Clifford-Barney, Natalie: La guerre, cet accouchement de l'homme... 1921
Natalie Clifford Barney
Extraits des
Pensées d'une Amazone
1921
La guerre - cet accouchement de l'homme. - Ils enfantent la mort, comme elles la vie, avec courage, inéluctablement.
Toutes ces femmes de l'arrière, casquées comme des Amazones - désarmées.
Il est temps que les Amazones ne se fassent plus féconder par l'"ennemi" - et l'ennemi n'est-il pas celui qui prendra à la femme son enfant pour l'élever ou le tuer à sa guise?
Cette terre insatiable de sang, qu'on nomme patrie.
Et vous, bourgeois, que peut votre petit zèle auprès de ces grands blessés?
Leur offrir une médaille commémorative et compensatrice de tout ce qu'ils ont perdu, aux manchots le confectionnement d'ouvrages de dames; de misérables rentes pour garantir leur misère d'aveugles - jusqu'à la fin de leurs jours sans jour?
Quel sort est à présent digne d'eux? statues mutilées de la France, victimes de leurs victoires.
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Rangez-vous donc, citadins apeurés, et baissez la tête devant ces morts qui reviennent.
Ils semblent presque tous indignes de leur malheur.
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Ce coeur des armées, le tambour démodé, son battement emprisonné comme dans de la chair du coeur.
Nous recevons la vie, généralement couchés, mais la mort, dont nous avons solennisé le personnage, mérite qu'on la reçoive debout.
De l'homme des cavernes à l'homme des caves...
La Tour Eiffel, précoce commémoration des fils de fer barbelés.
1914: immense Magic-City se terminant par son grotesque jeu de massacre.
Si l'on voit des poètes se prêter à l'action, c'est que l'action est montée sur leur sommet et qu'ils peuvent en tirer tout le lyrisme qu'ils réclament.
Ces réfugiés, avec des yeux d'un bleu qui ne se fait plus en France, ce bleu strié des vitraux en rosace, le bleu de Chartres, devenu introuvable?... Et va-t-on retrouver avec l'affluence des autres races chez vous, des pigments perdus, des procédés et des combinaisons d'êtres oubliés, des types assez anciens pour sembler nouveaux. Il faut se renouveler pour retrouver même le passé.
L'homme, qui a une tendance à accepter les sentiments tout faits et qui les préfère même résumés en clichés, trouve dans le mot: honneur, une incitation au courage. Ce mot, sans autre excuse, masque presque toujours un intérêt parfois collectif ou simplement une des voluptés de la haine. Les femmes, plus véridiques en ce qui est essentiel, souvent le dédaignent.
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Napoléon n'a-t-il pas dit que l'homme le plus courageux fut, selon lui, un soldat mort de peur à son poste?
En temps ordinaire il est difficile d'être courageux sans être trop remarqué; la guerre permet qu'on le soit d'une façon qui passe à peu près inaperçue.
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- Rôle de la femme pendant la guerre, courage muet, presque inactif, rempli seulement à faire silencieusement et sans honneurs de petites besognes navrantes: voir blessé ou mort ce qu'elle avait créé vivant, bien portant, et devant ce gâchis se donner encore, se donner toujours; sa tentation, son instinct, comme celui de l'homme de se battre, courage égal, mais le sien passe inaperçu d'être ce qu'on appelle naturel, cela rabaisse son courage à un rang animal, dont l'homme se différencie en comabttant pour un idéal, pour une fausse valeur, ou pour le plaisir.
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Je propose une croix civile pour ceux qui n'ont ni recherché, ni fui trop ardemment le danger, - pour tous ceux qui ont supporté la guerre avec un ahurissement sobre et sans paroles.
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Une jambe ou un bras de moins est devenu un insigne moral, - on les reconnaît par ce qui leur manque.
"Tas de chiennes en rut, mangeant des cataplasmes".
Arthur Rimbaud.
L'Hôtel, transformé en hôpital militaire, est prêt, avec ses quatre cents lits, pour l'énorme accouchement. ces dames des plages, déguisées en sages-femmes, attendent là, impatientes et toutes blanches, avec leur croix rouge au font et leurs belles mains ignorantes et sublimées. Et voici l'arrivage des hommes de souffrance, couchés au fond des autos, étendus sur des brancards; camionnés sous la pluie, des Marocains grelottent et voilent leurs face par pudeur. Un casque de Prussien est entre les bras d'un soldat qui n'a plus de jambes. Le petit caniveau qui sépare la rue de l'entrée de l'hôtel fait grimacer de douleur un officier. Proie étendue sur le large poitrail d'une dame âgée, un zouave, avec les trois quarts du visage qui lui restent, fume une cigarette pour se donner une contenance. celles qui n'étaient pas de service à la gare s'abattent du balcon, où elles guettaient, sur les moribonds de premier choix.
Allons à l'amour comme ils vont à la guerre.
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