Berger (Lya) 1877-1941
Consolation en double effigie
La fleur d'héliotrope enferme, à peine née.
La plus suave arôme et le plus doux destin
Sous la mélancolie où son calice éteint
Semble à nos yeux l'avoir à jamais condamnée.
Vers le soleil sa tige incessamment tournée
Gravite sur le sol dès l'appel du matin
Et, d'un lent tournoiement, suit le rayon lointain
Dans son cours lumineux à travers la journée.
Ma vie en robe obscure, au parfum si secret.
Dès son éclosion soumise au même attrait.
A fait ainsi de toi son soleil, ô mon Rêve !
Vers tes seules clartés tendue obstinément,
La grappe de ses jours s'incline ou se relève
Selon l'heure qui glisse en ton rayonnement.
***
Dans la douceur d'avril, à l'heure où je suis née,
Une étoile au zénith incarnant mon destin
A brillé sur ma vie, et son pouvoir lointain
Ciel à ciel m'a suivie en égide obstinée.
O mon Rêve, tu fus cette étoile ! Menée
Par toi, nocturne ami, vers mon premier matin.
Je t'ai gardé ce culte exclusif et hautain,
De ne songer qu'au soir en faisant ma journée.
Et si le Doigt glacé, quelque jour en secret,
Pétrifiait mon cœur, ta forme apparaîtrait
Incrustée à jamais sur la pierre, ô mon Rêve,
Comme on voit s'imprimer le fossile segment
D'une étoile de mer aux galets de la grève
Que l'étreinte des flots creuse éternellement.
Les Pierres Sonores.
Lorsque son Fils Jésus fut, lamentable et beau,
Descendu de la Croix et mis dans le tombeau,
Marie, ayant dans sa plénitude sévère
Accompli jusqu'au bout le maternel calvaire,
Eut soif soudain d'un peu de paix, d'isolement.
En dépit de leurs soins repoussant doucement
Tous les êtres aimés qui partageaient sa peine,
Tous, jusqu'à Jean l'Apôtre et jusqu'à Madeleine,
Elle laissa leurs coeurs se consoler entre eux
Et, seule à seule avec son rêve douloureux,
A travers le veuvage éperdu de cette heure,
S'en revint dans le soir vers sa triste demeure.
L'univers tout entier semblait frémir encor
Du récent drame auquel il servait de décor :
Les oliviers tordus par de tragiques bises
Secouaient sur le sol, sans fin, leurs feuilles grises,
Qui, tels des pleurs de cendre, erraient - vol infécond ! -
Le crêpe échevelé des nuages de plomb
Voilait le front lointain et livide des cimes
Où le couchant râlait en des rougeurs de crimes...
Marie, avec effroi, se demandait comment
Dieu, malgré l'équité de son esprit clément,
Pardonnerait jamais aux hommes cette faute
Dont l'aberration se révélait si haute
Que les éléments même exhalaient, anxieux,
L'innombrable courroux de la terre et des cieux
Soudain, sur le sentier, au-devant de ses pas,
La Vierge vit venir une femme. Si las
Semblait son pauvre corps courbé par la vieillesse,
Son visage ridé, son regard de détresse,
Que Marie, au travers de sa propre douleur,
Devina dans cette âme une misère soeur.
Lors, elle interrogea doucement l'inconnue.
Celle-ci, d'une voix navrante, contenue,
Ne put que lui répondre en se tordant les mains
Et secouant la tête : " Ah ! Passez vos chemins,
Femme, et laissez leur cours à mes larmes amères.
Je suis, hélas ! la plus malheureuse des mères ! "
La Mère des Douleurs, d'un geste, l'arrêta...
Quel tourment, ici-bas, valait son golgotha ?
Quel fils pouvait subir un destin plus infâme ?
Elle voulut savoir le nom de cette femme...
L'étrangère frémit. Sur l'émoi d'alentour
Ses yeux brûlés, ternis, se fixaient tour à tour
En angoisse craintive, en muette prière...
Son être, sous le poids de la honte dernière,
Plia. Son souffle, empreint d'horreur, sourd comme un glas,
Agonisa: " Je suis... la mère... de Judas ! "
Marie, à son tour, tressaillit, puis, convaincue
Par cette immensité de torture vécue,
Sentit son coeur se fondre en un cri de pitié...
Douce, elle releva le corps humilié
Et dans un fraternel élan posa ses lèvres
Sur le pâle visage où les pleurs et les fièvres
Expiaient, en vertu d'un mystère infini,
L'autre baiser donné sur le Gethsémani !...
Pendant ce temps, non loin, au coeur du térébinthe,
L'oiseau de paix, l'oiseau d'amour, chantait sa plainte...
Lya Berger, Les Effigies, 1911
ALMA MATER
Terre, Terre sacrée, ô matrice du monde,
Infatigable mère, ô Cybèle, ô Rhéa,
Je ne puis rendre hommage à ta force féconde
Qu'en saluant en toi le Dieu qui te créa.
Ne garde point rigueur, Terre, à nos ignorances
Qui comprennent si tard tes sublimes attraits
Et se laissent séduire avec des apparences
Plutôt que d'admirer des charmes sans apprêts.
On nous voit trop souvent dédaigner tes merveilles
Pour le lointain des mers ou les hauteurs du ciel...
L'intangible revêt des beautés sans pareilles
Pour notre pauvre esprit si superficiel.
Mais un jour vient, pourtant, ô Terre, où tu te venges…
C'est quand nos pensers, las de tant de songes vains,
Découvrent les trésors qui dorment sous tes fanges
Et l'oeuvre patient de tes labeurs divins.
C'est quand nos yeux, brûlés par la trace des larmes,
Se reposent sur la fraîcheur de tes gazons
C'est quand, à nos espoirs usés partant d'alarmes,
Se révèle le faste incessant des saisons!…
C'est surtout quand l'exil prolongé dans les villes
De ta simplicité nous a longtemps privés,
Et que l'horreur nous prend des besognes serviles
Avec l'âpre désir des idéals rêvés.
Alors, ainsi que va, tremblant, vers sa nourrice,
L'enfant qui s'est blessé, pour chercher un secours,
Nous revenons vers toi qui sais être propice
À tous les désespoirs, à toutes les amours;
Car si ton sein puissant est le dépositaire
Des splendeurs du Passé qu'on ne peut retenir,
Il a pour rôle, aussi, de protéger, ô Terre,
L'impérieux élan des droits de l'avenir.
Et ta plus haute gloire, et ton mérite, en somme,
N'est pas d'être un rempart à la fureur des flots,
Ni le socle où splendit la noblesse de l'homme,
Ni le globe que Dieu sut tirer du chaos,
Ni la tiède corbeille où fleurissent les roses,
Ni la huche géante où gît le pain des corps,
Ni l'écrin ténébreux au fond duquel reposent
Les féeriques palais des gemmes et des ors
Ta gloire, à toi, toi l'éternelle Inassouvie,
Qui sais être à la fois la tombe et le berceau,
C'est d'avoir pu créer, avec la mort la vie,
Et mis sur tes arrêts un baiser comme sceau
C'est de rester avec sérénité la cible
Des caprices du temps, du jeu des éléments,
Pour mieux symboliser l'espérance invincible
En étant le creuset des Recommencements.
Les Effigies, 1911
Réalités et Rêves, 1901
Les Pierres sonores ; Ecce homo : poésies 1901-1904, 1905
En Lorraine, 1907 (Réimpr. 1998)
Les Sources ardentes , 1908
Les Femmes poètes de l'Allemagne, 1910
Les Effigies, 1911
Les Effigies, poèmes, 1905-1911, 1912
La Voix des frontières, 1913
La Germania vaincue, 1914
En Vacances aux bords du Rhin, 1917
La Germania vaincue, 1915
Les Revanches, contes de guerre, 1919
Du tocsin au 'Te Deum', poèmes, 1914-1918, 1920
Sur les Routes bretonnes, vers 1920
Les Femmes poètes de la Hollande, 1922
Les Femmes poètes de la Belgique, 1925
C'est l'amour qui gagne , 1926
C'est l'amour qui gagne ; Cœur de poupée ; Marguerite, 1933
Le vaste champ du célibat féminin, 1936
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