Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Verdier (Suzanne) 1745-1813

Suzanne Verdier

1745-1813

 

- Uzès

 - Géorgiques du Midi (ou  languedociennes) , poème en quatre chants (vers 1813)

- L'origine du chant

- Epître à M. de ***

- Epître à ma fille

- Le bandeau de l'Amour, 1769

- Pour d'autres oeuvres, consulter l'Almanach des Muses.

- Nombreux ouvrages inédits

 

    Voici le poème considéré comme son chef-d'oeuvre, célébré jusqu'au milieu du 19ème siècle (voir l'anthologie de Busoni, 1841). Elle y traduit à sa manière le goût renaissant pour la nature sauvage, pour le "locus terribilis" (le lieu qui inspire la terreur). Le "locus amoenus" (le lieu paisible) des "plaines riantes" est à peine suggéré. La Fontaine de Vaucluse est par ailleurs liée au destin de la poésie, puisque Pétrarque vint régulièrement, lors de l'année 1339, y "écouter la voix enrouée des eaux."

 

Hubert Robert: La Fontaine de Vaucluse, 1783 (Musée d'Avignon)

 

La Fontaine de Vaucluse

Idylle

 

Ce n'est pas seulement sur des rives fertiles

Que la nature plaît à notre oeil enchanté:

     Dans les climats les plus stériles,

Elle nous force encor d'admirer sa beauté.

Tempé nous attendrit, Vaucluse nous étonne,

Vaucluse, horrible asile, où Flore ni Pomone

N'ont jamais prodigué leurs touchantes faveurs;

Où jamais de ses dons la terre ne couronne

     L'espérance des laboureurs.

Ici, de toutes parts, elle n'offre à la vue

Que les monts escarpés qui bornent ces déserts,

     Et qui, se cachant dans la nue,

     Les séparent de l'univers.

Sous la voûte d'un roc dont la masse tranquille

Oppose à l'aquilon un rempart immobile,

     Dans un majestueux repos,

Habite de ces bords la naïade sauvage;

Son front n'est point orné de flexibles roseaux,

     Et la pureté de ses eaux

Est le seul ornement qui pare son rivage.

     J'ai vu ses flots tumultueux

S'échapper de son urne en torrent écumeux;

     J'ai vu ses ondes jaillissantes,

Se brisant à grand bruit sur des rochers affreux,

Précipiter leur cours vers des plaines riantes,

Qu'un ciel plus favorable éclaire de ses feux.

L'écho gémit au loin: Philomèle craintive

     Fuit et n'ose sur cette rive

     Faire entendre ses doux accens.

L'oiseau seul de Pallas, dans ces cavernes sombres,

Confond pendant la nuit, avec l'horreur des ombres,

      L'horreur de ses lugubres chants.

Déesse de ces bords, ma timide ignorance

N'ose lever sur vous des regards indiscrets;

Je ne veux point sonder les abîmes secrets

Où de l'astre du jour vous bravez la puissance,

     Lorsque sa brûlante influence

Dessèche votre lit ainsi que nos guérets.

Je ne demande point par quel heureux mystère

Chaque printemps vous voit plus belle que jamais,

     Tandis qu'au départ de Cérès

Vous nous offrez à peine une onde salutaire:

Expliquez-moi plutôt les nouveaux sentiments

     Qui calment l'horreur de mes sens.

Quoi! ces tristes déserts, ces arides montagnes,

      L'aspect affreux de ces campagnes

Devraient-ils inspirer de si doux mouvements?

Ah! sans doute l'aurore y fait briller encore

Un rayon de ce feu que ressentit pour Laure

     Le plus fidèle des amants.

     Pétrarque y chantait sur sa lyre

     Sa flamme et ses tendres souhaits;

Et tandis que les cris d'une amante trahie,

     Ou la voix de la perfidie,

Fatiguent nos coteaux, remplissent nos forêts,

     Du sein de vos grottes profondes

     L'écho ne répondit jamais

Qu'aux accents d'un amour aussi pur que vos ondes:

Trop heureux les amants, l'un de l'autre enchantés,

     Qui, sur ces rochers écartés,

Feraient revivre encor cette tendresse extrême;

     Et, dans une douce langueur,

Oubliés des humains qu'ils oublieraient de même,

     Suffiraient seuls à leur bonheur!

Mais, hélas!! il n'est plus de chaînes aussi belles:

Pétrarque dans sa tombe enferma les Amours.

Nymphes, qui répétiez ses chansons immortelles,

Vous voyez tous les ans la saison des beaux jours

     Vous porter des ondes nouvelles:

     Les siècles ont fini leur cours

Et n'ont point ramené des coeurs aussi fidèles.

Ah! conservez du moins les sacrés monuments

     Qu'il a laissé sur vos rivages,

Ces chiffres, de ses feux, respectables garants,

Ces murs qu'il habitait, ces murs sur qui le temps

     N'osa consommer ses outrages.

Surtout que vos déserts, témoins de ses transports,

Ne recèlent jamais l'audace ou l'imposture;

Et si quelque fidèle ose souiller ces bords,

Que votre seul aspect confonde le parjure

     Et fasse renaître ses remords!

 



03/08/2011
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