Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

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Les poétesses et la guerre 14-18

Les poétesses et la guerre 14-18

 

Cette page est directement inspirée des recherches et des travaux réalisés par Nancy Sloan Goldberg, PH. D. Les premiers noms ont été puisés dans sa propre liste, qui comprend par ailleurs des noms masculins et des romanciers ou romancières ayant écrit sur ce thème. J'ai ajouté ensuite un certain nombre de poèmes que j'avais moi-même repérés.

 

Voici le lien vers le site de

Nancy Sloan Goldberg 

Professor of French and Women’s Studies
Department of Foreign Languages and Literatures
Middle Tennessee State University

 

Cécile Périn 

(1877-1959) est parmi plusieurs jeunes poètes qui collaborent aux revues éphémères pendant la décennie qui précède 1914. Son volume de 1919, Les Captives, hésite entre le soutien tiède à la guerre et le mépris, comme dans le poème suivant, choisi par Romain Rolland pour son anthologie, Les Poètes contre la guerre. (N. S. Goldberg)

 

Les Femmes de tous les pays

 

 Les femmes de tous les pays,

A quoi songent-elles, muettes?

Celles à qui la guerre a pris

Le bonheur? Les femmes qui guettent...

 

Les femmes de tous les pays,

O complices inconscientes,

Vous étouffez encor vos cris,

Vous êtes là, comme en attente.

 

Les femmes de tous les pays,

La voix meurt donc dans votre gorge,

Quand ce sont vos hommes, vos fils,

Que l'on mutile ou qui s'égorgent?

 


Noélie Drous


Aux Mères

 

Femme, suis ton destin.:."L'homme est un loup

pour l'homme."

Il incendie, il tue, il égorge, il assomme,

Du sanglant Colisée élargit l'horizon

Qui, de Néron, saoûla pourtant la déraison!

Fait monter dans l'arêne aux limites lointaines /sic/

Une âcre odeur de sang, d'exhalaisons humaines,

Et de poudre, et de feu, de mort et d'hôpital,

Le courroux du lion et le cri du chacal,

Les hymnes des combats, les sifflements des balles,

Le bruit sourd de l'airain, le galop des cavales,

Le cliquetis du sabre au choc des éperons

Et les cris belliqueux dans l'accent des clairons,

Des tigres, laissant choir l'écume de leur rage

Dans le sol entr'ouvert par l'horrible carnage...

De ce sol, parcouru de douloureux frissons,

D'où la pourpre a chassé l'or mouvant des moissons,

Le râle des mourants, dont les chairs pantelantes

Et le sang répandu font des taches fumantes,

Monte, plus haut encore, en un suprême appel,

En un dernier recours à ton coeur maternel!

 

Femme, ce cri tragique à travers la bataille,

Ce cri de ton petit qu'arrache la mitraille,

Ce regard qui se voile en rentrant dans la nuit,

Fais-les surgir, demain, de l'ombre qui les suit.

Quand ta main n'aura plus à panser de blessure,

Lorsque le froid, vaincu, calmera sa morsure

Et quand les survivants reviendront sous nos toits,

Achève ton devoir: clame bien haut tes droits.

Reprends la lutte active avec persévérance,

Sans trève ni lenteur, sans une défaillance /sic/.

Poursuis ton idéal, prends place dans le rang,

Afin qu'à l'avenir chaque goutte de sang

Dont tu connais le prix, lourde dans la balance,

Fasse fléchir la Force en dépit de la lance.

Fais valoir la Justice, apporte ton avis:

Ceux que l'homme écouta, qu'il a si bien suivis,

Qui flattent à l'envi son orgueil intraitable.

L'homme les lui donna. Mais toi, l'indésirable,

Qui ne pus faire entendre un seul des battements

De ton coeur déchiré dans l'air des parlements,

Tu souffres dans ta chair, tu dévores tes larmes

En envoyant ton fils châtier par les armes

Des mères comme toi dont le pouvoir affreux

Est d'enfanter aussi dans l'effort douloureux!

 

Femme, ton heure tinte...Arrache ton suaire...

Sois confiante en toi...Puis, du haut de sa chaire,

Si l'homme, à lui tout seul, veut imposer la Loi,

Raille à ta mission, s'il insulte à ta foi,

Jusques à ta raison, l'accuse d'utopie,

Alors, fais s'élever, ô Vestale accroupie,

De Londres à Madrid, de Vienne à Pétrograd

Et du Palais-Bourbon et du sein du Reischtagd /sic/ ,

Pour couvrir à jamais la voix des représailles,

Suprême et déchirant, le cri de tes entrailles!

                                              Pragondran, octobre 1914.



Henriette Sauret


Elles

 

Restent à la maison les faiseuses d'enfants,

Les femelles devant perpétuer la race.

Leur bonheur arraché part avec leurs amants.

Il leur faut demeurer soumises à leur place.

 

Leur combat, c'est garder le bon ordre au foyer.

L'armoire et le cellier, voilà leurs seules troupes,

Et leurs victoires sont la lessive et la soupe.

Leur rôle est de ranger, de coudre et d'engendrer.

 

Donc, c'est pour protéger leur toit et leur pâture

--Paradoxe ironique et dilemme jaloux--

C'est pour elles et pour leur neuve géniture

Que courent à la mort les grands fils, les époux!

 

C'est pour elles? Pourtant, dans la grave balance,

Leur volonté n'a pas de poids, ni leur désir;

Juste leur permet-on de craindre et de souffrir

Elles n'ont que les pleurs, l'attente et le silence.

 

Femmes, le désespoir sèche-t-il votre coeur?

Mort, votre fils, votre homme! Eh bien, nulle révolte!

Camille ou Niobé n'ont plus droit aux clameurs

Tout bas, et cachez-vous derrière votre porte.

 

Autrefois, vous étiez, à l'heure des tocsins,

Plus libres. Parmi vous, il y avait des lionnes

Qui savaient partager les périls masculins.

D'autres jugeaient les coups et tressaient des couronnes.

 

Aujourd'hui, on vous tient sur le strict de la loi;

Créatures de force, on vous mue en passives.

Chacune dans sa stalle, avec l'âme aux abois,

Et la parole éteinte et l'ardeur inactive.

 

(4 lignes censurées)

 

Et voilà. Femmes, vous restez là, mains ballantes,

Jouant Clémence Isaure ou dame Malborough.

Oh! vous avez toujours le droit d'être élégantes,

De lire les journaux qui sont si bons pour vous;

 

De tenir un rôle flatteur aux ambulances,

Une croix symbolique épinglée à vos fronts.

--Encor faut-il avoir certaines références,

Connaître quelque évéque et pouvoir quelque don.

 

Et voilà. On les fit en ruban, vos entraves.

Qui, d'entre vous, les sent? Dix mille compliments

Pleuvent chaque matin sur vos têtes d'esclaves.

Misère! on vous jugule, on vous pipe, on vous ment!

 

(15 lignes censurées)

 

Laissons les ornements, la clinquaille.. D'ailleurs

Même s'il était mort, le petit, sans horreur,

En attitude convenable,

La mère en serait-elle un peu moins misérable?

 

S'il a trépassé doucement,

Le sacrifié, l'innocent,

Si son front fut marqué d'une blessure nette,

Va, ce n'est pas cela qui peut la consoler:

Elle n'a pas tenu l'agonisante tête,

Elle n'était pas là, pour le dernier baiser.

                                                       1916

 


Madeleine Vernet

 

Madeleine Vernet (morte en 1949) est militante dans les mouvements syndicaliste et féministe. Elle fonde "L'Avenir social" en 1906, un centre éducatif, maison d'édition et asile pour femmes et orphelins qui connaît un grand succès régional. Vernet collabore à plusieurs périodiques contemporains, dont Les Temps nouveaux et Libertaire aussi bien que son propre Mère éducatrice. Vernet s'oppose à la demande du libre

accès à toute méthode de contraception, en défendant le droit de chaque femme à la maternité.

Vernet s'élève contre la guerre, avec d'autres féministes, parmi lesquelles ses amies Hélène Brion et Noélie Drous. Son pacifisme résulte de sa conviction que seules les injustices de la société européenne provoquent la guerre. Vernet publie un grand nombre d'articles et un roman sur le désarmement

et l'objection de conscience.  Son poème, "Aux mères!", qui paraît dans le journal pacifiste de Paris La Paix Organisée en 1917, soutient l'idée féministe que la maternité est l'ultime principe synthétique, seul capable d'unifier tout aspect de vie et de société.

 

 

Aux mères!

 

Mères, quand vos enfants vont jouer sous leurs doigts

Leur sabre de fer-blanc ou leur fusil de bois;

Quand ils s'en vont traînant au bout d'une ficelle,

Sur un affût boîteux, un canon qui chancelle;

Lorsqu'ils font manoeuvrer leurs fantassins de plomb,

Puis massacrent gaiement l'innocent bataillon;

Lorsqu'ils se font entre eux des guerres de pygmées,

En simulant l'ardeur farouche des armées;--

Vous riez de leurs jeux... ...Mères vous avez tort

De rire quand vos fils font un jeu de la mort.

N'évoquez-vous donc point, devant leurs frêles armes,

Celles qui vous feront un jour verser des larmes?

Car ce qui vous amuse alors qu'ils sont enfants

Déchirera vos coeurs lorsqu'ils auront vingt ans.

Ayez donc un peu plus de raison, pauvres mères,

Et ne vous bercez point de fragiles chimères,

Le coeur de vos enfants est tout entre vos mains,

A vous de les guider vers les nobles chemins.

Les avoir enfantés ne doit point vous suffire,

Votre plus belle tâche est de les bien instruire

--Mères, berceau sacré de toute humanité,

Semez, semez l'amour et la fraternité!

 

 mars 1916



Autre poèmes

 

Cécile Sauvage 

Extrait de "En relisant Villon", 1922


Et si la guerre des Anglais,

Les loups que l'hiver fait issir,

Si la famine, les procès

Et les meurtres t'ont pu meurtrir,

Considère jusqu'à pâlir

Nos charniers de la grande guerre

Comblés de siècles d'avenir,

Millions d'hommes en poussière.

 

Car c'est plus que ceux de Montfaucon

Ceux-là furent réduits en poudre,

Noircis, moulus; mille canons

Ont plus que cent ans su les moudre;

Nulle mère n'eût pu recoudre

Deux lambeaux d'un même garçon;

Plaise au doux Jésus les absoudre,

Car on n'a même plus leur nom.

   




11/02/2012
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