Bernier (Jovette-Alice) 1900-1981
Jovette-Alice Bernier
1900-1981
Consulter l'anthologie de Louis Dantin:
les poètes de l'Amérique française, 1928. (Québec et Haïti)
- Les masques déchirés (1932)
Aux chemins des étoiles (extraits)
Je m'en vais dans le soir comme un fiévreux qui rêve,
Et qui monte très haut, flottant dans un linceul,
Et qui voudrait qu'enfin le vertige s'achève,
Mais qui monte toujours, étonné et tout seul.
Dans l'espace, mes sens érigent leurs antennes,
Pour distinguer le bruit qui naît du bruit qui meure;
Je cherche dans le ciel quelle étoile est la mienne,
Je cherche des oublis qui sont toujours ailleurs.
Quand le jour insolent raille mon stratagème,
Je montre à son soleil les misères que j'ai;
Et pour parer mon deuil, je porte en diadème,
La clarté que j'ai prise aux astres étrangers.
Les astres qui brillaient pour d'autres, je les porte,
Et je vais, attentive, à travers les humains,
Songeant que mon étoile, un autre me l'apporte,
Et nous échangeons nos astres en chemin.
(Je voudrais)
Je voudrais t'arracher de mon coeur indompté,
Fatal amour, vain mal, tyran insatiable!
Maître, c'est bien assez pleurer (é?) l'irréparable;
Quelle rançon te faut-il pour ma liberté?
Je voudrais te bannir, menteuse volupté.
Je voudrais oublier, je m'en sens incapable.
Une lourde puissance amoureuse m'accable;
Je voudrais te maudire et tu me fais chanter,
Je fus assez longtemps à tes coups une cible:
J'ai peur de ton empire, oui, je le sais terrible.
Qu'attends-tu pour sortir de mon coeur révolté?
"J'attends, me dit l'Amour, ta détresse suprême
Dont je me ferai gloire avant de te quitter;
J'attends qu'à mes genoux tu redises: "Je t'aime."
(Quel artiste...)
Quel artiste avait donc tourné
Ce beau noeud de votre cravate
Pour si gentiment façonner
Sa grâce souple et délicate?
Sous quel charme heureux fut-il fait,
Ce noeud léger aux airs de fête,
Vaporeux, bohême...parfait,
Digne de toutes les conquêtes?
Il était si gaîment posé,
Si fraîche était sa couleur mate,
Qu'un jaloux l'aurait pu briser,
Ce beau noeud de votre cravate.
(Comme le papillon...)
Comme le papillon qu'un mioche caresse,
Notre amour souffre par nos jalouses tendresses.
La phalène irisée aux ailes de satin
Tombe un jour sous les doigts de quelque ardent mutin.
Et c'est un beau délire, une indicible joie
De capter ce bijou fait d'un or qui rougeoie.
L'enfant l'aime, en raffole! et ce culte brouillon
Est lourd infiniment au pauvre papillon.
Bientôt l'aile éclatante a perdu sa richesse;
Brisée, elle palpite une longue détresse.
Et l'espiègle mignon pleure, déçu de voir
Se débattre et languir un si riant espoir.
Ainsi mon bel amour, aux délicates ailes,
Souffre par moi qui suis innocemment cruelle.
Brouillard
Un brouillard a terni le bleu du firmament,
Mais un puissant rayon, d'un rapide sourire,
Vient parfois promener quelque espoir et nous dire:
" C'est le calme, la joie"; et j'y crois par moments.
Des brumes aussitôt sur ce décor surgissent,
Et, plus épais encor, le nuage descend;
Et je hais ce rayon menteur et caressant
Plus que le brouillard dense où mes doutes gémissent.
Je hais l'espoir qui rit, terrible et décevant,
Lorsque dans mon coeur trouble une lumière passe;
Ce rayon se dissout en me laissant plus lasse;
Je le fuis, je le hais et garde mon tourment.
(Les grands secrets)
Les grands secrets qu'on scelle en son coeur malheureux
Dans l'intime de l'être amoncellent leurs peines;
Le Temps, rôdeur muet, bientôt fait le coeur vieux,
Mais, stoïque, il se point de ses douleurs anciennes.
Les chers secrets qu'on aime et qui vous font jaloux,
Les secrets que l'on nie à ceux qui les devinent,
Et qui rendent farouche, et qu'on traîne à genoux,
Font naître dans nos coeurs des tristesses divines.
En marbres inégaux se dressent nos malheurs,
Et pour commémorer nos âmes désolées,
Le sombre Souvenir, d'un burin de douleur,
Retrace le Passé sur les blancs mausolées.
Les Mausolées du Coeur
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