Boudat (Marie-Louise)
Marie-Louise Boudat
Années 1930
- Prix Sully Prudhomme, 1932 pour "Eve"
- Nombreux poèmes dans la revue "le Divan" (Gallica)
"...le "panthéisme" insensé de cette poésie, désespérément enivrée de son philtre de mort. Je ne puis me défendre d'être ému par l'élan de cette nouvelle Sapho, se jetant les yeux fermés, étourdie de son propre chant, dans l'obscur océan de l'éternel "retour"... L'ampleur des rythmes, la beauté sonore des rimes, la chaleur de l'éloquence enchantent invinciblement les Latins incurables que nous sommes..." Jean des Cognets (dans la Quinzaine littéraire, 12-1936)
Publié dans Le Divan 1932
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Publié dans le Divan, 1937
(Puisque je l'appelais)
Puisque je l'appelais, elle est venue en moi.
Elle m'a dit: "Je suis la force dans l'espace,
La joie où tout commence et s'achève, et ma grâce
Est cette paix sur terre aux coeurs remplis de foi.
Tes regards vont s'ouvrir à la splendeur du jour.
Vois. Comprends. Plonge-toi dans la source. Sois grande
D'avancer à pas lents, blême et comme en offrande,
Dans le rayonnement terrible de l'amour."
Publié dans le Divan, 1937
(J'aime)
J'aime... J'aime... Ils me disaient: ""J'aime".
Ve pauvre vieux besoin d'amour!
Et je voyais mourir le jour
En caressant dans le soir blême
Leur visage - jamais le même -
Pensif et joyeux tour à tour
Où déjà le profond labour
Du destin creusait son emblème.
La bonne chaleur de la chair
En montant alourdissait l'air;
Les yeux se fermaient sous la fièvre
Et je disais: "J'aime" et, plus fort,
Ils tentaient au bord de ma lèvre
Leur victoire contre la mort.
(Le vent des horizons)
Le vent des horizons a soufflé sur mon âme.
La lave des torrents a roulé dans mon sang,
Et les voix qui passaient sur les crêtes de flamme
M'ont parlé d'aventure et de combat puissant.
Peut-être, est-ce de vous, montagnes Pyrénées,
Que je tiens ce dédain des molles destinées
Et ce coeur solitaire apportés en naissant.
J'ai quelque cruauté qui ressemble à la vôtre.
Vous m'avez faite aussi de marbre et de granit
Avec des creux de roc où le serpent se vautre
Et des buissons secrets de ronce et d'aconit.
J'ai vos échos sans fin, vos lacs sans fond, vos neiges,
Vos biches d'innocence agonisant aux pièges
Et vos aigles de proie envolés au zénith;
Vos grands silences blancs, vos puits de solitudes
Faits de joie inhumaine et de divinité,
Vos amoncellements avides d'altitudes,
Et les flaques de sang de vos soleils d'été.
Quelle exaltation m'enivre de promesses,
Et qu'importent alors les terrestres tendresses
Au coeur audacieux épris de liberté?
C'est pourquoi je m'en vais, je m'évade du monde
Chaque jour un peu plus pour atteindre mon ciel.
Et voici que la joie ineffable m'inonde
Dans les dépouillements de mon être charnel.
Chaque pas me délivre et m'élève. Je monte
Au-dessus du désir, de l'effort, de la honte,
Vers le rayonnement de l'amour éternel.
Et déjà la clarté brille autour de ma tête.
Seule dorénavant à jamais et chantant,
Je monte, abandonnant la terre à sa tempête
Pour la fatalité surperbe de l'instant.
L'air est plus transparent et les formes plus nues.
Des présages de vie ont traversé les nues.
Un miracle se forme aux clameurs de mon chant.
Et c'est alors qu'en moi se découvre la grâce
Dans un transport si grand qu'il éclate soudain
En millions de voix éparses dans l'espace.
Tout chante. Tout s'écroule aux prises du divin.
Brasier! Fanfare! Ciel où je suis entraînée!
Illumination totale!...
O destinée
D'une âme qui se veut au-delà de l'humain!
Publié dans Le Divan 1936
Cybèle
1
Un bruit de rameaux secs et de feuilles froissées.
La forêt a frémi dans ses milliers de troncs,
Tandis qu'un vol de cris et d'ailes dispersées
S'échappe tout à coup de l'épaisseur des fronts.
La fée et le lutin qui dansaient sur la mousse
Dans un rayon d'azur ont fui vers l'ombre rousse;
Seule, une écharpe d'or traîne sur le thuya.
Un grand halètement emplit soudain la brume,
A travers la feuillée un gros oeil brun s'allume.
Puis un mufle au-dessus des buis se lève et fume;
Et le taureau mugit trois fois. Les dieux sont là.
2
Et l'amour à jamais avait empli mon âme.
Comme le monde est beau dans un matin naissant!
Terre, vous me disiez ma majesté de femme,
La gloire de ma chair et l'honneur de mon sang.
Je me sentais mêlée à l'ivresse unanime.
Mon coeur battait avec le battement intime
Du grand coeur souterrain qui rythme les étés.
O large vie humaine et terrestre! L'aurore
En riant se balance et se balance encore,
Hésite, puis se noie au lac qui vient d'éclore.
Comme le monde est beau! Tout s'éveille. Ecoutez...
3
Rires, rires partout, ô rires de la terre!
La femme renversée, au sortir du mystère!
Qui revient de la source et connaît son destin.
Rit, rit d'avoir vu l'oeuvre et vaincu l'éphémère,
Les orbes de ses flancs scellés sur son butin.
4
Je vivais, et je vis, et je vivrai... Ma terre,
Rien n'a changé jamais, ni rien ne changera.
Je suis toujours l'amas de force et de poussière
Sur lequel ta pitié suprême s'étendra.
Qu'importe au jeu du temps l'apparence étrangère!
Je ne t'ai pas quittée, ô ma cendre légère,
Je suis toujours toi-même, et ta chair et ton sang,
Et ton coeur radieux, et ta substance pure,
Ensemble et tour à tour créateur, créature,
Père et fils à la fois, immobile nature,
Et l'esprit de lui-même à jamais renaissant!
5
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