Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Brabant (Marie de): le Cantique de Salomon, 1602

Marie de Brabant

Le Cantique de Salomon, 1602  DOIGT 26.jpg

 

 

 

Cantique des cantiques de Salomon, mis en rime par demoiselle Marie de Brabant, femme du Seigneur de Blaçy

 

Qu'il me baise, qu'il me touche

Des doux baisers de sa bouche,

Car ton amour me plait mieux

Que le vin délicieux.

 

L'odeur de ton baume exquis

Fait qu'es aimé et requis

De maintes belles pucelles.

Aussi ton nom entendu

Semble un fin baume épandu

Parmi les chambres d'icelles.

 

O des vrais amants l'élite

Afin que j'aille plus vite

Je te prie attire-moi,

Lors courons-nous après toi.

 

Le Roi ce bien me fera,

Qu'entrée il me donnera

Au secret de ses chambrettes,

Où en lui nous égaierons

Et maints discours nous ferons

De ses saintes amourettes.

 

De ces Amours je veux dire

Lesquelles plus je désire

Que le vin, qui font aussi

Que les saints t'aiment aussi.

 

O fillettes de Sion

Telle est ma condition

Que de vrai je suis brunette,

Mais pourtant telle je suis

Que bien assurer vous puis

Que je suis très pure et nette.

 

Et telle que les courtines

De Kedar, et les plus dignes

Pavillons du noble arroi (équipage)

De Salomon ce grand Roi.

 

Mais pour ma noire couleur

N'estimez moins ma valeur :

car le soleil m'a hâlée

Quand mes frères d'un accord

Emus contre moi à tord

M'ont aux vignes envoyée.

 

Où ils m'oseront bien mettre

Et la garde m'en commettre,

Moi qui n'ai pu mêmement

Garder la mienne un moment.

 

Ami, dis-moi le préau

Où tu repais le troupeau,

Et où tu sieds à l'ombrage

A midi, de peur qu'alors

(je)N'aille ès parcs de tes consors

Comme une femme volage.

 

O des belles l'excellente

Si tu en ignorante

Regarde les pas nouveaux

Par où passent les troupeaux.

 

Menant tes chevreaux légers

Près les buttes aux bergers

Paître l'herbe foisonnante.

De tel prix je te maintiens

Que de Pharaon je tiens

L'écurie triomphante.

 

Que tes joues vermeillettes

Dessous tes richesses templettes

Sont plaisantes et encor

Ton col en ce carquant d'or.

 

D'un somptueux ornement

Fait industrieusement

Feront ta belle parure,

L'or jainissant y luira

Et de clous d'argent sera

La rès riche bigarrure.

 

Quand le Roi dedans sa couche

M'approche, mon aspic touche

Tout l'air d'une telle odeur

Qu'il en retient la senteur.

 

C'est mon ami que je vois

Si joli auprès de moi,

Que tel je l'ôse bien dire,

Comme on voit sur les matins.

 

Au milieu de mes tétins

Un beau vaisselet de myrrhe.

 

Quelle est la grappe nouvelle,

En sa mûreté plus belle

Dans les vignes d'Engaddi,

Tout tel mon ami je dis.

 

En beauté tu as ma voix,

Voila pourquoi tant de fois

Je redis que tu es belle,

Mamie qui as les yeux

Aussi beaux et gracieux

Que la chaste colombelle.

 

Que ta beauté excellente

Ami m'égaie et contente,

Aussi de feuillage vert

Notre lit est tout couvert.

 

De chez nous le bâtiment

Est fourni si richement

Que les poutres très puissantes

Sont toutes de cèdre fin,

et de suif  flairant sapin

Sont les solives luisantes.

 

 

Chapitre II

 

Je suis l'odorante rose

Au clos de Saron déclose,

Et le muguet s'égayant

Parmi le val verdoyant.

 

Comme le lis est très beau

Quand il fleurit de nouveau

Patmi les ronces poigantes,

L'on peut voir m'amie aussi

Entre les filles ainsi

Passer les plus excellentes.

 

Tel qu'est un pommier qui passe

En beauté la haie basse,

Tel est en honneur parmi

Les jouvenceaux mon ami.

 

O que j'avais grand désir

De jouir de ce plaisir

D'être assise en son ombrage :

Enfin j'ai reçu cet heur,

Et là goûtai la douceur

De son amoureux fruitage.

 

D'avantage il m'a menée

Dedans sa pleine vinée,

Puis a mis tout à l'entour

De moi  l'enseigne d'amour.

 

Apportez du vin ici,

Ca ça des pommes aussi,

Hâtez-vous, qu'on me sustente :

Car amour par son effort

Me presse et lasse si fort,

Que je tombe languissante.

 

Qu'il mette sa main senestre

Sous mon chef, et que sa dextre

Me donne un embrassement.

Qui me cause allègement.

 

O vous filles de Sion,

Oyez l'admiration

Qu'à présent je vous veux faire

Par les biches et chevreaux

Broutant par les lieux herbeux

D'une forêt solitaire.

 

Gardez d'éveiller m'amour

Reposant en son séjour

Jusques à ce qu'un réveil

Lui plaise mieux qu'un sommeil.

 

J'oy la voix de mon ami

Qui s'en vient sautant parmi

Le haut des montagnes droites :

Même il vient tressaillant,

Gambadant et sautelant

Par coteaux et montagnettes.

 

Il est légier et habile

Comme un chevrillon agile :

Et aussi prompt et gaillard

Comme le jeune brocard. (jeune chevreuil mâle)

 

Le voici, je l'aperçois

Debout derrière la paroi

De notre maison champêtre ;

Il guigne tout bellement

Par les treillis seulement

Se montrant par la fenêtre.

 

Hélas, je l'ois qu'il m'appelle

Ma soeur, ma mie tant belle,

Sus, sus, dit-il, lève toi

Et t"n viens avecques moi.

 

Vien, l'hiver est jà passé,

Le doux printemps

L'a chassé

Avec la froide gelée,

Et ne voit-on plus rouler

De noires nues en l'air,

Car la pluie est écoulée.

 

Nos champs sont pleins de fleurettes,

Le temps est de chansonnettes :

Jà, la tourterelle aussi

Chante le temps adouci.

 

Le figuier a jà produit

Les boutons de son doux fruit,

Et les vignes florissantes

Sous les bénignes chaleurs

Rendent du musc de leurs fleurs

Les montagnes odorantes.

 

Lève-toi doncques ma belle,

Et t'en viens ma colombelle,

Que j'ai vu se cacher

Es boulins (ouvertures?) d'un haut rocher,

 

Te serrant es lieux secrets

Des escaliers et degrés.

Montre-moi ta belle face,

Fais-moi de ta voix jouir.

Car elle est douce à ouïr,

Et as singulière grâce.

 

Prenez-nous en diligence

Les renards et leur engeance,

Car ils gâtent en la fleur

De nos vignes tout l'honneur.

 

Mon ami dire je puis

Tout mien, et sienne je suis,

Es lis il paît et séjourne ;

Pendant que le jour luira

Et l'ombre s'abaissera

Ami je te prie retourne

 

Et viens de vitesse telle

Que le chevreau qui sautelle

Et le cerf qu'on voit sauter

Sur les coupeaux (sommet d'un coteau) de Bather.

 

 

Chapitre III

 

J'ai de nuit en ma couchette

Celui que mon coeur souhaite

Bien cherché sans me lever :

Mais on ne l'ai pu trouver.

 

Par quoi soudain me levai

Fit la ronde et me trouvai

Par tous les lieux de la ville

Cherchant l'aimé de mon coeur,

Mais j'ai vu non sans douleur

Toute ma peine inutile.

 

Alors le gué m'a trouvée

Auquel me suis adressée

Lui demandant humblement

Nouvelles de mon amant.

 

Quand je fus un peu plus loin

Poursuivant de coin en coin

Mon amoureuse entreprise,

Lors mon ami je trouvai,

Que je pris et embrassai,

Et oncqu' ne laissai ma prise

 

Qu'il ne fût en ma chambrette

De chez nous la plus secrète

Où celle qui me porta

Me conçut et enfanta.

 

O vous filles de Sion,

Oyez l'admiration

Qu'à présent je viens vous faire

Par les biches et chevreaux

Qui broutent ès lieux herbeux

De la forêt solitaire.

 

Gardez d'éveiller encore

Le saint amour que j'adore,

Jusques à ce qu'un réveil

Lui plaise plus qu'un sommeil.

 

Qui est celle qui appert

En sortant hors du désert

Comme une grosse fumée

D'encens de myrrhe et d'odeurs

Et de parfums les meilleurs,

Et comme palmes formée.

 

Voici la superbe tente

De Salomon où soixante 

Chevaliers sont à l'entour

Qui la gardent nuit et jour.

 

Et desquels chacun est tel

Que des plus forts d'Israêl

On les appelle l'élite :

Ce sont gens bien aguerris,

Gens aux armes bien appris

Gens de défense subite.

 

Chacun d'eux duit à la guerre

A son tranchant cimeterre

Qui sur la cuisse treluit

Par les dangers de la nuit.

 

Le Roi Salomon a fait

Bâtir un palais parfait

Digne de sa seigneurie,

Car il est si opulent

Que de Sthim excellent

En est la charpenterie.

 

D'argent a fait les colonnes

Pour être braves et bonnes,

Et du pavé les carreaux

Sont d'or fin, riches et beaux.

 

De fin pourpre est le haudaix

De ce triomphant palais,

Qui d'amourettes pudiques

Est tapissé proprement

En faveur expressément

Des pucelles judaïques.

 

O de Sion les fillettes

Sortez hors de vos chambrettes

Voyez le pompeux arroy

De Salomon votre Roi.

 

Venez, venez voir combien

La couronne lui sied bien

Dont la couronne sa mère

Le jour qu'il fut marié,

Et s'est on coeur dédié

A joie et liesse entière.

 

Chapitre IV

 

Mamie que tu es belle

Que tes yeux de colombelle

Sont bénins, doux effeuillés

Sous tes cheveux tortillés.

 

Ta perruque s'épandant

Jusqu'à terre descendant

Semble aux chèvres assemblées

Sur Gallad le haut mont

Sur lequel brouter s'en vont

Dès qu'au matin sont levées.

 

Tes dents si drues et nettes

Ressemblent aux brebiettes

Frais tondues, qu'on peut voir

Remontées au lavoir,

 

Dont chacune du troupeau

Aignelante au temps nouveau

ESt si féconde et fertile,

Qu'après elle pour téter

L'on voit ses bessons trotter

Et pas une n'est stérile.

 

Ta bouche belle et vermeille

A fine graine est pareille,

De laquelle on oit couler

Un fort gracieux parler :

 

Ton front beau, clair et serein

Comme le rubiant grain

D'une grenade rompue,

Et son tour bien façonné

Est joliment attourné

Avec sa tresse menue.

 

Ton col poli est semblable

A la tour forte imprenable

De david, laquelle aussi

Pour les preux est faite ainsi

 

Les rondelles par milliers,

Et les targes et boucliers

A l'entour d'icelles pendent :

Qu'on y a mises pour ceux

Qui comme très valeureux

Soigneusement la défendent.

 

Tes tétins sur ton corsage

Sont de la chèvre sauvage

Pareils aux jumeaux petits

Repaissants entre les lys.

 

Pendant que le jour luira

Et l'ombre s'abaissera

J'irai à la montagnette

Où croît l'encens gracieux,

Et au mont très précieux

De la myrrhe pure et nette.

 

Mon épouse, tu es telle

Que je te dis toute belle

Rien de méséant en toi

Ni vicieux je ne vois.

 

Viens, mon épouse, viens-t-en,

Départons-nous du Liban,

Montons jusques à la cime

De ces hauts monts d'Hanicma,

Hermon et Sanir qui n'a

En hautesse peu d'estime.

 

Contemplons vaux et campagnes

De ces très hautes montagnes,

Dont les lions et les pards

Font leurs dongeons et remparts.

 

Ma compagne et chère soeur

Tu m'as transpercé le coeur

Des traits que ton oeil me donne,

Tu l'as encore navré

Par ton col bien diapré

Du poil d'or qui l'environne.

 

Que ta riche manteline

rend une odeur moult bénigne,

Il ne se trouve senteur

Qui approche son odeur.

 

Ma soeur, que ton amour est

Belle, et plus que vin me plaît,

Et ta robe parfumée

Des parfums très précieux

Du Liban délicieux

Pass l'odeur embaumée.

 

Ton doux et bénin langage

Coulant de ta bouche sage

N'est moins doux et amoureux

Que le miel très savoureux.

 

Et quand j'ois ton beau parler

De tes lèvres découler

Formant ta docte harangue

Alors je dis en effet

Que tant le miel que le lait

 

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Préface sur le cantique des cantiques de Salomon mis en vers par damoiselle Marie de Brabant, femme du Seigneur de Blacq.

 

L'amoureux qui jadis a chanté ce Cantique

Embrasé de l'amour de sa compagne unique

Me fait chanter encor par son embrasement

L'amour qu'il a chanté tant amoureusement.

 

Mon amour refroidi par un oisif séjour

A été embrasé en chantant cet amour.

 

O Divin amoureux, que grand est le bienfait

Que sentir tu nous fais par cet amour parfait

Que tu nous veux porter, ô que l'âme est heureuse,

Qui est de toi amour ardemment amoureuse,

Qui est ravie en toi, qui en toi seul se fonde,

Et qui vivante en toi est jà morte en ce monde,

Oubliant ses douceurs, sa volupté, son aise,

Pour n'aimer rien qu'amour voire dans le mésaise.

 

O bienheureux le coeur, la voix, le corps encore

Qui ne sent, ne publie, et ne sert et n'adore

Que toi divin amour, duquel la vive flamme

A t'aimer par sus tout divinement l'enflamme,

Qui ne peut que d'amour écrire, ni parler

Si franc qu'il ne se peut déguiser ni céler.

 

O Amour qui en moi as embrasé ce feu

De tes saintes amours que je sens peu à peu

Me consumer en toi, Donne-moi ton Esprit,

Esprit de vraie amour, afin que par écrit

Je puisse publier quelques traits saintement

De l"amour que tu as, dès le commencement,

Daigné porter aux tiens, voire (vraiment) tant singulière,

Que rien Que toi, amour, n'en fut source première.

 

O admirable amour, amour que tu peux bien

De toi-même embraser sans nul autre moyen

Et même dont le cours d'amoureux bénéfice

Ne peut être empêché par un contraire office,

Ainsi qu'as bien montré envers cette amoureuse

Que tu ne dédaignas tant sale et vicieuse.

 

Guide donc....

 

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15/01/2015
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