Marie Noël (1883-1967)
Marie Noël
1883-1967
Cette page s'adresse en priorité à ceux qui considèrent que Marie Noël était une grenouille de bénitier. Sa foi chrétienne en exaspère plus d'un. J'ai moi-même été longtemps réfractaire à Marie Noël. Je n'étais pas le seul. J'ai changé d'idée à la lecture de ses "Notes intimes", dont je voudrais citer ici quelques extraits de cette oeuvre en prose pour donner envie de redécouvrir... sa poésie.
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"C'est comme si l'on disait que le talent prosodique de Marie Noël "compares favorably" avec celui de Saint-John Perse. Ou bien je suis complètement cinglé, ou bien le reste du monde a perdu la raison - je penche pour la deuxième hypothèse." (Renaud Camus dans "Parti pris", Journal 2010, 2011).
Je ne sais pas si Marie Noël est comparable à Saint-John Perse, mais à l'évidence, sa prose est infiniment supèrieure à celle de Renaud Camus. Elle me fait d'ailleurs plutôt penser à Valéry, à qui elle rend hommage (voir la dernière citation de cette page)
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J'ai choisi quelques textes, souvent en forme d'aphorismes, forme que j'affectionne particulièrement,... et choix forcément subjectif.
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Site internet de l'Association "Marie Noël"
Voir Marie Noël sur le site de l'INA
14-05-1959
Notes intimes (1959)
Les textes qui suivent ont été écrits dans les années 30
Se tuer? On ne se tuerait pas assez. On ne tuerait pas son âme.
Qu'est-ce que supprimer la chair?
L'âme malade est plus torturante que le corps. Tant qu'il est fort, il la défend contre elle-même comme une armure. Affaibli, elle se rend à soi-même plus cruelle.
Le corps détruit, elle serait peut-être - lame sans fourreau - ce supplice d'elle-même par elle-même... éternel.
Rien n'est, pour la sauver d'elle-même, rien n'est que d'attendre, en patience, la Grâce de Dieu.
ATTENDS
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J'ai horreur de l'incontinence sentimentale... des gens qui font tout leur coeur sous eux.
Mon coeur, je n'en parle pas. Je le tais ou je le chante.
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Les mystiques, ces fous admirables qui se coupent les pieds pour se faire pousser des ailes. Moi, j'aurais peur.
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La curiosité, cette espérance de l'esprit...
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Contradiction...
Dieu infini.
Toutes les religions: Dieu défini.
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Qu'il est petit celui qui ne s'est jamais perdu en soi-même comme dans un désert sans route;
Celui qui vient à une place et dit: je suis là, je ne suis pas ailleurs...
Mais celui qui traverse le monde et ne peut pas gagner son propre rivage,
Celui qui fait plusieurs fois naufrage en soi-même,
Celui qui ne sait pas son propre nom,
Celui que Dieu ébranle et ne laisse pas reposer comme la lune qui fait sans cesse osciller la mer,
Celui-là est l'homme...
Une grande misère.
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Prière à mon corps
O mon corps, tant que tu pourras, garde-moi de mon âme.
Ne meurs pas, sois vivant, ne m'abandonne pas à elle seule.
Ne défaille pas, sois fort pour la tenir liée, enfermée, l'empêcher de me nuire.
Mange, bois, engraisse, sois épais afin qu'elle me soit moins aiguë.
Protège-moi contre elle tant que tu pourras. Défends-moi de toute ta substance, de tout ton poids, de toute la terre qui te tient aux pieds. Sauve-moi d'elle!
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Il y a des jours où Dieu m'est tout.
Il y a des jours où Dieu ne m'est rien, comme si je n'étais moi-même, ces jours-là(,) qu'une créature animale ou végétale... une bête qui tremble ou qui chante, une plante qui n'a besoin de rien que d'air, que d'eau et de soleil.
Il y a des jours où je n'ai pas d'âme.
Jours de jeu... jours de poésie... jours de congé!
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Le mètre est au rythme ce que la chaussure est au pied vivant.
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Viendra le jour où vous chercherez l'ignorance comme une eau pour la soif.
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"Le devoir de tout chrétien à cette heure-ci est d'être apôtre."
Comment apôtre?
Je ne remplis pas bien mon devoir de chrétien. Je ne suis pas apôtre. Je n'ai pas assez de foi. Surtout je ne suis pas violente.
L'apôtre est un bandit de Dieu, un voleur de grands chemins qui guette les âmes en voyage, les attaque, les ravit, les emporte au Royaume. Sauvées!
Il est beau que ces conquérants ramènent à la Cité chrétienne une longue file de captifs.
Je ne sais pas quel service de guerre je pourrais bien rendre à la Cité, mais, sûrement, je ne suis pas faite pour le rapt, moi qui tremble de blesser l'homme, même dans son ombre.
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Quel repos, ah! quelle détente, dans un conflit, de s'apercevoir soudain qu'on a tort! Tout s'apaise d'un coup - c'est moi qui ai tort! - tout s'arrange!
Tandis que s'il fallait attendre la paix d'un autre...
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Poésie
Paul Valéry, le lucide qui s'oppose au mystère, domine la nuée, le Prince de Lumière qui règne d'en haut, sans pli, sans poids, sur le verbe.
Je voudrais l'appeler Lucifer si ce nom splendide n'avait été par malheur enténébré par un ange.
En lui, ce miracle: le solide de la pensée - cristal exact aux arêtes vives - coule fluide comme de l'eau d'or.
...
Publié dans
La Muse Française 1938
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