Picard (Hélène) 1873-1945
Hélène Picard
Pseudonyme d'Hélène Dumarc
1873-1945
(Dans Alphonse Séché, Archive.org)
- Toulouse, Privas
- Consulter L'"Instant Eternel" sur Archive.org
- mais aussi l"'Anthologie critique des poètes", 1911,
- Les "Muses françaises" d'Alphonse Séché (nombreux poèmes!) et surtout
- L' "Anthologie des poètes du Midi" (magnifiques poèmes d'amour, comme inspirés du "Cantique des Cantiques"!)
- Massenet - Hélène Picard (mélodie)
La bonne joie
Souvent, je m'attendris, vraiment, jusqu'à pleurer
En m'imaginant nue et dans sa stricte vie,
Votre chair jeune et douce et j'éprouve l'envie,
Les sens calmes et purs, d'aller la respirer.
C'est puissant, c'est divin, c'est neuf... Je m'extasie...
Quoi! vous avez un coeur dans votre cher côté,
Un coeur de tiède sang, de force et de santé,
Un coeur qui bat, profond, à la place choisie?
J'adore votre forme exacte et son contour,
L'éclat matériel de votre belle lèvre,
Votre vigueur qui monte et vous fait de la fièvre
Et précipite en vous le besoin de l'amour.
Combien c'est net et bon, combien cela m'enchante!...
Je pense à votre faim, à votre beau sommeil,
Je me dis: "il est plein de sève et de soleil,
Et la joie est sur lui comme l'eau sur la plante."
Vous avez mon amour, la poigante douceur
De l'animal qui boit, qui marche et qui désire
Et même, sans vos pleurs, vos rêves, votre rire,
Vous avez, par le sang, une haute splendeur.
Je vous loue, éblouie et grave, car vous Etes...
J'écoute votre pas, j'entends votre soupir...
"Ah! comme il est vivant!" me dis-je... "Il doit mourir..."
Mon adoration fond en larmes secrètes...
Et c'est un plaisir sain, vrai, robuste, émouvant,
Je n'y mets pas d'ardeur cache et sensuelle,
Et je ris tendrement lorsque je me rappelle
Vos cheveux, une fois, emmêlés par le vent...
Pénétration
J'aurai goûté vos yeux, votre front, votre main
Plus que je n'ai goûté l'eau limpide et le pain,
Votre bouche m'aura pour toujours abreuvée,
Votre âme je l'aurai tout entière rêvée,
Je vous ai convoité comme on convoite l'or,
Je vous ai possédé comme on étreint la mort,
Je vous ai parcouru comme une route neuve,
Vous avez ondoyé dans mes bras comme un fleuve,
J'ai chargé votre front de toute la beauté,
Je n'ai plus su qu'en vous recueillir la clarté.
Toutes mes nuits n'étaient faites que de votre ombre,
Et vous m'avez semblé sans limite et sans nombre,
Et vous m'avez paru grand de tout l'univers.
En moi vous affluiez avec le bruit des mers,
Avec les cris humains et le souffle du rêve,
Vous étiez doux en moi de même qu'une grêve,
Sonore comme un bois quand les vents sont épars,
Vous avez à jamais habité mes regards,
Vous m'avez faite triste et splendide sans trêve
Comme, sur une tour, une reine qui rêve...
Et quand mes pleurs la nuit, étaient si soucieux,
Je vous sentais couler lentement de mes yeux.
J'aurai bu votre vie à la source d'eau vive,
Vous fûtes l'éternel dans l'heure fugitive,
Je vous dois l'infini, le songe, la douleur,
Et vous avez changé le rythme de mon coeur.
Je vous dois la vertu, la colère sacrée,
Ce livre tout ouvert par sa porte dorée,
Et cet ange surgi de mon âme et du soir,
Plus grand que le génie, encor: le désespoir...
Je vous ai fait ma couche et ma table servie,
En tous lieux, je vous ai, dans mon ombre, emporté,
Vous fûtes ma maison et je vous ai planté,
A jamais, comme un arbre au milieu de ma vie...
Appel
Jeunes hommes, venez!... Vous les sûrs, vous les grands,
Vous les vrais qui croyez aux forces de la vie,
Vous les méditatifs, les doux, je vous convie
A regarder mes yeux pleins de songes errants.
A regarder mes mains qui, solides et belles,
Portent la charité, portent le bon vouloir,
Accomplissent, le jour, les tâches éternelles,
Et recueillent, après, le silence du soir.
Voyez si l'énergie et la vive puissance
N'ont pas fait mon coeur lourd et fort comme un marteau,
Voyez si je n'ai pas cette antique innocence
Que gardent à jamais l'herbe, le vent et l'eau.
Voyez si j'ai souffert avec orgueil et flamme,
Voyez si j'ai vécu selon le rite humain,
Et porte, dans mes bras le bouquet de mon âme,
Si riche, quelquefois, qu'il jonchait le chemin...
Ah! jeunes hommes beaux sous la lampe dorée,
Vous qui lisez, vous qui savez, accueillez-moi!...
Regardez mon esprit et sa table sacrée
Où la sagesse ancienne écrit sa sobre loi.
Et je suis simple aussi... Je suis femme avec grâce,
J'en ai tout le défaut et tout le désespoir,
Mes longs cheveux épars m'aiment quand je suis lasse,
Tout le jour respiré me jette aux bras du soir.
Je sais pleurer: voyez quelles larmes je donne
Aux beaux anges chrétiens que Lamartine aima,
Et je sais être faible et tendre et, vers l'automne,
Lever des doigts légers que la rose embauma.
Venez!... Je n'ai pas peur puisque vous êtes justes,
Vous êtes réfléchis et vous êtes aimants,
Prêts à me louanger de vos gestes robustes,
Prêts à me soutenir de vos conseils charmants.
Je veux, quand vous m'avez bien rendu témoignage,
Me couvrir de vertu, de gloire incéssamment,
Et vous montrer comment je dresse mon courage
Vers le front des humains et vers le firmament,
Je veux me surpasser, m'éblouir, être belle
Dans toute ma raison et dans tout mon regard,
Et me sentir, enfin, l'oeuvre faite éternelle
De la patience et la ferveur de l'art...
Oui, votre témoignage, il me le faut cette heure!...
Et je l'emporterai bien contre mes genoux,
Et bien contre mon sein, jusqu'à ce que je meure,
Pour me venger du mal que m'a fait l'un de vous!...
Le trouble
Ah ! laissez-moi bercer mon ineffable rêve,
Je sens d'un autre lin se vêtir ma beauté,
Et la lune est ainsi qu'une averse d'été,
Et la colombe au bord de son nid se soulève...
Il semble que je vis dans un biblique jour,
Mes cheveux sont pareils aux vapeurs du cinname,
C'est l'âme de Sion qui chante dans mon âme,
J'ai brûlé des parfums et respiré l'amour.
J'ai crié vers les bois pour réveiller les roses
Et pour en obtenir le cœur du bien-aimé...
J'ai compris en passant dans le vent enflammé,
Que le désir est mûr sur mes lèvres écloses.
Mon rire était ainsi que du cristal brisé,
J'ai supplié la vie en pleurant sur la terre,
Aux arbres, aux ruisseaux, à l'ombre solitaire,
J'ai demandé tout bas le secret du baiser...
Le printemps regardait se balancer les cloches,
Toute l'odeur de Pâque était sur les chemins,
Les muguets ont loué la blancheur de mes mains,
Et j'ai su que les temps de mes noces sont proches.
Je veux seule, ce soir, sangloter dans l'air doux.
Oh ! c'est trop de bonheur, trop d'ardeur, trop d'alarmes,
Mes yeux sont étonnés de leurs nouvelles larmes,
Vous ne pouvez savoir encore...
Éloignez-vous...
L'instant éternel,1907 (couronné par l'Académie Française)
Hymne au Bien-Aimé
O jeune corps de joie où la splendeur circule,
Je te glorifierai dans la vague du blé,
Dans les grans horizons, lorsque le crépuscule
Ouvre une route bleue au silence étoilé.
O jeune fleur de vie, ô chair pure et sacrée,
O corps du bien-aimé, je te louerai le jour,
Lorsque la terre boit la lumière dorée,
Quand le soleil est beau comme un rire d'amour.
Je te retrouverai dans les vignes ardentes,
Dans la mûre si lourde aux doigts de la chaleur,
Dans le parfum du foin et des roses brûlantes,
Et dans le tiède sol et dans les fruits en fleur.
Je te désirerai dans les plantes de l'ombre,
Je te savourerai dans le pain du matin,
Je boirai ta douceur au coeur de la nuit sombre,
Et, dans le fleuve beau, je verrai ton destin.
Je baiserai le chêne ou tes dieux te saluent,
L'herbe de la vallée où tu dors en riant,
Le lin, l'outil, le blé que tes mains distribuent,
Belle, je chanterai pour toi vers l'Orient.
Je te respirerai dans les vents de l'automne,
Dans les vents où tournoient les fous insectes d'or,
Ivres, dans le verger qui s'éffeuille et rayonne,
D'avoir goûté les fruits et pressenti la mort.
O bien-aimé, fraîcheur, parfum de la colline
O clarté de mes yeux, ô rythme de mon coeur,
Je mouillerai ta chair d'une larme divine
Et je m'effeuillerai sur toi comme une fleur.
Je t'apprendrai les mots dont s'alimente l'onde,
Dont s'avive l'azur, dont se dore l'été;
Pour toi, je lèverai mes deux bras sur le monde,
Et mes gestes, pour toi, feront de la beauté.
La source des forêts dira notre jeunesse,
Et ma lèvre, sans fin, dans la tienne mourra;
La lune règnera, haute, sur notre ivresse,
Et l'urne de ma vie à tes pieds coulera...
L'instant éternel (1907)
Au Mauvais Garçon
Parfois, garçon, pour m'attendrir,
Je pense en parcourant ce livre,
Que j'étais malade à mourir
Quand j'évoquai ton mal de vivre.
.
Bientôt je ne vis plus que toi
Dans ma souffrance solitaire
Et de mon âme en désarroi
Naissait un vers involontaire.
.
Oh ! ce besoin si doux,si fort,
Dans les désespoirs unanimes,
De réciter même à la mort
Le rosaire enchanté des rimes !
.
Mais dans ma sombre affliction
Destinée aux plus purs miracles
Ce fut l'étrange invasion
Soudain de tes pires spectacles.
.
Certes,j'aurais pensé à Dieu
Qui se doit à mon épitaphe
Si je n'eusse été au milieu
Des bars peuplés d'un phonographe...
( ... )
Lorsque le temps est rose un peu,
N'aurai-je plus sur ma figure
Le soufflet vert,le soufflet bleu
D'une belle cravate impure ?
.
Ne verrai-je plus le melon
Chez la repasseuse gourmande
Et dans les bars l'accordéon
Déployer sa sourde guirlande ?
.
Là tes regards durs et dorés
Ne me feront-ils plus d'aumônes
Quand des filles,les reins cambrés,
Descendent des affiches jaunes ?
.
Ne surprendrai-je plus les jeux
De tes coupables rêveries
Dès que l'alcool met dans leurs yeux
Pour quatre francs de pierreries ?
.
Ne sentirai-je plus l'odeur
De ta cigarette méchante
Mais moins âcre que ta candeur
Et sans doute moins décevante ?
.
Devrai-je oublier la fraîcheur
De ta gorge si pécheresse,
Toi qui fus ma bête et ma fleur
Et la jungle de mes caresses ?
.
N'irai-je plus sur les fortifs
Cueillir la pâquerette en peine
Et boire dans tes mots plaintifs
L'absinthe pauvre de Verlaine ?
.
Je parlais à leur beau patron
Tout en saluant d'une plainte
Le vert,le léger liseron
Qu'offre à ses poètes l'absinthe.
.
Parfois je pleurais.Mais le soir
Quand j'allais faire ma prière
Vers tes obsédés du trottoir
Descendait mon Ange sévère.
.
Alors,mes délires,sais-tu
Ce qu'ils furent près de ma tombe ?
Ton innocent trop rebattu,
Ta prisonnière et sa colombe,
.
Entre l'oeillet et le vermout,
Un éventail de bois groseille,
Les gigues rouges d'un atout
Autour d'une lourde bouteille,
.
Les harengs frits, L'Ami Victor ,
Les fleurettes de la banlieue,
Et Mademoiselle la Mort
Peinte,pompeuse,en robe bleue...
.
Fatigue,ardeur de mon cerveau,
Lâcheté ou douleur d'un monde ?
Que me voulaient l'as de carreau,
Saint Lazare et sa fille blonde ?
.
Le tir plein de dames de coeur,
D'oeufs dorés,de clowns,de peluches ?
Dans une maison de langueur
Les sourcils bleus d'une perruche ?
.
Le petit manège,bazar
D'airs démodés,de perles jaunes,
Et ton céleste boulevard,
Et ceux des suaves patronnes :
Sainte Mireille,Sainte Irma ?
.
Mon Dieu ! leur robe cramoisie
Fut celle de ma poésie.
.
Ma solitude les aima.
Tout n'est donc que ferveur et piège ?
Un soir tu passas sur la neige,
Et la lanterne s'alluma.
Pour un mauvais garçon
Publié dans "Le Cahier des Poètes, 1912-1914
Bibliographie
- La feuille morte,"pièce lyrique, féérique en 5 actes"
- L'Instant éternel (1907)
- Les Fresques (1908)
- Petite ville...beau pays (L'Ardèche)
- Pour un mauvais garçon
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