Kapnist (Eugénie)
Anthologie critique des poètes, 1911, p. 87 (Gallica)
Oukraina
Steppe, lande infinie où l'océan roula
Sous le regard tranquille et lointain des étoiles.
Au sombre écroulement des flots porteurs de voiles
Le chatoiement des blés nourriciers succéda.
Sous le sable et le sel la conque ensevelie
Heurte le soc où fut le fond muet des mers.
Mais les souffles ardents, les murmures amers,
Flottent sur cette plaine immense et dépâlie.
La mouette au cri rauque habite le marais,
Se berce sur les joncs et bat l'air blanc de l'aile,
Mais à travers les temps son instinct lui révèle
L'énorme nappe d'eau, les mâts et le vent frais...
Et lorsque la tourmente au-devant des orages
Avance en tourbillons comme au siècle, marin.
L'oiseau des mers qui rêve au choc des flots d'airain
S'élance et jette au ciel le cri des autres âges.
L'homme, fils de la steppe, a l'instinct du passé.
Son âme écoute encor le silence et l'espace.
Sur son front affaibli si l'aile libre passe.
Il se souvient qu'il vit, il sait qu'il a pensé.
La paix riche en blés d'or, une lente existence,
Ont plus usé son cœur que les grands jours anciens,
Quand chacun combattait pour tous qu'on disait siens,
En appelant au ciel et à leur longue lance.
On résistait au monde : on en était plus fort,
Sur la brèche d'Europe on contint le Tartare,
Et par Byzance instruit on n'était pas barbare.
C'était la vie immense en face de la mort !
Mais, aujourd'hui, l'effort ne trempe plus les âmes;
Le pain n'est plus vital; un océan lointain
Pâle en l'esprit stagnant... La nation a faim
De glorieux exploits et de lustrales flammes !
Élégie
La vague au front pâli parle au soir solitaire.
Et rien ne les entend pleurer dans l'infini,
Ils sont très près des cieux, oublieux de la terre.
Et voici, qu'insondable en sa tristesse austère.
Dans l'humide brouillard leur baiser s'est uni.
Et mourante en son ombre, elle lui dit : « Je t'aime
Plus que les astres d'or qui veulent m'éclairer ;
Pour eux mon onde est glauque et mon écume blême,
Mais notre solitude, ô soir sombre, est la même ;
En buvant ton soupir, je puis mieux soupirer ! »
Et le soir solitaire écoute son murmure.
L'entoure, la caresse en ses vastes reflets.
Dans l'instant éternel que leur étreinte dure.
La nuit, entre Orion et le géant Arcture,
Descend sur ses chars d'or, d'étoiles attelés;
Mais leur regard brillant glisse en vain sur l'abîme,
La vague n'ouvre pas son sein à leur lueur,
A son trouble houleux, à son tourment intime,
Leur calme est étranger; un autre esprit l'anime;
Et seule la douleur répond à la douleur.
Bibliographie:
- L'Acropole, A. Lemerre, Paris, 1908. —
- Prométhée, coll. La Poétique
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