Bédacier (1670?- née Durand)
Catherine Bedacier
(née Durand)
1670-1737
La vengeance contre soi-même
(tiré de cent nouvelles nouvelles)
Contes en vers
La vengeance contre soi-même
La fille d'un Seigneur vivait chez ses parents
Dans la splendeur et l'innocence,
Ses biens, ses charmes, sa naissance,
Lui firent en secret nombre de soupirants.
Déjà dans le pays, (c'était en italie)
On ne parlait que des naissants appas
De l'incomparable Idalie.
Elle seule semblait ne les connaître pas.
Aux oeuvres d'Arachné, souvent à la peinture,
Elle passait un quart du jour ;
La promenade avait son tour,
Le reste s'employait en pieuse lecture.
On ne parlait point là d'amour.
Il était là pourtant père de la nature ;
Tout l'univers est son séjour.
Le jeune Eraste né d'assez haut parentage,
Pauvre de biens, mais riche de courage,
Ayant vu par hasard cette jeune Beauté,
En demeura comme enchanté.
Irai-je offrir mes voeux, disait-il en lui-même,
Moi qui n'ai ni moyens, ni rang ?
C'es maintenant l'argent qu'on aime,
Que sert la noblesse du sang ?
N'importe, hasardons ; il dit, il part, il vole
Droit au château qu'Idalie habitait.
Insinuant, comme il était, il sait jouer son rôle,
Si bien que les parents l'arrêtent dans ces lieux.
Cet emploi n'est pas glorieux ;
Il n'est pas bas aussi. Puis quand l'amour décide,
Voir ce qu'on aime est le solide.
Voilà donc notre jeune amant
Qui, gaule à la main, dompte travail, dresse
L'indocile poulain, la légère jument
Fruit des haras du duc, père de sa maîtresse.
Il faisait beau le voir sur son coursier hautain,
Amasser une tête, enfiler une bague,
Darder une méduse, abattre le faquin,
Plus fier qu'un Amadis qui combat l'Audriague.
D'Adonis, au surplus, c'était le vrai portrait.
C'est dans ses yeux qu'Amour choisit un trait
Pour blesser la jeune Idalie.
Il asséna son coup, elle en eut pour sa vie.
Aussitôt regards de partir
Soupirs d'aller, coeur de se rendre
Sa raison, loin d'y consentir,
Fit mille efforts pour la défendre.
Un domestique, un gueux, disait-elle, tout bas,
Triomphera de mes appas ?
Non, non ... dans ces instants Eraste était loin d'elle.
Il parut, sa raison n'osa plus raisonner,
Elle baissa les yeux, feignit de badiner ;
C'était dans la saison nouvelle.
La scène était au fond d'un bois,
Son amant la trouva si belle,
Qu'il lui parla d'amour pour la première fois.
On accepta ses voeux; l'Amour n'est-il pas maître ?
Jeunes beautés, fuyez si vous voulez parer
Les amorces d'un petit traître
Qui ne flatte nos coeurs que pour les déchirer.
Nos deux amants croyaient s'aimer sans cesse.
Trouble charmant, transports, délicatesse
Assaisonnent toujours
Les nouvelles amours.
Les parents sans soupçon laissent parler la Belle
Au novel écuyer dont on vante le zèle.
Que de rapides jours dans ce bonheur passés !
On se voyait toujours, ce n'était pas assez,
A la fin ce fut trop, non pour Idalie,
Car chacun sait que, sous les lois d'Amour,
Tôt ou tard il arrive un jour
Que l'un serre sa chaîne et l'autre la délie.
Ce jour fatal venu, l'écuyer un matin
Va chercher un nouveau destin;
S'il m'en souvient, ce fut à parme,
Où d'un nouvel objet il se rend le captif.
Déjà pour notre fugitif
De ce nouvel objet la fierté le désarme.
Elle avait un époux, mais ce fripon d'Amour
Du chaste hymen aime à troubler la cour,
Eraste et Eleonor s'aimèrent, se le dirent,
L'hyment et l'époux en souffrirent.
Idalie en apprit jusqu'au fond de ses bois
La funeste nouvelle ;
Qui la lui dit ? Oh ! qui ? la déesse aux cent voix,
Par son moyen tout se révèle;
Les pleurs d'abord furent son seul recours.
Le dépit, la fierté, le désespoir, la honte
En augmentaient, ou suspendaient le cours,
Toutes les passions y trouvèrent leur compte.
La douleur enfin l'emporta,
Mais la douleur la plus amère,
La plus tendre, la plus sincère
Que jamais l'Amour excita.
Pour y chercher remède, on met tout en usage,
On suppose un pélerinage
Promis depuis longtemps à tel Saint, en tel lieu,
On part avec un oncle en pompeux équipage,
Le tout pour la gloire de Dieu.
Dès la première couchée
Idalie ouvre son coeur
A sa suivante touchée
De l'excès de sa langueur,
La cassette aux bijoux toujours nécessaire,
Servit à recouvrer habits d'hommes, chevaux.
On coupa des cheveux si beaux
Que ceux de Bérénice attentifs aux mystères,
Craignirent des astres nouveaux.
A suivre
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