
Lucinde aux yeux de fleurs, Armelle au col de cygne,
Qui fautèrent à pigeon-vole,
S'apprètent à se rendre au devoir que désigne
Un destin qui paraît frivole.
Le bel enfant qui signe un éphébat gracile
Paraît sur la terrasse rose,
Et tend d'un geste adorablement malhabile
Sa joue au goût sucré de rose.
Lucinde y met sa bouche en coeur de vierge sage,
Et puis, cache sous son ombrelle,
D'un réflexe dicté par un décent usage,
Une rougeur de jouvencelle.
Mais le dieu qui sourit sur la pelouse verte
Parmi les sauges de l'automne,
D'Armelle ose guider les lèvres inexpertes
Vers un nouveau baiser dont son émoi s'étonne.
Les ricochets
Quinze ou seize ans, sarraut de toile,
Catogan d'or sur un col pur,
Au ciel il n'est pas une étoile
Qui vaille ce regard d'azur.
Elle naquit aux heures blanches
Qui précèdent la Fête-Dieu,
Sa mère l'appela Pervenche
A cause du bleu de ses yeux.
Et, chaque jour, vers la rivière,
Elle vient d'un pas nonchalant,
Lancer l'harmonieuse pierre
Du ricochet rebondissant.
Onduleuse et rose couleuvre,
Son bras fait un arc sur le ciel,
Elle sourit d'être un chef-d'oeuvre
Si purement matériel.
Puis, quand sur les joncs du rivage,
Frissonnent les brumes du soir,
Elle baise sa blonde image
Sur l'eau lisse comme un miroir.
Colin-Maillard
Les doigts qui nouèrent, frivoles,
Ce léger bandeau sur vos yeux,
Ignoraient-ils, ô fille folle,
Les dangers charmants de ce jeu?
Casse-cou. derrière les roses
Où s'égrène un jet d'eau d'argent
Un petit dieu de marbre rose
Guette vos pas adolescents.
Mais déjà, l'étrange surprise,
Vous heurtez son corps gracieux
Et plus rouge qu'une cerise
Ne sachant défaire les noeuds
Qu sur votre nuque fragile
Vos soeurs serrèrent en riant,
Vous sentez le goût de l'idylle
Monter à votre coeur d'enfant.
Greli-grelot
Greli, grelot... Vous souvient-il, Lucile,
De ce passé plein de douceur,
Où, blonde, vous jouiez, sur le bord de l'idylle,
A l'heure des lilas en fleurs?
Greli, greli, grelot... De petits cailloux roses,
Pêchés par vous au fond des eaux,
Se blottissaient au creux nacré de vos mains closes,
Pépiant comme des oiseaux.
Greli, greli, grelot... Vos deux poings en cadence,
Frappaient contre vos genoux ronds.
Autour de votre front, voltigeait une danse
Vaporeuse de papillons.
Greli, greli, grelot... D'un merle les arpèges
Emerveillaient tous les échos.
Greli, greli, grelot... - Petit Jean, combien ai-je
De pierrettes dans mon sabot? -
Petit Jean qui suivait le jeu d'une fossette,
Tout près de votre coude, là
Où le volant plissé de la manche s'arrête,
Pris au dépourvu se troubla.
Au hasard, il compta les lettres de Lucile,
Et son compte fut celui-là.
Vous souvient-il, le beau printemps sentait l'idylle
Et c'était l'heure des lilas.
Greli, greli, grelot... Vides étaient vos poches
Du beau lot de galets rosés,
Cachant votre pudeur sous le grand chapeau cloche.
Vous le payâtes d'un baiser.
Un merle rit, alors, dans l'arbre le plus proche.
La chasse au papillon
Voici déjà le clair de lune,
L'heure des rêves aux balcons.
Mais vous portez une fortune,
Fillette, en votre filet blond.
Un papillon!... Point ne fut vaine
La chasse de l'après-midi
Parmi d'odorantes haleines
Où son caprice le perdit.
Ou de l'avoir, de rose en rose,
Ainsi poursuivi jusqu'au soir,
Vous êtes d'un rose si rose
Qu'il encante votre miroir.
Le captif de son aile blonde
Effleure en battements pressés,
La pourpre de vos lèvres rondes
Et le bout de vos cils baissés.
Il est en vos mains, Arabelle,
Adorable comme une fleur...
Hélas! vous l'épinglez, cruelle,
A votre écharpe, près du coeur.
L'escarpolette
Au ciel tu mords à pleine bouche,
- O jeu clair de l'escarpolette -
Et la pointe de ta babouche
Perce le coeur d'une comète.
Dans ta gorge de l'azur coule,
Et d'azur tu te gargarises
Cependant qu'à ton cou s'enroule
La douceur moite de la brise.
Tes deux jambes fraîches et nues
Montent vers l'étoile polaire,
Cueillir, au milieu de la nue,
Le lis des rêves légendaires.
Aux volants de ta robe verte
Des rayons de lune cascadent,
Et sur ta casaque entr'ouverte
S'égrène toute une pléiade.
A tes poignets de jeune fille,
Parure exquise et fabuleuse,
Se referme, qui tremble et brille,
Le blanc anneau des nébuleuses.
Pour ta chevelure d'aurore
Sais-je de plus purs diadèmes
Que ceux, légers, des météores
Que cette nuit de printemps sème?
Jeune fille à la claire joie,
Tes ongles aigüs qui déchirent
Tant de lumière et tant de soie
Sont les seuls dignes de la lyre.
A toi seule la grâce insigne
D'atteindre à la fin de la course,
Le beau lac où glissent le Cygne,
Le Chariot et la Grande Ourse.
L'homme pâli par les études
Et qui perd son temps en querelles,
Fillette, crois-tu qu'il élude
Mieux que toi le rêve des ailes?
Oh! ne désire et ne regrette,
Ni ses avions, ni ses voiles,
Car seule ton escarpolette
Peut conduire dans les étoiles.
Le furet
Il court, il court, sous vos bagues,
Mélancoliques Phyllis,
Couleur de vos rêves vagues,
Le Furet du Bois joli.
Il court autour de vos âmes,
Ne resserrez point vos doigts:
Il est dangereux, Mesdames,
Le souple Furet du Roi.
Il court, - voici qu'il repasse,
Chères, laissez-le partir,
Le coeur si vite se casse
A le vouloir retenir.
Et sous vos ongles que farde
Le reflet d'or du couchant
N'admettez pas que s'attarde
Le Furet du Bois charmant.
Il court, il court, glisse et glisse,
Le cercle rose des mains
Ondule et suit son caprice
Comme celui du destin.
Et contre vos pures lèvres,
O belles aux noms de fleurs,
L'Amour met la rouge fièvre
De son baiser ravisseur.
Canotage
Sur la berge, des jeunes filles,
Ceintes d'écharpes illusoires,
Couleur d'aurore ou de jonquilles
Suivent le jeu des périssoires.
De leurs éventails de feuillages
Avec une feinte paresse,
Elles effleurent leurs visages,
Leurs boucles frêles et leurs tresses
Puis, elles promettent, très tendres
Avec des mines et des poses,
De laisser, au beau vainqueur, prendre
Un baiser sur leurs ongles roses.
Et les bacheliers aux yeux graves,
Qu'enivre encor l'adolescence,
Pour obtenir le prix suave
Se plaisent à des imprudences.
Cependant que de leur poitrine,
Une brise légère et fraîche,
S'amuse à découvrir, taquine,
La chair aux matités de pêche.
Jeux sur l'étang
Combien se soir là fut en fête,
L'eau lumineuse de l'étang,
Linette, Arlette et Marinette,
De refléter vos corps si blancs.
Et l'avez-vous entendu rire,
Quand, la frappant de vos pieds nus,
Vous vous livrâtes au délire
De vos clairs ébats ingénus?
Pures, plus pures que les cygnes,
Vous glissiez au milieu des fleurs,
Les étoiles vous faisaient signe
Comme à leurs trois petites soeurs.
Nul faune égaré sous les branches
Ne vint troubler vos cris heureux,
Et seule, caressa vos hanches,
La lune, en ses multiples jeux.
Tennis
Tennis. Carré de jeunes filles,
Cheveux enchantés de fleurs blanches,
Ruban d'azur des espadrilles,
Fichus de dentelles aux branches.
La balle rebondit, et, souple,
De Laure vole à Marjolaine,
Ou s'en va déranger un couple
De ramiers heureux, dans un chêne.
Maintes fois, erreur ou caprice,
- Qui le saurait mieux que ces filles? -
Elle choit, peut-être complice,
Au creux d'interdites charmilles.
Dans le jardin qu'un père sage
Fit clôturer d'un mur de roses,
Car, des faunes, sous ces feuillages,
Cultivent l'art d'étranges poses.
Ce n'est pas pour eux que les belles
Veulent franchir la palissade,
Et lancent la balle aux tonnelles
Pour motiver leur escalade...
Sachez que Luce ou bien Odile,
L'ira reprendre en les mains fraîches,
D'un éphèbe qui lit Virgile
En savourant de rondes pêches.
Cligne-Musette
Cligne-Musette. le printemps
Rit aux éclats dans les quinconces.
Et les jeunes filles, aux ronces,
Déchirent ruches et volants.
Clair émoi dans les labyrinthes,
Ebats légers dans les massifs,
Qui donc osa courber cet if,
Quel pied meurtrit cette jacinthe?
Angélique, aux regards plus verts
Que l'eau fuyante des fontaines,
Malgré l'épaisseur de ce chêne
On voit flotte vos rubans clairs.
Et nous déplorerons, Aline,
Ensemble, si vous voulez bien,
Que si blanche soit votre main
Parmi ces si mauves glycines.
Laure qui crûtes posséder
Le secret des bonnes cachettes,
Nous sècherons les larmes prêtes
Qu'un dépit va faire couler.
Mais, voyez-vous, petite fille,
Pour le pourchasseur printanier,
Il n'existe, sous les charmilles,
Point de barrières d'églantiers.
Et quand l'heure charmante sonne,
D'un joli rêve à peine osé,
Sans se défendre il faut qu'on donne,
Le gage divin du baiser.
Le cerceau
Rebondis sous les lilas blancs,
Et les troènes, mais redoute,
De conduire ce bel enfant
Vers l'inconnu de la grand'route.
Cerceau, suis les contours du clos,
Entre les iris polychromes,
Et les muguets aux fins grelots
Qui t'enchantent de leurs arômes.
Evite, au plus secret du parc,
Cette fontaine où se renverse
D'un Amour qui bande son arc,
L'image impudique et perverse.
Rondes
Faune, ne riez pas trop fort,
Laissez ces belles jeunes filles,
Danser dans une gloire d'or,
Sur la pelouse de jonquilles.
Gardez-vous d'approcher vos mains,
Indignes de caresses pures,
Des nuages légers et fins
De leurs fluides chevelures.
Leurs bouches n'ont jamais mordu
Dans le fruit salé de la faute,
Autour du jardin défendu,
Innocente, leur ronde saute.
L'herbe est fraîche à leurs beaux genoux,
Leur ronde vient, va, se déroule,
Cachez-vous, faune, cachez-vous!
Vers vous le soleil les refoule.
Oh! respectez ces coeurs chantants
Que la blancheur des vierges drape!
Las! l'une a vu contre vos dents
Luire les rubis d'une grappe.
Les tresseuses de couronnes
Sur le seuil clair que le printemps
Orne de folles girandoles,
Le geste de leurs mains d'enfants
Est comme une aile qui s'envole.
De leurs doigts dansant et légers,
Elles tressent un vert feuillage
Pour parer, sous les orangers,
Le front d'un petit dieu volage.
Elles s'entretiennent tout bas
De rêves et d'amours secrètes.
Une seule ne parle pas,
Baissant ses yeux de violettes.
Et courbant son chaste col blanc,
De sa couronne incarnadine,
Une à une, dévotement,
Elle ôte toutes les épines.
Le chat et la souris
Sur le gazon anglais, ondule
Des fillettes, la ronde rose,
Qui se meut dans le crépuscule
Comme une guirlande de roses.
Entre les arcs grêles et souples
Que les bras arrondis dessinent
Se faufile, adorable, un couple
A la grâce encore enfantine.
Hier, la candide Isabelle,
Essayait ses quinze ans, riante,
Ainsi qu'une robe nouvelle
Entre toutes la plus seyante.
Et le collégien imberbe,
Aussi blond que l'adolescence,
Fragile séducteur en herbe,
Vers sa partenaire s'élance.
Il est le chat, elle est, perverse,
La souris mutine et narquoise,
Qui connaît des ruses diverses;
Et sous les mains qui s'entrecroisent.
Elle se glisse, elle zigzague,
Et virevolte, et s'insinue,
Et, dans le cercle qui la bague
Triomphe sa gloire ingénue.
Mais, au ruban d'une espadrille,
La souris légère trébuche,
La guirlande de jeunes filles
Bourdonne alors comme une ruche,
Car l'adolescent aux yeux tendres
Pareils à de jeunes glycines,
En ses bras gauches vient de prendre
Une taille flexible et fine,
Et sa bouche, encore discrète,
Au niveau de la nuque brune,
Se pose, palpite, s'arrête,
Pour un baiser au clair de lune.
Le jeu de grâces
Lucinde vous souvenez-vous
De l'époque si peu lointaine,
Où, pour mieux railler le courroux,
Du vieux faune de la fontaine.
Dégageant votre clair bras nu
D'un geste plein de jeune grâce,
Vous coiffâtes son chef cornu
Du cercle d'or du jeu de grâces?
Le volant
Ton volant trace, Bérénice,
Sa trajectoire dans l'azur,
Cerclant la lune, son vol pur,
Avec le météore glisse.
N'est-ce qui prit son duvet blanc
A la colombe, ô jouvencelle,
Ton rêve qui se pare d'ailes
Pour illustrer le firmament?
Cache-mouchoir
Où donc courez-vous, Rosemonde?
Ici c'est l'hiver et la glace,
Nul espoir sur cette terrasse
Où pourtant les lilas abondent.
Laissez en paix cette verveine,
Ma soeur, vous le répèterai-je,
Ici c'est encore la neige
Et vos recherches seraient vaines.
Et Rosemonde aux mains émues.
Caressant les fleurs au passage,
S'égare au coeur vert des boccages
Où s'érigent des nymphes nues.
Elle s'attarde près du cygne
Et de Léda songeuse et blanche,
Cependant qu'à travers les branches
Un petit Eros lui fait signe.
Le printemps revient, Rosemonde,
Aurons-nous l'été tout-à-l'heure?
Mais craintive, l'enfant demeure
Près d'une vénus chaste et blonde.
Puis, elle fait un pas, recule,
Avance encore, et se hasarde,
Les roses de l'émoi la fardent,
Car son amie a dit: tu brûles.
Et vers l'idole défendue
Par la maman sage et prudente,
La charmante fille éperdue
Etend une main réticente.
Car, dans le creux léger d'une aile,
Candide comme l'est l'enfance,
Sa soeur cacha, - quelle imprudence, -
Le petit mouchoir de dentelles.
La bulle de savon
Laisse, intolérante Arabelle,
La bulle suivre son destin.
Elle ne quitte la tonnelle
Que pour mourir dans le jardin.
Ne la prends pas entre tes paumes,
Pour elle le temps est si court
De jouir de tous les arômes
Et d'être le miroir du jour.
Mais, si tu la suis en silence,
Le long des rosiers blancs du clos,
Tu commenteras l'imprudence
De baiser les lèvres d'Eros.
La bulle légère étant morte,
Tu songeras à la leçon,
A moins que tu n'ouvres ta porte
Plus grande à ce vilain garçon.
Le jeu du bouquet
Alice vous serez le lis,
Ghislaine sera la glycine
Et Maryse l'amaryllis:
Et pour nouer la gerbe fine,
Petite Rose aux yeux baissés,
Vous serez cette faveur blanche
Qui, sur les blonds cheveux tressés,
Flotte les matins du Dimanche.
Et l'Ephèbe aux yeux ingénus,
Cueillant les fleurs l'une après l'une,
Mettra les lis sur les pieds nus
Des danseuses des clairs de lune.
La glycine au léger balcon
De sa chambre de clair de poète,
L'amaryllis sur le gazon
Parmi du beau printemps en fête.
Et, se doutant bien de la chose,
Devant votre tendre rougeur,
La faveur, ô petite Rose,
Il la placera sur son coeur.
Le jeu du portrait
- Il ou Elle? La douce Armelle
Avec un battement de cils
Et l'émoi clair des tourterelles,
Rougissant un peu répond: Il
- Est-il brun ou blond, Bérangère?
Et Bérangère aux grands yeux longs,
D'une voix que feutre un mystère,
Laconique, murmure: Blond.
- Savez-vous son âge, Cécile?
Et Cécile d'un ton chantant,
Epelle celui de l'idylle,
La saison verte du printemps.
Est-il grand ou petit, Aurore?
- Aussi svelte qu'un jeune pin,
Il a la grâce d'une amphore
Et la souplesse d'un jasmin.
- L'aimes-tu? - Je ne puis le dire,
La couleur de ses yeux? - Clarté,
Si l'azur n'existait, Elvire,
Je crois qu'il l'aurait inventé.
Couronne de roses d'épines,
Haillons sordides, ou velours?
Alors, Elvire qui devine
De roses d'or coiffe l'Amour.
Le goûter
Rouges corbeilles de groseilles
Et mauves paniers de framboises
Qu'effleurent des ailes d'abeilles
Dont les vols dorés s'entrecroisent.
Croquignoles et confitures,
Beignets soufflés, blondes brioches,
Et sur tout cela, le murmure
Caressant les aristoloches.
Sirop d'orgeat, bonbons et glaces,
Crèmes et tartes à la fraise,
O goûters, fins chefs-d'oeuvre, grâces
Des seules provinces françaises.
Vous conviez sous les tonnelles
Des adolescentes exquises,
Qui, sous les collets de dentelles
Tordent des colliers de cerises.
Elles ont des robes légères,
A pois bleus ou bien à fleurs roses,
Et sur leurs chapeaux de bergères
Saigne la pourpre d'une rose.
Et parce qu'elles sont très pures
Comme les choses angéliques,
Leur rire, vierge de fêlures,
Evoque de blanches musiques.
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