Burnet (Philine): Pour les Vengeurs, 1917
Philine Burnet
Pour les Vengeurs
(Jeux floraux de Toulouse, 1915-1917), p. 40
'Il tomba de cheval, et morne, épuisé, las,
Il dressa ses deux mains suppliantes...'
(V. Hugo: l'aigle du Casque)
Arc immense, hérissé de fer et de mitraille,
Ils sont tous là, dressés en un sublime effort,
Belges, Français, Hindous et gars de Cornouaille,
De Belfort à Soissons, jusqu'à Lille et Nieuport,
Pendant qu'ivre de Haine et de Force brutale,
des monts du Wuretmberg ou du plateau rhénan,
Comme un torrent humain, la horde qui dévale
Se heurte à leur rempart où se meurt son élan.
Mais, sous le vent d'ouest ou les brouillards Teutons,
Le froid raidit les mains et gerce les mentons:
Mes soeurs, pour ces vaillants, tricotons de la laine!...
Lorsque nous travaillons sous la lampe du soir,
Et que nous entendons une très vieille aIeule
Se plaindre de mourir bientôt sans les revoir,
Songeons que sur le front, au pied de quelque meule,
derrière un an de mur ou le long d'un fossé,
Ne pouvant s'abriter sous leurs tentes de toiles,
S'ils regardent sans peur les lourds obus passer,
Ils tremblent au froid sec qui descend des étoiles...
La consigne est sévère et l'on éteint les feux;
Mais s'il faut riposter au Barbare qui guette,
Le grésil en piquants vient obscurcir les yeux
Et les doigts engourdis pressent ma la gâchette.
Pour frapper à coup sûr les vils envahisseurs,
Dont le sang répandu, déjà rougit la plaine
Et qu'ils ne tremblent pas en les visant, mes soeurs,
Pour nos petits soldats, tricotons de la laine...
Afin que les enfants reposent aux berceaux
Et dorment chadement pendant les nuits tragiques,
Quand la mère, à côté, rêve sous leurs rideaux,
Eux veillent, le coeur lourd de pensers nostalgiques.
Les ombres soirs d'automne évoquent les foyers;
pendant qu'ils sont debout dans l'humide tranchée,
Ou que, sous la forêt, tirailleurs déployés,
Sur la route, dragons, en longue chevauchée,
Courent cerner Dixmude ou prendre Tirlement,
les souvenirs d'antan, en phalange se dressent,
Et malgré la victoire, ils voilent quelque front
par le trop doux rappel des lointaines tendresses.
Que pour ceux-là, jamais ne chôme notre ardeur;
Sachant qu'on se bat mal lorsqu'on a froid à l'âme,
Dans les mailles, mettons un peu de notre coeur
A chaque objet tissé par nos doigts fins de femme;
Pour réchauffer celui de tous ces chers sodats
Qui nous délivreront de la morgue hautaine
Du Prussien exécré, reculant pas à pas,
Sans nous lasser, mes soeurs, tricotons de la laine!...
Il en est qui, tombé à côté du chemin
Quand leur sang a coulé par la trop large plaie,
Certains que leurs vingt ans seraient sans lendemain,
Se sont traînés mourants à l'ombre d'une haie;
Sentant la Mort près d'eux arrêter leur bras gourd,
Ils n'ont pu se signer pour l'ultime prière;
Sous le sol déjà lourd d'une terre étrangère
Que les pas ennemis leur ont rendu plus lourd,
Ils dorment pour jamais loin du vieux cimetière,
Sans qu'une main amie ait pu joindre leurs doigts,
Sans une fleur, sans une larme sur leur bière,
Toujours plus loin,... toujours plus seuls,... toujours plus froids!...
Ah! pour qu'ils aient moins froids dans leur tombe lointaine,
Tous ces petits soldats qui sont morts simplement,
Héros grandis encor par leur isolement,
Mes soeurs, pour les Vengeurs, tricotons de la laine!...
Académie des Jeux Floraux de Toulouse, 1915-1917, p. 40-42.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 167 autres membres