Francia-Mollard Clara (1804-1843)
Clara Francia Mollard
(1804-1843)
Biographie sur "l’Intermédiaire des chercheurs et curieux" de juin 1893
"Il y a, dans vos vers, la rêverie profonde et sérieuse de la femme, et par moment la vivacité
éblouissante de la jeune fille... » (Victor Hugo)
(J'aime à vivre)
J'aime à vivre où fleurit la rose,
J'aime à vivre où passe le vent,
J'aime à vivre où l'oiseau se pose,
J'aime à vivre où l'arbre est mourant.
J'aima à vivre où le soleil donne
Les rayonnements de son feu ;
Où Raphaël fit sa Madone,
Où Michel-Ange fit son Dieu.
J'aime à vivre où tout nous fait croire
Qu'au ciel nous retrouverons des jours ;
Mais où je veux vivre toujours,
C'est au fond de votre mémoire.
Lyon, 1840
Dans l'Intermédiaire des chercheurs et curieux de juin 1893
RÉSIGNATION
Encore, encore un jour qui pour nous se dévoile,
Un jour qu’il faudra vivre et suivre pas à pas ;
Et puis viendront le soir et la nuit sans étoile,
Et les rêves qu’on ne sait pas.
C'est le mystère ! il faut marcher sans le connaître.
L'épi vient sans savoir qu’il tombe à la moisson,
Et l’oiseau ne sait pas pourquoi Dieu le fit naître
Dans les épines du buisson.
Nous, nous voulons savoir pourquoi l’air roule et passe ;
Pourquoi dans chaque vie il est un triste adieu ;
Nous voulons de nos yeux interroger l’espace
Où nul ne peut lire que Dieu !
Eh ! n’est-ce pas assez que la terre nous emporte,
Et nous donne ses fruits, de l’ombrage, un foyer ?
Au moment de partir, la mort ouvre une porte,
Et l’on sort sans se coudoyer.
C'est tout, hélas ! c’est tout ! le berceau, puis la tombe.
L'enfant vient, le vieillard s’en va. Le pleure-t-on ?
Quand la feuille est jaunie, il faut bien qu’elle tombe
Pour faire place au rejeton.
C’est que Dieu dans nos jours a mis de douces choses,
C’est la colline ombreuse, et l’onde et l’horizon
C’est l’abeille qui boit dans un soleil de roses,
Dont elle se fait le rayon.
C’est le pavot qui flotte au milieu de la plaine,
C’est le rameau fleuri qui penche vers le sol,
C’est le petit oiseau qui déploie avec peine
L’aile où déjà tremble son vol.
Et nous crions toujours, et notre voix blasphème ;
Nous voulons voir du ciel l’invisible chemin ;
Renverser l’univers, refaire l’oeuvre, et même
Créer un Dieu de notre main.
Fous ! nous voulons savoir. La nuit nous environne ;
Nous voulons tous du siècle une immortalité ;
Nous parlons d’avenir, et par l’heure qui sonne
Notre avenir est emporté.
Orgueil ! Orgueil ! Eh quoi ! dès nos jeunes pensées
Nous voulons qu’un genou se plie à nos genoux !
Insensés ! Mais avant que nos chairs soient glacées
On ne se souvient plus de nous !
Eh ! qu’importe qu’il vienne un enfant, une femme
Chercher sur une pierre un nom presque effacé,
En disant, tout en pleurs : Revivez dans mon âme,
Souvenir d’un bonheur passé ?
Lorsqu’on nous a cousus dans la toile grossière,
Qu’on a cloué sur nous quatre morceaux de bois,
Qu’importe qu’on nous fasse un lit dans la poussière,
Et qu’on nous pare d’une croix ?
C’est le dernier chemin de notre court voyage,
L’écueil où nous restons au milieu du chaos,
Où le fossoyeur fait, comme un souffle d’orage,
Voler la poudre de nos os.
Ainsi nous finissons ; – tout reste en son essence ;
Dieu nous rappelle à lui quand il veut et toujours ;
Sa main n’a pas besoin d’une sainte balance
Pour savoir le poids de nos jours.
C’est que tout est compté, jusques aux grains de sable ;
Au regard du Très-Haut rien ne reste inconnu :
Il sait le temps passé, le temps impérissable,
Et l’homme qui n’est pas venu.
Ainsi soit-il, mon Dieu ! Mon Dieu ! lorsque votre ange,
Qui de la vie éteint chaque jour le flambeau,
Viendra nouer à moi son aile comme un lange,
Et me jeter dans le tombeau.
Dieu, laissez-moi ravir à l’autre vie une heure ;
Ramenez mon esprit au milieu de mes champs :
J’ai besoin d’écouter le poète qui pleure
En créant de sublimes chants !
C’est que dans le poète est la grande pensée ;
C’est le miel qui toujours s’épand sur la douleur ;
Car votre voix, mon Dieu ! dans sa voix s’est placée
Comme un parfum dans une fleur.
Mais quels rêves de fous, ah mon Dieu ! sont les nôtres !
Si l’âme va vers vous, elle reste avec vous ;
On perd le souvenir de la terre : et puis d’autres
Naissent et meurent comme nous.
Pleure-moi
Petite fleur cachée,
Penchée
Aux champs,
Reçois en ton ciboire
D'ivoire
Mes chants.
Sous l'encens de ta feuille
Qu'on cueille
Au jour,
Apprends-lui de mon âme
De flamme
L'amour
Petit oiseau farouche
Qui touche au ciel
De ton aile vermeille,
Pareille au miel;
Quand sur nous la lumière
Première
A lui
Murmure qu'en silence
Je pense à lui.
Petite étoile pâle
D'opâle,
La nuit,
Si je cherche, craintive,
La rive
Sans bruit,
Dis à travers l'espace
Où passe
Ton feu,
Qu'il est le ciel que j'aime,
Et même
Mon Dieu.
Petit ange, poète
Qu'on fête
Aux cieux,
Sur qui Marie abaisse
Sans cesse
Les yeux.
Dis-lui: La trépassée,
Glacée,
Sans fleurs,
Veut sentirsur sa cendre
Descendre
Tes pleurs.
Bibliographie
- 1840: Grains de sable
- un recueil perdu, en préparation au moment de sa mort.
Sur Clara Francia-Mollard
Dans M. Roustand : Lamartine et les catholiques lyonnais, 2009
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