Arbouville (Sophie d') 1810-1850
- Poésies et nouvelles, volume 1 (1855)
- Poésies et nouvelles volume 2
La jeune fille et l'ange de la poésie
- L'ange reste près d'elle ; il sourit à ses pleurs,
Et resserre les noeuds de ses chaînes de fleurs ;
Arrachant une plume à son aile azurée,
Il la met dans la main qui s'était retirée.
En vain, elle résiste, il triomphe... il sourit...
Laissant couler ses pleurs, la jeune femme écrit.
Ne m'aimez pas
En réponse à une lettre de Sainte-Beuve
Ne m'aimez pas !... je veux pouvoir prier pour vous,
Comme pour les amis dont le soir, à genoux,
Je me souviens, afin qu'éloignant la tempête,
Dieu leur donne un ciel pur pour abriter leur tête.
Je veux de vos bonheurs prendre tout haut une part,
Le front calme et serein, sans craindre aucun regard ;
Je veux, quand vous entrez, vous donner un sourire,
Trouver doux de vous voir, en osant vous le dire.
Je veux, si vous souffrez, partageant vos destins,
Vous dire : Qu'avez-vous ? et vous tendre les mains.
Je veux si, par hasard, votre raison chancelle,
Vous réserver l'appui de l'amitié fidèle,
Et qu'entraîné par moi dans le sentier du bien,
Votre pas soit guidé par la trace du mien,
Je veux, si je me blesse aux buissons de la route,
Vous chercher du regard, et sans crainte, sans doute,
Murmurer à voix basse : ami, protégez-moi !
Et prenant votre bras, m'y pencher sans effroi.
Je veux qu'en nos vieux jours, au déclin de la vie,
Nous détournant pour voir la route… alors finie,
Nos yeux en parcourant le long sillon tracé,
Ne trouvent nul remords dans les champs du passé.
Laissez les sentiments qu'on brise et qu'on oublie ;
Gardons notre amitié, que ce soit pour la vie !
Votre soeur, chaque jour, vous suivra pas à pas...
Oh ! je vous en conjure, ami, ne m'aimez pas !...
Un jour d'absence
Quand l'horloge a sonné le moment du départ,
Aucune larme, ami, n'a voilé ton regard !
Tu m'as pressé la main… j'ai cru voir un sourire
Se mêler à l'adieu que tu venais me dire ;
Car pour ton coeur, tranquille en pensant au retour,
Ce n'était point partir que s'éloigner un jour.
Et que m'importe à moi que la nuit te ramène !....
Il fait jour et tu pars ! Du coursier qui t'entraîne
Tu déchires les flancs, en disant : « Au revoir ! »
Mais aujourd'hui me reste avant d'être à ce soir !
À ton dernier regard, pour moi, le temps s'arrête,
Un livre est sous mes yeux, mais mon âme distraite
S'en retourne vers toi ; car nos âmes sont soeurs,
Et j'ai souvent rêvé qu'en des mondes meilleurs,
En des pays lointains, ou dans les cieux peut-être,
Je vivais de ta vie, et nous n'étions qu'un être ;
Mais Dieu brisa notre âme, et de chaque moitié
Il a créé nos coeurs, permettant par pitié
Qu'ils pussent se revoir et s'aimer sur la terre,
Où l'amour leur rendrait leur nature première.
Des pleurs que je répands, tout homme se rirait :
Les chagrins passagers vous cachent leur secret.
Vos coeurs ont des transports et n'ont point de faiblesse ;
Vous pleurez d'un malheur, pleurez-vous de tristesse ?
Vous ne connaissez pas ces noirs pressentiments,
Ces rêves où l'esprit, se forgeant des tourments,
Cherchez dans notre amour un sinistre présage,
Comme un soleil trop vif laisse prévoir l'orage !
Reviens d'un seul regard me rendre mon ciel pur,
Reviens, parle, souris, et mon bonheur est sûr.
Aux accents de ta voix s'éloigne la tempête ;
Sur ton sein palpitant, je repose ma tête...
Berce, endors mes terreurs par un doux chant d'amour,
Et laisse-moi sourire et pleurer tour à tour.
Sans crainte de la mort je serais menacée.
Je mourrais dans tes bras et sur ton coeur pressée !
Mais si tu succombais alors, sans désespoir,
Comme toi, ce matin je dirais : « À ce soir !
« De quelques courts instants ton âme me devance
« Attends-moi dans les cieux, ce n'est qu'un jour d'absence !"
ODE SUR LES PAROLES D'UN CROYANT
Seigneur! ! vous êtes bien le Dieu de la puissance.
Que deviennent sans vous ces hommes qu'on encense.
Si d'un souffle divin vous animez leur front
Ils montent jusqu'aux cieux, en saisissant leur lyre,
Votre souffle s'écarte... ils tombent en délire
Dans des gouffres sans fond.
Pourquoi, Dieu créateur, détruisant votre ouvrage
Du chêne encor debout dessécher le feuillage?
Magnifique, il planait entre ie ciel et nous ;
Sa grandeur expliquait ia grandeur infinie.
Il servait de degrés à mon faible génie
Pour monter jusqu'à vous.
Le plus beau de vos dons est la mâle éloquence
Qui soumet par un mot un monde à sa puissance,
Sceptre devant lequel tout fléchit et se tait.
Mais le Dieu juste et bon, des talents qui'il nous donne
Demande compte, et dit au pécheur qui s'étonne :
Ingrat qu'en as-tu fait ?
Et toi, prêtre de Dieu, qui bénis la chaumière.
Qui dis à l'étranger : « L'étranger est ton frère,
Nourris-le, s'il a faim, couvre-le, s'il est nu" ;
Du Dieu qui ne voulut qu'un sanglant diadème,
Qui laissa sur la terre un agneau pour emblème,
Prêtre, que réponds- tu ?
Tu souris dans tes champs à l'orage qui gronde ;
Son tonnerre lointain fait frissonner le monde :
Il s'ébranle... et l'espoir illumine ton front.
Baissant à ton niveau le Dieu de l'Evangile,
Ta voix dans les clameurs de la guerre civile,
Ose lancer son nom !
Sur les trônes, ta voix a lancé l'anathème ;
Elle a dit, de nos rois souillant le diadème :
« Que leur coupe est un crâne où ruisselle le sang. »
Va ! ne mets pas de frein à ta bouche parjure ;
Les rois n'ont pas de mots pour répondre à l'injure,
C'est Dieu qui les défend !
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Oh ! rends-nous, Lamennais, le printemps de ta vie.
Ces chants que répétait ma jeune âme ravie ;
Mon cœur ne s'émeut plus aux accents de ta voix ;
De ton noble flambeau s'éteignit la lumière,
Et je pleure, à genoux, dans mon humble prière.
Ta gloire d'autrefois !
Puis, je vais demander au pasteur du village.
Comment on sert le Dieu, qui, détournant l'orage,
Protège dans les champs la gerbe qui mûrit ;
Qui donne au laboureur, de ses mains paternelles,
Le pain de la journée, ainsi qu'aux tourterelles
Le grain qui les nourrit.
Mon âme se repose en la douce parole
Du ministre d'un Dieu qui soutient et console.
Rougis Esprit brillant, toi qui souffles sur nous,
Au nom du Dieu de paix, le trouble et le carnage ;
Voici les mots sacrés du pasteur du village :
« Mes frères, aimez-vous »
Bibliographie:
Poésies et nouvelles, Paris, 1850
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