Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Krysinska (Marie) 1864-1908

Marie Krisynska
(1864-1908)


 
 
 
 

Vers libre (polémique Léon Dierx)
Le Chat Noir

Joies errantes
Nouveaux rythmes poétiques
Avant-propos
   En cette époque où il est fort à la mode d'être chef de quelque école ou, au pis aller, disciple, nous tenons à déclarer notre indépendance littéraire, estimant d'ailleurs qu'un artiste ne vaut que par la miette de personnalité propre.
   Si l'on remarque des analogies entre nos poèmes libres et ceux contenus dans les volumes et plaquettes parus en ces dernières années, nous rappelerons l'antériorité des dates de publication (1881-1882) afin que nous demeure la propriété de l'initiative bonne ou mauvaise.
   Nous déclarons en outre n'avoir jamais prétendu révolutionner quoi que ce soit, ni remplacer aucun mode prosodique par celui affectionné de nous - mais simplement faire de notre mieux et adopter à cette fin la formule qui nous convenait.
   Notre proposition d'art est celle-ci: atteindre au plus de Beauté expressive possible, par le moyen lyrique, subordonnant le cadre aux exigences imprévues de l'image, et rechercher la surprise du style comme dans la libre prose avec, de plus, le souci d'un rythme particulier qui doit déterminer le caractère poétique déjà établi par le ton ou pour mieux dire le diapason ÉLEVÉ du langage.
   Le sacrifice de la rime et dela coupe symétrique du vers n'est d'ailleurs qu'une apparence de sacrifice, pour les yeux accoutumés aux prosodies régulières; car le dispositif inattendu, asservi aux attitudes de l'idée et de l'image - est un moyen d'effet de plus (1).
   Telle pièce traduisant quelque capricieux coin de nature, ou quelque anxieux état de rêve, perdrait toute son intensité à être enfermée dans un cadre régulier - alors que d'autres sujets appellent à eux les rigides architectures du vers, que nous admirons dans les immortels chefs-d'oeuvre des Maîtres.
   L'artifice de l'assonnance et, plus tard, de la rime, fut à l'origine l'ingéniosité d'un seul: - le premier qui s'en fut avisé - et non point la raison de vivre de la Poésie. Seul le caractère rythmique est significatif;  mais qui dit rythme est bien éloigné de dire symétrie.
   A quelles lois d!s lors obéirale poète déserteur des prosodies modernes?
   Mon Dieu, tout comme le peintre, le sculpteur et le musicien: aux lois subtiles de l'Equilibre et de l'Harmonie, dont le seul goût de l'Artiste peut décider.
- 1 - La division linéaire n'étant plus motivée par la rime ou l'assonance qui sont facultatives devient un moyen de ponctuation, un arrêt suspensif et aussi un moyen d'inscription décorative. (Note de l'auteur)



Les yeux d'amantes

     Comme des coupes de vin subtil,
     Comme des feux de lampes voilées,
Comme des étoiles au firmament d'avril
     Brillent les yeux énamourés.
                Aux noirs regards d'Espagne
                Passe un éclair de lame.
Passion qu'une colère jalouse enflamme.

     Pareilles aux sources étincelantes
     Sont les prunelles vertes des ardentes
                                               Amantes.

                           Les yeux bleus des blondes
Recèlent le charme fascinant de l'onde.
                          
                           De fines bagues d'or,
     Comme en des écrins de velours,
     Attendent aux yeux, vierges encor,
     Le regard promis à leur amour.

     Les triomphantes, les adorées,
     Portent sous leurs cils, qui rayonnent
     Des flambeaux et des couronnes

Les bonheurs reçus, les bonheurs donnés
Y laissent des brumes comme de rosée
                            Sur les fleurs posée.

     Dans l'eau limpide des yeux,
     Comme dans l'eau d'un lac heureux,
     Se mirent les ciels éblouis
                            Et les nuages
                            Lourds d'orages.

Mais une ombre funèbre volette,
Amantes veuves, sous vos paupières,
     Ils sont, vos yeux de tristesse,
     Comme d'éteintes lumières,
     Comme des tombes qu'on délaisse
     Où se fanent des violettes.

               Intermèdes, 1903



Javanaises (Les Danses, V)

     Les petites idoles
                Animées
                O mais
Si peu que cette danse évoque la folle
Vision: d'un bas-relief aux vivants symboles
                Hiératique et muet.

Les mains délicates
S'étirent comme des chattes
Jaunes, et parfois
Les pâles doigts

S'ouvrent et volettent près des seins graciles
     Comme des papillons grisés
D'aromatiques soirs d'avril,-

     Tandis qu'en rythmes brisés,
Pleuvent des musiques farouches et subtiles.

                           Rythmes pittoresques, 1890




Le poème des caresses

Inoubliables baisers qui rayonnez
Sur le ciel pâle des souvenirs premiers !
Baisers silencieux sur nos berceaux penchés !

— Caresses enjouées sur la joue ;
Tremblantes mains des vieux parents, —
Pauvres chères caresses d'antan,

Vous êtes les grandes soeurs sages
Des folles qui nous affolent
Dans les amoureux mirages.

Baisers ingénus en riant dérobés,
Moins à cause de leur douceur souhaités,
Que pour s'enivrer de témérité.

Premières caresses, vacillantes —
Comme, dans le vent âpre.
Des lumières aux lampes;

Caresses des yeux, caresses de la voix,
Serrements de mains éperdues
Et longs baisers où la raison se noie!
 
Puis, belles flammes épanouies,
Sacrilèges hosties
Où tout le Dieu vainqueur avec nous communie!

Caresses sonores comme des clochettes d'or,
Caresses muettes comme la Mort,
Caresse meurtrière qui brûle et qui mord!...

Baisers presque chastes de l'Amour heureux.
Caresses frôleuses comme des brises,
Toute-puissance des paroles qui grisent !

Mélancolique volupté des bonheurs précaires.
Pervers aiguillon du mystère,
Eternel leurre ! ironique chimère !

Puis, enfin, dans la terre —
Lit dernier, où viennent finir nos rêves superbes, —
Sur notre sommeil, la calmante caresse des hautes herbes.




Ronde de printemps

Dans le Parc, dans le Parc, les glycines frissonnent.
Etirant leurs frêles bras —
Ainsi que de jeunes filles
Qui se réveillent d'un court sommeil
Après la nuit dansée au bal,
Les boucles de leurs cheveux
Tout en papillotes
Pour de prochaines fêtes —
Dans le Parc.

Dans les Prés, dans les Prés les marguerites blanches
S'endimanchent, et les coquelicots
Se pavanent dans leurs jupes
Savamment fripées,
Mais les oiseaux, un peu outrés,
Rient et se moquent des coquettes
Dans les Prés.

Dans les Bois, dans les Bois les ramures s'enlacent :
Voûte de Cathédrale aux silences
Où le pas des Visions se fait pieux et furtif.
Parmi les poses odorantes des Hêtres
Et les blancs surplis des Bouleaux -r~
Sous les vitraux d'émeraude qui font
Cette lumière extatique —
Dans les Bois.

Dans l'Eau, dans l'Eau, près des joncs somnolents
Tremblent les étoiles pluies du soleil
Dans l'Eau,
Et la Belle tout en pleurs
Tombe parmi les joncs somnolents.
Et la Belle
Meurt parmi la torpeur lumineuse des flots :
La Belle Espérance
S'est noyée, et cela fait des ronds
Dans l'Eau.



La gigue

Les Talons
Vont
D'un train d'enfer,
Sur le sable blond,
Les talons
Vont
D'un train d'enfer
Implacablement
Et rythmiquement.
Avec une méthode d'enfer,
Les Talons
Vont.
Cependant le corps,
Sans nul désarroi,
Se tient tout droit,
Comme appréhendé au collet
Par les
Recors
La danseuse exhibe ses bas noirs
Sur des jambes dures
Comme du bois.
Mais le visage reste coi
Et l'œil vert.
Comme les bois,
Ne trahit nul émoi.
Puis, d'un coup sec
Comme du bois,
Le danseur, la danseuse
Retombent droits
D'un parfait accord, »
Les bras le long
Du corps.
Et dans une attitude aussi sereine
Que si l'on portait
La santé
De la Reine.
Mais de nouveau
Les Talons
Vont
D'un train d'enfer
Sur le plancher clair.




Les petits chemins

Ils ont une grâce enjôleuse.
Tendre à la fois et railleuse,
Des airs galants, persuasifs et mutins,
Les petits chemins.
Leur ruban clair se déroule —
Comme une eau lente —
Le long des prés, joyeux des fleurs en foule.
Et dans le bois qui chante.
Ils invitent à suivre leur fortune,
Le pas des rêveurs, le pas des amoureux
Que la route battue importune.
Ainsi les doux entretiens,
Aveux discrets murmurés en tremblant,
Du cœur effarouché qui se défend
Sont les petits chemins.
L'Amour alors, se faisant bon apôtre,
Gentiment nous prend par la main
Et nous conduit dans la forêt profonde
Par les petits chemins.



Ariane


À Jean Moréas.

Trêve aux plaintes, assez de sanglots;
Ce triste cœur est dévasté de larmes;
Et devenu pareil à un champ de combat,
Où la trahison de l'amant -
Sous son glaive aux éclairs meurtriers -
Coucha toutes les jeunes et puissantes joies
Mortes, baignées dans leur sang.
Et parmi tes roches plus clémentes
Que l'âme criminelle de Thésée,
Sur ton sol muet, ô farouche Naxos!
Ariane s'endort;
Tandis que sur la mer complice,
A l'horizon s'effacent
Les voiles blanches des trirèmes.
Elle dort. Les mélancoliques roses
Nées sous les pleurs,
Font albatréen son beau visage.
Et sur ses bras nus, aux joyaux barbares,
Frémissent les papillons d'ombre saphirine,
Que projettent les sapins
Dans le soir tombant. -
Le ciel a revêtu ses plus riches armures
D'or et de bronze.


Mais, voici approcher le char
Et retenir les sistres;
Et voici le Dieu charmant
Dionysos,
Couronné du gai feuillage
Pris à la vigne sacrée.
Et, cependant que l'agreste troupe
Des Faunes et des Satyres
Demeure auprès des outres pleines,
Dionysos approche.
Sa nudité a la grâce triomphale
De l'impérissable jeunesse;
Et sa chevelure de lumière
S'embaume des aromates
Conquis aux Indes lointaines.
Au rythme prestigieux de sa marche,
Ses cuisses de héros
Ont l'ondoyance voluptueuse des vagues;
Et le geste de son bras victorieux qui porte
Le thyrse saint
Montre la toison fauve de son aisselle,
Attestant l'androgyne nature
De l'Animale - Divinité.

Ariane endormie est pareille
A une neigée de clairs lotus.
Le Dieu ravi
S'émeut de délire célestement humain;
Et sa caresse comme un aigle s'abat
Sur le sein ingénu de la dormante belle,
Qui s'éveille alors.
Mais la flamme des yeux noirs
Du Dieu qui règne sur les sublimes ivresses
A consumé dans le cœur d'Ariane
Les douleurs anciennes;
Et séduite, elle se donne
Aux immortelles amours
Du Dieu charmant
Dionysos.

Rythmes pittoresques



Ève

À Maurice Isabey.

Ève au corps ingénu lasse de jeux charmants
Avec les biches rivales et les doux léopards
Goûte à présent le repos extatique,
Sur la riche brocatelle des mousses.
Autour d'elle, le silence de midi
Exalte la pamoison odorante des calices,
Et le jeune soleil baise les feuillées neuves.
Tout est miraculeux dans ce Jardin de Joie:
Les branchages s'étoilent de fruits symboliques
Rouges comme des cœurs et blancs comme des âmes;
Les Roses d'Amour encore inécloses
Dorment au beau Rosier;
Les Lys premiers nés
Balancent leurs fervents encensoirs
Auprès
Des chères coupes des Iris
Où fermente le vin noir des mélancolies;
Et le Lotus auguste rêve aux règnes futurs.
Mais parmi les ramures,
C'est la joie criante des oiseaux;
Bleus comme les flammes vives du Désir,
Roses comme de chastes Caresses
Ornés d'or clair ainsi que des Poèmes
Et vêtus d'ailes sombres comme les Trahisons.
Ève repose,
Et cependant que ses beaux flancs nus,
Ignorants de leurs prodigieuses destinées,
Dorment paisibles et par leurs grâces émerveillent
La tribu docile des antilopes,
Voici descendre des plus hautes branches
Un merveilleux Serpent à la bouche lascive,
Un merveilleux Serpent qu'attire et tente
La douceur magnétique de ces beaux flancs nus,
Et voici que pareil à un bras amoureux,
Il s'enroule autour
De ces beaux flancs nus
Ignorants de leurs prodigieuses destinées.

Marie Krysinska , Rythmes pittoresques




Le calvaire

À Raoul Gineste

De la lande attristée vers le ciel d'or glorieux
Monte la vieille Croix de pierre
Aux héroïques bras, jamais lassés
De leur geste large ouvert, et sur qui les averses
Ont mis l'offrande des mousses.
Et tous à genoux sur l'herbe rare
Courbant leurs pesantes échines, -
Comme font les boeufs au labour, -
Ils prient et ils pleurent les admirables Humbles,
Les enviables Humbles;
Ils pleurent sans rancune, ils prient sans colère,
A genoux sur l'herbe rare
De la lande attristée - vers le ciel d'or glorieux.
Voici nos douleurs, ô Christ
Qui aimes la douleur;
Bois nos larmes, Dieu
Qui te plais aux larmes!
Voici nos misères
Et voici nos deuils
Et l'opaque fumée de notre malice
Qui monte vers Ta Face, ainsi
Que la fumée des entrailles sanglantes
D'un bouc égorgé pour le sacrifice.
Et le crépuscule monte de la terre -
Comme une vapeur d'encens
Monte de l'encensoir -
Une miraculeuse Paix efface l'horizon
Et s'épand ainsi qu'une fraîche pluie
Sur l'aride cœur qui souffre.
Et, dans l'ombre commençante
La vieille Croix agrandie
Semble unir le sol au zenith -
Comme un Pont jeté
Sur les éthéréennes ondes -
Comme un sublime et symbolique Pont, menant
De la lande attristée - vers le ciel d'or glorieux.

Marie Krysinska, Rythmes pittoresques




Symphonie des parfums


À Madame Dardoize

Je veux m'endormir dans le parfum des roses fanées, des sachets vieillis, des encens lointains et oubliés. -
Dans tous les chers et charmeurs parfums d'autrefois. -
Mes souvenirs chanteront sur des rythmes doux, et me berceront sans réveiller les regrets.
Tandis que le morne et splénétique hiver pleure sur la terre inconsolée,
Et que le vent hurle comme un fou,
Tordant brutalement les membres grêles des ormes et des peupliers,
Je veux m'endormir dans le parfum des roses fanées,
Des sachets vieillis, des encens lointains et oubliés.
Et les rythmes et les parfums se confondront en une subtile et unique symphonie;
Les roses fanées se lèveront superbes et éclatantes,
Chantant avec leurs lèvres rouges les vieilles chansons aimées;
Elles s'enlaceront aux pâles jasmins et aux nénuphars couleur de lune;
Et je verrai passer leurs ombres miroitantes, comme en une ronde des robes de jeunes filles.
Les clochettes des liserons chanteront avec leurs parfums amers - les mortelles voluptés;
La violette à la robe de veuve dira les tendresses mystiques et les chères douleurs à jamais ignorées;
L'héliotrope avec son parfum vieillot et sa couleur défraîchie, fredonnera des gavottes, ressuscitant les belles dames poudrées qui danseront avec des mouvements lents et gracieux.
Musc minuscule et compliqué comme une arabesque,
Scabieuse, - reine des tristesses,
Opoponax dépravé comme une phrase de Chopin,
Muguet, - hymne à la gloire des séraphiques fraîcheurs,
La myrrhe solennelle, le mystérieux santal,
L'odeur du foin coupé, - sereine et splendide comme un soleil couchant,
Iris où pleurs l'âme des eaux dormantes,
Lilas aux subtils opiums,
L'amoureuse vanille et le chaud ambre gris
S'uniront en des accords grondants et berceurs - comme les orgues et comme les violons
Évoquant les visions cruelles et douces
Les extases évanouies, - les valses mortes, - les cassolettes éteintes et les lunes disparues.
Tandis que le morne et splénétique hiver pleure sur la terre inconsolée;
Et que le vent hurle comme un fou, tordant brutalement les membres grêles des ormes et des peupliers,
Je veux m'endormir dans le parfum des roses fanées, des sachets vieillis, des encens lointains et oubliés.
 

     Judith

À Marthe Mellot.

        Elle s'est parée comme une épousée
        La fille d'Israël que le chef de l'armée
        Assyrienne auprès de lui appelle.

Jamais Victoire n'offrit à nul héros de couronne plus belle :
        Les pierreries, aux regards sorciers
Qui brillent sur son sein en murmurants colliers
Ont moins de lueurs que ses noires prunelles ;

        Et les fines étoffes, répandues en nobles plis
        Sur son corps pur, frotté d'huiles odorantes
Semblent les voiles mêmes de l'aube au doux souris.

En sa bouche plaisante sont les discours avisés
Comme le miel dans une fleur de grenadier.

        La Nuit diaphane, couronnée d'étoiles,
        Va déclore bientôt son lourd portail ;
Mais, avant que le Jour ait fait voguer ses claires voiles,
        Le Seigneur accomplira ses desseins
Par cette main petite et tendre comme un ramier sauvage.

Elle a laissé ses habits de veuve à Bethyloua
Et vient, ceinte de grâce, en ses vêtements joyeux,
Au susurrement câlin des pendants d'oreilles
Et des bracelets, sur ses chevilles et sur ses bras.

        Son pas harmonieux est guidé
        Par la puissante droite d'Iahvé,
        Qui veut que son peuple gémissant
Lave son opprobre et sa honte – dans le sang.

Et, penchée sur le chef endormi, comme une amante,
Elle prend l'épée recourbée qui, dans sa main charmante,
Va devenir le Saint Glaive vengeur.

Biblisem

Autres poèmes sur le site Poetica.fr


Bibliographie

- Rythmes pittoresques
- Intermèdes, Vanier-Messein,







08/03/2010
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