Catulle-Mendès (Jane): La Prière sur l'enfant mort,1921
Jane Catulle-Mendès
La prière sur l'enfant mort
Consulter ici l'analyse qui est faite de l'ouvrage
Extraits
Lundi… Le petit jour… L’heure du courrier dont je ne me soucie même pas… J’en attends l’annonce pourtant, avant de bouger… Il a passé… Plus rien ne suspend la montée de l’épouvante… J’écris… J’écris… Il me faut du secours… Et j’écris à mon enfant… « Réponds… ». J’embrasse le papier que je lui envoie… Je ne veux voir personne… Rien que l’attente… Il y a une immense chose informe qui approche… qui est tout près… dont plus rien ne va me défendre …
Agonie… On ne peut pas dire… Vous seules pouvez savoir, vous pareilles à moi, à qui le silence a dit un jour l’indicible chose… Agonie… Combien de temps… Je ne sais pas… Combien de temps… C’est pour toujours …
Seule avec mon malheur… Impuissance… Rien, rien, je ne peux rien… II est mort… Je lui ai donné la vie, rien ne peut faire que je lui rende un souffle de vie… Il n’y a pas de rachat. Il n’y a pas de rédemption. Il est mort… Toute ma douleur ne compte pas, tout mon amour ne compte pas… Il est mort… Je ne l’ai pas empêché de mourir…
Je ne conçois pas que mon enfant est mort… Je le vois vivant. Je vois toutes ses expressions, tous ses mouvements, sa façon d’incliner un peu la tête avec un demi-sourire, son habitude d’approcher son visage tout près du mien. Je le sens, je l’entends, il est présent, il est contre moi… Il est mort… “.
Mes deux fils, Marcel et Raymond sont près de moi, avec leurs yeux rougis, leur tendresse. Je sanglote sur leurs mains… « Maman…. Maman… » C’est tout ce qu’il peuvent dire, mes pauvres bien-aimés. Mais, dans leurs chères voix douloureuses, j’entends la voix du plus petit qui ne dira plus jamais « Maman… ». Primice était unique, en effet : « Je l’ai adoré… Je l’ai adoré… » Sa beauté… Il n’y avait que moi pour la connaître tout entière… Quand je serai morte, personne ne saura plus les secrets de sa perfection”.
Il n’est plus seul… Je suis avec lui… Il n’est plus enfermé dans l’ombre affreuse… Un peu de lumière va jusqu’à lui… Un peu d’air libre passe sur lui …. [Les hommes qui l'accompagnent, et qui, eux, ont regardé, lui assurent qu'aucune odeur ne se dégage du cadavre, que le corps et le visage de Primice sont intacts] : “La mort n’a pas osé l’abîmer », pense Jane. « Il est là, pareil à lui-même, seulement un peu pâle ». [La chaux du sous-sol champenois a rempli le cercueil et conservé le corps intact.]
Extraits publiés dans Annales Histoire, Sciences sociales, Paris, Armand Collin, Janvier-Février 2000.
Lien vers le site pédagogique auquel j'ai emprunté ces extraits
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