Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Picard (Hélène): Au mauvais garçon

Hélène Picard

 

Au Mauvais Garçon



Parfois, garçon, pour m'attendrir,
Je pense en parcourant ce livre,
Que j'étais malade à mourir
Quand j'évoquai ton mal de vivre.

Bientôt je ne vis plus que toi
Dans ma souffrance solitaire
Et de mon âme en désarroi
Naissait un vers involontaire.

Oh ! ce besoin si doux, si fort,
Dans les désespoirs unanimes,
De réciter même à la mort
Le rosaire enchanté des rimes !

Mais dans ma sombre affliction
Destinée aux plus purs miracles
Ce fut l'étrange invasion
Soudain de tes pires spectacles.

Certes, j'aurais pensé à Dieu
Qui se doit à mon épitaphe
Si je n'eusse été au milieu
Des bars peuplés d'un phonographe...

( ... )

Lorsque le temps est rose un peu,
N'aurai-je plus sur ma figure
Le soufflet vert,le soufflet bleu
D'une belle cravate impure ?

Ne verrai-je plus le melon
Chez la repasseuse gourmande
Et dans les bars l'accordéon
Déployer sa sourde guirlande ?

Là tes regards durs et dorés
Ne me feront-ils plus d'aumônes
Quand des filles,les reins cambrés,
Descendent des affiches jaunes ?

Ne surprendrai-je plus les jeux
De tes coupables rêveries
Dès que l'alcool met dans leurs yeux
Pour quatre francs de pierreries ?

Ne sentirai-je plus l'odeur
De ta cigarette méchante
Mais moins âcre que ta candeur
Et sans doute moins décevante ?

Devrai-je oublier la fraîcheur
De ta gorge si pécheresse,
Toi qui fus ma bête et ma fleur
Et la jungle de mes caresses ?

N'irai-je plus sur les fortifs
Cueillir la pâquerette en peine
Et boire dans tes mots plaintifs
L'absinthe pauvre de Verlaine ?

Je parlais à leur beau patron
Tout en saluant d'une plainte
Le vert,le léger liseron
Qu'offre à ses poètes l'absinthe.

 

Parfois je pleurais.Mais le soir
Quand j'allais faire ma prière
Vers tes obsédés du trottoir
Descendait mon Ange sévère.

Alors,mes délires,sais-tu
Ce qu'ils furent près de ma tombe ?
Ton innocent trop rebattu,
Ta prisonnière et sa colombe,

Entre l'oeillet et le vermout,
Un éventail de bois groseille,
Les gigues rouges d'un atout
Autour d'une lourde bouteille,

Les harengs frits, L'Ami Victor ,
Les fleurettes de la banlieue,
Et Mademoiselle la Mort
Peinte,pompeuse,en robe bleue...

Fatigue,ardeur de mon cerveau,
Lâcheté ou douleur d'un monde ?
Que me voulaient l'as de carreau,
Saint Lazare et sa fille blonde ?

Le tir plein de dames de coeur,
D'oeufs dorés,de clowns,de peluches ?
Dans une maison de langueur
Les sourcils bleus d'une perruche ?

Le petit manège,bazar
D'airs démodés,de perles jaunes,
Et ton céleste boulevard,
Et ceux des suaves patronnes :

Sainte Mireille, Sainte Irma ?


Mon Dieu ! leur robe cramoisie
Fut celle de ma poésie.


Ma solitude les aima.
Tout n'est donc que ferveur et piège ?
Un soir tu passas sur la neige,
Et la lanterne s'alluma.

Pour un mauvais garçon, 1927

 



24/01/2014
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