Désormery (Evelyne) 1784-1868
Evelyne Désormery
1784-1868
Sources: Elégies d'Evelyne Désormery (1828) sur Gallica
et Femmes poètes bretonnes sur Gallica
Les trois lyres
(début)
Le temps est incertain, le ciel est à l'orage;
Dans un lointain obscur j'ai vu briller l'éclair;
Le ramier fatigué s'abat près du rivage:
Délaissant pour un jour les régions de l'air,
Il s'endort... et je veille... Assise sur la plage,
J'écoute les brisans des flots tumultueux,
Quand les zéphyrs craintifs cherchent sous le feuillage
L'abri que le vallon n'offe plus à leurs jeux.
Mais quels sons argentins échappés de la lyre
S'unissent aux accents d'un rythme harmonieux?...
C'est le langage aimé des hommes et des dieux,
C'est la nymphe des champs qu'Apollon fait sourire:
Elle paraît; sa grâce, sa beauté,
Ses cheveux d'or, sa robe d'innocence,
Ses yeux d'azur, son heureuse fierté,
Font l'ornement de son adolescence;
Ses premiers chants ont l'attrait du bonheur:
Poursuis ton vol, fille de Mnémosime;
Enivre-toi d'un encens créateur,
Mais sois fidèle à la harpe divine.
Quels accords! que de pleurs! quel sourd gémissement
A troublé le plaisir que j'avais à l'entendre!...
Une mère éplorée agite lentement
Sous ses doigts délicats la corde vive et tendre
Qui redit son malheur, et les instants si doux
Où son enfant chéri, bercé sur ses genoux,
Et couvert des baisers de ses lèvres tremblantes,
Lui rendait au réveil ces caresses ardentes
Dont les cruels destins se sont montrés jaloux.
Aujourd'hui, sans espoir, rêveuse sur la pierre
Où tout ce qu'elle aima disparut sans retour,
On l'entend s'écrier: "Objet de mon amour!
Ta tombe est mon seul bien,et, pour elle, ta mère
Abandonne l'éclat et les plaisirs du jour."
Mes yeux se sont mouillés, et je pleure comme elle;
Comme elle, je gémis sur la cendre des morts....
Adieux à la vie
(Début)
D'où vient que l'aquilon gémit dans la bruyère?...
Est-ce toi qui m'appelle, auguste voix des morts?...
Mon oreille jamais n'entendit sur la terre
De si tristes accords.
Un luth mystérieux vibre de sons étranges;
Ces sons lents et plaintifs ont fait battre mon coeur:
Ils ressemblent aux chants que murmurent les anges
Dans un jour de douleur.
Quels accents solennels bercent ma rêverie!
Annoncent-ils des temps purs et divins comme eux?...
Quand pourrai-je du ciel promener sur la vie
Un regard dédaigneux?
Comme l'oiseau timide, au sein de la tourmente,
Dans son vol empressé cherche un feuillage épais,
Je cherche la demeure où l'âme indépendante
Doit reposer en paix.
D'autres yeux, je le sais, ont découvert des charmes
Aux heures que le sort leur donnait comme à moi:
Pour eux le temps fut calme, et des jours sans alarmes
N'éveillent point l'effroi.
Quelques heureux mortels voguent sans défiance,
La nef qui les entraîne a deviné l'écueil;
Le rivage est pour eux beau comme l'espérance,
Ou comme un doux accueil.
Sans doute qu'à leur char la fortune fidèle
Leur accordait ces biens que je n'ai pas connus:
Les songes du prointemps envolés sur son aile
Ne sont pas revenus.
Près du lit des mourants une brûlante flamme
Ne s'est pas épuisée en efforts douloureux,
Et les premiers objets qui remplissaient leur âme
Vivent encor pour eux.
Tant de revers, peut-être, ont passé sur leurs têtes,
Mais des coeurs trop légers ne les ont pas sentis
L'enfant ouvre à regret sous le ciel des tempêtes
Ses yeux appesantis.
Sans guide, sans appui dans ma pénible course,
Ai-je touché le but où j'ôsais aspirer?
Mes lèvres ont puisé le poison à la source
Sans se désaltérer.
Que ferai-je des jours que le destin me laisse!...
L'habile nautonnier craint un phare imposteur:
J'abandonne aux heureux l'espoir de la jeunesse,
Je garde mon malheur....
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