Roches (Catherine des) ... ... .... 1542-1587
Catherine des Roches
1542-1587
Fille de Madeleine des Roches
Poitiers
Echanges sur la puce (Pasquier)
Gordon Collection (poètes du 16ème+ la puce)
L'Amour
Sur un laurier triomphant
Amour regarde la belle,
Puis, fermant l'une et l'autre aile,
Il la suit comme un enfant.
Il repose dans son sein
Et joue en sa tresse blonde,
Frisotée comme l'onde,
Qui coule du petit Clain;
Il regarde par ses yeux,
Parle et répond par sa bouche,
Par ses mains les mains il touche,
N'épargnant hommes ni dieux.
Quand il s'en vient entre nous,
Un souris lui sert d'escorte;
Mais qui n'ouvrirait sa porte,
Le voyant humble et si doux?
Hà, Dieu! quelle trahison,
Sous une fraude tant douce!
Je crains beaucoup qu'il me pousse
Hors de ma propre maison.
A ma quenouille
Quenouille, mon souci, je vous promets et jure
De vous aimer toujours, et jamais ne changer
Votre honneur domestiqu' pour un bien étranger
Qui erre inconstamment et fort peu de temps dure.
Vous ayant au côté, je suis beaucoup plus sûre
Que si encre et papier se venaient arranger
Tout à l'entour de moi: car, pour me revenger,
Vous pouvez bien plutôt repousser une injure.
Mais, quenouille, ma mie, il ne faut pas pourtant
Que, pour vous estimer, et pour vous aimer tant,
Je délaisse de tout cette honnête coutume
D'écrire quelquefois; en écrivant ainsi,
J'écris de vos valeurs, quenouille, mon souci,
Ayant dedans ma main le fuseau et la plume.
L'Agnodice
L'Envie, voyant une femme faire la sépulture de Phocion, empoisonné par ses concitoyens, entre en fureur et décide de se venger en transformant les hommes en tyrans domestiques et en interdisant aux femmes le livre et le savoir. Mais la belle Agnodice fera échouer son plan. Après une introduction qui souligne les méfaits de l'Envie, le narrateur évoque la sépulture de Phocion.
Une Dame étrangère ayant la larme à l'oeil
Reçut ta chère cendre, et la mit au cercueil,
Honorant tes vertus de louanges suprêmes
Elle cacha tes os dedans son foyer même,
Disant d'un triste coeur, humble et dévotieux,
"Je vous appelle tous ô domestiques Dieux,
Puisque de Phocion l'âme s'est déliée,
Pour aller prendre au ciel sa place dédiée,
Et que ses citoyens causes de son trépas
L'ayant empoisonné ores ne veulent pas
Qu'il soit enseveli dedans la terre aimée
Se montrant envieux dessus sa renommée, (.)
Aimons ce qui nous reste, honorons sa prison,
Le feu s'en est volé, gardons bien le tison."
L'envie regardant cette dame piteuse
Dans soi-même sentit une ire serpenteuse,
Rouant ses deux gras yeux pleins d'horreur et d'effroi,
Ah! je me vengerai (ce dit-elle) tu veux défendre
Phocion, dont je hais encor la morte cendre,
Sache qu'en peu de temps je te ferai sentir
De ton hâtif secours un tardif repentir:
Car en dépit de toi je t'animerai les âmes
Des maris, qui seront les tyrans de leurs femmes,
Et qui leur défendant le livre et le savoir,
Leur ôteront aussi de vivre le pouvoir.
Aussitôt qu'elle eût dit, elle glisse aux moüelles
Des hommes qui voyant leurs femmes doctes-belles
Désirent effacer de leur entendement
Les lettres, des beautés le plus digne ornement:
Et ne voulant laisser chose qui leur agrée
Leur ötent le plaisir où l'âme se recrée
Que ce fut à l'envie une grand cruauté
De martyrer ainsi cette douce beauté:
Les dames aussitôt se trouvent suivies
De fièvres, de langueurs, et d'autres maladies,
Mais surtout la douleur de leurs enfantements,
Leur faisait supporter incroyables tourments,
Aimant trop mieux mourir que d'être peu? honteuses
Contant aux médecins leurs peines langoureuses.
Les femmes (ô pitié) n'ôsent plus se mêler
De s'aider l'une l'autre, on les faisait siller.
Leurs maris les voyant en ce cruel martyre,
Ne laissaient pas pourtant de gausser et de rire,
Peut-être désirant deux noces éprouver,
Ils n'avaient plus de soin de les vouloir sauver.
En ce temps il y eut une Dame gentille,
Que le ciel avait fait belle, sage, et subtile,
Qui piteuse de voir ces visages si beaux,
Promptement engloutis des avares tombeaux,
Les voulant secourir couvrit sa double pomme
Afin d'étudier en accoutrement d'homme:
Pour ce qu'il était lors aux femmes interdit
De pratiquer les arts, ou les voir par écrit.
Cette Dame cachant l'or de sa blonde tresse
Apprit la médecine, et s'en rendit grande maîtresse.
Puis se ressouvenant de son affection,
Voulut effectuer sa bonne intention,
Et guérir les douleurs de ses pauvres voisines
Par la vertu des fleurs, des feuilles et racines:
D'une herbe mêmement qui fut cueillie au lieu
Où Glauque la mangeant d'homme devint un Dieu.
Ayant tout préparé la gentille Agnodice,
Se présente humblement pour leur faire service,
Mais les Dames pensant que ce fut un garçon,
Refusaient son secours d'une étrange façon.
L'on connaissait assez à leurs faces craintives
Qu'elles craignaient ses mains comme des mains lascives,
Agnodice voyant leur grande chasteté
Les estima beaucoup pour cette honnêteté,
Lors découvrant du sein les blanches pommes rondes,
Et de son chef doré les belles tresses blondes,
Montre qu'elle était fille, et que son gentil coeur,
Les voulait délivrer de leur triste langueur.
Les Dames admirant cette honte (pudeur?) naïve,
Et de don teint douillet la blanche couleur vive,
Et de son sein poupin le petit mont jumeau,
Et de son chef sacré l'or crépelu tant beau,
Et de ses yeux divins les flammes ravissantes,
Et de ses doux propos les grâces attirantes
Baisèrent mille fois et sa bouche et son sein,
Recevant le secours de son heureuse main.
On voit en peu de temps les femmes et pucelles,
Reprendre leurs teints frais, et devenir plus belles:
Mais l'Envie présente à cet humain secours
Proteste de bientôt en empêcher le cours:
Elle mangeait son coeur, misérable viande,
Digne repas de ceux où son pouvoir pommande,
Et tenait en la main un furieux serpent
Dont le cruel venin en tous lieux se répand.
Son autre main portait une branche épineuse,
Son corps était plombé, sa face dépiteuse,
Sa tête sans cheveux où faisaient plusieurs tours
Des vipères hideux qui la mordaient toujours,
Trainant autour de soi ses furieuses rages,
Elle s'en va troubler les chastes mariages,
Car le repos d'autrui lui est propre malheur.
Aux hommes elle mit en soupçon la valeur,
De la belle Agnodice et ses grâces gentilles,
Disant que la beauté de leurs femmes et filles
Avait plus de faveur que ne doivent penser
Celles qui ne voudraient leurs honneurs offenser.
Eux épris de fureur saisirent Agnodice,
Pour en faire à l'envie un piteux sacrifice.
Héla! sans la trouver coupable d'aucun tort,
Ils l'ont intimement condamné à la mort.
La pauvrette voyant le malheur qui s'apprête
Découvrit promptement l'or de sa blonde tête,
Et montrant son sein beau, agréable séjour,
Elle baissa les yeux pleins d'honneur et de honte
Une vierge rougeur en la face lui monte,
Disant que le désir qui la fait déguiser,
N'est point pour les tromper, mais pour autoriser
Les lettres, qu'elle apprit voulant servir les Dames:
Que de la soupçonner de crimes tant infames,
C'est offenser nature et ses divines lois.
Depuis qu'elle eut parlé oncq une seule voix
Ne s'éleva contre elle, ains toute l'assistance
Montrait d'émerveiller cette rare excellence,
Ils étaient tous ravis sans parler, ni mouvoir,
Ententifs seulement à l'ouir et la voir,
Comme l'on voit parfois après un long orage,
Rassérener les vents, et calmer le rivage,
Quand les frères jumeaux qui regardaient sur mer,
Une piteuse nef en danger d'abîmer.
La sauvant de péril des flots l'ont retirée
Pour lui faire aborder la rive désirée:
Les hommes ainsi vaincus par la pitié
rapaisent la fureur de leur inimitié,
Faisant à la pucelle une humble révérence,
Ils lui vont demander pardon de leur offense.
Elle qui ressentit un plaisir singulier,
Les supplia bien fort de faire étudier,
Les Dames du pays sans envier la gloire
Que l'on a pour servir les filles de Mémoire.
L'Envie connaissant ses efforts abattus
Par les faits d'Agnodice, et ses rares vertus
A poursuivi depuis une haine immortelle
Les Dames qui étaient vertueuses comme elle.
Les oeuvres de Mesdames de Roches, vol. 2, 1579, P. 151...
(Bouche...)
Bouche, dont la douceur m'enchante doucement
Par la douce faveur d'un honnête sourire:
Bouche qui soupirant un amoureux martyre
Appaisez la douleur de mon cruel tourment!
Bouche de tous mes maux le seul allègement,
Bouche qui respirez un gracieux zéphire;
Qui les plus éloquents surpassez à bien dire
A l'heure qu'il vous plaît de parler doctement.
Bouche pleine de lys, de perles et de roses,
Bouche qui retenez toutes grâces encloses
Bouche qui recelez tant de petits amours
Par vos perfections, ô bouche sans pareil
Je me perds de douceur, de crainte et de merveille
Dans vos ris, vos soupirs, et vos sages discours.
La puce de Catherine Desroches
Petite puce frétillarde,
Qui d'une bouchette mignarde
Suçottes le sang incarnat,
Qui colore un sein délicat,
Vous pourrait-on dire friande,
Pour désirer telle viande?
Vraiment nenni, car ce n'est point
La friandise qui vous point:
Et si (pourtant) n'allez à l'aventure
Pour chercher votre nourriture,
Mais pleine de discrétion,
D'une plus sage affection,
Vous choisissez place honorable
Pour prendre un repas agréable:
Ce repas seulement est pris
Du sang le siège des esprits.
Car désirant être subtile
Vive, gaie, prompte et agile,
Vous prenez d'un seul aliment
Nourriture et enseignement.
On le voit par votre allégresse
Et vos petits tours de finesse,
Quand vous sautelez en un sein
Fuyant la rigueur d'une main.
Quelquefois vous faites la morte
Puis d'une ruse plus accorte,
Vous fraudez le bras poursuivant,
Qui pour vous ne prend que du vent.
O mon Dieu de quelle manière
Vous fuyez cette main meurtrière,
Et vous cachez aux cheveux longs
Comme syringue entre les joncs.
Ah que je crains pour vous mignonne
Cette main superbe et félonne,
Hé pourquoi ne veut-elle pas
Que vous preniez votre repas?
Votre blessure est cruelle,
Votre pointure n'est mortelle,
Car en blessant pour vous guérir,
Vous ne tuez que pour nourrir.
Vous êtes de petite vie:
Mais aimant la Géométrie
En ceux que vous avez point
Vous tracez seulement un point,
Où les lignes se viennent rendre.
Encor avez-vous su apprendre
Comment en Sparte les plus fins,
Ne se laissent prendre aux larcins,
Vous ne voulez être surprise:
Quand vous avez fait quelque prise,
Vous vous cachez subtilement
Aux repris de l'accoutrement.
Puce, si ma plume était digne,
Je décrirais votre origine:
Et comment le plus grand des Dieux,
Pour la terre quittant les Cieux,
Vous fit naître, comme il me semble,
Orion et vous tout ensemble.
Mais il faudra que tel écrit
Vienne d'un plus gentil esprit,
De moi je veux seulement dire
Vos beautés, et le grand martyre
Que Pan souffrit en vous aimant,
Avant qu'on vît ce changement
Et que votre face divine
Prît cette couleur ébénine,
Et que vos blancs pieds de Thétis
Fussent si grêles et petits
Puce quand vous étiez pucelle,
Gentille, sage, douce et belle,
Vous mouvant d'un pied si léger,
A sauter et à voltiger,
Que vous eussiez peu d'Atalante
Devancer la course trop lente,
Pan voyant vos perfections,
Sentit un feu d'affections,
Désirant votre mariage:
Mais quoi? votre vierge courage
Aima mieux vous faire changer
En Puce, afin de l'étranger,
Et que perdant toute espérance
Il rompit sa persévérance.
Diane sut votre souhait,
Vous le voulûtes, il fut fait:
Elle voilà votre figure
Sous une noire couverture.
Depuis fuyant toujours ce Dieu,
Petite vous cherchez un lieu,
Qui vous serve de sauvegarde,
Et craignez que Pan vous regarde.
Bien souvent la timidité
Fait voir votre dextérité,
Vous sautelez à l'impourvue,
Quand vous soupçonnez d'être vue,
Et de vous ne reste, sinon
La crainte, l'adresse, et le nom.
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