Rivet-Borac (Renée) Années 1950-1960
Renée Rivet-Borac
Renée Rivet
(publie dans les années 50 et suivantes)
La folle a faim
La folle a faim, mais son pain est troué d'oublis.
Elle ouvre le placard des confitures, mais le sang des fruits la fixe, et elle n'ose pas en manger. Elle referme le placard et donne deux tours de clé.
La folle cherche des anges pour faire éloigner le malheur.
Quelqu'un marche derrière elle, quelqu'un l'empêche d'avancer !
Sa fille, sa fille étroite et belle ! Non, c'est un rayon de soleil à travers les lames des persiennes. Elle est pourtant sûre d'avoir senti un parfum.
La mort, la mort dans la glace ! pourquoi la mort avance-t-elle dans la glace ? Il suffit alors de tourner le miroir contre le mur.
Mais les mains, les mains suivent partout. Elle a beau les cacher derrière son dos, elle sait bien qu'elles sont là. Si elle les coupait ?
Elle ne pourrait en couper qu'une ... l'autre resterait, et que faire du moignon sanglant ...
La folle pleure ... Tiens, il pleut dans la chambre, la pluie roule sur le journal.
D'où vient qu'il y ait de la pluie partout, même dans le lit ?
L'oreiller s'écrase, et la tête glisse, glisse en arrière. En arrière, il y a peut-être du soleil ...
La tête heurte des cailloux, la pauvre tête roule contre la terre.
Est-il possible que la terre ait pu monter tous ces escaliers ?
Il n'y a rien à comprendre, tout arrive par bribes. Même ce qui fait mal n'est jamais tout à fait entier.
La folle a peur que son délire ne soit pas vrai.
Poème publié sur le site "Forumauféminin"
(Quand la nuit)
Quand la nuit enfonce ses oiseaux noirs
Dans les yeux du pauvre
Ravageant des soleils maigres
Quand l'énigme du monde
Ouvre son oeil morne
De tétard démesuré
Quand l'oubli nous décolle
Des absents qui diminuent
Quand la terre se liquéfie
Nivelant les horizons
Quand des chiens sortent du ventre
Avec des yeux d'agonie
Quand le domaine intérieur
Devient la folie commune
Que celui qui dort en paix
Se garde de revenir!
(Chacun s'en va)
Chacun s'en va sur les talons
Les talons de la nuit maline
Chacun s'en va à reculons
Au fond des granges de la lune
Les étoiles montées en graines
Qui penserait à les cueillir?
Les laboureurs n'ont plus d'enfants
Pour les espoirs démesurés
La moisson mûrit aux ténèbres
Des pierres chuchotent entre elles
Leurs souvenirs d'anciens déluges
"Le Prochain"
Chacun promène son chacal
Chacun porte ses griffes sous la peau
Chacun piétine l'ombre de son frère
Chacun est fait de bouches pour maudire
Chacun s'étrangle avec son âme
Chacun porte Chacun en terre.
Trois poèmes publiés dans la revue "Esprit", juillet 1953
Nocturne
La petite fille noyée remonte toujours à la surface...
La petite fille qui cherchait l'infini dans le creux des coquillages
Elle a enfoui son chagrin, une boule de neige, dans un trou profond.
Puis elle est morte, petit morceau de silence sur le reflet des eaux.
Où est le cri de lumière vive d'un oiseau?
Il ne tombe que des flocons de lune, et l'ombre est lourde de toutes les ombres mortes.
La petite fille noyée remonte toujours à la surface, parallèle au ciel.
La douceur de l'oubli est froide sur ses lèvres.
La chair de l'eau pénètre bien plus bas que la mort.
Dans ce pays...
Dans ce pays, il y a des cathédrales d'ombre violette au long des rues, et des oiseaux volant à ras de terre.
Un vieux sourit de voir son ombre croître autour de lui, car il a plus d'un ciel dans les yeux, et il les plante gaillardement dans ceux de la mort.
derrière une vitre de vent figé, une petite fille regarde l'éternité...
Dans une cage entrouverte, un oiseau essaye en vain de rentrer...
Dans ce pays, il y a des cloches souterraines, et des pierres où danse le feu.
Deux poèmes publiés dans l'anthologie de Marcel Béalu, "Anthologie de la poésie féminine française", 1953
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