Sauvage (Cécile) 1883-1927
Cécile Sauvage (1883-1927)
Le vallon (1713)
Une quarantaine de poèmes de Cécile Sauvage sur Webnet
En relisant Villon
Pauvre Villon, je suis ta soeur
Seulette et coite en ma demeure.
De la grand'ville la rumeur
Sous ma fenêtre hurle ou pleure;
Mes jours vont sans gloire ni leurre
Ni sans espoir d'un temps meilleur,
Et si ma chanson fut majeure
Paris l'étouffe dans mon coeur.
Ce n'est plus ce plaisant Paris
Qui te fournit peu de chevance,
Où joyeux en faits et en dits
Gallaient tes compagnons d'enfance,
Où toi-même rêvant pitance,
Riz à la crême et vins d'Aunis,
Tu priais Dieu qu'il eût clémence
Pour les pendus au Paradis.
Ce Paris, Messire Villon,
Te ferait grands comme fenêtre
Ouvrir tes yeux d'émerillon
Pour ce que l'âge y fit paraître.
C'est en autos qu'y vont les maîtres
Et sur le ciel, en avion,
Sans plus de coeur ivre en tout l'être,
Ils s'élancent vers les rayons.
Les autobus vont à Saint-Jacques,
Les trramways longent Notre-Dame,
L'angélus, la messe, les Pâques
S'évaporent dans le vacarme;
La foule y court après son âme;
Tant d'écrasés vont à la Parque
Qu'après tes gibets et tes armes
Ne sont que hochets de monarques.
Va, de tes marais infernaux
Considère un peu notre époque;
Enchevêtrements et cahots,
Turbines, vapeur, tout te choque
Et surtout te semble équivoque:
Tous véhicules sans chevaux,
Foin de quinquets et de bicoques,
Electricité, hauts fourneaux.
Palais, maison, accoutumance
Des perles, fourures, satins;
Monocle à l'oeil, nos Jeune-France
Lorgnent paisiblement les catins:
Leur corps suave est blanc et teint,
Leurs yeux caves de défaillance;
Mais elles gardent c'est certain,
Plus longtemps cambrure et fringance.
Vieille haumière, on remet les dents,
On vous crêpe des chevelures,
On peut acheter du printemps
En pots de fard et de teintures;
Avec piles en armatures
On regalvanise les flancs;
Les seins redressent leur armures,
Mais tout cela n'est que semblant.
Et si la guerre des Anglais,
Les loups que l'hiver fait issir,
Si la famine, les procès
Et les meurtres t'ont pu meurtrir,
Considère jusqu'à pâlir
Nos charniers de la grande guerre
Comblés de siècles d'avenir,
Millions d'hommes en poussière.
Car c'est plus que ceux de Montfaucon
Ceux-là furent réduits en poudre,
Noircis, moulus; mille canons
Ont plus que cent ans su les moudre;
Nulle mère n'eût pu recoudre
Deux lambeaux d'un même garçon;
Plaise au doux Jésus les absoudre,
Car on n'a même plus leur nom.
Il faut vieillir, mourir de même,
Et notre monde si nouveau
Du cinéma fait l'art suprême,
Mais n'a pu briser les tombeaux;
Les plus fameux et les plus beaux
Sont les arcs de nos gloires même;
La mort, malgré les forts cerveaux,
A chacun impose carême.
Nous mourrons comme au temps ancien,
Les uns sans pain après richesse,
Les autres se donnant la main
Comme Sembat et sa maîtresse;
Les assassins après la messe
N'ont la corde au petit matin;
Blêmes, tremblant des yeux aux fesses,
Ils sont décollés comme saints.
Les sciences et le turbin
Ne changeront pas la vieille âme
Et c'est ce qui fait qu'au matin
Le vieux monde a la même flamme;
Change l'habit, reste la trame,
Même printemps, même chagrin,
Même amour de l'homme à la femme,
Ainsi va l'univers humain.
Mais c'est ce qui fait que nous sommes,
O mon Villon, frères humains,
Ce tremblement sacré des hommes
Devant la mort et le destin.
(Paris, 1922)
Je me souviens de mon enfance
Je me souviens de mon enfance
Et du silence où j'avais froid ;
J'ai tant senti peser sur moi
Le regard de l'indifférence.
Ô jeunesse, je te revois
Toute petite et repliée,
Assise et recueillant les voix
De ton âme presque oubliée.
La corbeille
Choisis-moi, dans les joncs tressés de ta corbeille,
Une poire d'automne ayant un goût d'abeille,
Et dont le flanc doré, creusé jusqu'à moitié,
Offre une voûte blanche et d'un grain régulier.
Choisis-moi le raisin qu'une poussière voile
Et qui semble un insecte enroulé dans sa toile.
Garde-toi d'oublier le cassis desséché,
La pêche qui balance un velours ébréché
Et cette prune bleue allongeant sous l'ombrage
Son oeil d'âne troublé par la brume de l'âge.
Jette, si tu m'en crois, ces ramures de buis
Et ces feuilles de chou, mais laisse sur tes fruits
S'entre-croiser la mauve et les pieds d'alouette
Qu'un liseron retient dans son fil de clochettes.
Ma tête, penche-toi...
Ma tête, penche-toi sur l'eau blanche et dénoue
Dedans tes longs cheveux et que l'eau passe et joue
Au travers, les emporte au mouvement des vagues
Dans le sommeil flottant et végétal de l'algue.
Que le glissement calme et murmurant de l'eau
Entraîne hors de ton front cet impalpable flot
De pensée et de rêve avec tes longues tresses
Qui mêlent au courant leur fuyante souplesse.
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