Brabant (Marie de ... femme du Seigneur de Bracy) 1602
Marie de Brabant
Annonces de l'esprit et de l'âme fidèle,
Le Cantique des Cantiques 1602
Deux adaptations: la première en heptasyllabes et la seconde en alexandrins.
Marie de Brabant: deux réécritures du Cantique des Cantiques de la Bible (1602): la première en heptasyllabes, la seconde en alexandrins). Plus grand chose de religieux! Entre Ronsard et Mlle de Scudéry, un éloge de la passion amoureuse! Des métaphores érotiques aussi transparentes que de la lingerie fine!
Voici ce qu'en dit Jean-Marie Kroug dans sa thèse intitulé,
Lle vocabulaire amoureux de quelques femmes mystiques au 17ème siècle, p. 215
thèse soutenue à Fribourg en 2010
Une réécriture galante du Cantique des Cantiques.
La mode de la pastorale dont nous avons rencontré un exemple chez Racan, le goût pour l’élégance et pour l’art du savoir aimer que nous avons remarqué chez Madeleine de Scudéry, ont inspiré à certains l’idée de contourner la position classique de la tradition chrétienne selon laquelle le Cantique des Cantiques ne peut être pris que dans son sens figuré. Ils tentent de traduire dans un langage galant ce texte que certains lecteurs trouvaient lascif et parfois même obscène, de montrer qu’il respecte au contraire les bienséances et peut donner, comme le faisait en partie l’Astrée, des éléments pour une théologie de l’amour. Le principal théoricien de cette réécriture du Cantique est sans doute l’abbé Cotin, mais il convient de ne pas utiliser ici son ouvrage, paru après la période que nous étudions799. Il n’était pas le premier.
Marie de Brabant, femme du Seigneur de Bracy, publie en 1602 les Annonces de l’Esprit et de l’Ame fidèle dont la préface commence ainsi : L’amoureux qui iadis a chanté ce Cantique / Embrasé de l’amour de sa compagne unique / Me faict chanter encor par son embrasement / L’amour qu’il a chanté tant amoureusement.
1ère version en heptasyllabes
(extraits)
Lève-toi donc ma belle
Nos champs sont pleins de fleurettes
Le temps est des chansonnettes:
Jà la tourterelle aussi
Chante le temps adouci.
Le figuier a jà produit
Les boutons de son doux fruit,
Et les vignes florissantes
Sous les bénignes chaleurs
Rendent du musc de leurs fleurs
Les montagnes odorantes.
Lève-toi donques ma belle
Et t'en viens ma colombelle,
Que j'ai vu se cacher
Es boulins d'un haut roche,
Te serrant es lieux secrets
Des escaliers et degrés.
Montre-moi ta belle face,
Fais-moi de ta voix jouir.
Car elle est douce à ouïr,
Et as singulière grâce.
Prenez-nous en diligence
Les renards et leur engeance,
Car ils gâtent en la fleur
De nos vignes tout l'honneur.
Mon ami dire je puis
Tout mien, et sienne je suis,
Es lis il plaît et séjourne:
Pendant que le jour luira
Et l'ombre s'abaissera
Ami je te prie retourne.
Et viens de vitesse telle
Que le chevreau qui sautelle
Et le cerf qu'on voit sauter
Sur les coupeaux de Bather.
Chapitre III
J'ai de nuit en ma couchette
J'ai de nuit en ma couchette
Celui que mon coeur souhaite
Bien cherché sans me lever:
Mais onc ne l'ai pu trouver.
Parquoi soudain me levai
Fis la ronde et me trouvai
Par tous les lieux de la ville
Cherchant l'aimé de mon coeur,
mais j'ai vu non sans douleur
Toute ma peine inutile.
Alors le guet m'a trouvée
Auquel me suis adressée
Lui demandant humblement
Nouvelles de mon amant.
Quand je fus un peu plus loin
Poursuivant de coin
Mon amoureuse entreprise,
Lors mon ami je trouvai,
Que je pris et embrassai,
Et onsques ne laissai ma prise
Qu'il ne fut en ma chambrette
De chez nous la plus secrète
Où celle qui me porta
Me conçus et m'enfanta.
O vous filles de Sion,
Oyez l'adjuration
Qu'à présent je vous viens faire
par les biches et chevreux (chevraux)
Qui broutent es lieux herbeux
De la forêt solitaire.
Gardez d'éveiller encore
Le saint amour que j'adore,
Jusques à ce qu'un réveil
Lui plaise plus qu'un sommeil...
Chapitre VII
Second Portrait
Fille de prince excellente
Combien est nette la plante
De tes pieds nets et polis
Dans ta chaussure jolis!
Quel est le joyau bien fait
De main d'un ouvrier parfait
Plein de riches entaillures,
Tel est le tour façonné
De tes cuisses rond tourné
Avec tes belles jointures.
Comme est une tasse ronde
Faite d'ouvrage subtil,
Tel est ton petit nombril.
Et ton ventre proprement
Semble un morceau de froment
Duquel la plante est bordée
De beaux lis épanouissants
Et d'une odeur embaumée.
Tes tétins sur ton corsage,
Sont de la biche sauvage
Pareil aux petits gemeaux (jumeaux)
Tant ils sont polis et beaux.
De ton col le bel entour
Est poli comme une tour
D'ivoire très admirable,
Et le doux trait de tes yeux
Tant bénis et gracieux
Est tant et plus délectable
....
O mon épouse m'amie,
Que tu es belle et jolie,
Telle qu'amour avec moi
Prend ses délices en toi.
Ton corsage bel et droit
Je puis bien en tout endroit
Comparer à l'excellence
De la palme, et tes tétons
A ces beaux petits boutons
Qu'a la grappe qui s'avance.
Par quoi ému en moi-même
De tant de grâces suprèmes,
J'avais un grand plaisir
D'en jouir à mon plaisir.
Dont j'ai dit je monterai
Dans la palme, et serrerai
De mes mains ses branches belles,
Et comme les ceps bien verts
Sont de bons raisins couverts
Telles me soient tes mamelles.
Que ton nez me sente comme
L'odeur d'une mûre pomme,
Et ton palais comme vin
Formant en parler divin:
Lequel me surmonte tant
Que l'esprit me transportant
Fais que du tout je m'oublie
Et bégayant longuement
Je parle comme en dormant
Par une lèvre endorm!e.
O ami que je désire,
Je suis à toi et puis dire
Que sur moi est ton désir
Et ton amoureux plaisir.
Ami sortons de ce bruit
Allons aux champs et la nuit
Coucherons aux métairies,
Au matin nous lèverons
Et aux vignes nous irons
Voir si elles sont fleuries:
S'il y a fruit et encore
Si le grenadier décore
Sa verdoyante couleur
Du cramoisi de sa fleur.
La je t'abandonnerai
Mes amours, et t'en don'rai
Une entière jouissance:
Jà les mandragores ont
Ouvert leurs fleurs qui nous font
Un vrai parfum d'excellence:
L'on voit aussi en nos portes
Des fruits doux en toutes sortes
Tant nouveaux que vieux par moi
Bien contregardés pour toi.
...
Adaptation en alexandrins
(extraits)
Chapitre 5
...
J'ois frapper mon époux, j'ois sa voix qui me crie,
"Sus ouvre-moi ton huis, ma colombe, m'amie,
Ma parfaite soeur, car la franche rosée
M'a trempé les cheveux et la tête arrosée."
Dépouillée me suis, comment me lèverai-je?
Mes pieds sont bien lavés, comment les souillerai-je?"
Disais-je à mon ami qui avança sa main
Au travers d'un pertuis, dont je sentis soudain
Mon coeur si fort ému que je me suis levée
Pour lui ouvrir mon huis, dont myrrhe est distillée
Par mes mains et mes doigts passant par les pertuis
Des verrouils et loquets qui tiennent clos mon huis.
L'ai donc ouvert mon huis à l'ami désiré,
Mais il s'était déjà plus outre retiré,
Alors je me pâmois l'ayant ouï parler,
Je le cherchai partout, je courus l'appeler,
Mais je ne le sus onsques rencontrer, ni aussi
Ne m'a-t-il répondu en mon triste souci.
Le guet faisant le tour la nuit en la cité
Me trouvant m'a battue en tout'extrémité
Et les gardes des murs m'ont encore davantage
Oté mon voile, alors redoublant mon outrage.
O filles de Sion qui voyez la torture
De mon coeur ennuyé, je vous prie et adjure
Que si vous rencontrez mon ami ci autour
Vous lui fassiez savoir que je languis d'amour.
"O très belle, en quoi est ton ami plus insigne
Que les autres amis? en quoi est-il si digne
Que tu aies usé d'autorité si grande,
D'avoir ainsi exprès adjuré notre bande?"
Sachez que mon ami est sur tous autres beau,
Il est blanc et vermeil d'un beau teint blond rousseau,
Grave comme l'enseigne en la puissante armée,
Dont la troupe nous est par dix mille nommée,
Son beau chef élevé d'une bénigne audace
Est tel que du fin or la précieuse masse,
Ses cheveux crépelins, noirs comme le corbeau,
Le doux trait de son oeil est encor aussi beau
Que ceux de la colombe en teint de lait blanchie
Qui sur les pleins ruisseaux est toujours raffraichie.
...
Aux Bombancières
Dames qui tant braves, écoutez la tempête,
Dont le ciel éclatant menace votre tête,
Et s'il y a encor lieu de conversion,
Quittez vos vanités et ces bombances folles,
C'est à vous qu'Isaïe adresse ses paroles,
Si vous êtes au moins des filles de Sion.
Bourgeoises de Sion au superbe parage,
Qui marchez le col droit, avec un oeil volage
Et les pieds frétillants, maniés par compas,
Comme le baladin, quand la harpe fredonne
Ou le jeune poulain, que l'écuyer façonne,
Les cordes aux jarrets, aux ambles et au pas.
Voici que le Seigneur prononce de sa bouche :
La taigne rongera, dit-il, jusqu'à la souche
Les rameaux égarés de vos perruques d'or.
Et de votre poitrine allongeant l'ouverture,
Je mettrai tout à nu jusques a la ceinture
Votre honte au soleil, s'il vous en reste encor.
Le temps s'en va venir, changement bien étrange,
Qu'on vous verra trotter, deschaux(*) parmi la fange,
Pour ses grands échafauds de patins haut montés.
Et lors, sous vos lassis à mille fenêtrages,
Raiseaux et points coupés et tous ces clairs ouvrages,
Ne se bouffiront plus sur vos seins éhontés.
Je vous arracherai de la tête pelée
Les lunettes d'émail et l'ovale emperlée
Qui vous font rayonner le front de toutes parts.
Je romprai vos étuis, vos boîtes, vos fioles
Et la cendre et les pleurs dont fondrez toutes molles
Seront vos eaux de nef, vos poudres et vos fards.
L'or qui vous flotte aux bras en cent tours de chaînettes
Et qui vole sur vous en tant de pampillettes,
Chassé par la cadence en Babel s'enfuira :
Vos atours les suivant et vos pendants d'oreilles
Et ce qui à Thamar vous fait sembler pareilles,
Votre laideur pour masque assez vous servira.
Bourrelets attifés et toutes ces machines
À teindre votre poil et les mettre en crispines,
Seront pour le vieux fer et pour le vieux drapeau
Et pour l'assortiment de tant d'habits, si braves
À grand peine aurez-vous, misérables esclaves,
Une drille(**) aux bons jours qui vous cache la peau.
Ces cotillons garnis d'un pied de broderie,
Ces brasses, ces trisses flambants de pierreries
Seront pour le butin des soldats triomphants.
Et ces miroirs polis dont la trompeuse glace
Brûlant si sottement vos coeurs et votre face,
Serviront de jouets à leurs petits enfants.
Ces corsets diaprés et ces fatras de chambre,
Toilettes et poignets sentant le musc et l'ambre,
Couvre-chefs de fin lin dentelés à l'entour
Et ces coiffes de nuit faites en diadèmes,
Orgueil démesuré, s'en iront tout de même,
Auriez-vous plus de nuit de faveur que de jour ?
Puis en lieu de parfum, vous aurez pour escorte
L'horrible puanteur d'une charogne morte
Et pour ces faux corsets qui vous serrent les reins
Le ventre débraillé comme pauvres bergères,
Vous suivrez le bagage à grands coups d'étrivières,
L'injure et le mépris des goujats inhumains.
Les tresses par surtout, source de ces détresses,
Qui m'ont tant irrité trouveront des maîtresses
Qui rafflant jusqu au test m'en sauront bien venger.
Ces robes à pleins fonds, à gros bouffons et manches,
Ne feraient qu'entraver et vos bras et vos hanches ;
Un sac pour mieux courir n'est-il pas plus léger ?
Le glaive emportera la fleur de la jeunesse
Et, pour tant de muguets qui vous faisaient caresse,
Brigands cruels auront à leur tour d'être à vous.
Si qu'au temps qui courra, ce sera bien de grâce,
Si à sept d'entre vous pour en avoir la race,
Le barbare vous lâche un captif pour époux.
Annonces de l'esprit et de l'âme fidèle, 1602
Commentaire de Madeleine Lazard dans "Les Avenues de Fémynie: Les Femmes et la Renaissance"
La Guerre du sein
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