Arbey (Louise) 1ère moitié du 19ème siècle
Louise Arbey
(Madame Louise de Lafaye)
1ère moitié du 19ème siècle
Almanach des Muses, 1833 : Une nuit de novembre
Les Créoles (1847)
Les poèmes de Louise Arbey (créole elle-même?) sont parfois maladroits, mais ils sont loin d'être mièvres. Dans le 1er poème, intitulé "La Pensée", elle invite toutes femmes à cultiver intérieurement cet esprit de liberté qu'elle ne peuvent mettre en oeuvre dans la vie réelle. Dans le second, c'est la maman créole qui préfère mourir avec son enfant de sept ans plutôt que de le voir acheté par quelque négrier. Je laisse le lecteur découvrir la charge critique du 3ème texte. On aura compris qu'au-delà de l'exotisme romantique, il y a l'engagement d'une femme qui ne se résigne pas, et qui tranche avec beaucoup de ses contemporaines.
Le monde d'Anaïs Ségalas revisité par le tempérament de feu de Daniel Stern!
La Pensée
Oh! la pensée au moins, oh! gardons la pensée
Aussi libre que Dieu dans nos coeurs l'a placée!
Les hommes n'ont pas pu, l'écrasant de leurs lois,
La tenir enfermée en des langes étroits!
La pensée, ô bonheur! seul trésor de l'esclave,
Gardons-la! loin d'y mettre une entrave
Par nos scrupules vains, laissons la folle errer
Dans le monde enchanté qu'elle a su se créer!
Oui, pour braver ce monde injuste qui nous plie
Comme la bise courbe une frêle ancolie,
Oui, laissons la pensée, auprès de Dieu, planant
Sur les hommes, leurs lois, contempler leur néant.
Nous, femmes, qu'avons-nous? L'arbre de la science
Fleurit haut! Qhand nos bras, forts de notre espérance,
Ont pu saisir enfin quelques rameaux, hélas!
Chacun nous fuit soudain, et rit de nous tout bas.
La pauvre femme amie, ah! vois comme on la blame
Quand ses vers gracieux ont reflété son âme,
Ou que, quelque tableau séduisant et parfait,
De son coeur plein d'amour, a trahi le secret!
La pauvre femme, hélas! en ce monde frivole,
Qu'elle soit allemande, ou française, ou créole,
A sa route tracée, et tout comme en un bal,
Elle se doit cacher sous un masque banal!
Et ce monde jaloux, ce monde qui la veille,
En la voyant alors à toute autre pareille,
Applaudit, sans savoir si ce déguisement,
Imposé par ses lois, la gêne seulement!
Ne faut-il pas qu'un front candide et tout novice
Désapprenne à rougir? que par quelque artifice
On cache à tous les yeux la pure émotion,
Qu'en son coeur quelquefois fait naître un simple nom?
Et ces désirs brûlants de dangers et de gloire,
Et ces voeux de rouler avec la vague noire,
D'entendre autour de soi mugir un ouragan,
De guider un vaisseau sur le vaste océan:
Ces cris, ces transports, cette subite flamme,
Qu'un chant patriotique éveille dans notre âme,
Et lorsque tristement on coud, près du foyer,
Du front d'un grand poète enviant le laurier.
Ah! Laissons tout cela! nous oublions nos rôles,
Nous femmes, rêver gloire! oh! l'on nous croirait folles!
Mais il n'en saura rien, ce monde au coeur jaloux,
De nos rêves de gloire ou d'un songe plus doux!
Un songe, où tout en pleurs et la tête penchée,
En respirant encor quelque fleur desséchée,
Nous croyons voir des traits, des sites bien-aimés,
Apparaître au milieu des débris parfumés...
Oh! la pensée, au moins! oh! gardons la pensée,
C'est par elle que vit dans notre âme oppressée,
Quelque beau jour éteint, la voix qui consola,
Le regard d'un ami; gardons-la, gardons-la,
Aussi libre que Dieu dans nos coeurs l'a placée!
La mère créole préfère mourir avec son enfant de sept ans plutôt que de le voir acheté par quelque négrier. (Fin du poème)
La négresse
Femme blanche, oh! de vous comment pouvais-je attendre
Quelque pîtié pour nous! Votre sort est si doux!
favorites du ciel! vos fils seront à vous,
Et vous n'aurez jamais, dans leurs enchaînée,
Baisant leurs blonds cheveux, maudit leur destinée,
Oh! vous ne craindrez pas, vous, qu'un maître brutal,
Sur leur corps frémissant lève son fouet fatal!
Vous ne les verrez pas, oh! comble de misère!
Plaintifs et tout pleurants, arrachés à leur mère!...
De l'or! mon dieu, de l'or, pour racheter mon fils!
Mais où trouver de l'or?..... Mon fils? Oh! les maudits
Peut-être en donneront!..... Paul, dis-moi? suis-je belle?
Qu'as-tu maman?.... j'ai peur!! Ah je suis bien cruelle
N'est-ce pas?..... Non, pour toi mon fils, je ne puis rien,
La mort....ta mère est folle, enfant, tu le vois bien.
Ne pleure pas, mon fils, de ta bouche innocente,
"Maman, pourquoi si fort me serrer dans tes bras?
Ne dis rien, ne dis rien, tu ne souffriras pas!.....
Mon fils! mon fils si beau! mon orgueil et ma joie,
Oh! laisse-moi baiser ta paupière de soie,
Tes yeux bleus languissants et doux comme les siens,
Ton pauvre père!... ô Paul! reste dans mes bras, viens!"
Claire alors, du sommet de son rocher humide
Promena sur les flots un long regard stupide,
Puis la mer en grondant reçut deux corps pesants;
Ce jour-là Paul avait sept ans.
Le monologue intérieur de la novice , en s'autorisant d'ailleurs du Christ lui-même "qui lit dans nos coeurs", démasque derrière l'exaltation mystique un bouillonnement sensuel très humain, et derrière la silhouette divine du Sauveur , un beau jeune homme blond: "Mon regard qui vous souille voit un autre que vous!" Comparer ce poème avec le chapitre de "Madame Bovary" évoquant la crise religieuse d'une femme frustrée dans sa sexualité. Mais le poème de Louise Arbey précède de 10 ans le texte de Flaubert. Il était plus facile de dénoncer les mensonges de la religion en 1857 qu'en 1847...
La novice
Oh! quel bonheur étrange,
Bien plus doux à mon coeur
Que le regard d'un ange
Ou le pain du Seigneur!
.................................
Fils du Dieu qui pardonne,
Toi qui lis en nos coeurs,
Regarde, à ma couronne,
Il manque bien des fleurs!
Je n'ai plus, ô mon maître,
Espérance ni foi,
Et tes traits seuls font naître
Une prière en moi!
Jamais mon coeur n'achève
Cette prière, hélas!
Et même dans mon rêve,
Ma voix ne la dit pas!
Car si je m'agenouille
A vos sacrés genoux,
Mon regard qui vous souille
Voit un autre que vous!
Seigneur, pour me séduire,
Il a pris tous tes traits
Et ses yeux bleus font luire
Ton regard de paix.
Sa chevelure blonde,
Comme la tienne aussi,
de se flots d'or inonde
Un col qui penche ainsi.
Son front candide et lisse
Semble rêver le ciel;
On voit que du calice,
Il n'a bu que le miel!
Et c'est lui que j'implore
Quand je veux te prier,
Et c'est lui que j'adore
Quand je veux seul t'aimer!
Mon coeur, Dieu que j'offense!
Par cet amour humain
Trouve plus de constance
Que pour l'amour divin!
Rien ne peut le distraire
De son rêve charmant,
L'église solitaire
M'attire vainement.
Je m'assieds en silence,
Je baise les parvis,
Une image s'élance
A mes regards ravis!
Le soir, quand l'orgue chante
Ses doux et tristes chants,
Quand l'église vibrante
Se parfume d'encens:
Une indicible joie
Se répand dans mon coeur,
Autour de moi tournoie
Et la voûte et le cheour.
Des images frappantes
Frappent mes yeux charmés,
Les saints et les archanges
Se sont tous animés!
Ils tournent, et leur ronde
Me clâment sans détour,
"Rien n'est si doux au monde
Que l'amour! que l'amour..."
"Donne vite, ô ma chère,
Pour un de ses souris,
Au vainqueur de laterre
Ta part de paradis!!"
Et mon âme interdite
A ces étranges voeux,
Comme déjà maudite,
Brûle de mille feux!
Par ta puissance efface
O Dieu de charité,
Celui qui tient ta place
Dans mon coeur révolté!
Quelle douleur étrange,
Plus amère à mon coeur
Que la chute d'un ange,
Ou la mort du Seigneur!
Désirs
Mon coeur indépendant s'ennuie en ma prison,
Je veux aller courir la savane et les mornes,
Je veux un horizon sans nuages, sans bornes,
Je veux l'air de la mer qui, comme un doux poison,
Vous brûle au fond du coeur et sur la même rive
Vous fixe tout un jour enivrée et pensive!
Je veux, le front levé vers un ciel sans rival,
Recevoir les baisers de ce soleil qui tue!
De mes yeux éblouis suivre l'ardente nue,
Ombrageant comme un dais le rivage natal,
Et que les hauts palmiers, colonnades vivantes,
paraissent balancer sur leurs cîmes tremblantes!
Je veux mes noirs rochers, sur les flots suspendus
Avec leurs frais gazons de lianes sauvages!
Je veux le sable chaud qui couvre nos rivages
Et les sentiers douteux à chaque instant perdus;
Et je veux, appuyée à l'arbre qui chancelle,
Ecouter dans les bois gémir la tourterelle!
Ou regarder passer, spectacle merveilleux,
Un navire rapide avec sa voile blanche
Et ses cordages noirs, qui se dessine et tranche
Sur le vert du rivage ou le ciel radieux;
Mon âme avec mes yeux le suivent dans sa route,
Mon coeur est tout troublé, je me tais et j'écoute!...
Un navire! O mon Dieu, tu dois être jaloux;
Car l'homme en le faisant sur créer un chef-d'oeuvre
Aussi beau que les tiens et compléter ton oeuvre!
Le ciel a ses flambeaux étincelants et doux.
Homme! laisse éclater tes orgueilleux sourires,
La terre a des palmiers, la mer a des navires!
L'accent natal
(A Mme Zélie V...)
Jeune femme, parlez, oh! parlez, que j'entende
L'accent de mon pays;
Parlez, parlez encor, que votre voix me rende
Tout ce que je chéris!
Redites tous les mots qui frappaient mon oreille
Durant mes premiers jours;
Oh! c'est une harmonie à ulle autre pareille,
Parlez, parlez toujours!
Dites, au champ d'Arbaud, quand le soleil se couche,
Le joyeux bamboula,
Rappelle-t-il le nègre à la mine farouche
Comme quand j'étais là?
Le galion encor sous la fraîche verdure,
De ses pois odorants
Cache-t-il aux regards son onde qui murmure
Sur ses beaux sables blancs?
Existe-t-il encor près de la grande route,
Sous un épais lilas,
Une maison? Parlez, tout mon coeur vous écoute,
Mais, répondez tout bas.
Ma soeur, à son aspect, sembla-t-elle pensive?
En revoyant ces lieux;
Avez-vous vu briller, solitaire et craintive,
Une larme en ses yeux?
Tout est doux souvenirs en ces lieux pour mon âme;
Dans le calme des nuits,
Des sifflements du vent qui tourmentait la lame,
Oh! que j'aimais les bruits!
Puis la voix du marin attardé sur la rive
Appelant son canot,
Qui s'élevait dans l'air éclatante et plaintive
Et s'éteignait bientôt.
Votre coeur, jeune femme, en ce moment palpite
A l'unisson du mien:
L'amour de la patrie, ah! comme il unit vite
Et du plus doux lien!
Eh bien! Revoyons-la cette patrie aimée!
Qui nous retient ici!
Peut-être un fol espoir... Une vaine fumée!...
Peut-être un coeur ami?
Mais, hélas! jeune femme, en ce pays de France,
On sait vite oublier!
Les coeurs les plus unis, quelques jours, et l'absence
Saura les délier!
Le séjour de Paris rend ses enfants frivoles
Et leur coeur s'y distrait;
A nous les souvenirs, à nous pauvres créoles
Les pleurs, le long regret!
Il n'est, hélas! ici nulle âme qui réponde
A nos voeux exigeants;
Retournons au pays, dans notre nouveau monde,
Les coeurs sont moins changeants!
Et là, si quelque jour nous songeons, le coeur triste,
A ce brillant Paris,
Disons-nous: j'y pleurais, et le bonheur n'existe
Qu'auprès de vrais amis!
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