Gomez (Mme de),1684-1870
Mme de Gomez
(Madeleine-Angélique Poisson)
1684-1770
- Romans, tragédies, poésies
Oeuvres mêlées, 1724
Désespoir
Si le jour paraissait au milieu des ténèbres,
Si la nuit se montrait, quand il doit faire jour;
Si la terre abîmait, si par des cris funèbres,
J'entendais du cahos annoncer le retour;
Si la peste et la faim arrêtaient l'abondance,
Si le temps revenait où le Ciel en fureur
Fît sentir aux mortels le poids de la vengeance;
Si tout n'était enfin que trouble et que terreur,
Je crois que mon tourment céderait à la peine
Que me fait ressentir, en ce jour malheureux
Le perfide Tircis, en brisant une chaîne
Dont le plus tendre amour avait formé les noeuds.
Chanson
L'hiver finit et cesse ses ravages,
Paraissez aimables oiseaux,
Ranimez vos tendres ramages,
Et revenez habiter nos ormeaux,
Si vous craignez encor que je vous fasse entendre,
Par de tristes accents le récit de mes maux,
Ah! revenez charmants oiseaux,
Mon coeur est libéré et je viens vous l'apprendre.
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Philosopher, lire, écrire, et n'avoir point de Tabac, sont des choses très difficiles; ainsi pour sortir de l'ennui qui commençait à nous prendre, je pris la résolution d'écrire cette lettre en vers à un homme de votre connaissance qui en avait toujours d'excellent.
Lettre à Monsieur le Marquis de ***
Dans des lieux enchantés, dans un bois solitaire,
Loin du monde et du bruit, au bout d'une onde claire,
Deux bergères, jadis compagnes d'apollon,
Et qui de leur désert font un sacré vallon,
Vous écrivent, Marquis, non pour vous faire entendre,
Les plaisirs qu'en ces lieux, la sagesses sait prendre,
Votre coeur est encore trop sensible à l'amour,
Pour goûter les douceurs d'un si charmant séjour.
Ainsi ne craignez point que ma plume indiscrète,
Vous prêche les appas d'une austère retraite,
Notre dessein ne va qu'à vous faire savoir
Tout le plaisir, Marquis, qu'on aurait à vous voir;
Et le cruel chagrin où nous sommes réduites
Par un mal qui bientôt peut avoir quelques suites.
Sans doute votre coeur fait déjà tique-tac;
Apprenez ce que c'est: nous sommes sans tabac.
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Habis (extrait de cette tragédie datée de 1714)
Erixesne: Princesse des Guaramantes
Axiane: Reine de Getulie, fille de Melgoris
Erixesne
...
On dit Habis vivant, et qu'échappé des eaux
Il vient pour vous venger, et finir tous vos maux.
Axiane
Déjà jusques à moi, ce bruit s'est fait entendre,
J'en ignore la cause, et je crains de l'apprendre, et je crains de l'apprendre,
Je sais trop de mon fils le déplorable sort,
Le généreux Phesrès fut témoin de sa mort,
Et je ne pense pas qu'il m'eût fait un mystère
Du salut d'une vie à mes désirs si chère:
Ce Phesrès que l'on voit chéri de Melgoris
Et que j'avais choisi pour élever mon fils,
Condamnant de son Roi l'injustice et la rage
Voulant sauver Habis courut sur le rivage,
Afin de l'arracher à la fureur des eaux;
Quel spectacle, grands Dieux! triste jouet des flots,
Il vit longtemps son corps errer à l'aventure
Et dans un gouffre affreux trouver sa sépulture.
En vain donc l'on voudrait me donner quelque espoir
Je suis trop sûre, hélas! de ne le plus revoir.
Mais, quand des Dieux enfin la suprême puissance
Aurait sauvé ses jours de tant de violence,
Melgoris aujourd'hui veut-il moins son trépas;
Et si pour se venger mon fils armait son bras,
Sur qui porter ses coups? sur un Roi? sur un Père
Que malgré ses fureurs mon coeur encor révère
Ah! s'il faut à ce prix qu'Habis me soit rendu,
Que pour moi cet espoir à jamais soit perdu.
J'aime mieux mille fois, dans le sort qui m'accable,
Le voir mort innocent, que vivant et coupable.
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