Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Brames (Marie de) fin 16ème siècle

Marie de Brames

Fin 16ème siècle

 

 

Extraits des "Regrets" sur l'assassinat de son père, en 1597. Celui-ci était gouverneur de la ville de Cusset et ses agresseurs s'étaient acharnés sur lui, lui infligeant une trentaine de blessures . Elle décrit les faits, demande justice et dresse de courts mais vifs portraits des assassins.

On trouvera l'intégralité de ce texte dans l'Anthologie des 15ème et 16ème siècle de Montaignon, Tome 8 (fin 19ème), sur Archive.org. Les titres en italiques ne sont pas de l'auteure

 

 

Les Regrets de damoiselle Marie de Brames

 

 

Bien que mon âme soit de toutes parts atteinte

Des plus cuisants regrets que le ciel courroucé

Sur un chef ennemi a jamais élancé,

Je n'ai d'autres soulas qu'au deuil de ma complainte.

 

Mais je ne puis pousser un seul mot de la bouche,

La tristesse m'étouffe, et le coeur me défaut;

Si l'éternel secours ne vient bientôt d'en haut,

Je perds tout sentiment, tant la douleur me touche.

 

Reste encore à mon coeur quelque peu de courage;

Mais s'il n'est soutenu de sa sainte vertu,

Il ressemble un vaisseau que les vents ont battu,

Qui ne peut échapper qu'il ne fasse naufrage.

 

Verse sur lui, Seigneur, ta céleste rosée;

Renforce mes poumons pour, d'un cri haut et fort,

Chanter par l'univers l'injure et le grand tort

Que j'ai reçu des mains d'une troupe insensée.

 

Las, quand il me souvient du mal qui me tourmente,

Je ne puis de mes yeux les larmes retenir.

Si j'en cuide éloigner de moi le souvenir,

Le malheur d'autant plus la me fait voir présente.

 

Il est bien malaisé d'oublier la mémoire,

Et taire la douleur qu'en mon âme je sens;

La passion m'emporte et me trouble le sens,

Car je perds de mes yeux, la lumière et la gloire.

 

Guide ma plume et main, et dresse ma pensée

Pour décrire ces vers en toute vérité,

Lesquels j'ai consacrés à la postérité,

Et pardonne au courroux de mon âme offensée.

 

Fais que du droit chemin ma plume ne s'égare,

Et que la passion ne la transporte pas;

La seule vérité guide et conduit mes pas,

Elle est de ce discours la boussole et le phare.

 

Mais de crainte et de peur, hélas! je tremble toute,

Voyant renouveller par ces vers ma douleur

Mais, puisque Dieu le veut, arrière toute peur;

Jamais on ne se perd en suivant cette route.

 

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Les faits

 

Vous n'avez point de Dieu, parjures misérables;

Vous ne craignez du ciel le terrible courroux

D'avoir occis celui qui se fiait en vous

Et qui n'eut jamais cru vos desseins exécrables.

 

Il passe devant vous, et humble il vous salue;

Vous vous jetez sur lui comme loups enragés;

D'injures et de coups, cruels, vous le chargez,

Et faites ruisseler son sang parmi la rue.

 

Nommerai-je celui qui, d'une aveugle rage,

En voyant le corps mort sur la terre étendu

Et le sang à grands flots çà et là répandu,

De plusieurs coups de pied lui foula le visage?

 

Grand Dieu, qui fuis le sang, qui punis l'homicide,

Souffiras-tu longtemps cette inhumanité

De tes plus saintes lois braver l'autorité?

Décharge ta fureur sur un tel parricide.

 

Tout son corps fut percé par vous, troupe maudite,

D'épées dans les reins, de poignards dans le flanc,

Tant que de tous côtés on ne voyait que sang,

Et la mort tôt après assez prompte et subite.

 

Comme il passe à travers ce traître corps de garde

Ils se jettent sur lui, ces tigres enragés,

Et dix-neuf coups mortels en son so corps sont plongés;

Le soleil en pâlit et son cours il retarde.

 

On le fit visiter dans l'église de Molles

Par trois chirurgiens, les plus experts des lieux.

Le sang crie vengeance et réclame les cieux:

Le bruit de ce malheur soudain partout s'envole.

 

Les pauvres souffreteux vous maudiront sans cesse;

Ils lèvent vers le ciel et leurs coeurs et leurs maines,

Contre vous, déloyaux, barbares, inhumains

Qui leur avez ôté leur plus grande richesse.

 


 

 

Quelques vifs portraits des assassins

 

Me serait-il permis publier en justice

D'un acte si tragic (que) les insignes meurtriers?

Donnez-moi donc la grâce, ô parfait des ouvriers,

De bien dépeindre au vif leur visage et leur vice.

 

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Ce poil roux le premier doit monter sur la roue,

Pour y être rompu comme premier moteur

De cet assassinat, et cruel inventeur

De tout notre meschef, bien qu'il le désavoue

 

Ce ladre et fier mutin, ce dogue si superbe,

Verra dans peu de jours qu'on lui mettra au col

Le petit lac courant en forme de licol,

Pour le suspendre en l'air de peur de fouler l'herbe.

 

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L'éventé rase-poil, la tête sans cervelle,

Girouette à tous vents, menteur sans jugement,

S'assure, et je le crois, le ciel jamais ne ment,

Qu'un bourreau le fera mourir de mort cruelle.

 

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Ce taneur, qui toujours porte la face blême

Et ses habits sanglants, m'a le meurtre avoué:

Mais, ores qu'il voit bien qu'il doit être roué,

Il ne se veut juger par sa parole même.

 

Cet Espagnol banni, cette face effroyable,

Et gorge de travers, monstre comme il fera

La mine en gibet, quand pendu il sera,

Si fort il l'a déjà laide et épouvantable.

 

Trinac cherche déjà un licol pour se pendre;

Ce racle-poil de Vache est en même destin;

Ce petit notereau avecques son latin

Ne perdra tôt ou tard sa peine pour l'attendre.

 

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12/07/2011
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