Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Lesguillon (Hermance) 1812-1882


Hermance Lesguillon
 
1812-1882
1812 selon la notice Gallica concernant "Les Vraies perles" , wikisourceVIAFBNF etc...
 
Dans Polybiblion, juillet-décembre 1882
Lesguillon 02.jpg
 
Long article sur elle dans le
 
 
 

Vapeurs


Comme le ciel a ses orages,
Comme il a ses sombres nuages,
Aussi l'âme a de noirs détours!
Comme il a ses brises qui grondent,
Comme il a ses neiges qui fondent,
Aussi l'âme a ses mauvais jours!!!

Jours d'indolence et de malaise,
Où tout déplaît, chagrine et pèse,
Où le repos et la raison
Nous paraît chimère barbare,
Qui prend notre route et la barre,
Et tient notre vie en prison:

Des jours où notre âme oppressée,
Est faible, malade et froissée,
D'un zéphir qui passe dans l'air:
Où notre mémoire est cachée,
Où notre parole est fâchée,
Où notre sourire est amer:

Où notre pensée est oisive,
comme un écho sur une rive,
Qui marche où l'entraîne le vent:
Où notre sang lourdement coule,
Comme un char funèbre qui roule,
Et qui nous emporte au néant:

Des jours qui sont vieilles années,
Où les fleurs nous semblent fanées,
Où notre oeil est désolateur:
Où le dédain vient et se pose,
Ote le voile à chaque chose,
Sans y trouver son créateur.

Des jours de haine et de blasphème,
Où l'on maudit celui qu'on aime,
Celui qui sacra notre voeu:
Des jours de deuil et d'athéisme,
Où notre croyance est un schisme!
Un schisme qui rejette Dieu!

Oui, des jours dépouillés de charmes,
Où la poésie est sans larmes,
Où la douleur n'a pas d'accent!
Oui, des jours de morte souffrance,
De courage sans espérance,
Où tout notre coeur est absent!

La France Littéraire (1837, S. 2, T. 2)

 

 

Le Ballon géant (1865)


 

 

 

LES DEUX CERCUEILS 

 

Deux cercueils à la fois : un vieillard, un enfant ! 

Un front las de savoir, un cœur frais d'innocence ! 

Un regard plein d'azur qui s'ouvre triomphant ! 

Un œil appesanti du poids de l'existence ! 

 

Un vieillard ! un enfant ! ensemble rappelés ! 

L'un qui savait les jours et partait sans envie, 

L'autre essayant sa voix, par des mots éjielés ; 

L'un fuyant l'air pressé I l'autre aspirant la vie ! 

 

Un enfant î un vieillard ! deux cercueils enfermant 

L'un, un corps frais, veiné, doux, pur, tendre et fragile, 

Colombe née hier, dans sa beauté dormant ; 

L'autre cachant un corps usé, flétri, débile ! 

 

Oh ! douloureux tableau qu'apportent ces deux morts ! 

L'un continue à vivre et gagne le rivage, 

Après de durs combats et de tristes efforts ; 

L'autre, cà peine venu, s'en va, sans compter d'âge. 

 

Ce contraste. Seigneur, n'est-il pas effrayant ? 

De ton juste pouvoir où retrouver la preuve ? 

Pour le cœur qui chancelle et pour le cœur croyant. 

Cette mort inégale est une lourde épreuve ! 

 

Comment garder la foi si tu prends le bonheur ? 

Comment former des vœux si tu sèmes les doutes ? 

Comment oser marcher si tu prends, ô Seigneur ! 

Les petits enfants sur les routes ? 



 

Le doute

 

 

 

Pauvre tapis d'automne étendu sur la terre, 
Inutile moisson qui sèche solitaire,
        Faite pour orner les tombeaux,
Germes décolorés, beauté trop tôt vieillie,
Qui traînez lentement votre robe salie,
        Comme un mendiant ses lambeaux !

Vous voilà sur le sol, sans duvet, sans parure ; 
Vous voilà dédaignés de la verte nature
        Pauvres cadavres déliés ;
Vous voilà ballottés comme un flot sur la grève, 
Que le rameur abat ou que la brise élève,
        Roulés ou meurtris par nos pieds.

Vieillards d'une saison, le moindre vent vous pousse :
Un bruit d'aile en passant vous donne une secousse 
        Dont le coup fatal vous atteint
De vos monceaux épars il sort un doux murmure, 
Triste comme l'adieu que jette à la nature
        Tout germe vivant qui s'éteint !...

Vous formiez au printemps de si riants ombrages,
Vous étiez pour l'oiseau de si charmantes cages ! 
        Libres et secrètes maisons,
Vous renfermiez cachés tant d'amoureux mystères,
Tant de jeunes serments, de tendresses de mères,
        Dont nous entendions les chansons !

Vous étiez tant aimés des joyeuses cohortes
Qui sortaient et rentraient d'entre vos mille portes, 
        Feuillages qui portiez leurs nids ; 
Vous étiez tant pressés de leurs ailes douillettes,
Qui s'ouvraient chaque soir pour enlacer leurs têtes
        Ou couver leurs oeufs tout petits !

Vous étiez fiers alors d'orner le tronc splendide,
Et d'être sous le ciel le toit qui sert d'égide
        À tous les voyageurs des airs,
Vous étiez fiers encor d'avoir parmi vos hôtes
Les beaux rayons dorés qui, de leurs cimes hautes, 
        Descendaient sous vos arceaux verts

Oui, vous étiez heureux, car vous étiez fertile,
Feuillage devenu la fumée inutile
        Errant sans destination ;
Vous preniez votre part de l'immense mamelle,
Qui nourrit l'univers de sa sève éternelle,
        Lait pur de la création !

Vous aspiriez les cieux et vous voyiez l'aurore 
Se lever, se coucher, et se lever encore, 
        Immuable dans sa clarté ;
Vous existiez enfin, admirable verdure,
Pleine d'enchantements, d'espérance ! Ô nature
        Vous aviez jeunesse et beauté !

Aujourd'hui, qu'êtes-vous ? À quoi vous servit d'être ?
Pourquoi ce jour si beau que Dieu vous fit connaître,
        Pauvres germes mis au néant ?
À quoi servit, hélas ! ce passage éphémère ?
Pourquoi levâtes-vous vos sèves hors de terre
        Pour y rentrer en un instant ?

Que sommes-nous, Seigneur ? Pourquoi fis-tu la monde ?
Amour ! bonté ! justice ! Ô sagesse profonde !
        Dieu qu'on admire et qu'on bénit !
Pourquoi nous créas-tu comme la pauvre feuille,
Pour qu'un danger nous tue ou qu'un malheur nous cueille, 
        Neige qui tombe, brille et fuit ?

Pourquoi tant de douleurs, de combats, de tempêtes ? 
Pourquoi tous ces éclairs environnant nos têtes,
        Foudre qui tombe à chaque pas ?
Pourquoi cette menace et ces frissons terribles, 
Quand nous devons un jour nous coucher si paisibles
        Dans le champ muet du trépas ?

Pourquoi donner à l'homme afin que tout le quitte, 
Le festin de la vie auquel l'espoir l'invite,
        Élan des sens, élan du coeur ?
Pourquoi s'il doit éteindre et sa voix et sa flamme, 
Lui donner le désir, la pensée, et son âme !
        L'âme qui te nomme, ô Seigneur ?

Pourquoi tant de grandeur parmi tant de faiblesse ? 
Pourquoi, flambeau divin, cette foi qui s'adresse
        À ton nom toujours répété ?
Pourquoi, pauvre lutteur, égaré dans la route,
Ce regard vers le ciel même au milieu du doute
        Comme un point dans l'obscurité ?

Pourquoi, malgré les pleurs que tu nous fais répandre, 
Cet instinct résigné de poursuivre et d'attendre,
        Condamné qui connaît son sort ?
Pourquoi, pouvoir muet, ce besoin de prière
Sortant du flanc blessé de la nature entière
        Qui ne veut pas croire à la mort ?

        Oh ! si nos amours, nos tendresses,
        Nos rêves, nos nobles ivresses,
        Débordant de tous les côtés,
        Si la foi, l'espoir, la prière,
        Où tout ce que l'homme révère,
        Étaient des rêves inventés ?
        
        Si tout ce que répand la vie
        D'ardeur et d'extase ravie,
        Encens qui s'élance d'un voeu ;
        Si le désir, si l'espérance,
        Appâts où se prend l'existence,
        Étaient de l'homme et non d'un Dieu ?
        
        Si la création, Seigneur, est passagère,
        Si tout ce qui brilla pur et beau, sur la terre,
        Fut un jeu qu'essaya ta main,
        Si tu n'as pas créé la durée et l'espace
        Pour revêtir de vie un monde qui s'efface,
        Ton pouvoir est fatal et vain !
        
        Oui, ta grandeur est la misère,
        Ta force, une flamme éphémère,
        Ton génie, un souffle mortel,
        Si tu n'allumas pas la vie
        Pour renaître, pure, infinie,
        Dans les phalanges de ton ciel !
        
        Ou, loin d'être le Dieu suprême,
        Loin d'être un Dieu bon qui nous aime,
        Tu deviens le Dieu qui maudit,
        Si tu nous donnas la souffrance,
        N'offrant pour but à l'espérance,
        Qu'un corps que la mort refroidit !
        
Oh ! dans ce doute affreux je m'arrête et te brave ; 
Vivant sous ton pouvoir comme le noble esclave,
        Qui, fier, ne veut pas implorer,
J'obéis tristement en maudissant chaque heure 
Qui m'attache à la terre, ironique demeure,
        Où tu nous jetas pour pleurer !

Ce n'est plus vers ton ciel qua ma prière monte ;
Orphelin, je poursuis mon chemin et j'affronte
        Souffrance, combats et malheur ;
Insensible à ton nom, je tourne ma tendresse
Vers l'homme et dans lui seul ton oeuvre m'intéresse, 
        Lui, mon frère de la douleur !

Je l'aime ! Il souffre, il tremble, au gré de ton envie ; 
Il traîne haletant sous le poids d'une vie
        Dont il ne chercha pas les jours :
Je l'aime ! Il doit porter péniblement sa chaîne 
Dont les plus doux anneaux sont cette affreuse peine
De pleurer vivants nos amours !

Je l'aime ! Il fut maudit ! Je l'aime ! Il est mon frère ! 
Il sème comme moi sur une ingrate terre
        Qui produit la ronce et la mort !
Je l'aime, il porte en lui les passions ! Son âme 
Doit brûler sourdement au bûcher d'une flamme
        Qui devra consumer son corps !

Je l'aime et quant à toi, Dieu fier de ta puissance,
Dieu, qui de ton orgueil fis jaillir l'existence,
Comme du gouffre obscur tu fis le jour surgir,
Je te dis : reprends-nous ces biens qui font ta gloire
Reprends l'âme, la vie, avant que ta victoire
Vienne à l'aide du temps lentement les ravir !

Va ! puisque c'est la mort, méchant fruit de tes veilles, 
La mort, l'étroite mort qu'enfantent tes merveilles,
        Berceaux bâtis sous les cyprès,
Puisque c'est le néant que produit ta semence, 
Je ne veux plus rien voir du germe qui s'élance,
        Quoiqu'il porte un fruit doux et frais !

Je ne veux plus rien voir de tes grandeurs divines, 
Dont l'éclat immuable insulte à nos ruines,
        Débris entassés en tous lieux,
Je ne veux plus rien voir de ton dôme superbe, 
Où brilla un flambeau d'or qui nous jette sa gerbe,
        Fiers regards qui blessent nos yeux !

Je ne veux plus rien voir ! Voile cette nature ! 
Reprends cet univers, cette noble verdure,
        Ce ciel de pourpre et de vermeil !
Reprends ce sol fleuri de tes moissons fécondes, 
Cette mer formidable où vont mugir tes ondes,
        Reprends ton orgueilleux soleil !

Cache-nous la splendeur de tes astres limpides,
Autre mer où les mots s'amoncellent rapides,
        Suivant leurs éternels chemins !
Jette sur notre globe un vêtement livide !
Ouvre le sol béant, comme un sépulcre vide 
        Qui doit engloutir les humains !

Plus de printemps chargés de semences divines,
Plus de monceaux de fleurs enlaçant les collines ! 
        Plus de prés, de bois, de buissons !
Plus qu'un désert immense et qu'une mer de glace,
Plus qu'un horizon morne où nul oiseau ne passe, 
        Plus qu'un hiver pour les saisons !

Plus rien qui fasse croire à l'enfant doux et tendre
Que tu créas l'espoir pour grandir et s'étendre, 
        Jusqu'à ton imposant séjour !
Plus rien qui, l'abusant sur sa vie éphémère,
Lui fasse en souriant écouter de sa mère
        Le fragile et mortel amour !

Que partout l'ombre pèse et qu'un sombre silence, 
Sans se rompre jamais, préside à l'existence,
        Comme l'invisible remord !
Qu'aux lieux où l'homme passe une froide lumière
Fasse croire à l'horreur de cet affreux mystère 
        De l'homme qui naît pour la mort !

 

Hermance Lesguillon et le genre en peinture

(Dans Laurence Brognez : les femmes au Salon)

Lesguillon.jpg

 

 

 

 

Bibliographie:

- Rêveuse, Paris, 1833

- Rosées, Paris, 1836

- Rayons d'amour, Paris, 1840

- Le midi de l'âme, Paris, 1842

- Les mauvais jours, Paris, 1846

- Contes du coeur, Paris, 1855

- Le Prisonnier d''Allemagne, scène en vers à trois personnages, Paris, 1871

- Les Adieux, Paris, 1875

- La femme d'aujourd'hui, saynètes en vers et en prose, Paris, 1880



 



29/03/2010
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