Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Chonez (Claudine) 1912 ou 1906-1995

Claudine Chonez

1912 ou 1906-1995

 

Ce soir

 

Un lilas mauve brûle sans feu

tout au fond du verger.

Les pommiers ronds tournent à l'horizon

ce poisson ouïes serrées file droit vers l'éther

les astres nagent

sur le lait courbe et les coques blondes.

L'univers est si plein qu'un insecte de plus

le ferait chavirer.

Les bras écrasés d'étoiles je reste

devant la groseille rouge semblable aux lunes d'hiver

cependant que Dieu comme un taon

zigzague autour du monde.

 

 

 La vie en rouge

 

A Georges-A. Astre.

 

Le sang des Coréens

l'arbre de mer aux épines rouges

le bétail forcé dans le corral

l'amour aux lèvres mordues

le pavot froissé des moissons

- il y a un monde pourpre autour de nous

 

Nuit régulatrice rose de phares

l'homme couturé de cicatrices

somnole à tes berceaux. Mais une aube

comme un incendie à sa nuque

une aube brûleuse de poisons

le lèvera, dans sa jeunesse

baigné de sources blanches

l'oeil matinal saluant sa terre

et la main chaude à soupeser les graines.

 

Poèmes publiés dans Seghers: le livre d'or de la poésie française contemporaine (T.1), 1971

 

 


 

 Pluie

 

Un square par temps de pluie

comme un bateau emmêlé de cheveux d'arbres

de toiles mortes qui volent de faux horizons.

Au banc de la galère deux amoureux s'enchaînent

Il voguent dans le philtre dans la vitre et le bleu

elle attache ses nattes dans la tempête

au cou brun cou mouillé colonne de confiance.

Ils sont partis sur l'océan des rues

à l'aventure d'aimer aux éclairs aux chairs d'ombre

aux glaces aux fureurs à l'ancre des jambes

enfonçant dans la joie.

 

 

 

Matin

 

Le vent passe au fleuve l'odeur de chemise fraîche

une volière de sons s'ouvre au loin

et naissent avec précision

les cérémonies des oiseaux

les bouteilles de lait comme des lys à l'angle des portes

le pain blanc et sa croûte de soleil.

On essuie les dalles mouillées d'étoiles

les premières voitures roulent en plein ciel

le premier visage chante aux vitres

gommant la partition raturée de l'amour. 

 

 

 

Cavalerie du lac

 

Par grand soleil

il y a des chevaux blancs dans le lac

courant avec des manteaux bleus en croupe

jambes brisées par la vitesse-lumière

ils boivent l'eau à longues goulées

le frémissement de leur échine

casse le miroir où l'on cherchait la paix

ouvre des peurs sous-marines.

Ils galopent dans leur sueur

sous les nappes les croûtes les phosphores

jusqu'aux océans inversés

à l'au-delà à l'on ne sait

au jamais plus au jamais mort.

 

2 poèmes publiés dans l'Anthologie de la Poésie féminine française de Marcel Béalu, 1953

 


 

 

 

Un soir

 

Il y a eu cet orage de tropique

parmis les flamboyants du plaisir

la vitre battant sur des chevelures immenses

la pluie cisaillée d'étoiles

la lumière avalée à plein ventre

à plein gosier à plein sang.

 

Il y a eu cette heure

d'anthracite et d'argent sous les tentures

des baisers de couteaux des rires de poudre

les niveaux de sang reversés l'un dans l'autre

 

Il y a eu

le pays sans cloison le regard sans clôture

clouant la nuque stupéfaite.

Et cette eau tendre aux nervures du corps

la fièvre du rideau calmée

la housse de nuit

sur nous bénis.

 

 

dans "Les portes bougent" (Ed. Albin Michel, 1957)

 

 

 

Métamorphose

 

Quelquefois la nuit, singulièrement après l'amour, je deviens insecte. Si l'homme de ses deux mains étrangle doucement la taille, elle s'étire et fond jusqu'à devenir un pivot excessivement grêle, mais solide comme un filin d'acier, exactement de la hauteur des mains.

 

Alors commencent à jouer avec une parfaite indépendance les muscles et les joints du bassin et du torse. Les seins se dressent, interrogent l'horizon, se tournent lentement : avec un peu d'habitude on arrive à les placer face à la cambrure des reins. En dessous les hanches glissent peu à peu, dans un mouvement plutôt ondulatoire. La masse heureuse se déplace avec une souplesse lente, prisonnière de la pression des dents. Et puis les jambes se disjoignent, chaque orteil se dédouble, gratte le drap comme une argile. A chaque articulation jaillissent des contacts, d'agiles ramifications. Les bras deviennent légers et nageurs : il tombe mollement des pluies de bras dans l'espace.

 

Quant aux antennes elles me montent de droite et de gauche, impalpables, pêchant dans l'air, inlassablement sensibles aux odeurs du sexe et de la nuit.

 

 

dans La Mise au monde (Ed. Chambelland, 1969)

 

 

 2 poèmes publiés sur la page http://www.poesie-erotique.net/ClaudineChonez.html

 





11/03/2012
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