Malcrais de la Vigne
Malcrais de la Vigne
(Paul Desforges-Maillard)
1699-1772
Le Croisic
Mademoiselle Malcrais de la Vigne est le pseudonyme féminin que prit le poète Paul Desforges-Maillard, du Croisic, pour obtenir un succès littéraire qui dura plusieurs années (les années 1730). Les circonstances romanesques de cette substitution de nom d'auteur méritent qu'on s'attache à son cas tant il est révélateur de de l'idée qu'on se faisait à l'époque des rapports entre le genre féminin et l'écriture. Malcrais de la Vigne devint en effet la coqueluche du monde littéraire et il ne fut pas facile à Desforges-Maillard de revenir à son authentique patronyme qui le fit à nouveau sombrer dans l'anonymat.
On parle du Croisic, comme on parle d'Astrée,
De Smirne, de Lesbos;
Ta muse de nos jours y montre Cithérée,
Plus belle qu'à Paphos.
Les Grâces font parler le luth, et la musette,
Qu'accompagne ta voix:
Et tu peux animer au son de ta trompette,
Les Héros et les Rois.
(Ode de Mr de Chalons)
Avant de reproduire plusieurs de ses poèmes, il est intéressant de mettre en exergue l'Epitre que lui envoya un certain Mr M. V. D. G. de Marseille, subodorant le subterfuge et mettant en doute l'existence effective de Mlle de Malcrais. La réponse offusquée de "cette dernière", prenant avec mauvaise foi la défense des femmes auteures, ne manque pas de sel! La chute en est savoureuse lorsqu'on sait que ce nom aurait dû revenir à sa propre soeur. (Voir les détails dans la biographie de Paul Briand: Oeuvres nouvelles de Desfoges Maillard, 1882)
De M. V. D. G. de Marseille.
Docte Malcrais, dont les gentils écrits,
Dans le Mercure obtiennent toujours place,
Lorsque je lis vos vers remplis de grâce,
Certain soupçon se forme en mes esprits.
Je vous le dis, quand devrais vous déplaire,
Vous n'êtes femme en aucune façon,
Si fin génie, et savoir si profond,
Dans votre sexe est extraordinaire,
Ainsi je vois, confirmant mon soupçon,
Que Malcrais n'est qu'un être imaginaire.
De Marseille, le 3 septembre 1732
Epitre,
En réponse aux Vers précédents
Monsieur, dont l'âme perplexe,
S'alambique en cent façons,
Votre idée est circonflexe,
Sous le grand lambris convexe,
Il est des gens de tous noms.
Mais savez-vous, qu'au beau sexe
Vos vers sont injurieux?
Arrêtez, Messieurs les hommes,
Vous êtes si glorieux,
Que vous croyez que nous sommes,
Auprès de vous des atomes,
Ou des riens harmonieux.
Sachez pourtant que les Dames,
Quoiqu'en dise un fol Auteur,
Ainis que vous, ont des âmes,
Et que les célestes flammes
Ont coulé dans notre coeur.
Cependant n'allez pas croire,
Ou je garde le tacet,
Qu'ici je veuille avec gloire,
Mettre, du Docteur Docet,
Sur ma coiffe, le bonnet,
J'en romprais mon écritoire,
Et m'irais pendre tout net,
M'étreignant de mon lacet.
Ces Pédants à l'humeur cue,
Dès qu'ils s'offrent à ma vue,
Me plaisent moins qu'un valet,
Qui, dans chaque coin de rue,
Fait entendre son sifflet.
Si je voulais, par exemple,
Trancher ici du Docteur,
Je dirais, mon cher Seigneur,
Vous qui fréquentez le Temple
Du Dieu versificateur,
Connaîtriez-vous Corinne,
Léontion, Eccello,
Sapho, Prasille, Occello,
Théano, Cléobuline?
Au monde est-il un canton,
Qui ne vante des Poëtes,
Qui, quoiqu'ayant des cornettes,
Ont fait sonner leurs musettes,
Sur plus d'un merveilleux ton,
Aussi bien que Coridon?
L'antique et moderne Rome
Vit et voit briller les siens;
Notre France en a, tout comme
Ces doubles Italiens,
Et partout on les renomme,
Plus que Donna Guistina,
Et Signora Colonna.
Si point ici ne les nomme,
C'est pour abréger chemin;
Et je crois bien qu'en Provence,
Le beau sexe féminin,
Mieux qu'en nul endroit de France,
Fait voir qu'il a l'esprit fin,
Assaisonné de science.
Beau pays des Troubadours!
C'est chez vous que l'Italie,
De l'Art de la Poésie,
Apprit les excellents tours.
Mais, halte là mon génie;
Je vois que je passerais
Pour une grande Pédante,
Moi, qui passer ne voudrais,
Que pour petite Savante.
Au surplus, bien mieux que vous,
Des vers nous devrions faire,
La raison en est très claire,
Si, comme vous dites tous,
Caprice domine en nous,
Avec cervelle légère,
Mais, ce n'est pas là le fait,
Et votre âme impatiente
Me demande mon portrait,
Je vais être complaisante,
Et vous serez satisfait.
C'est trop, et j'en suis dolente,
Avoir suspendu l'attente
D'un aimable curieux.
Taille un peu courte, grands yeux,
Bouche riante et vermeille,
Avec un air de douceur;
Monsieur l'Auteur de Marseille,
C'est là Malcrais, ou sa soeur.
Et pour terminer, cette chevaleresque
Missive
Du chevalier de Leuctèce,
à l'Infante de Malcrais, Princesse d'Armorique.
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..... Dame de mes pensées,
Illustre et sublime Malcrais,
De grâce, ne trouvez mauvais,
Si jambes et tête cassées,
Pour commencer ma déclaration,
Je vous fais députation,
Quelque matin, du dernier personnage,
Pour faire réparation,
A vous, au sexe qu'il outrage;
C'est le devoir de ma profession,
En tout honneur, bien et discrétion,
Sommes tenus protéger les Infantes,
Les faire déclarer charmantes,
Non moins d'esprit, comme de corps,
En un mot réparer les torts.
Adonc ira le rimeur de Marseille,
Droit au Croisic, en l'état dessus dit,
Illec verra, qu'êtes merveille,
Non moins de corps, comme d'esprit,
Confessera qu'il se dédit,
D'avoir écrit que c'est un cas étrange,
De trouver, sous figure d'Ange,
L'esprit sublime, et le savoir profond.
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Début de l'Epitre adressée par Voltaire à Mlle Malcrais de la Vigne
Voici le début de deux de ses idylles qui le rendirent célèbre
Voir "Yasmina Khadra", romancier algérien contemporain, qui choisit un peudonyme féminin, pour des raisons forcément très différentes.
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