Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Closset, Marie (Jean Dominique): L'ombre des roses (1901)

Marie Closset

(Jean Dominique)

L'ombre des roses

(Ed. du Cyclamen, 1901)

 

 

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Le poème du silence

 

   Puisque je t'ai perdu ô silence! c'est toi que je chanterai d'abord.

   Puisque je t'ai aimé plus que Tout, je te chanterai avec une voix, toi qui es sans voix.

   Puisque je t'ai trahi, toi plus adoré que l'Amour, je te trahirai encore et je te glorifierai.

 

   O Silence, j'ai tenu serré entre mes lèvres, ta fierté pure, et j'étais un enfant. - O silence, un enfant seul a la grandeur de se taire.

 

   J'aimais, et je ne le disais pas - je souffrais et je ne le disais pas - je pensais et mes pensées se mouraient de la terreur des paroles...

 

   Maintenant, silence, j'ai péché - j'ai péché contre toi et toi tu me repousses. - Je ne puis plus être avec toi et seul. -

 

   Ma punition la voici: rien n'existe plus pour moi que ce qui est révélé; mais ce qui est révélé est imparfaitement pur, ce qui est révélé n'est pas absolu. - Ainsi tout est vain pour mon coeur.

   Autrefois l'Absolu était: D'autres parlaient autour de moi. - J'écoutais, enfant que j'étais, et je possédais mes pensées - et je les possédais dans une solitude, avec ivresse et trouble, sans désirer comprendre ni que rien me comprît.

   Alors je ne priais pas Dieu et je portais Dieu dans mon coeur.

   Maintenant, j'ai voulu tout dire - j'ai balbutié, j'ai osé... Et ce faisant, je n'ai rien dit, mais le divin silence est mort.

 

   Il est mort et je chante... comme une femme qui a vu enterrer son fils et qui rentre dans sa maison, voilà comme je suis. Elle vient et cherche. Elle ne peut pas ne plus entendre - et elle se couvre les oreilles de ses mains, parce qu'il crie...

 

   Ainsi je m'en vais avec mes amours, avec mon amour - et chacun sait dans la maison que mon fils chéri, le Silence, est mort - et je ne pourrai jamais le ravoir - et chaque fois que je l'appelle, je le tue...

   Et maintenant je chante... j'ai chanté... qu'ai-je fait!...

 

 

 

L'ombre des roses.

 

...........................................................

Sur le sable léger de mon jardin fermé...

 

(J. Dominique.)

 

 

L'ombre des roses

 

Vous viendrez seulement jusqu'à l'ombre des roses.

Vos pieds la toucheront, vous vous arrêterez

Au bord du sable blanc où cette ombre se pose

Et tourne, suivant l'heure, à la saison d'été.

Vous viendrez de la mer et monterez la côte

Dans l'odeur du jasmin que j'ai planté pour vous,

Et je vous attendrai pour vous dire des choses

Que vous écouterez en respirant les roses,

Et l'ombre de mon âme pâlira jusqu'à vous.

 

L'ombre des roses rondes sera tendre et foncée

Sur le sable léger de mon jardin fermé

Où vous viendrez un peu quand ce sera mon jour;

Je ne toucherai pas votre main ni vos yeux,

Je regarderai loin, par au-delà, les cieux

Et la mer, et cette ombre à vos pieds dessinée

Et je n'oserai pas songer à mon amour.

Je me tiendrai debout dans un autre sentier

D'où les troènes blancs, sous les acacias,

Toucheront mes épaules de leurs doigts délicats;

Et je contemplerai venir vos petits pieds.

 

Vous resterez pour moi autant que vous voudrez

Et ce sera l'instant de toute éternité.....

 

Vous cueillerez mes roses et les emporterez,

Mais je ne saurai pas que vous êtes enfuie

Et je verrai toujours l'ombre des mêmes choses,

Et la mer et le ciel, et ma petite vie

Tourner sur elle-même comme une rose ronde

Sur le sable léger qui dessine son ombre.....

 

Quand vous serez venue, quand vous serez partie,

Vous aurez cueilli l'ombre même, avec les roses;

Je pencherai mes yeux sur la mer endormie

Et verrai fuir votre ombre même, avec mes roses.....

 

 

 

 

Le Jardin

 

à Mr et Mme L. G.

 

Du beau jardin dormant au cœur de la Forêt

Comme la Belle au Bois, paré de roses fines,

Voici le charme ancien et le calme secret :

Le ciel est pâle et frais sur les cimes bercées.

Une dame a cueilli les œillets étalés.

Des enfants ont foulé la terre des sentiers.

 


Les franges des sapins traînent sur la pelouse.

Les pieds nus des bouleaux tremblent parmi la mousse.

Les hêtres éternels semblent porter le ciel.


Les chemins sont parfaits de silence et d'atours,

Des hortensias bleus fleurissent tous les jours,

Les ormes en chantant se courbent sous le vent.


Le vent délicieux chante comme la mer,

La brume grise et bleue remplit le ciel et l'air;

Les matins se réveillent blancs comme des colombes.

Les soirs baignés de miel s'endorment dans une ombre

Rose et légère, où s'éparpillent les étoiles 

 

J'y suis venu au temps des hortensias pâles

Et des roses d'automne, froides et parfumées,

Et des œillets aussi que préférait la dame,

Et des dahlias simples aux couleurs de pêcher.


Le beau jardin dormant comme la Belle au Bois

Au cœur de la Forêt, m'a parlé de sa voix

Tranquille et ancienne comme une voix amie.

Et son charme secret et sa grâce endormie

Ont fleuri mes deux lèvres de ce poême-ci

Qui chante et rit ce soir à ma mélancolie.


                            Mariemont, septembre 1900. 

 

 

 

Dimanche

 

Un long dimanche après midi :

Tout est couleur de paradis —


Mon âme est un cytise d'or,

Mon âme est un pommier fleuri.

Mon âme est comme un paradis.

 

Je vois l'envers des feuilles douces

Balancées où le vent les pousse ;

Et l'érable est verdi de mousses.


Je sens ton cœur, ton âme encor,

Qui est candide, fraîche et bonne

Comme l'odeur du géranium.


Tu m'as écrit et c'est dimanche ;

J'ai lu ta lettre dans ma chambre,

Qui est tranquille, bleue et blanche.


La paix vient-elle ? — C'est à croire

Qu'elle n'est qu'un très bon vouloir !

Et puis, laisse couler l'espoir ! 

 

Il ne faut pas dire autre chose :

Mais des paroles accomplies,

Comme d'une chanson qui prie ;


— Les vergers sont au bord de l'eau.

— Je vois l'iris et les roseaux.

— A chaque jour suffit l'amour. 

 

 

 

 

Le Soir

 

Les pivoines se sont épanouies aujourd'hui,

Mais le vent a cassé une branche à l'érable,

Elle est sous l'arbre encor, mouillée de pluie

Avec ses feuilles dans le sable...


Maintenant le soir est venu très doux.

Et la lune est rose dans un halo roux.


Il pleut: j'allumerai ma lampe sur la table,

Et puis, je viendrai m'accouder à la fenêtre

Pour sentir à côté de ma chambre toute claire,

Les anges qui n'y entrent pas, rôder dans l'air.

 

A présent j'ai pitié des jardins si solitaires,

Mais la lune, là-bas, est la plus solitaire,

Et les pivoines lourdes se penchent dans l'allée

Avec du sommeil triste plein leur tête fanée. 

 

 

 

Paul et Virginie

 

LA nuit s'approche - les tamarins ferment leurs feuilles. - 

C'est une phrase du doux livre de Bernardin -

- Chère âme, écoute, les feuilles bougent au jardin. -


Tu fermeras aussi tes bras sur moi.

Et même, tu fermeras tes yeux contre moi ; je prendrai

Le livre de ta main, et ta main dans la mienne.


- Mon frère, parle-moi comme Paul à sa sœur,

Mon frère, répandons notre bienheureux cœur,

Dans la nuit, comme alors, brillante de candeur.


- La nuit candide approche, les tamarins se ferment,

Donne-moi ton amour tremblant comme les feuilles

Ma sœur, et parle-moi, afin que Dieu le veuille

Et que je sois l'amant de ton âme, ma sœur,

Et de ton corps, et de ton cœur...


- Les tamarins ferment leurs feuilles 

 


 

Promenade

 

Ce temps couleur de saule et l'odeur des troènes

Parfument ma douleur d'être celui qui t'aime.


L'été pâle se mouille d'une averse légère,

Les grappes des morelles pleuvant sur la rivière.


Je suis celui qui t'aime, et je vais promenant

Mes grands ennuis et mes longs pleurs d'adolescent.


Les ronces roses fanent sous le ciel délicat.

Ce temps couleur de saule a l'odeur du trépas.


L'été languit, mon cœur pâtit — des fleurs flétries

Flottent sur la rivière pour ma mélancolie.

Ah! l'odeur triste des sureaux blancs et des troènes,

Et puis ce temps couleur de saule, — toute ma peine ! 

 

 

 

 

Matin béni

 

A Mme L. G.

 

Le soleil gris et pur d'un matin de septembre,

Les feuilles baignées d'eau, brillantes dans les branches.

une vapeur de ciel descendue en lumière.

Et remontée au ciel, lente, bleue et légère.


La Forêt sans rumeur doucement élevée

Vers la candeur fragile de ce reste d'été,

Quelques oiseaux chantant — les roses toutes roses

Perdant leur frais pétales en de débiles poses,

Et la grâce envolée des sveltes capucines !.....


A peine remuée de délices intimes,

Votre âme dans ce mois des feuilles envolées

Prend la grâce captive des sveltes capucines.....


Allez, avec au cœur votre lente prière,

Et suivant le conseil divin de la lumière

Cueillez toutes les fleurs solitaires et calmes

Dans les chemins cendrés d'une ombre diaphane,


Et que ce jour bénisse de ses palmes, votre âme ! 


 

 

L'automne des pâtres

 

L'automne rose et roux siffle dans ses roseaux

L'air de chasse du vent qui chasse sur les eaux

Et l'air des petits pâtres perdus sur les coteaux.


Avec l'automne roux, fou de mélancolie,

Le vent passe en pleurant sur le roseau qui plie ;

Le feu rose du pâtre s'est éteint sous la pluie.


Le ciel pâle à miracle vole comme un oiseau

Sur le soleil vermeil voilé de brume et d'eau.

Et le pâtre frissonne et serre son manteau.

 

Le vent siffle du ciel la complainte contrainte

Sur la terre d'automne et ses molles empreintes

De chariots mouillés et de troupeaux en peine.


Le pâtre dans l'automne avec son âme pleine,

L'automne dans la plaine avec ses vents en peine,

Et l'Amour dans le vent passent doux et tremblants.


L'Automne rose et roux pleure comme un enfant. 

 

 



Septembre!

 

O Septembre! tu mets ton soleil de six heures

Au niveau de mon cœur.

Oh!  par l'allée si vieille estampe de ces arbres

J'irais tout droit cueillir ses flammes

S'il n'y avait pas l'infini.....


Il est glorieusement tombé si bas, si bas,

Qu'au niveau de son cœur on mettrait son bonheur.

Et ce serait au ras du ciel blanc monotone

Où l'ange roux d'automne annonce les langueurs

Langueur de se vouloir couché et monotone.

Langueur d'attendre rien et d'attendre sans bornes,

Et langueur des langueurs, à mourir de douceur !


L'automne ! avec ses vents, ses pluies, et ses soleils.

Trop mûrs, ou pâlissants et silencieux au ciel.

Tandis que dans les arbres, les patientes feuilles

Soulèvent mille et mille grises mélancolies,

A l'infini, à l'infini de leurs tristes petites vies !...


L'orgue met sa pédale à tout le paysage.

Rentrons loin du soleil, et regardons, chère âme.

Comment, dans le jardin qu'on a jonché de cendre.

Le premier soir d'automne lentement va descendre. 

 

 

 

 Les pigeons blancs

 

Les pigeons blancs ont traversé

L'érable roux rendu léger

Par les vents d'un nouvel automne.

 

L'arbre secoue ses feuilles d'or

Sur le beau jardin riche encor

De quelque pourpre géranium.


Un amant se lamente, bas,

D'une amante quittée là-bas !... 

Sa peine lui fait l'àme bonne.


Il s'appuie au tronc de l'érable

Rêvant des choses mémorables

Sous son front blanc d'adolescent.


Cela s'est vu tous les mille ans

Tous les cent ans, et tous les ans !

— A tous les automnes de l'an


J'ai vu passer des pigeons blancs

Entre les branches de l'érable...

Cela m'est doux et mémorable. 

 

Voici de pourpres géraniums,

Les derniers du nouvel automne !..

 

De beaux fronts blancs d'adolescents,

Dans les jardins et les sous-bois,

Rêvent d'une fois une fois !


J'aime les pourpres géraniums. 

 

 

 

Les cygnes

 

Envolez-vous comme de grands oiseaux sans voix,

Emigrez lentement comme des cygnes pâles

Mes sauvages amours !
Sortez du vieux marais où pourrissent les joncs

Entremêlés de mes pensées !

Et volez jusqu'à l'horizon !


L'air de l'automne et sa tiédeur

Secoue des plumes sur mon cœur

Comme des flocons de silence...

Élevez-vous, montez sans voix,

Mes amours lentes à mourir

Et près du ciel où, morne, tournoie votre délire.

Priez pour moi, priez sur moi !


Dans les sillons de l'atmosphère

Où mon geste las se balance,

Un duvet de graine se traîne...

Les eaux sont pleines de silence.

Le marécage est sans un bruit

Sinon d'un doux cygne qu'emporte

L'essor tardif de sa douleur... 


 

 

La lumière est fanée, son or blême se meurt

 

De trop se souvenir - et les feuilles sont molles

Que porte parmi l'eau quelque souffle passant...

Iras-tu dans l'hiver ? Attends-tu le printemps ?

Ne parles pas ! Tais-toi, tais-toi sur cet automne,

Mon cœur empli d'éternité, qui te consoles

A voir partir, partir sans cri, sans voix, là-bas.

Les grands oiseaux par dessus l'ombre du grand bois ! 


 

 

Le renard qui pleure

 

N renard a pleuré, puis la nuit est venue...

La Forêt a soufflé ses feuilles jusqu'au toit

De la demeure chaude, où l'âme s'est émue

Des vieux automnes d'or, aux familières voix.


Le vieil automne dort maintenant sous mon toit.

Comme au jardin profond où pleure, familière,

La plainte du renard et des pins aux abois

Troublés du grand émoi des caresses d'hiver.


Le trouble caressant d'un hiver espéré

Accroupit au foyer mon rêve solitaire.

Et quand, la nuit venue, le renard a pleuré.

Chaque fois, j'ai prié ma plus grave prière :


" Nuit d'hiver et de grâce, Forêt, bêtes et palmes

" Que j'écoute gémir contre la maison calme,

" Reculez votre émoi des portes de mon âme

" Ou laissez-moi mourir dans l'automne aux abois;

 

" Ou laissez que je dorme sous les pins verts et noirs

" Dans mon jardin profond où pleure, chaque soir,

" Dans l'automne troublé, la plainte du renard

" Et ce Rêve qui rêve aux portes de mon âme. » 

 

 

 

 

 

 

Le pauvre Blaise

 

"J'aime la mer comme mon âme."

Henri Heine

 

 

Le pauvre Blaise


Le Pauvre Biaise va par la plaine

Avec son cœur en peine...

Il n'aime plus rien que le ciel et l'eau ;

C'est pourquoi il va vers la mer et les bateaux.

Le long de la douce triste Mer du Nord

Il cherche une petite ville qui dort.

Mais elles ont reculé toutes devers la dune,

Roulées dans leur mante de sable — ou brune

Et blanche comme le limon et l'écume.

Bah! tant qu'il y a de l'eau et du ciel

Le pauvre Biaise ne sera pas découragé :

Ce sont les hommes seulement qui lui font peur.

Il suivra, quand il quittera la mer de sel.

Les beaux canaux aux écluses peinturlurées

Et, vite, arrivera jusqu'à la petite ville, et dans son cœur.

Alors, ce sera comme dans les Fioretti,

Et les oiseaux, les hirondelles surtout,

Viendront écouter en taisant leurs cris

Les discours de ce pauvre petit fou

Sur l'amour, et sur ce que Dieu est pour tous.

Mais quand il aura fini de dire : Dieu,

Il dira la mer par où il est venu, puis son âme 

Bleue et or, et comme une impatiente petite flamme,

Puis les étoiles qui l'ont guidé de leur mieux...

Et ce sera presque toujours la même chose

Même s'il dit qu'il est heureux,

Après avoir dit qu'il est très pauvre.

Car le vieux cœur des petites villes sait bien

Qu'il n'y a rien de nouveau depuis que la mer est mer

Et que le sable monte sur elles, grain à grain.


Puis il dira qu'il ne dit rien à personne

De sa propre mélancolie, car le silence

Est ce qu'il a gardé de plus précieux

Après avoir souffert beaucoup et peu.


Il est fleuri de bonne volonté ;

Il est venu en marchant sur la mer.

Cela se peut; elle est pleine de sel amer;

Et lui, si droit, si plein de foi et si léger !...


Il est venu sans instrument de musique,

Viole ni luth, double ou simple flûte.

S'il chante, sa respiration sera le rythme

Et sa chanson ira sans air, dans l'air, comme un parfum.

S'il chante, peut-être on n'entendra rien !


Il est venu après qu'il avait un jour tant plu

Sur la tourterelle choyée de son âme.

Et maintenant, il ne retournera plus

Là d'où il s'est enfui serrant sa petite âme...


Mais ici, que fera-t-il, sinon rire.

Sans fin, doucement, avec l'air et l'eau 

 

Et chaque jour, petit à petit, s'instruire

De ce qu'on voit venir de la mer par les canaux :

Le silence, et, quelquefois, un bateau.


Sur les bateaux, il y a le màt penché,

Et Biaise connaît la couleur des voiles :

Les blanches en triangle, les rouges en carré.

Et leur nombre qui est celui des étoiles

Quand on regarde attentivement la mer

Et qu'on sait aussi regarder le ciel,

— Que ce soit au couchant, ou bien à l'orient,

Chaque barque abandonne fidèlement le ciel,

Pour glisser à l'horizon fin sur la mer...

Et l'apparence est comme s'il naissait un oiseau

Du baiser que se donnent très loin de Biaise, l'air et l'eau.

Cela lui gonfle toujours un peu le cœur.

Bien qu'il n'ait rien à faire le pauvre petit fou,

Des baisers infinis, et qu'il soit assis au bout

D'une rue claire et vide dans une ville morte.

Où il vit, sans songer même à frapper aux portes.


Ah ! ce n'est pas moi qui dirai ce qu'il a vu

Quand fatigué de voir, il fermait ses deux yeux

Et s'en allait, avec ses mains dessus.

Les soirs où il attendait quelqu'un des cieux !

Et quand la grande mer chantait comme un coquillage,

Tant il était loin d'elle, ce qu'il a entendu.

Ce n'est pas moi qui le sait, ni même un plus sage,

Car qui suivrait sa petite àme en peine et en voyage ?


Maintenant, maintenant, le long de la Mer du Nord,

De la douce, triste, fanée Mer du Nord, 

Qui viendra quand le Pauvre Biaise sera mort,

Pour noyer dans la mer son petit corps...

Et ainsi le vêtir d'une seule caresse,

Et ainsi, l'accompagner jusqu'au seuil

Où les anges chantent en chœur :

Dieu le veuille ! Et où commence le tapis bleu du Paradis

Sur lequel on marche en joie et liesse

Avec des pieds de tout guéris...

Des vagues, jusqu'aux cieux qui portent

Les couleurs de la Vierge, quand il fait clair,

La petite ombre ira par les chemins de l'air

Jusqu'aux lèvres de l'horizon et, de la sorte,

A cause du baiser du ciel et de la mer,

Elle s'extasiera d'être si facilement morte.


Et pour Biaise on n'écrira pas " Ci gît " sur la terre. 

 

 

 

 

A bord


Le soir adorable tremblait sur la mer.

Je regardais passer doucement le soir clair,

Entre le ciel et l'eau, dans les vents et dans l'air...


L'écume, au soleil couchant moussait, rose,

Et, fléchie au sommet des vagues les plus hautes,

Prenait la courbe circonflexe des mouettes.

Jamais je n'avais vu de si belles mouettes ;

Jamais je n'avais été si seul devant la mer,

Et je me sentais triste, pâle et fier

D'être si content, seul à seul avec la mer.


J'avais quitté mon amie, j'avais quitté mon amie !

Le vent traversait mon âme avec le soleil du soir

Et je regardais ma vie du haut de mon désespoir...


Comme un bateau qui va sur l'eau.

Va, mon Rêve, sur mes sanglots...

Il se fait tard, la mer est noire.


A droite, encor un soleil mort,

A gauche, la lune est à bord ;

Au milieu, c'est mon blanc mouchoir! 


Il est trempé comme une voile

Sombrée dans la marée natale...

Où est ma mère, qu'elle pleure !


Je veux aller où l'on demeure —

La lune ronde est dans le ciel

Blonde comme un gâteau de miel.


Au galop fou des violons

Et des harpes tristes qui bêlent

Tout le long le long de ce pont,

Je tourne, en chœur, ma ritournelle

"Comme un pauvre petit bateau Qui va sur l'eau ! " 


 

 

 


 

 

En déroute


Je cours !... mais l'herbe de la dune

Sèche sur le sable brûlant.

Ma silhouette au paysage est importune,

Va, ma pensée, contre le vent!

 

C'est pour gagner la mer, de butte en butte.

De mer en mer aussi, gagner le ciel, sans doute !...

Va-t-en, mon cœur, contre l'amour, de lutte en lutte,

Le sable a bu mes larmes claires, goutte à goutte...

Une âme est en déroute ! 

 

 

 

L'inutile voyage

 

Ne détournez pas mon visage

Du grand visage de la mer,

Rien ne peut me rendre mieux sage

Que de laisser mes yeux amers

Longtemps sur les flots de la mer.


Ils reviendront, mes doux regards

Au reflux gris des vagues lentes

Avec les algues odorantes

Qui s'en vont aimer autre part

Et meurent après, sur nos landes...


Et sois mon phare à l'infini.

Pauvre amour de mon cœur fini !

Et sois ma demeure fragile,

Algue ou coquille, jusqu'aux îles

Où de roses coraux s'étonnent, immobiles,

D'avoir aggloméré d'inutiles asiles ! 

 

 

 

 

Le Silence  

à Mme Th. V. R.

 

Brise lames sous vos écumes,

Trembles légers parmi la dune,

Et chemins doux de sable — et lune.

Flottant, petit lambeau de brume,

Haut, clair et bleu, sur une dune !


Digue de pierre, plage molle,

Et mer déserte qui console

D'être désert ! Calme parole

Des flots touchés par l'auréole

Du soleil mort — Lumière molle !


Caresse aux pieds des bonnes grèves.

Brûlure aux yeux — luttes et trêves.

Et Brise au large sur les Rêves !

Tiédeur des soirs, exquise et brève,

Et du silence, au bruit des vagues, sur les grèves!...

 

Knocke 1898

 

 

Le calme

 

 

L'odeur légère des petits liserons

A la saveur amère et fine des amandes,

Et c'est au bord du pavé blanc qu'ils sont

Couchés au ras de l'herbe - en guirlandes.

Et j'ai marché dessus du village à la mer. -


Le sable tourne un peu sur place, et vole un peu

Dès que le vent s'agite - les oyats verts

Sont piquants de près, mais de loin, soyeux.

Il y a mille hirondelles dans l'air...


Par ces voiles de rouge toile

Que les pêcheurs mènent au loin dans l'horizon,

Par ce tendre crépitement vague et frais de la mer,

Qui est imperceptible mais immense,

Je donne à mon cœur d'autrefois le grand pardon.

Et je l'envoie pour qu'il s'en aille en délivrance.

Avec sa faible lâcheté d'aimer mourir.


Mais, pour moi, je veux accepter le calme

Et si mes barques rentrent disséminées et pâles,

Je les rassemblerai seulement pour ouvrir

Plus hautes et larges leurs ailes de toile ;

Puis, balancées, je les verrai repartir. 

 

Et moi, je me tiendrai en silence et sagesse

Sur le bord, avec mon cœur doux comme une étoile,

Pour guider au loin de moi mes désespérés espoirs ! 

 

Westende, 1900

 

 

 

 

Les Anges


Des anges, maintenant, sont passés dans le vent:

Ils laissent sur la mer flotter leurs ombres

Comme de grandes violettes qui se fondent.

Et volent, balançant leur ronde.


Ils ont laissé tomber, les anges, mille plumes,

Et mille cygnes viennent du fond de l'horizon

Mais ce sont sur la mer les longs bras de l'écume

Qui rament sous la lune, et s'en viennent et vont.


Les anges sont montés sur la dune pâlie.

Ayant su traverser les ruisseaux de roseaux.

Et béni les iris à la fleur endormie.

Et répandu le soir dans l'air et dans les eaux.

 

Mais voici qu'une fille a pleuré sur la dune !

Une fille pleure un peu, et pour l'amour de rien,

Et pour l'amour, enfin, s'est enfuie sous la lune.

Et les anges respirent blottis contre son sein.

 

Ils sont venus ce soir du bout du ciel divin,

Et du fond de la mer, et de l'air et de l'ombre,

Pour s'abriter au creux de son petit chagrin

Plus mystérieux que le monde. 

 

 

 

Sommeil

 

Vêtus de ciel et d'ailes, des anges qui volaient

Sur la mer, ont ému le silence de lait

Où la nuit blanche et pure, aux étoiles dormait.


C'est l'automne et la paix sur la mer violette

Le vent n'y souffle pas des feuilles desséchées,

Mais l'écume qui plane, à peine soulevée,

Est pâle comme un cygne et comme une mouette.


Les Illusions fières, en déroute d'adieu,

Regagnent lentement les bords de la Lumière,

Et les hommes couchés dans leur sommeil de pierre,

Inconscients et faibles, ont fermé les deux yeux.


Et les deux yeux fermés sur le vide et sur l'ombre,

Ils écoutent passer les beaux anges sans nombre

Vêtus de ciel et d'ailes, ineffables et forts

Comme la Nuit, la Mer, le Silence et la Mort. 



 

 

 


Nieuport-Ville

 

 

 

 

 

à Mme L. G.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A Nieuport-Ville, où les hirondelles sont dames,

Rien ne vit plus autour du clocher rond

Que leur douce et criarde prière, pour les âmes

Des femmes qui sont toutes mortes dans les maisons.

Et des hommes qui, sans doute, en mer mourront...


A Nieuport-ville, les géraniums seuls sont aux fenêtres,

Et l'océan est au delà du canal blanc

Et des écluses peintes, mais le soir, on l'entend

Crépiter tendrement, comme s'il arrivait, peut-être

Du bout du monde, pour chanter avec les hirondelles, à vêpres.


A Nieuport-ville, il y a des rues larges, avec au bout,

La voile rouge d'un bateau restée debout,

Plus loin des arbres en procession légère...

Et au ciel tous les bleus et tous les verts de la mer.


A Nieuport-Ville, j'ai pensé que St-François

Le « Vilain Petit Frère », celui d'Assise,

Aurait peut-être, de par sa belle et bonne Foi, 

 

 

Mené tous les petits poissons droit dans l'Eglise...

Et les oiseaux, et ceux de l'air et ceux de l'eau.

Et fait éclore joyeusement mille merveilles,

Et mille douces Fioretti nouvelles. 

 

 

 

 

 

 

Les Confidences.

(Poèmes silencieux)

 

Tu es resté bien longtemps seul Chaterton!

A. de Vigny


 

I


Les obscures chansons qui passent

Sous mon front, cet après-midi,

Comme les bouleaux des taillis.

Tremblent d'automne, résignées...

Et leurs sveltes corps nus s'effacent

Dans les brumes de mes pensées.

 

Elles s'en vont, inexprimées,

A travers l'àme toutes pures,

Et mon silence les rassure.

Ce sont de frêles épousées

Pour mon cœur banal et fidèle,

Et j'ignore presque tout d'elles,

Mais je les aime — c'est assez !...


C'est assez d'aimer et le dire

Par ce doux-pâle après-midi

A ce qui ne peut pas en rire,

Les rideaux clairs, les bouleaux gris.

Et ces chansons qui viennent, vont,

Mystérieuses, sous mon front... 

 

 

 

 

La chute des feuilles


« Le rossignol était sans voix. » 

(Millevoix)


Je dors doucement comme un mort

Navré des musiques de vie

Comme un doux mort sans nulle envie.


Les musiques navrent la vie

Au dessus de moi, mais ô mort

Fais que je sois celui qui dort !...


Doux et simple, contre la mort

Bat mon pauvre cœur sans envie,

Triste pourtant comme la pluie.


Navrés par cet automne encor,

Sur mes belles feuilles de vie

Glissent les doux souffles de mort

Et les musiques de la pluie. 

 

 

 

III


J'ai penché ma figure sur les roses fanées,

Ce soir, devant la glace et par toute la nuit 

L'odeur des roses mortes et la lampe allumée

Versent le doux vertige et les mélancolies...

Je suis pur, je suis triste, je pense à toi que j'aime,

J'ai de grands souvenirs et de folles étreintes

Pour ce bouquet flétri, dans mes deux mains pressé.

Oh ! je n'ai pas sommeil, et c'est une agonie

De souhaiter, si tard, l'orgue de Barbarie

Ou n'importe quel chant qui serait vague et tendre...

Et je meurs de ta voix que je ne puis entendre. 

 

 

 

IV


Lors, comme un bouquet délié se répand,

J'ai reçu de ton cœur les roses et les roses.


Les corolles pliaient dans le soir languissant,

Il soufflait du silence au visage des choses.


J'écoutais ton amour monter, pâle et brûlant

Pour un autre — et tout bas, je redisais ces choses

Vers toi, timide, et d'un accent tout implorant...

 

Tu ne m'entendis pas — les roses se sont closes,

Et ta bouche et la nuit, et mon cœur confident,

A qui tu dédiais cruellement ces choses...


Maintenant que j'y pense, mon âme se répand

Comme un bouquet fané dans une chambre close. 

 

 

 

 

V

 

Mes mains ont perdu l'habitude

De courber leurs doigts de tristesse

Pour de consolantes promesses.

Voici le jour des solitudes!...

Mon corps a perdu l'attitude

Des passionnantes tendresses.


Voici le jour des solitudes !...

Je ne verrai plus l'attitude

De vos amoureuses promesses...

Vous avez perdu l'habitude

De me parler avec tristesse.


Voici les pieuses tendresses

Désavouées, en l'attitude

D'une machinale caresse...

Fermez mes yeux de solitude

Avec vos doigts vains, sans tristesse

Je dormirai par habitude. 

 

 

 

VI


Le printemps brûle aux cierges blancs des marronniers,

Il consume mon cœur par leurs cent mille fleurs,

Mon cœur, processionnant seul à seul en grand'pitié

A cause d'un chagrin. Seigneur !


C'est ici que je prie notre Dame des pétales,

Bonne à ceux qui savent effeuiller leur âme

Pour un mortel amour en tout digne des palmes

Que les marronniers, à l'automne, donnent.


Ils s'en délivrent, chute plaintive, défunts atours !

Ah ! qu'octobre alanguisse les poitrines malades

Jusqu'au désir d'aller souffler sur les étoiles.

Sœurs trop pareilles des cierges blancs, brûlant, très pâles.

Leurs doux pétales et leurs étamines débiles !


En attendant, tombez, tombez sur mes cheveux,

Processionnez d'en haut vers mes candides yeux !

A ma bouche, leur sève virginale, qui touche.

Et sur mon front, leur finale bénédiction.

Et dans mes mains, avant d'aller sur les chemins.

Une halte légère au creux des paumes lasses, 

Tandis qu'autour, le printemps rit, dans l'air qui chasse

Cent mille cœurs vers Notre Dame des Douleurs,

Selon l'amour et la ronde vaine des jours. 

 

 

 

 

VII

à B. R.

 

Tu le leur as donné, mon ami,

Ton cœur, ton cœur que j'adorais !

Tu le leur as donné à lire en français

Dans un livre couvert en toile ou en papier :

C'est là-dedans que l'on t'a mis, pauvre ami !


Ah ! Pourquoi pas tout simplement dans la terre,

Auprès de ton père, auprès de ta mère...

Où j'aurais pu veiller à l'aise, mon ami.

Et semer du sainfoin et du souci.

Et dessiner un tout petit parterre,

Pour toi, pour ton père et pour ta mère !


Maintenant je cours et je vais partout

Pour empêcher que l'on blasphème, sans savoir,

A cause de ton doux grimoire

Que les gens mettent sur la table ou dans l'armoire

Et que tout le monde peut voir.

Cela est fatigant et triste comme tout !

Mon ami, mon ami, où allons-nous? 

 

Ah! les quatre fleurs du petit jardin;

Ah ! dormir cendre et se réveiller parfum.

Entre les grilles où l'enfant vient le matin

Jouir un peu de n'être qu'un,

Et d'être celui seul qui se souvient! 

 

 

 

 

 

VIII


Tu bavardes, le soir, mon cœur, avec des ombres,

De douces ombres simples qui ne te craignent pas.

Touchant ta peine, à peine, de l'ombre leurs doigts,

Pleurant des larmes claires de leurs prunelles sombres,

Berçant avec des mots la douleur de ta voix.

Tu bavardes et ris d'un rire d'enfant pauvre

Devant l'humble brouillard fleuri des graminées

Qui doucement s'ébranle à son souffle affamé.

En attendant qu'un dieu, du blé ou de l'épeautre.

Fasse un pain gris ou blanc pour sa faim consolée.

Mon cœur, tu m'es plus doux que le plus doux des livres,

Les soirs où, fatigué de l'attente divine.

Tu t'endors comme un simple au bord d'une eau de cygnes

Et laisse tes beaux Rêves, par la faim rendus ivres.

Perdre leurs plumes sombres, sur la mare, dans l'ombre... 

 

 

 

 

IX

à Mme M. G.


Mettons-nous au sccret dans notre humble douleur,

Mon cœur, mon cœur Faisons-nous bien petit, petit,

Vivons comme un pauvre accroupi, Là, soyons oublié, fini !

Mon cœur, cache-toi, tout est dit. —

Dix heures, onze heures! c'est la nuit On ne passera plus ici ! —

Ils sont partis, les gens, les choses —

Ah ! qu'il pleuve du ciel des roses

Pour ma mort simple et naturelle.

Ah ! qu'il s'ouvre un morceau de ciel !

Silence... j'ai les bras croisés, —

Les pieds rejoints, les yeux fermés,

Voici venir une durée.

Voici venir l'Eternité. 

 

 

 

X

 

Comme il fait clair et solitaire

Sous ma lampe ! — et silencieux

Dans mon cœur, et morne et joyeux

A la fois, dans mon âme fière

Et dans mon beau sort douloureux!.


Comme les roses sont légères

Qui se fanent près de mon cœur

Et qui retournent en poussière...

Comme le pâle et doux malheur

Pour la nuit et la solitude

Me garde avec sollicitude !


Comme les voix sont éloignées,

Comme les pas s'en sont allés,

Comme les chemins sont unis

Où l'on n'a pas beaucoup marché

Depuis qu'au monde, je fus mis!..


Comme le silence est ici !

Avec le soir, avec son bruit

De pendule — et son doux ami

Le sommeil, et la chère nuit 

Qui m'a patiemment appris

La petite mort légendaire

Des poètes qui font des vers...

Comme j'ai mal à ce cœur-ci,

Bien qu'il soit léger de souci

Autant qu'asphodèle en épi.

Autant qu'ombre sur la poussière

D'une asphodèle pour les morts,

Autant que son doux nom sonore...


Ah ! tourne, tourne l'Univers !

Tournent les mots, tournent les vers

Et tourne ma petite voile

Au petit vent qui l'accompagne

Sur la petite mer amère

De ma grande âme solitaire! . . .


Fin

 


 

Ce recueil de poèmes comprend également une nouvelle en prose intitulée "Le Gilles en blanc".

 



15/05/2013
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