Staël (Germaine de) 1766-1817
Germaine de Staël
1766-1817
- Traduction de poètes allemands anglais et italiens qu'elle fait connaître en France.
- Son roman,"Corinne", poétesse au destin tragique (réflexion sur la difficulté d'être une artiste femme, incompatibilité de la poésie et de l'amour...)
- Sapho, pièce de théâtre
- De la poésie (lire en ligne les 2 chapitres extraits de "De l'Allemagne")
De la Poésie
L'énigme de la destinée humaine n'est de rien pour la plupart des hommes; le poëte l'a toujours présente à l'imagination. L'idée de la mort, qui décourage les esprits vul[279]gaires, rend le génie plus audacieux, et le mélange des beautés de la nature et des terreurs de la destruction excite je ne sais quel délire de bonheur et d'effroi, sans lequel l'on ne peut ni comprendre ni décrire le spectacle de ce monde. La poésie lyrique ne raconte rien, ne s'astreint en rien à la succession des temps, ni aux limites des lieux; elle plane sur les pays et sur les siècles; elle donne de la durée à ce moment sublime pendant lequel l'homme s'élève au-dessus des peines et des plaisirs de la vie. Il se sent au milieu des merveilles du monde comme un être à la fois créateur et créé, qui doit mourir et qui ne peut cesser d'être, et dont le cœur tremblant et fort en même temps s'enorgueillit en lui-même et se prosterne devant Dieu.
L'héritage de Boileau
Boileau, tout en perfectionnant le goût et la langue, a donné à l'esprit français, l'on ne sauroit le nier, une disposition très défavorable à la poésie. Il n'a parlé que de ce qu'il falloit éviter, il n'a insisté que sur des préceptes de raison et de sagesse qui ont introduit dans la littérature une sorte de pédanterie très nuisible au sublime élan des arts. Nous avons en français des chefs-d'œuvre de versification; mais comment peut-on appeler la versification de la poésie! Traduire en vers ce qui étoit fait pour rester [282] en prose, exprimer en dix syllabes, comme Pope, les jeux de cartes et leurs moindres détails, ou comme les derniers poëmes qui ont paru chez nous, le trictrac, les échecs, la chimie, c'est un tour de passe-passe en fait de paroles, c'est composer avec les mots comme avec les notes des sonates sous le nom de poëme.
La poésie française
La poésie française étant la plus classique de toutes les poésies modernes, elle est la seule qui ne soit pas répandue parmi le peuple. Les stances du Tasse sont chantées par les gondoliers de Venise; les Espagnols et les Portugais de toutes les classes savent par cœur les vers de Calderon et de Camoëns. Shakespeare est autant admiré par le peuple en Angleterre que par la classe supérieure. Des poèmes de Goethe et de Bürger sont mis en musique, et vous les entendez répéter des bords du Rhin jusqu'à la Baltique. Nos poetes français sont admirés par tout ce qu'il y a d'esprits cultivés chez nous et dans le reste de l'Europe; mais ils sont tout-à-fait inconnus aux gens du peuple et aux bourgeois même des villes, parceque les arts en France ne sont pas, comme ailleurs, natifs du pays même où leurs beautés se développent.
Le pêcheur
(Traduit de Goethe)
Le fleuve s'enfle, et l'eau profonde
Dans le sable a brisé les flots.
Un pêcheur, sur les bords de l'onde,
S'assied et contemple en repos
Son hameçon et sa ligne légère,
Qui vont chercher le poisson dans les eaux
Mais l'onde paisible et claire,
A ses regards tout à coup s'entr'ouvrant,
Lui laisse voir la nymphe humide
Ui, sur son lit frais et limpide,
Et se balance et se plaint doucement.
Elle lui parle, elle lui chante:
L'esprit de l'homme est si noble et si fort;
Doit-il user d'une ruse méchante
Pour attirer mes enfants à la mort?
L'air brûlant bientôt les dévore;
Laisee-les respirer encore
Dans la fraîcheur et le repos.
Si tu pouvais jamais comprendre
Quel calme on goùute dans les flots,
Toi-même tu voudrais descendre
Au fond de mes tranquilles eaux.
Le soleil, qui charme le monde,
S'est rafraîchi dans mon sein;
Et la lune, au regard serein,
Aime à s'endormir dans l'onde.
Du ciel, répété dans les eaux,
L'azur brillant et limpide
Attire-t-il ton pied timide?
Veux-tu partager mon repos?
Vois-tu l'éternelle rosée
Qui peint et réfléchit les traits?
Viens, quitte la rive embrasée,
Les flots sont si purs et si frais!
Le fleuve s'enfle, et l'eau profonde
A mouillé le pied du pêcheur;
Et son coeur, attiré par l'onde,
Eprouve un trouble séducteur.
Ainsi, de sa douce amie,
Il recevrait le salut enchanteur.
La nymphe et lui parle et le prie;
Bientôt le pêcheur est perdu.
Soit qu'un charme secret l'enivre,
Soit que lui-même il se livre,
On ne l'a jamais revu.
Le salut du revenant
(Traduit de Schiller)
Sur le haut de la tour antique
S'élève l'ombre du guerrier,
Et sa voix sombre et prophétique
Salue ainsi le frêle nautonier.
"Voyez, dit-il, dans ma vive jeunesse,
Ce bras était puissant, ce coeur fut indompté;
Et tour à tour j'ai savouré l'ivresse
Des festins, de la gloire, et de la volupté.
La guerre a consumé la moitié de ma vie;
Pendant l'autre moitié, j'ai cherché le repos.
N'importe, passager, satisfais ton envie,
Hâte ta barque et fends les flots."
Henry et Emma
Ballade imitée de Prior (poète anglais, 1664-1721)
Je ne sais ce qu'il faut en croire,
Mais aux femmes, depuis longtemps,
On a reproché, dit l'histoire,
Des coeurs légers et peu constants.
Or, écoutez donc l'aventure
De cette fille aux bruns cheveux,
Dont l'âme courageuse et pure
A brîulé des plus nobles feux.
Son amant vient, frappe et l'éveille
Au funeste coup de minuit.
Descends, dit-il, chacun sommeille;
Ouvre-moi ta porte sans bruit.
Il faut nous quitter, chère amie;
Las! je vais fuir bien loin de toi.
Car le juge a livré ma vie
Au fer barbare de la loi.
Ta peine est à moi, lui dit-elle,
Ami, je te suivrai toujours;
Qu'un antre éloigné nous recèle,
Au désert même ayons recours.
Si la fortune mensongère
En un jour change notre sort,
Le lien d'une âme sincère
Ne peut se briser qu'à la mort.
Henry
Non, non, tu ne saurais me suivre,
Renonce à e fatal désir;
Dans les déserts où je dois vivre,
Combien il te faudrait souffrir!
L'air glacé, la soif et la dure,
La faim, la douleur et l'effroi,
Fille à la belle chevelure,
Seraient ton paratage avec moi.
Emma
Je ne crains rien que ton absence,
Et ton départ seul me fait peur;
Loin de toi jamais l'espérance
Ne pourra rentrer dans mon coeur.
La soif, la misère et la dure,
Le désert même et les frimas,
Oui, tout me plaît dans la nature,
Lorsque je marche sur tes pas.
Henry
Non, je pars seul. Non, mon amie,
Reste en ces lieux, sèche tes pleurs.
Ah! le temps qui berce la vie,
Sait bien endormir les douleurs.
L'envie, à la langue maudite,
Poursuit l'amour et la beauté;
Lorsque l'on apprendrait ta fuite,
Ton nom serait-il respecté?
Emma Non, le temps qui berce la vie
Ne peut endormir les douleurs.
Ton souvenir à to amie
Chaque jour coûterait des pleurs.
L'envie, à la langue maudite,
Contre moi lance en vain ses traits;
C'est toi que je suis dans ma fuite,
Et j'aime les vertes forêts.
Henry
La sombre forêt épouvante;
Ton coeur timide frémira,
Lorsque la flèche menaçante
Au fond des bois retentira.
Si l'on m'atteint, d'horribles chaînes
Pèseront sur tes faibles bras;
Tu n'auras, pour prix de tes peines,
D'autre avenir que le trépas.
Emma Quand nous nous aimons avec ivresse,
L'amour aguerrit notre coeur,
Et peut même à notre faiblesse
Prêter une mêle valeur.
Lorsque la flèche menaçante
Au fond des bois retentira,
L'oeil attentif de ton amante
Sur toi seul, ami, veillera.
Henry
La sombre forêt est l'asile
Des brigands, des loups et des ours;
Nul toit n'offre un abri tranquille
Pour protéger tes tristes jours.
Au fond d'une caverne obscure,
La terre formerait ton lit;
Le fruit sauvage et l'onde pure
Sont tout le festin d'un proscrit.
Emma
La forêt est un sûr asile
Où pour toi je ne crains plus rien;
Quel autre abri serait tranquille,
Et ton sort n'est-il plus le mien?
Tu sauras, d'un bras intrépide,
Dompter les hôtes des forêts;
Et dans les flots de l'eau limpide
On puise le calme à longs traits.
Henry
Ah! du sort dont je suis la proie
Tu ne connais pas tous les maux.
Sais-tu que tes cheveux de soie
Doivent tomber sous les ciseaux?
Sais-tu qu'une laine grossière
Voilera tes jeunes attraits,
Et qu'à tes soeurs, comme à ta mère,
Il faut dire adieu pour jamais?
Emma
Adieu, ma mère. J'ai dû suivre
L'ami fidèle et malheureux.
Vous, mes soeurs, c'est à vous de vivre
Au sein des plaisirs et des jeux.
Je n'irai plus dans une fête:
Sans peine je livre aux ciseaux
Ces cheveux qui paraient ma tête,
Ces cheveux si bruns et si beaux.
Henry
Et bien! toi qui me crois fidèle,
Toi, si sincère en tes amours,
Apprends qu'une amante nouvelle
Est la compagne de mes jours.
Mon coeur amoureux la préfère;
Oui, je l'aime bien plus que toi,
Etdans la forêt solitaire
Elle doit vivre près de moi.
Emma
Heureuse d'avoir su te plaire
A ton sort elle doit s'unir;
Mais dans la forêt solitaire,
Accorde-moi de la servir.
Comme esclave je veux te suivre:
Fidèle au joug de ce devoir,
A mes tourments je puis survivre
Tant qu'il m'est permis de te voir.
Henry
Ah! c'en est trop, ma douce amie!
Dans cette épreuve de douleur,
Où tu ne t'es pas démentie,
Emma, j'ai reconnu ton coeur.
C'est pour toi seul que je veux vivre.
Ne crains ni le fer ni la loi,
Je suis un des grands de l'empire,
La splendeur t'attend près de moi.
Emma
Qu'importe cette splendeur vaine,
Ou la misère et le danger!
Près de toi je suis toujours reine,
Et le sort n'y peut rien changer.
Qu'on chante ailleurs la vieille histoire
Des coeurs volages et sans foi;
Qui t'a vu ne saurait y croire:
Jamais je n'aimerai que toi.
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