Backer (Anne-Marie) 1908 ou 1910 - peut-être 1987
Anne-Marie de Backer
1908-ou 1910 - peut-être 1987
- Vers impairs (9 ou 11 syllabes)
L'église de Santo Tomé
Dans l'église de Santo Tomé
Où la bête à l'Ange sert de cible
Sur un tableau dort mon bien-aimé
Et sa nuit est mystique et paisible.
Notre coeur nous permet tant d'épreuves:
D'être épris du désert le plus nu,
D'une étoile en peine au bord d'un fleuve,
D'une église ou d'un mort inconnu.
Le mensonge un moment nous délivre,
Tout n'est plus que rêve et visions.
J'ai prié, mais je cherche pour vivre
Mes secrets dans les yeux des démons.
Nul ne sait combien ma nuit fut grande
Dans l'alcôve aux lourds rideaux fermés,
Et qui sait ce que ma voix demande
A l'église de Santo Tomé?
Bel Amour, né de la nuit des temps,
Tu souris quand les morts te regardent
Et tu peux supporter les passants,
Leurs baisers et leurs yeux qui s'attardent.
Bel Amour, tu n'aurais qu'à parler
Pour capter un coeur qui se dérobe
Et tous ceux qui sont déliés
Ont leurs fronts sur les plis de ta robe.
Nul ne sait dans quelle tour je loge,
Dans quel lit de brocart aux fleurs d'or;
Je réponds à ceux qui m'interrogent
Pour ma fièvre et mes yeux de remords:
Sur un tableau dort mon bien-aimé,
Et sa nuit fatale est sans remède,
Dans l'église de Santo Tomé,
Au milieu de l'étrange Tolède.
Pour moi, tout n'est que rêve et terreur,
Pour lui, tout n'est qu'éternité sage
Mais ils disent que j'aimais ailleurs
Et meurs sans bruit d'un autre visage.
L'herbe et le feu, 1958
Chanson du fantôme
Je ne sais plus dans quel pays t'apparaître:
L'herbe est dorée autour de mon cercueil d'or.
Un rosier noir brûle aux grilles des fenêtres.
L'espace est libre entre la Vie et la Mort.
C'est une ville et la nuit tourne autour d'elle,
Pâle des fleurs de ses jardins suspendus.
C'est une nuit qui sourit quand on l'appelle
Et resurgit d'un monde à demi perdu.
Regarde-moi, même si rien ne t'incline
Vers ce fantôme aux yeux ardemment baissés;
Je m'enfuirai par la porte des collines
Avec la brume et les chemins du passé.
C'est une nuit qui s'habille en courtisane
Mais ses péchés l'enivrent de désespoir:
Elle a voilé d'une étoffe diaphane
Ses cheveux roux et son corps de velours noir.
Mais cette nuit me libère et me ressemble,
Je la caresse avec mes yeux tourmentés.
La Mort et moi ne savons que faire ensemble
Et je m'ennuie à longueur d'éternité.
Regarde-moi, puisque tu ne peux rien dire
A cette bouche à présent muette enfin.
J'aurai choisi pour te calmer d'un sourire
Ce sol obscur, pétri d'ombre et de jasmin.
Les grands oiseaux qui m'apportent des nouvelles
Me disent bien que tu souffres sans répit
Lorsque tu crois que mon corps ployant se mêle
A ceux des morts dans leurs tombeaux assoupis.
Regarde-moi, puisque tu veux vivre encore
Et respirer dans ton enfer éclatant.
J'ai pris ton âme et l'emporte avec l'aurore
Sous le désert de mon suprême océan.
L'herbe et le feu, 1950
(Publiés dans Seghers: le livre d'or de la poésie contemporaine, tome 1)
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