Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Autoportraits dans Mlle de Montpensier (1659)

Autoportraits féminins

dans le recueil de la Duchesse de Montpensier

1659

 (près de 1000 pages) 

 

Lien vers le PDF du

Recueil des portraits et éloges en vers et en prose 

dédié à son Altesse Royale Mademoiselle (de Montpensier)

 Lien vers J. D. Lafond

Les techniques du portrait dans le "Recueil des Portraits et Eloges" de 1659

article de 1965

 

Pour le portrait en peinture au 17ème, voir les "galeries de belles" dans le château de Bussy-Rabutin, et les portraits peints de Beaubun, Rigault, Noiret et... de Nattier pour le 18ème.

 

En cours de réalisation 

 

Présentation


   Ce livre qui comprend, sur plus de 900 pages,  103 portraits, suit une édition plus ancienne et limitée à quelques dizaines. J. D. Lafond est, semble-t-il, le seul à s'être penché sur cet ouvrage dont l'intérêt dépasse évidemment le simple exercice, codé et monotone, qui consistait à tenter de peindre la personne selon une trame contraignante: d'abord le portrait physique, puis le portrait moral, le second n'étant jamais mis en rapport avec le premier comme on le fera à la fin du 18ème avec la physiognomonie de Lavater.

   Il s'agit d'abord d'une mode, comme le soulignent plusieurs contributrices, mode très passagère, précise J. D. Lafond, car elle s'étend sur 3 années, faisant suite à la vogue des bouts-rimés et précédant celle des "bons mots".  S'y révèle, au passage, une certaine conception du corps...féminin. A noter que Lafond n'aborde pas le problème de l'autoportrait ni ne note que la plupart des textes sont écrits par des femmes, ce qui peut justifier qu'on interroge plus particulièrement les autoportraits féminins. 

   Cette mode s'inscrit dans un paysage littéraire plus vaste qui va de Montaigne à Madame de Sévigné, sans oublier Mme de la Fayette et surtout Mlle de Scudéry qui paraît avoir inventé le genre.

   Ce qui frappe particulièrement, c'est que les autoportraits sont beaucoup plus sévères que les portraits volontiers orientés vers l'éloge physique et moral de la personne en question, surtout lorsqu'il s'agit du roi, de la reine et... de la commanditaire, Mlle de Montpensier. Mais lorsque les femmes parlent d'elles-mêmes c'est le plus souvent sans concession: le texte de Madame de la Grenouillère (p. 908 ou 875), vers la fin du volume est un petit chef-d'oeuvre burlesque. On ne sait s'il faut en rire ou pleurer sur sa triste anatomie! Et elle n'est pas la seule à détailler avec une certaine complaisance les parties défaillantes de sa triste anatomie. Le réalisme de ces portraits entre en conflit avec l'idéalisation qui caractérise la littérature précieuse, dont Molière n'est pas le seul critique.

 

Pistes de réflexion pour la présentation:

- Proportion hommes/femmes 

- entre Montaigne et la Bruyère et la Rochefoucaud

- code de représentation du corps... féminin

- un exercice de fidélité au modèle ( ressemblance...réalisme)

- Portrait peint et portrait écrit

- Portrait et temps (le corps actuel comparé au corps passé et au corps futur): problème de maturation ou de vieillissement. - Amélioration ou dégradation

 


1 - Portrait du roi sous le nom de Tircis, par la Comtesse de Bregis.

8 - Portrait de sa Majesté.

32 - Portrait de Mademoiselle, par la Comtesse de Suze. (en vers).

35 - Portrait de la Reine, par la Comtesse de Bregy.

39 - Portrait de Mademoiselle d'Orléans.

42 - Portrait de Mademoiselle.

43 - Portrait de Mademoiselle. (en vers)

47 - Portrait de la Princesse de Valois.

54 - Portrait de la Princesse d'Angleterre, par la Comtesse de Bregis, 1658.

58 - Portrait de la Reine de Suède.

65 - Portrait de Mesdemoiselles de Nemours et d'Aumale sous les noms de Sylvie et d'Iris.

71 - Portrait de la duchesse de la Trémoille fait par elle-même.

87 - Portrait de Madame la Comtesse de ***.

92 - Portrait de madame la Duchesse de Chastillon fait par la Comtesse de la Suze. (en vers).

96 - Portrait de Mademoiselle de Rohan fait par elle-même. (12 ans).

103 - Portrait d'une Princesse sous le nom d'Alcidiane.

112 - Portrait de Madame la Marquise D'Ervaut fait par elle-même.

119 - Portrait de Madame la Comtesse d'Esche, fait par elle-même.

121 - Portrait de Monsieur le Prince de Tarente fait par lui-même.

136 - Portrait de Madame de Cominges sous le nom d'Emilie.

144 - Portrait de Madame la Marquise de Mauny fait par elle-même.

 

 


J'ai modernisé l'orthographe, mais j'ai laissé la ponctuation en l'état. 

 

Les passages cités sont les débuts de textes et concernent le portrait physique. Les points de suspension de la fin annoncent le portrait moral qui suit. 


Portrait de Madame la Duchesse de la Trémouille

fait par elle-même

p. 71

 

   Puisque la suffisance d'un peintre dépend principalement de bien faire ressembler un portrait à son original, on ne saurait douter que ce ne soit le but que je me propose, dans le dessein que j'ai de faire ici le mien. Son ébauche vous apprendra, qu'étant jeune, je passais pour n'être ni fort belle ni fort laide, et pour avoir plus d'agrément que de beauté.

 J'avais les yeux petits, un peu penchants aux deux bouts, d'un beau bleu, et assez vifs, le nez fort laid, la bouche petite, et les lèvres fort rouges; le teint beau, le tour du visage entre le rond et l'ovale, le front trop grand, les cheveux d'un blond châtain, fort déliés, et assez longs; et pour la taille, je l'avais des plus belles, soit en la forme, soit en la hauteur. Je n'étais ni maigre ni grasse, mais ayant plus de penchant vers la maigreur que vers l'embonpoint. Voilà ce qui se peut dire du passé, il faut le retoucher, pour en faire voir le changement. La taille que j'avais belle s'est courbée par l'âge et par ma négligence; mon teint qui était blanc et délié, s'est jauni par mes maladies; mes dents qui étaient assez blanches, se sont noircies; le blond de mes cheveux s'est blanchi, et la petite vérole a achevé la laideur de mon nez. Une personne qui consulterait plus soigneusement son miroir que je ne fais le mien, en dirait peut-être davantage. Il me suffit que ce sont les principaux traits, et fort fidèlement représentés, et il est temps de passer à la description de choses plus essentielles...

 


Portrait de Mademoiselle de Rohan

fait par elle-même

(presque 12 ans)

p. 96

 

  Je ne sais pas comment je me pourrai peindre moi-même: Quand je me regarde au miroir, c'est avec si peu d'attention, que les autres voient en mon visage ce que je n'ai pas encore aperçu. Mais selon que les entends dire; si un fonds de teint blanc rehaussé d'une couleur vive où il faut; si la douceur dans les yeux animés d'éclat; si des cheveux blonds, et un peu dorés, qui tombent par boucles sur mes épaules quand on me peigne, si le nez fort bien fait, et la bouche bien formée; si l'incarnat sied bien aux lèvres, et si la douceur au ton de la voix ne déplaît pas; si le tour du visage un peu en ovale, et un front qui marque de la retenue et de la modestie, à qui ma bonne Maman dit qu'il faut donner en garde les autres vertus; si l'espérance prochaine d'une belle gorge, que ma gouvernante asseure se devoir bientôt former, ainsi qu'ils disent, peut donner quelque satisfaction, il semble que je n'ai pas sujet de me plaindre de la nature.

   Pour ma taile, elle est droite et haute, fort libre et fort dégagée: je ne me présente pas de mauvaise grâce, et mon port ne marque pas mal sa personne de qualité, quoique sans affectation et sans art...

Si vous trouvez que cela tient un peu de l'enfance, vous saurez que je n'ai pas encore douze ans.

 


Portrait de Madame la marquise Dervaut

fait par elle-même.

 

p. 112 

 

   Le désir que vous m'avez témoigné avoir de voir mon portrait, et celui que j'aurai toujours de vous complaire, m'obligent de vous présenter celui-ci que j'ai rencontré en cette ville, où il fut fait sans ornement il y a dix-huit ans, que j'y passai pour un excellent excellent maître qui véritablement ne peint pas fort poliment, mais qui est le premier maître du monde pour la fidélité à imiter parfaitement la nature.

   J'en demeurai si satisfaite, que je jurai lorsque ce portrait serait jamais fait, que ce serait le dernier qui serait jamais fait de moi. Trouvez donc bon qu'après l'avoir un peu décrassé, et passé la queue de renard par dessus, je vous fasse remarquer

   Une tête ni trop grosse ni trop menue, des cheveux châtains clairs; le teint blanc, délié, uni, et coloré; les yeux bien fendus, bleus, et vifs, sans être rudes; le nez mal fait et grand, mais qui n'est pas de ceux dont on peut craindre l'approche pour être trop pointus; la bouche assez petite et vermeille, mais trop plate; le tour du visage en ovale; un trou dans la joue gauche, qui lui donne de l'avantage sur la droite; la gorge blanche; la peau déliée, taillée d'une assez belle forme; et la nature qui fut chiche de ses agréments à la joue droite, fut trop libérale de ses biens à la gorge: les bras bien proportionnés d'un beau tour, et fort blancs, mais trop menus; les mains sont de la même couleur, les doigts longs et droits, mais du reste peu bien faite.

   La taille plus approchante de la petitesse que de la grandeur, fort déliée; la jambe belle, le pied petit, la mine plus basse que haute, mais modeste.

   Si toutes ces choses ne vous semblent plus en cet état, croyez plutôt que le temps a effacé la vivacité des couleurs, et en a terni l'éclat, et même changé les traits, que de vous en prendre au peintre, à qui je souhaite que vous donniez part en votre estime...

 


 

Portrait de le Madame la Comtesse d'Esche fait par elle-même.


 

   Je ne sais pas pourquoi je me suis engagée à faire mon portrait; je devais laisser ce soin à quelqu'un qui aurait pris celui d'adoucir les traits de mon visage, et d'en cacher les défauts: Mais comme j'ai toujours fait peu de cas de ce qu'on appelle beauté, je n'aurai pas grand peine à dire que je n'en ai pas.   Je crois que je dois commencer par ma taille, parce que c'est ce que j'ai de plus remarquable par sa grosseur: néanmoins il est certain que je marche, et que je danse avec assez de légèreté.   J'ai les yeux bruns et grands, et je n'y ai rien de choquant, parce que je ne les ai pas extrèmement rudes.   Pour le nez, je l'ai trop gros et trop ouvert, et cela fait assurément un fort méchant effet au milieu de mon visage.   J'ai une de ces bouches dont on ne dit rien, parce qu'elle n'est ni bien ni mal faite.   Le tour de mon visage serait long, si la graisse et l'embonpoint ne l'avait point grossi; néanmoins je ne laisse pas d'avoir le menton pointu. J'ai la peau du visage assez brune, et assez grossière, et souvent je rougis.   Pour les cheveux, je ne les ai pas tout à fait noirs, mais il s'en faut fort peu; et ce qui m'en fâche, c'est qu'au lieu de noircir comme je le voudrais, ils blanchissent, quoique je ne sois pas encore en âge pour cela.  

    J'ai de la disposition à la mélancolie...

 


 

 Portrait de Madame la Marquise de Mauny fait par elle-même

 

Depuis que c'est la mode de faire son portrait, il faut que je fasse le mien cmme les autres. Ce n'est pas que je ne prenne mal mon temps, et que mes indispositions ne m'aient présentement un peu défigurée: mais comme il n'y a pas d'apparence d'embellir après trente ans, je vais vous dire comme je suis faite.

   Je suis plus grande que petite dans mon ordinaire: je ne suis ni grasse ni maigre; mais présentement je me puis vanter d'être sèche comme du bois; et cela me rendrait horrible, si je n'avais naturellement les os fort petits. Le teint est ma plus grande beauté; mais la petite vérole m'ayant fait quelques légères marques, il n'est plus si uni qu'il était; et tout ce qu'il a d'agréable, c'est le coloris. Mes yeux sont de médiocre grandeur, doux, et brillants, mais sujets à être battus. J'ai le nez bien fait quand je suis dans mon embonpoint, mais présentement un peu trop long: Ma bouche n'est ni petite ni grande, mais elle est façonnée et de belle couleur quand je me porte bien. Ma délicatesse, et les mouvements de mon esprit, m'ont rendue si journalière, qu'il y a des temps où je suis tout à fait mal, et des quarts d'heure où je suis belle; mais comme le temps que je suis en beauté est le plus court, avec raison je ne m'en pique plus; et tout ce que je prétends est seulement, que si l'on dit de moi que je suis fort changée, on s'étonne que je ne le sois pas davantage. Je n'aimerais pas que l'on s'écriât, Comme elle est faite! car sur ce ton-là on me ferait dépit. Mes cheveux sont châtains, épais, et bien plantés. mes dents sont saines, mais par (pas?) trop bien rangées, sans pourtant faire de mauvais effets, car je les montre peu. Ma gorge n'est pas belle; mais (comme j'ai déjà dit) mes os sont si délicats qu'il n'y en a point qui la défigurent; la peau en est blanche. mes bras sont ronds, et mes mains bien taillées, mais la graisse leur manque aussi bien qu'à ma gorge: ce qui fait que l'air de mon habillement n'est pas bon. Puisque les autres ont parlé de leurs jambes, je dirai donc que la mienne est belle. Je me pourrais louer encore d'autre chose que l'on ne verra pas pour me démentir; mais puisque l'on ne va pas plus avant, voilà tout ce que dirai de mon corps.

 

 

 

 

 

 

 



23/07/2012
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