Burnat-Provins (Marguerite) 1872-1952
1872-1952
La Joconde
Femme, il est un serpent blotti dans ton sourire,
Un philtre meurtrier glissé dans tes doux yeux.
Et ta bouche troublante en aurait trop à dire
Si tu n'étais fantôme, au cœur silencieux.
Dans l'immobilité, tu vis, plus que la Vie,
Il plane un charme intense autour de ton front pur.
O sphinx hallucinant qui pense et qui défie,
Fleur au parfum mortel éclose sous l'azur.
Ta robe au ton nocturne et ta main compassée
Sous un calme perfide ont aussi leur pensée
Et ta beauté recèle un insolent mépris.
En vain je t'interroge, ô ma sœur inconnue,
Car le maître a placé son rêve dans la nue
Et nul ne pourrait dire à quel dieu tu souris.
Palette de sonnets.
La paille
Quand le soleil d'été se découvre, émergeant
Du soyeux reposoir que font les brumes floches,
Quand l'angélus chanteur va réveiller les cloches,
Les blés décolorés sont en paille d'argent.
Avec douze chevaux, midi, criant la faim.
Galope dans les champs que sa face irradie,
Au feu jaune volant de sa torche brandie.
Les blés chauds, rallumés, sont en paille d'or fin.
Quand la pourpre grandit, dans le jour décroissant.
Que le soir pâmé tremble, et que les vapeurs bougent.
On voit, dans le couchant, frémir leurs ondes rouges;
Les blés incendiés sont en paille de sang.
Et par les claires nuits que la lune consacre,
Avec leur flux glacé sous son œil souriant,
Leurs épis qu'elle change en perles d'Orient,
Les blés décolorés sont en paille de nacre.
Celui qui s'en va.
Sur l'arbre rouge, as-tu vu
le corbeau noir?
L'as-tu entendu ?
En claquant du bec, il a dit
que tout est fini,
les fossés sont froids,
la terre est mouillée.
Nous n'irons plus rire et nous cacher,
dans la bonne chaleur du blé.
Le corbeau noir a dit cela,
en passant,
dans l'arbre rouge, couleur de sang.
Je t'aime
Personne ne m'a appris ce mot. Je l'ai senti venir des profondeurs de ma chair, monter de mon sang à mes lèvres et s'envoler vers ta jeunesse et la force féconde qui est en toi.
Je l'ai entendu sortir de ta bouche avec ivresse. C'est un oiseau doré qui s'est posé sur mes yeux, si doucement d'abord, et puis si lourdement que tout mon être en a
chancelé.
Et je me suis abattue dans tes bras, tes grands bras où je me sens fragile et protégée.
La parole qui promet et qui livre, la parole sacrée jailli de notre vie ardente, planait sur nos têtes dans un clair rayon. Sylvius ! te souviens-tu ?
Alors j'ai vu passer l'Heure, l'Heure unique qui nous souriait et levait dans ses mains un caillou blanc.
Sur sa tunique, une à une, lentement les roses de son front s'effeuillaient.
J'ai vu cela à travers mes paupières fermées, la joue appuyée contre ton cœur qui marque des secondes éblouis- santes, comme un balancier de rubis.
Je l'ai regardé, les mains croisées sur mes genoux, sans l'effleurer, dans la contemplation fervente de sa splendeur, et je l'ai aimé avec mon âme plus passionnément.
Je me sens presque craintive, dominée par ce rythme qui chante à mes sens une mystérieuse musique ; je m'exalte silencieusement devant ce poème de grâce virile, d'élégance hautaine, de victorieuse jeunesse.
O Sylvius, dis-moi que tu me donnes toute ta beauté. Dis-moi qu'elle est mienne, ta tête rayonnante imprégnée de soleil, dis-moi que tu m'abandonnes ta poitrine large où je m'étends pour sommeiller, tes hanches étroites et dures, tes genoux de marbre, tes bras qui pourraient m'écraser et tes mains si chères, où mon baiser lent se dépose au creux des paumes caressantes.
J'ai regardé tes lèvres fières qui plient sous les miennes, tes dents où mes dents se sont heurtées illuminent ton sourire, ta langue chaude m'endort, et quand je m'éveille de mon vertige, c'est pour revoir ton corps triomphant,
altier comme un pilier d'ivoire, ambré connue un rayon de miel.
Et je me suis abandonnée, le front cerclé par la couronne ardente qui se rétrécissait.
Pourquoi n'as-tu pas enfoncé les ongles plus avant? Je n'aurais pas bougé et la douleur, venue de toi, serait entrée délicieusement dans ma chair.
Ton désir jeune et délirant peut romore mes muscles, courber mes os, me faire râler d'angoisse, je suis ta chose, Sylvius, ne laisse rien de moi, puisque ma volonté
s'en est allée à la dérive, dans l'eau attirante de tes yeux.
Et cette nuit, passive et nue, n'étais-je pas une reine sous la couronne vivante de tes doigts refermés.
Un feu surnaturel les a fondues dans mion cœur, comme en un creuset dévorant.
J'ai été la mère, la sœur, l'amante; j'ai été ta chair, ton sang, ta pensée, ton âme emportée vers l'au delà, vaste et illuminé.
Ton front s'appuyait au mien ; qu' est-il venu de ta vie vers ma vie dans cet éclair de radieuse pureté?
Dis-moi Sylvius, quel dieu puissant nous a prêté alors un moment de sa divinité.
Que mon âme murmure autour de ton âme comme une abeille autour d'un calice parfumé.
Que mon amour coule dans ton cœur, comme à travers les menthes bleues, la source innocente qui vit au soleil.
Que ma pensée soit une colombe blanche posée sur ta pensée.
Et que ta vie se referme sur ma vie, comme le cristal sur la goutte d'eau prisonnière qu'il garde depuis de milliers d'années.
Souviens-toi que j'ai baisé tes lèvres, afin qu'il ne leur échappe que des paroles de douceur.
Tu ne laisseras pas monter la colère dans tes yeux.
Souviens-toi que j'ai baisé tes paupières, pour que ton regard soit une caresse sur le mien.
Tu ne lèveras pas le doigt qui me menace.
Souviens-toi que j'ai baisé tes mains, afin qu'elles ne retiennent que des gestes de tendresse.
Tu ne t'éloigneras pas de moi.
Souviens-toi que j'ai baisé tes pieds, pour qu'ils reviennent fidèles vers ma maison.
Tu fermeras ton cœur à l'amour d'autres femmes.
Souviens-toi que j'ai baisé ton cœur à travers ta poi- trine, afin qu'il soit à moi par delà le tombeau.
Je ne te dirai plus combien je t'aime, Sylvius, je ne sais plus.
Je poserai ma joue sur l'écorce du chêne, l'arbre de force et de fierté, je lui dirai : Que ta feuille s'envole pour lui porter l'orgueil de mon amour. J'irai vers le bouleau délicat qui palpite, l'arbre rêveur comme un rayon de lune, je lui dirai : Que ta feuille s'envole jusqu'à celui qui a tout mon amour, pour lui en dire la douceur.
J'irai vers l'alisier qui se dore en automne, l'arbre aux fruits précieux plus beaux que des bijoux, je lui dirai: Que ta feuille s',envole, par elle il connaîtra l'ardeur de mon
amour. Tu feras un bouquet des frêles messagères et tu les laisseras se flétrir sur ton cœur.
Qu'y a-t-il au fond des landes tristes à la fin du jour?
Le dernier rayon du couchant, droit comme un couteau d'or.
Qu'y a-t-il sur les branches des chênes, quand l'ombre verse sa cendre fine sur les marais?
Des poules noires qui vont dormir.
Qu'y a-t-il vers les cabanes aux toits ondulés, dans le silence gris des brumes ?
Des bergers hauts sur leurs échasses, de longs troupeaux qu'on n'entend pas.
Et dans mon cœur, si lourd de ton absence, qu'y a-t-il ?
Toi, mon grand amour, toujours toi.
La Fleur
Il y avait une fois un femme qui était une victime, un homme qui était un assassin.
Or, l'assassin se mit en devoir de tuer la victime et celle-ci tenait à la main une fleur.
Quand elle fut près de succomber sous les coups, et qu'ayant perdu tout son sang elle exhalait à peine un souffle, la femme se redressa faiblement, frappa son bourreau de cette fleur et rendit le dernier soupir.
Alors, un de ceux qui assistaient à ce crime, car les yeux des hommes sont cruels, ne put s'empêcher de dire:
- Fallait-il que cette femme fut mauvaise et comme il a bien fait de la tuer!"
- Poèmes troubles, Editions de l'Escampette, Bordeaux, 1999
- Vous, Editions Plaisir de Lire, Cossonay, 2001
- Le Voile, Editions Plaisir de Lire, Cossonay, 2002
- Près du Rouge-gorge, Editions Plaisir de Lire, Cossonay, 2003
- Heures d'automne, heures d'hiver, Editions Plaisir de lire, Lausanne, 2004
- Publication inédite d'Heures de printemps et Heures d'été, Editions Plaisir de Lire, Lausanne, 2004
- Une nuit chez les Aïssaouas, La Revenante, Editions Zoé, collection Minizoé, Genève, 2005
- Le Livre pour Toi, Editions de l'Aire, collection "L'Aire bleue", Vevey, 2006
Bibliographie d'Alphonse Séché
- Voile latine (Genève).
- Vers et Prose.
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