Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Vivien (Renée)1877-1909

Renée Vivien
(Pseudonyme de Pauline Tarn)
(1877-1909)

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Les Arbres

Dans l'azur de l'avril, dans le gris de l'automne,
Les arbres ont un charme inquiet et mouvant.
Le peuplier se ploie et se tord sous le vent,
Pareil aux corps de femme où le désir frissonne.

Sa grâce a des langueurs de chair qui s'abandonne,
Son feuillage murmure et frémit en rêvant,
Et s'incline, amoureux des roses du Levant.
Le tremble porte au front une pâle couronne,

Vêtu de clair de lune et de reflets d'argent,
S'effile le bouleau dont l'ivoire changeant
Projette des pâleurs aux ombres incertaines.

Les tilleuls ont l'odeur des âpres cheveux bruns,
Et des acacias aux verdures lointaines
Tombe divinement la neige des parfums.

                 Cendres et Poussières, 1902



Violettes blanches

Elles sont le souvenir clair
De Celle qui mourut hier
Et qui dort entre quatre planches,
Les violettes blanches.

Car elle les aimait jadis,
Et moi, je les préfère aux lys...
J'éclairerai les tristes planches
De violettes blanches.

Vierge entre toutes les fleurs,
Elles ont d'intenses pâleurs...
Parez la nuit des mornes planches
De violettes blanches.

Ainsi fut Celle que j'aimais,
Qui ne refleurira jamais...
Un peu de cendre et quatre planches,
Des violettes blanches.

                     Evocations (1903)


Sur le rythme saphique

Pour moi, ni l'amour triomphant, ni la gloire,
Ni le souffle vain d'hommages superflus.
Mais la paix d'un coin dans une maison noire
          Où l'on n'aime plus.

Je sais qu'ici-bas jamais rien ne fut juste,
Je fus. patiente en attendant la mort.
J'ai tu ma douleur, et quoiqu'il fût injuste
          J'ai subi mon sort.

Pour moi, ni l'accueil, ni le rire, les fêtes,
Mais l'apaisement d'un très profond soupir.
Le silence noir qui succède aux défaites
          Et le souvenir.

                                 Sillages.


Les lèvres pareilles

L'odeur des frézias s'enfuit
Vers les cyprès aux noirs murmures...
La brune amoureuse et la nuit
Ont confondu leurs chevelures.

J'ai vu se mêler, lorsque luit
Le datura baigné de lune,
Les cheveux sombres de la nuit
Aux cheveux pâles de la brune.

La fin balsamique du jour,
Blonde de frelons et d'abeilles,
Perçoit, dans un baiser d'amour,
La beauté des lèvres pareilles.

L'odeur des frézias s'enfuit
Vers les cyprès aux noirs murmures...
La brune amoureuse et la nuit
Ont confondu leurs chevelures.

                La Vénus des Aveugles (1903)



Le Pilori

Pendant longtemps, je fus clouée au pilori,
Et des femmes, voyant que je souffrais, ont ri.

Puis, des hommes ont pris dans leurs mains une boue
Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.

Les pleurs montaient en moi, houleux comme des flots,
Mais mon orgueil me fit refouler mes sanglots.

Je les voyais ainsi, comme à travers un songe
Affreux et dont l'horreur s'irrite et se prolonge.

La place était publique et tous étaient venus,
Et les femmes jetaient des rires ingénus.

Ils se lançaient des fruits avec des chansons folles,
Et le vent m'apportait le bruit de leurs paroles.

j'ai senti la colère et l'horreur m'envahir.
Silencieusement, j'appris à les haïr.

Les insultes cinglaient, comme des fouets d'ortie.
Lorsqu'ils m'ont détachée enfin, je suis partie.

Je suis partie au gré des vents. Et depuis lors
Mon visage est pareil à la face des morts.

               A l'Heure des Mains jointes, 1906


Hymne à la lenteur

Parmi les thyms chauffés et leur bonne senteur
Et le bourdonnement d'abeilles inquiètes,
J'élève un autel d'or à la bonne Lenteur
Amie et protectrice auguste des poètes.

Elle enseigne l'oubli des heures et des jours
Et donne, avec le doux mépris de ce qui presse
Le sens oriental de ces belles amours
Dont le songe parfait naquit dans la paresse.

Daigne nous inspirer le distique touchant 
Qui réveille en pleurant la mémoire dormante,
Lenteur, toi qui rends plus suave un beau chant
Mélancolique et noble et digne de l'amante !
 
Inspire les amours, toi qui sais apaiser
Et retenir longtemps et rendre plus vivace,
Et rendre plus suave encor un doux baiser,
Et révéler la gloire entière de la face.

Nous ployons devant toi nos dociles genoux,
La contemplation nous étant chère encore...
Puisque nous t'honorons, demeure parmi nous,
Toi que nous adorons, ô Lenteur que j'adore !

                                           Sillages.


Poèmes en prose


Les sept archanges


   La très belle Sainte est morte. Elle est morte ("Enfin! " disait-elle en son dernier soupir), de l'angoisse qu'elle éprouva, un jour, en méditant sur la mort de Notre Seigneur et les douleurs de Notre Dame. 

   Née parmi les douces nonnes (sa royale mère s'était réfugiée en ce couvent pour échapper à de cruels ennemis), elle fut, dès sa première enfance, élevée selon leurs leçons, et se hâta de les devancer sur la route divine qui mène vers le paradis… 

   Jamais, - ayant imité l'exemple suprême de Marie, - elle ne connut ni l'orgueil, ni la paresse, ni l'envie, ni même l'ombre d'autres péchés… Aussi, comme signe de sa faveur particulière, Notre Dame envoya-t-elle vers celle qui l'aima jusqu'au soupir final les Sept Archanges, - ceux-là qui, éternellement, l'entourent pour la glorifier et l'exalter sans cesse. 

   Le Premier Archange se nomme la Douleur. Sous de longs voiles noirs, il détourne la face… Ses grandes ailes, noires aussi, sont toujours repliées… 

   Le Second Archange est l'Amour, aux ailes orangées, – de la couleur d'un beau couchant terrestre. Et son long sourire se prolonge au-delà du temps… Son cœur rayonne sous les larges plis de la robe dont le revêtit Dieu lui-même. 

   Le Troisième Archange est le Souvenir, aux ailes vertes. Et ses yeux, parfois souriants, - mais d'un sourire un peu triste! – et parfois remplis de douleur, sont d'un vert profond. 

   Le Quatrième Archange, - ô Compassion bienveillante! ne peut calmer le léger frisson bleu de ses ailes toujours prêtes à s'envoler vers ceux qui l'implorent… 

   Divines ailes d'azur, si promptes, à l'approche tendre et silencieuse! 

   Les deux autres Archanges, le Repentir et le Pardon, ne sont jamais séparés l'un de l'autre, et leurs ailes fraternelles se sont liées, en un double rayonnement gris et bleu,  - bleu et gris. Cependant, -  pour les avoir contemplées pendant quelques bienheureux siècles, – semble-t-il aux élus que les ailes du Pardon sont grises et mêlées d'azur… Car les ailes de la Compassion apparaissent alors, très bleues. 

… Et le Septième Archange, - le plus beau de tous! – aux ailes violettes, demeure toujours en l'ombre de Dieu. Le parfum des violettes qu'il apporte entre ses mains tendues est agréable au Seigneur… 

   L'Archange du Pardon et l'Archange de la Mort ne se quittent jamais, sachant que, parfois sur la terre, l'un ne peut être accueilli sans l'autre par l'åme… par la pauvre åme humaine…


Vagabondages, 1917



Le courroux du cygne


   Un jour, - la petite île était verte et paisible, - je me promenais au hasard, dans l'admiration des arbres et de l'eau. Très inoffensivement, - sur ma foi à la face du ciel! – je me promenais… 

   Et comme je contemplais l'eau, - moi qui l'aime et l'adore! –je vis sortir d'un fouillis de roseaux un cygne noir, menaçant… 

   Son trop long col se balançait, avec des mouvements sinueux et presque serpentins… 

   Je me rappelai la puissance de ces grandes ailes qui, le plus facilement du monde, vous brisent le bras… 

   Et son bec rouge sifflait… 

   Fort prudemment, – et bourgeoisement, hélas! – je battis en retraite… 

   Mais, ô cygne noir! tout en te redoutant, combien je t'aimais dans ta beauté indomptable! 

   Tu défendais ton nid, en quoi tu avais parfaitement raison… Moi, qui songe, dans 

le silence, je défends avec acharnement mes rêves…


                                                 Vagabondages, 1917





27/02/2010
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