Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Benoite (Colette) 1920-1978

Colette Benoite 

1920-1978

 

 

Les poèmes qui suivent ont été publiés dans l'anthologie de Jeanine Moulin 

 

 

Présence de la pierre

 

Pierre sur pierre depuis l'homme

pierre levée où s'accroche le ciel

torse qui porte le regret d'une Babel

morte d'avoir crié sa force.

 

Pierre tu as parlé par les veines du marbre

des empires exaspérés

et par l'angoisse des lézardes

tu as dénoncé les cités.

 

Pierre ton temps est le temps de la terre

l'homme te veut statue quand il craint ses limites

et Dieu t'avoue au porches des églises

dans la durée de sa forme première.

 

De terre et d'eau, 1962

 

 

Etat de siège

 

A Angèle Vannier

 

Cernée dans une ville d'ouate

brouillard autour et brouillard au dedans

âme percluse et mutilée

par une nuit qui se défend

j'erre en moi sans me rencontrer.

 

Dans la place investie de troubles présages

de louches prophéties prodigues en malheurs

dans le bastion à vif encerclé de ténèbres

je cherche la prison où je monte ma garde.

 

Quel ennemi n'ôse avouer son visage

et combattre à mains nues sous l'écorce de chair?

Quel rôdeur éludant les chines de la conscience

vient poser ses collets d'obscurité et de désert?

 

C'est la cité où les bêtes s'assemblent

avec l'angoisse aux prunelles de louve

où les cobras évadés de leurs temples

lacèrent les bourbiers des douves

 

et c'est le tribunal où chacun juge où nul n'est juge

mais livre ses arrêts pour le petit matin

à des gestes bourreaux à des mots de torture

qui laissent du sang sur les mains

 

Et c'est le jour dont la porte recule

le cachot consumé la cellule de cendre

où seule dans ma multitude

je me condamne à mort plutôt que de me rendre.

 

 

Le cercle

 

Cercle-miroir, cercle de proie

moi-même tout autour de moi

passé présent jusqu'au vertige

je suis ma vérité et mon abîme

ma complaisance à bien souffrir.

Un dieu désespéré combat dans ma poitrine

et me condamne pour ne pas mourir.

 

Cercle de froid cercle d'eau pâle

sol de vapeur et de sable mouvant

où survivre tient du prodige.

Un jour gagné - je le gagne en trichant

je ruse avec la nuit vouée à me détruire

et me remets au monde à chaque instant.

 

La Cité franche, 1969

 

 

Départ

 

Dans la maison déshabillée

de la routine des armoires

j'ai rayé la chambre aux poupées

d'un trait d'oubli sur le miroir.

 

D'un mot j'ai tranché la guirlande

des jours unis par le passé

en m'esquivant du champ de mon adolescence

et des caprices de l'été.

 

Entre ces murs d'où je me chasse

flotte un sourire de ma mère

comme un fil de la vierge accroché à la treille

comme un pollen tombé de l'aile d'une abeille.

 

Flotte la fumée dérisoire

d'un espoir mort à petit feu

et la chance prise aux cheveux

de me soustraire au jeu de ma mémoire.

 

J'ai désarmé les almanachs

détenteurs de toutes menaces;

je me dérobe à leurs hivers

mais je garde ma carapace

et j'emporte avec moi mes fers.

 

Territoires sans nom



03/04/2012
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