Barbier (Anne-Marie) 1664-1745
Anne-Marie Barbier
(1664-1745)
Les tragédies et autres poésies (1919)
Eglogue
Amaryllis, Sylvie
(Extrait)
De mes triste amours écoute donc l'histoire.
A peine je sortais de l'heureuse saison,
Où l'on ne voit briller qu'une faible raison,
Age d'or de la vie, enfance fortunée,
D'un espace trop court ta durée est bornée;
Ah! que l'on connaît mal le prix de tes plaisirs,
Ils préviennent les soins, et même les désirs.
Vains regrets! ma raison ne faisait que de naître,
A peineje pouvais moi-même me connaître;
Un jour... Tout a changé depuis ce triste jour,
Un jour me fit connaître et Thyrsis et l'amour.
Vers cet orme fatal, où mon troupeau perfide
Veut à mes pas errants encor servir de guide,
Je ne sais quel destin m'avait fait égarer;
Sous un feuillage épais j'entendis soupirer.
C'était Thyrsis; mon âme aussitôt fut émue,
Pour la première fois il s'offrit à ma vue,
Couché sur le gazon qu'il arrosait de pleurs,
Entouré d'un troupeau témoin de ses douleurs.
"Quoi! brûler d'une ardeur que rien ne peut éteindre,
Disait-il, il faut donc expirer sans me plaindre!
La Bergère que j'aime ignore mon tourment,
Elle tremble au seul nom d'amour et d'Amant,
Et je ne sais que trop qu'aux filles de son âge
On en fait tous les jours une effroyable image:
S'il m'échappe un seul mot, quel sera son courroux?
Un troupeau frémit moins à l'approche des loups;
Ah! j'aime mieux mourir, que vivre avec sa haine.
Mais aussi, plus longtemps si je cache ma peine,
Ma langueur me conduit aux portes du trépas,
Et je meurs de parler et de ne parler pas:
Nécessité cruelle où ma flamme est réduite!"
Ses soupirs de ces mots interrompant la suite,
Il gémit; malgré moi je me sens attendrir,
Je voudrais d'un conseil au moins le secourir,
Et me joignant à lui contre l'objet qu'il aime
Lui donner pour l'amour l'horreur que j'ai moi-même.
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