Brabant (Marie de): le Cantique de Salomon, 1602
Marie de Brabant
Cantique des cantiques de Salomon, mis en rime par demoiselle Marie de Brabant, femme du Seigneur de Blaçy
Qu'il me baise, qu'il me touche
Des doux baisers de sa bouche,
Car ton amour me plait mieux
Que le vin délicieux.
L'odeur de ton baume exquis
Fait qu'es aimé et requis
De maintes belles pucelles.
Aussi ton nom entendu
Semble un fin baume épandu
Parmi les chambres d'icelles.
O des vrais amants l'élite
Afin que j'aille plus vite
Je te prie attire-moi,
Lors courons-nous après toi.
Le Roi ce bien me fera,
Qu'entrée il me donnera
Au secret de ses chambrettes,
Où en lui nous égaierons
Et maints discours nous ferons
De ses saintes amourettes.
De ces Amours je veux dire
Lesquelles plus je désire
Que le vin, qui font aussi
Que les saints t'aiment aussi.
O fillettes de Sion
Telle est ma condition
Que de vrai je suis brunette,
Mais pourtant telle je suis
Que bien assurer vous puis
Que je suis très pure et nette.
Et telle que les courtines
De Kedar, et les plus dignes
Pavillons du noble arroi (équipage)
De Salomon ce grand Roi.
Mais pour ma noire couleur
N'estimez moins ma valeur :
car le soleil m'a hâlée
Quand mes frères d'un accord
Emus contre moi à tord
M'ont aux vignes envoyée.
Où ils m'oseront bien mettre
Et la garde m'en commettre,
Moi qui n'ai pu mêmement
Garder la mienne un moment.
Ami, dis-moi le préau
Où tu repais le troupeau,
Et où tu sieds à l'ombrage
A midi, de peur qu'alors
(je)N'aille ès parcs de tes consors
Comme une femme volage.
O des belles l'excellente
Si tu en ignorante
Regarde les pas nouveaux
Par où passent les troupeaux.
Menant tes chevreaux légers
Près les buttes aux bergers
Paître l'herbe foisonnante.
De tel prix je te maintiens
Que de Pharaon je tiens
L'écurie triomphante.
Que tes joues vermeillettes
Dessous tes richesses templettes
Sont plaisantes et encor
Ton col en ce carquant d'or.
D'un somptueux ornement
Fait industrieusement
Feront ta belle parure,
L'or jainissant y luira
Et de clous d'argent sera
La rès riche bigarrure.
Quand le Roi dedans sa couche
M'approche, mon aspic touche
Tout l'air d'une telle odeur
Qu'il en retient la senteur.
C'est mon ami que je vois
Si joli auprès de moi,
Que tel je l'ôse bien dire,
Comme on voit sur les matins.
Au milieu de mes tétins
Un beau vaisselet de myrrhe.
Quelle est la grappe nouvelle,
En sa mûreté plus belle
Dans les vignes d'Engaddi,
Tout tel mon ami je dis.
En beauté tu as ma voix,
Voila pourquoi tant de fois
Je redis que tu es belle,
Mamie qui as les yeux
Aussi beaux et gracieux
Que la chaste colombelle.
Que ta beauté excellente
Ami m'égaie et contente,
Aussi de feuillage vert
Notre lit est tout couvert.
De chez nous le bâtiment
Est fourni si richement
Que les poutres très puissantes
Sont toutes de cèdre fin,
et de suif flairant sapin
Sont les solives luisantes.
Chapitre II
Je suis l'odorante rose
Au clos de Saron déclose,
Et le muguet s'égayant
Parmi le val verdoyant.
Comme le lis est très beau
Quand il fleurit de nouveau
Patmi les ronces poigantes,
L'on peut voir m'amie aussi
Entre les filles ainsi
Passer les plus excellentes.
Tel qu'est un pommier qui passe
En beauté la haie basse,
Tel est en honneur parmi
Les jouvenceaux mon ami.
O que j'avais grand désir
De jouir de ce plaisir
D'être assise en son ombrage :
Enfin j'ai reçu cet heur,
Et là goûtai la douceur
De son amoureux fruitage.
D'avantage il m'a menée
Dedans sa pleine vinée,
Puis a mis tout à l'entour
De moi l'enseigne d'amour.
Apportez du vin ici,
Ca ça des pommes aussi,
Hâtez-vous, qu'on me sustente :
Car amour par son effort
Me presse et lasse si fort,
Que je tombe languissante.
Qu'il mette sa main senestre
Sous mon chef, et que sa dextre
Me donne un embrassement.
Qui me cause allègement.
O vous filles de Sion,
Oyez l'admiration
Qu'à présent je vous veux faire
Par les biches et chevreaux
Broutant par les lieux herbeux
D'une forêt solitaire.
Gardez d'éveiller m'amour
Reposant en son séjour
Jusques à ce qu'un réveil
Lui plaise mieux qu'un sommeil.
J'oy la voix de mon ami
Qui s'en vient sautant parmi
Le haut des montagnes droites :
Même il vient tressaillant,
Gambadant et sautelant
Par coteaux et montagnettes.
Il est légier et habile
Comme un chevrillon agile :
Et aussi prompt et gaillard
Comme le jeune brocard. (jeune chevreuil mâle)
Le voici, je l'aperçois
Debout derrière la paroi
De notre maison champêtre ;
Il guigne tout bellement
Par les treillis seulement
Se montrant par la fenêtre.
Hélas, je l'ois qu'il m'appelle
Ma soeur, ma mie tant belle,
Sus, sus, dit-il, lève toi
Et t"n viens avecques moi.
Vien, l'hiver est jà passé,
Le doux printemps
L'a chassé
Avec la froide gelée,
Et ne voit-on plus rouler
De noires nues en l'air,
Car la pluie est écoulée.
Nos champs sont pleins de fleurettes,
Le temps est de chansonnettes :
Jà, la tourterelle aussi
Chante le temps adouci.
Le figuier a jà produit
Les boutons de son doux fruit,
Et les vignes florissantes
Sous les bénignes chaleurs
Rendent du musc de leurs fleurs
Les montagnes odorantes.
Lève-toi doncques ma belle,
Et t'en viens ma colombelle,
Que j'ai vu se cacher
Es boulins (ouvertures?) d'un haut rocher,
Te serrant es lieux secrets
Des escaliers et degrés.
Montre-moi ta belle face,
Fais-moi de ta voix jouir.
Car elle est douce à ouïr,
Et as singulière grâce.
Prenez-nous en diligence
Les renards et leur engeance,
Car ils gâtent en la fleur
De nos vignes tout l'honneur.
Mon ami dire je puis
Tout mien, et sienne je suis,
Es lis il paît et séjourne ;
Pendant que le jour luira
Et l'ombre s'abaissera
Ami je te prie retourne
Et viens de vitesse telle
Que le chevreau qui sautelle
Et le cerf qu'on voit sauter
Sur les coupeaux (sommet d'un coteau) de Bather.
Chapitre III
J'ai de nuit en ma couchette
Celui que mon coeur souhaite
Bien cherché sans me lever :
Mais on ne l'ai pu trouver.
Par quoi soudain me levai
Fit la ronde et me trouvai
Par tous les lieux de la ville
Cherchant l'aimé de mon coeur,
Mais j'ai vu non sans douleur
Toute ma peine inutile.
Alors le gué m'a trouvée
Auquel me suis adressée
Lui demandant humblement
Nouvelles de mon amant.
Quand je fus un peu plus loin
Poursuivant de coin en coin
Mon amoureuse entreprise,
Lors mon ami je trouvai,
Que je pris et embrassai,
Et oncqu' ne laissai ma prise
Qu'il ne fût en ma chambrette
De chez nous la plus secrète
Où celle qui me porta
Me conçut et enfanta.
O vous filles de Sion,
Oyez l'admiration
Qu'à présent je viens vous faire
Par les biches et chevreaux
Qui broutent ès lieux herbeux
De la forêt solitaire.
Gardez d'éveiller encore
Le saint amour que j'adore,
Jusques à ce qu'un réveil
Lui plaise plus qu'un sommeil.
Qui est celle qui appert
En sortant hors du désert
Comme une grosse fumée
D'encens de myrrhe et d'odeurs
Et de parfums les meilleurs,
Et comme palmes formée.
Voici la superbe tente
De Salomon où soixante
Chevaliers sont à l'entour
Qui la gardent nuit et jour.
Et desquels chacun est tel
Que des plus forts d'Israêl
On les appelle l'élite :
Ce sont gens bien aguerris,
Gens aux armes bien appris
Gens de défense subite.
Chacun d'eux duit à la guerre
A son tranchant cimeterre
Qui sur la cuisse treluit
Par les dangers de la nuit.
Le Roi Salomon a fait
Bâtir un palais parfait
Digne de sa seigneurie,
Car il est si opulent
Que de Sthim excellent
En est la charpenterie.
D'argent a fait les colonnes
Pour être braves et bonnes,
Et du pavé les carreaux
Sont d'or fin, riches et beaux.
De fin pourpre est le haudaix
De ce triomphant palais,
Qui d'amourettes pudiques
Est tapissé proprement
En faveur expressément
Des pucelles judaïques.
O de Sion les fillettes
Sortez hors de vos chambrettes
Voyez le pompeux arroy
De Salomon votre Roi.
Venez, venez voir combien
La couronne lui sied bien
Dont la couronne sa mère
Le jour qu'il fut marié,
Et s'est on coeur dédié
A joie et liesse entière.
Chapitre IV
Mamie que tu es belle
Que tes yeux de colombelle
Sont bénins, doux effeuillés
Sous tes cheveux tortillés.
Ta perruque s'épandant
Jusqu'à terre descendant
Semble aux chèvres assemblées
Sur Gallad le haut mont
Sur lequel brouter s'en vont
Dès qu'au matin sont levées.
Tes dents si drues et nettes
Ressemblent aux brebiettes
Frais tondues, qu'on peut voir
Remontées au lavoir,
Dont chacune du troupeau
Aignelante au temps nouveau
ESt si féconde et fertile,
Qu'après elle pour téter
L'on voit ses bessons trotter
Et pas une n'est stérile.
Ta bouche belle et vermeille
A fine graine est pareille,
De laquelle on oit couler
Un fort gracieux parler :
Ton front beau, clair et serein
Comme le rubiant grain
D'une grenade rompue,
Et son tour bien façonné
Est joliment attourné
Avec sa tresse menue.
Ton col poli est semblable
A la tour forte imprenable
De david, laquelle aussi
Pour les preux est faite ainsi
Les rondelles par milliers,
Et les targes et boucliers
A l'entour d'icelles pendent :
Qu'on y a mises pour ceux
Qui comme très valeureux
Soigneusement la défendent.
Tes tétins sur ton corsage
Sont de la chèvre sauvage
Pareils aux jumeaux petits
Repaissants entre les lys.
Pendant que le jour luira
Et l'ombre s'abaissera
J'irai à la montagnette
Où croît l'encens gracieux,
Et au mont très précieux
De la myrrhe pure et nette.
Mon épouse, tu es telle
Que je te dis toute belle
Rien de méséant en toi
Ni vicieux je ne vois.
Viens, mon épouse, viens-t-en,
Départons-nous du Liban,
Montons jusques à la cime
De ces hauts monts d'Hanicma,
Hermon et Sanir qui n'a
En hautesse peu d'estime.
Contemplons vaux et campagnes
De ces très hautes montagnes,
Dont les lions et les pards
Font leurs dongeons et remparts.
Ma compagne et chère soeur
Tu m'as transpercé le coeur
Des traits que ton oeil me donne,
Tu l'as encore navré
Par ton col bien diapré
Du poil d'or qui l'environne.
Que ta riche manteline
rend une odeur moult bénigne,
Il ne se trouve senteur
Qui approche son odeur.
Ma soeur, que ton amour est
Belle, et plus que vin me plaît,
Et ta robe parfumée
Des parfums très précieux
Du Liban délicieux
Pass l'odeur embaumée.
Ton doux et bénin langage
Coulant de ta bouche sage
N'est moins doux et amoureux
Que le miel très savoureux.
Et quand j'ois ton beau parler
De tes lèvres découler
Formant ta docte harangue
Alors je dis en effet
Que tant le miel que le lait
Préface sur le cantique des cantiques de Salomon mis en vers par damoiselle Marie de Brabant, femme du Seigneur de Blacq.
L'amoureux qui jadis a chanté ce Cantique
Embrasé de l'amour de sa compagne unique
Me fait chanter encor par son embrasement
L'amour qu'il a chanté tant amoureusement.
Mon amour refroidi par un oisif séjour
A été embrasé en chantant cet amour.
O Divin amoureux, que grand est le bienfait
Que sentir tu nous fais par cet amour parfait
Que tu nous veux porter, ô que l'âme est heureuse,
Qui est de toi amour ardemment amoureuse,
Qui est ravie en toi, qui en toi seul se fonde,
Et qui vivante en toi est jà morte en ce monde,
Oubliant ses douceurs, sa volupté, son aise,
Pour n'aimer rien qu'amour voire dans le mésaise.
O bienheureux le coeur, la voix, le corps encore
Qui ne sent, ne publie, et ne sert et n'adore
Que toi divin amour, duquel la vive flamme
A t'aimer par sus tout divinement l'enflamme,
Qui ne peut que d'amour écrire, ni parler
Si franc qu'il ne se peut déguiser ni céler.
O Amour qui en moi as embrasé ce feu
De tes saintes amours que je sens peu à peu
Me consumer en toi, Donne-moi ton Esprit,
Esprit de vraie amour, afin que par écrit
Je puisse publier quelques traits saintement
De l"amour que tu as, dès le commencement,
Daigné porter aux tiens, voire (vraiment) tant singulière,
Que rien Que toi, amour, n'en fut source première.
O admirable amour, amour que tu peux bien
De toi-même embraser sans nul autre moyen
Et même dont le cours d'amoureux bénéfice
Ne peut être empêché par un contraire office,
Ainsi qu'as bien montré envers cette amoureuse
Que tu ne dédaignas tant sale et vicieuse.
Guide donc....
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