Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Aubray (Thérèse) 1888-1974

 

Thérèse Aubray

(1888-1974)

 

   Poètesse oubliée, femme de Fernand Drogoul, amie de Pierre Jean Jouve et Léon-Paul Fargue .

(merci à Jean-Paul Louis-Lambert d'avoir signalé mon erreur !)

Son oeuvre poétique était en voie de disparition... Heureusement Marcel Béalu a retenu d'elle plusieurs poèmes et Robert Sabatier ne l'a pas oubliée. Marcel Brion en avait fait l'éloge en 1935 (voir en bas de cette page). Un poème également dans une anthologie intitulée "La Femme", Jean Grassin éditeur, 1960. Elle est à nouveau présente sur maintes pages consacrées à la poésie.

 

Consulter  Jean-Paul Louis-Lambert sur Poezibao 

 

    "Thérèse Aubray nous a fait penser au meilleur Milosz tant ses poèmes sont fluides, dépouillés, chantants..." (Robert Sabatier, dans le volume III du XXème siècle)

 

 

   "J'éprouve dans les poèmes de Thérèse Aubray, comme l'enfantement tragique d'une statue, qui se lève, qui marche, qui parle, et qui monte vers la terre d'on ne sait quel souterrain..."(Marcel Brion)

 

 Bibliographie:

 

1933: Battements (les Cahiers libres

1935: Je viens en fraude, Battements II (Corréa)

1936: derrière la nuit (G. L. M.)

1937: Défense de la terre, Battements III (GLM)

1939: Unité, Battements IV (Journal des poètes)

1951: Un seul chemin (Seghers)

 

 

 

Sources

 

Que l'amoureuse mort dans sa course pressée

S'arrête et dans tes yeux contemple son désir

mieux qu'à l'amour les mains s'apaisent à partir

Et leur lenteur s'attarde à délier les chaînes.

 

S'enfle le beau départ à la voile incertaine

Perdu le songe impur où le monde était roi

La vie avec ses sourdes voix recule et toi

Tu plonges pour mieux boire aux sources devinées.

 

(Battements II)

 

 

Nageuse

 

Goût d'algue au fond des grottes

Besoin de retrouver les sources de l'éveil

Mêlées à la naissance d'eaux de vie

Où s'enfoncent, méchamment pour moi, tes mains fouilleuses

Qu'agite le désir des fuites en pleine onde.

Sont-ce mes yeux brûlés qui te rendent leurs larmes

Le miracle où l'amour saignent les mêmes charmes

Nageuse sur soi-même dérivée

Et qui plonge aux promesses...

Toute la mer va te répondre

Tous les chemins s'ouvrir

Et pour que maintenant tes bras puissent saisir

Le fluide se fait roche

Le sel de l'eau durcit aux courbes de ta joue

Qui s'enfonce, comblée, aux grotte d'une épaule.

 

 

Amour

 

Serre dans tes deux mains cette chaleur

Qu'irradie un visage

Sa forme est loin qu'encor tu tiens le feu

Brûlant au plus secret d'un être.

Présence de l'absent beau miroir

Apaisement léger de l'angoisse

Regarde ton amour, il saute les frontières

Il enjambe la mort et plus loin continue

De rire ) Il est la durée confondue

Avec les jours si frais quiparent ta jeunesse

Et l'unissent au blanc versant de l'incréé.

Toute pleine du suc où se gonflent tes feuilles

Arbre femelle habité de chansons

Laisse tes branches-doigts saisir le feu et s'embrase

Sans que la cendre naisse

Sans que s'achève le miracle

D'être au monde la forme active d'un bonheur.

 

Battements III

 

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Saisir

 

Ce n'est pas encore aujourd'hui

Sera-ce demain?

Mais tout se brouille en une égale plaine

Vaine, morne, seule chaîne.

J'écoute, je pose ma main

Sur la poitrine de la nuit

Son rythme bat et me poursuit

Ce n'est pas un événement

Pas même un être que j'attends

Mais de saisir en un seul temps

Ce battement unique de la vie.

 

 

 

Le jeu gagne

 

Le vide est joie -

Je vous aime tant, mes amis

De fuir de moi qui fuis aussi

Plus loin, terre finie

Peine guérie.

Ni mal ni bien, j'ouvre les mains

Pas même un mot, je ne tiens rien.

Silence - vie intense

Ni fin, ni bien, ni lendemain

Seul, cet éclatement soudain.

 

(Un seul chemin)

 

 Poèmes publiés dans l'Anthologie de Marcel Béalu (1953)

 

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Merci à Magazine Poésie qui propose un choix de Jean-Paul Louis-Lambert

 

Phénix 


J'invente, j'accomplis et je replante en toi 
L'arbre à feu de la terre  
L'arbre à sang, le rampant, le dur éclabousseur  
Crachant sa fleur de pourpre au visage indolent  
Qui veut se croire sage. 
Je suis au cœur de toi tous les vents éveillés 
Tous les songes privés de leurs feuilles de songe 
Et qui vont naître. 
Tes bras s'ouvrent, bel arbre de ma création ! 
Quelle vie inventer, à mesure inhumaine 
Où niche l'oiseau feu, à lui-même attaché 
Qui de lui-même, incendieur d'été. 
Reprends ma quête interrompue 
Et sur chaque visage où saigne ma blessure 
Bois la force qui te fera recommencer.  
 
 
Délivrance 


L’Étoile sur le ciel palpite et te fait signe 
Avance !  
Derrière tout est blanc comme avant ta naissance 
Et tu es pure, à toi-même apparue et renoncée. 
Tu enfantes le mythe dont tu peux mourir 
Et qui lui-même t'a portée, 
Amour. 
Longe la source au cœur troué 
D'où s'élève un visage 
Fier de la mort qu'il porte en lui 
Et qui sur toi rayonne, 
Soleil écartelé aux quatre membres de l'été, 
Figure d'enfant roi qui de la nuit surgie 
Te ramène à la nuit. 
La courbe est douce de son feu au feu du monde 
Où tu parviens 
Fais l'amour avec son amour 
Pour que naisse une flamme neuve 
Lécheuse de tourments nouveaux. 
Transforme sa matière en songe pour tes songes 
Ouvre ton corps à la menace suspendue 
Autour de ceux qui savent et qui s'abandonnent... 
Mourir c'est limiter, tu ne veux que passer plus loin. 


 
La Scène capitale 


L'archange aux cheveux noirs fils de la foudre 
Et de la terre aux germes saccagés.  
 
Il est ce tremblement qui gêne l'évidence 
Le chemin qui s'invente à tous les pas 
Et qu'on oublie, 
Les gestes faits dans le sommeil ou dans l'amour 
Humble récognition des signes rois 
Érigés à l'entour du visage choisi 
Pour être le témoin de choses défendues 
A chaque fois perdues 
Et qui déchirent l'avenir. 
Éblouissant visage nu ! 
Il apparaît lorsque se forme ou bien se perd 
L'échange de ta nuit avec ma nuit 
Le choc : Passage de la foudre —  
 
Mort.   
 
 
Thérèse Aubray, trois premiers poèmes de la section inaugurale, « Métamorphoses », de Défense de la terre — Battements III (GLM, 1937, préface de Léon-Paul Fargue).  

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Elle-même

 

Nappe d'au féminine, tranquille

Sous l'afflux des saisons, elle se ride à peine.

Fluide, elle résiste, calme elle bouillonne

Passivement offerte. Créeuse de naufrage

Avec les gestes ronds de la maternité

Qui témoigne la vie.

De la surface lisse aux troubles régions

On coule à pic, et la faune rocheuse

Transparente, se prête à des métamorphoses

Qui feront miroiter des plaies secrètes

Et saigner d'encre les méduses.

De la surface caressable aux trous d'abîme

Elle contient la source et la tempête

Elle dilue, fuit et toujours recompose

Les éléments de sa tenace liberté

Qui la font réceptacle et tournoyante moire.

Elle répond au corps avec toutes ses algues

Ses mains agiles et salées,

A l'esprit par l'afflux nocturne de sa force

Qui va et vient, indifférente d'elle.

Visible, patiente, divisée

La bouche ni les bras ne la reformeront unique.

Elle écoute d'un bord à l'autre d'elle-même

Cet appel indistinct qui la livre et préserve

Pour les accords brisés avec ses vagues.

 

Encyclopédie poétique,

1er volume, 

"La Femme"

Jean Grassin éditeur, 1960

 

 

 

 

Marcel Brion dans la Revue Hebdomadaire, année 1935

 

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10/12/2013
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