Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

D'Alençon (Emilienne) 1869-1946

Emilienne d'Alençon

1869-1946

 

 

 Danseuse de cabaret...Les 1ers chapeaux de Coco Chanel

 

(Consulter le site de Sabine Huet: informations et pdf de l'oeuvre)

 

 

- Sous le masque, 1918 (recueil de poèmes)

Particularité: ponctuation un peu fantasque

 

Aux morts inconnus

 

Je ne sais pas leur nom: j'ignore leur visage

Avaient-ils des teints mats avec des cheveux d'or?

Chérissaient-ils les arts, l'amour et les voyages?

Je ne sais pas leur nom; mais je sais qu'ils sont morts.

 

Que de bons compagnons qui tuent leurs pensées.

Et que d'amis charmants que je n'ai pas connus:

Peut-être le destin, pour eux, m'avait donné

Des rendez-vous, auxquels ils ne sont pas venus!

 

Peut-être étions-nous faits pour si bien nous comprendre.

Que, si nous nous étions pressé la main, un jour,

Cela nous aurait fait une étreinte si tendre.

Que nous aurions gardé l'étreinte pour toujours.

 

Que de bonheurs perdus qu'(a) refusés la vie!

Que de divins hasards qui n'auront pas eu lieu!

Que d'ivresses d'amours qui nous serons ravies,

Sans que même la flamme en naisse au fond des yeux!

 

Amis, de vous savoir quelque part sur la terre,

Etait mon espoir sûr et mon futur trésor,

Sans vous, comme je suis à présent solitaire!...

Qu'ils me sont doux et chers! tous les Inconnus morts!

 

 


 

 

 

Le Balcon

 

Au balcon de l'hôtel, nous étions accoudées.

Et nous avions au coeur, un tel recueillement,

Que la nuit et la mer, à nos pieds déployées,

Semblaient venir à nous, silencieusement.

 

Le ciel était si proche, au fond de l'ombre immense,

Que nos gestes semblaient atteindre l'horizon,

Les vagues se taisaient et, dans le grand silence,

Tout ce que vous disiez prenait un sens très profond.

 

Et voici que soudain, des voix mystérieuses

Se mirent à chanter sur la mer, devant nous,

Et les unes étaient tendres et douloureuses,

Et d'autres résonnaient comme un rire très doux.

 

Les voix disaient le charme et la mélancolie

De la belle rencontre et du divin hasard,

Les voix disaient l'histoire obscure de la vie,

L'angoisse des adieux, les larmes du départ.

 

Ah! qui saura jamais, pourquoi sous ces étoiles,

Les être dans le soir, se seront pris la main,

Au lieu de s'en aller, comme s'en vont les voiles,

Sur les flots, vers des cieux différents et lointains.

 

J'ai senti contre moi, votre épaule plus chaude,

Le ciel, en pâlissant, faisait vos yeux plus clairs,

Et des parfums marins de sable, d'algue et d'iode,

Se mêlaient aux parfums qu'exhalait votre chair

 

Août 1917

 


 

Courtisane

 

Mes bras se sont ouverts et se sont refermés,

J'ai bu tous les poisons aux coupes exaltantes,

Et si c'est un péché d'avoir beaucoup aimé,

Je veux le premier rang parmi les pénitentes!

 

Les plaisirs de la chair, se sont sur moi, posés,

La lèvre m'a meurtrie et la dent m'a blessée,

Je porte avec orgueil la trace des baisers,

Je n'ai rien désiré que d'être caressée.

 

Je ne regrette pas les beaux soirs innocents,

La calme pureté des coeurs de jeunes filles,

Moi qui ne peux calmer la fièvre de mon sang,

Ni l'éclair de mes yeux, quand la voolupté brille.

 

De l'amour prodigué le long des jours passés,

Des baisers pénétrants, sur les lèvres que j'aime,

De ces morceaux de fleurs, entre mes doigts froissés,

J'ai fait un pur collier de perles et de gemmes.

 

Je porte fièrement ce mystique joyau,

Dont l'éternel éclat me brûle jusqu'à l'âme:

Moi; que l'amour aura marquée à mon berceau,

J'entraîne vers sa loi, le cortège des femmes.

 


 

Elégie

 

L'allée est ténébreuse, et le ciel est mystique;

L'Aphrodita de marbre étend son beau corps nu,

Le gazon est humide et luisant, il a plu...

Sur le gravier s'allonge une ombre fantastique.

 

L'amour a, par moments, besoin de s'exiler;

Et c'est pourquoi, ce soir, plaisir ou délivrance,

Nous allons à pas lents, baignés dans du silence,

Rechercher la tendresse au jardin isolé.

 

Douceur de vivre à deux, un soir de lassitude!

O vivre près de toi! bonheur sans lendemain!

Tu m'aimes aujourd'hui - m'aimeras-tu demain?

Et mon soupir a, seul, troublé la solitude.

 

Cependant on perçoit un long pas, qui nous suit,

Propice à conserver l'illusison divine,

Un pas léger, un as flottant, que l'on devine:

C'est l'ombre de l'amour, dans l'ombre de la nuit.



19/09/2011
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