Albret (Jeanne d')... ... ... ... (1528-1572
Jeanne d'Albret
1528-1572
A Joachim du Bellay
I
Que mériter on ne puisse l'honneur
Qu'avez écrit, je n'en suis ignorante;
Et si ne suis pour cela moins contente,
Que ce n'est moi à qui appartient l'heur.
Je connais bien le prix et la valeur
De ma louange, et cela ne me tente
D'en croire plus que ce qui se présente,
Et n'en sera de gloire enflé mon coeur;
Mais qu'un Bellay ait daigné l'écrire,
Honte je n'ai à vous et chacun dire,
Que je me tiens plus contente du tiers
Plus satisfaite, et encor glorieuse,
Sans mériter me trouver si heureuse,
Qu'on puisse voir mon nom en vos papiers.
II
De leurs grands faits les rares anciens
Sont maintenant contents et glorieux,
Ayant trouvé poètes curieux
Les faire vivre, et pour tels je les tiens.
Mais j'ôse dire (et cela je maintiens)
Qu'encor ils ont un regret ennuyeux
Dont ils seront sur moi-même envieux,
En gémissant aux Champs-Elysiens:
C'est qu'ils voudraient (pour certains je le scay)
Revivre ici et avoir un Bellay,
Ou qu'un Bellay de leur temps eût été.
Car ce qui n'est savez si dextrement
Feindre et parer, que trop plus aisément
Le bien du bien serait par vous chanté.
III
Le papier gros et l'encre trop épaisse,
La plume lourde et la main bien pesante,
Style qui point l'oreille ne contente,
Faible argument et mots pleins de rudesse
Montrent assez mon ignorance expresse;
Et si n'en suis moins hardie et ardente:
Et qui pis est, en cela je m'adresse
A vous, qui pour plus aigres les goùter,
En les mêlant avecques les meilleurs,
Faites les miens et votres écouter.
Telle se voit différence aux couleurs:
Le blanc au gris sait bien son lustre ôter.
C'est l'heur de vous, et ce sont mes malheurs.
IV
Le temps, les ans, d'armes me serviront
Pour pouvoir vaincre ma jeune ignorance,
Et dessus moi à moi même puissance
A l'avenir, peut-être donneront.
Mais quand cent ans sur mon chef doubleront
Si le haut ciel un tel âge m'avance
Gloire j'aurai d'heureuse récompense,
Si puis atteindre à celles qui seront
Par leur chef-d'oeuvre en los (louange) toujours vivantes,
Mais tel cuider (penser) serait trop plein d'audace,
Bien suffira si près leurs excellentes
Vertus je puis trouver une petite place:
Encor je sens mes forces languissantes,
Pour espérer du ciel tel heur et grâce.
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