Charasson (Henriette): Voix dans la nuit, 1915
Henriette Charasson
1884-1972
Voix dans la nuit
La nuit est si noire, derrière le carreau devant lequel luit ma lampe allumée,
Que je ne sais plus par moments si jamais le jour brillera de nouveau.
Je songe à vous, qui êtes morts, soldats poètes dont je serrais les mains avec insouciance
Parce que dans les jardins parés on ne s'attarde pas longtemps à contempler les mêmes fleurs.
Et voici que je songe à vous, qui êtes morts, et qui étiez venus de toutes les provinces de France.
Pour reposer éternellement dans la même ligne de tombeaux.
Il y a vous, et vous que je connaissais bien, et vous qui m'étiez plus lointains, et vous dont je savais seulement le nom et des poèmes...
Toute la flamme qui fut en vous a été soufflée, d'un seul coup, d'une seule rafale,
Et c'est fini pour vous du rire et des larmes des vivants.
Est-ce qu'on rit encore, est-ce qu'on pleure sous la terre?
Et pleure-t-il avec vous, celui dont je scrute le silence?
Nous attendons, et j'entends sa voix qui m'est chère, et je crois distinguer d'hésitantes paroles.
Mais je sais point reconnaître si c'est bien lui qui parle, et si sa voix est celle que mon âme percevait naguère à travers la distance.
Ou la voix étrange, assourdie, de ceux qui jamais plus ne seront nos semblables.
Ma gorge se serre, mes yeux se voilent, et je prète toujours l'oreille à toutes ces voix de mystère...
Je songe à vous, qui êtes morts, soldats poètes dont je serrais les mains avec insouciance.
3 décembre 1915
Publié dans le numéro spécial du "Divan" consacré aux écrivains disparus
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