Coppin (Marguerite) 1867-1931
Marguerite Coppin
1867-1931
(Séché, Gallica)
- Belgique
- Féminisme
- La bicyclette "as a freedom machine" (Wikipedia)
Aux Poètes
Hé bien ! non, hé bien ! non, je ne vous comprends pas !
Vous vous plaignez, ô grands, que j’admire d’en bas,
Infime, humble, et pourtant plus grande que vous n’êtes !…
Vous tous que je révère, ô divins ciseleurs
Des vers taillés dans l’or ; et vous les fiers penseurs,
Vous qui formez l’élite, artistes et poètes ;
Tons vous pleurez sur vous, sur votre coeur blessé,
Sur la joie envolée et l’amour délaissé,
Sur l’amie oublieuse – ou sur votre âme errante
Qui n’a pas su rester dans le nid que deux bras
Lui faisaient doux et chaud ! Tous vous pleurez tout bas
Ou vous criez tout haut que la vie est méchante !
Hé bien ! non ! je ne puis vous comprendre et saisir
Pourquoi ce dégoût vain après ce vain désir,
Pourquoi ces pleurs de rage après ces cris de joie,
Pourquoi cette amertume immense en votre coeur,
Pourquoi ces fronts pâlis et ces frissons d’horreur,
Où toute volupté dans le mépris se noie !...
N’est-ce donc pas assez d’avoir connu l’amour
D’un élan merveilleux jusqu’au divin séjour
Où le dieu rayonnant sourit à ses fidèles,
N’êtes-vous pas montés, frémissants de bonheur,
N’avez-vous pas goûté l'orgueilleuse douceur
De planer sur la joie et la douleur mortelles ?
N’avez-vous pas baisé des yeux brillants et doux ;
N’avez-vous pas pressé dans vos deux mains, à vous,
Des mains qui se tendaient toutes à vos tendresses ?...
N’avez-vous pas rêvé, le soir, à coeur gonflé
Tout vibrant de bonheur récent, tout affolé
De penser, les yeux clos, aux futures ivresses ?
N’avez-vous donc cueilli la fleur d’or de l’amour
Que pour la voir faner et pâlir en un jour
Que pour que son arôme ineffable s’efface ?...
Que pour fouler aux pieds ses pétales brisés,
Et maudire et railler tous les coeurs abusés
Qui n’ont pas su garder la fleur fraîche et vivace !
Eh ! bien, non, je ne puis vous comprendre, hé bien non !
Car si l’amour demain devait fuir – oh ! pardon,
J’ai peur de t’offenser, dieu cher que je blasphème ! –
Le parfum de la fleur embaumerait mes jours
Et du souvenir doux et cher de mes amours
Je ferais du bonheur encor – sans anathème !…
Si vous pouvez maudire après avoir aimé
Si vous trouvez le mot qui raille ou qui décrie
Sur la lèvre qui dit, dans un soupir pâmé,
Le mot divin « Je t’aime » à la lèvre chérie !...
Si votre coeur regrette un seul de ces instants
Qui font toute une vie infiniment heureuse ;
Si votre chair est froide aux souvenirs brûlants ;
Si rien n’émeut votre âme endormie ou haineuse !...
Si vous pouvez lancer des brocarts de mépris
À la vie ineffablement belle et sacrée
Qui vous donna l’Amour !... le seul trésor sans prix,
La joie unique, entière, incorruptible et vraie !...
En suivant de si bas votre essor acclamé
Dans les cieux où la gloire attend les grandes âmes
Je vous le dis, ô grands ! en vos beaux vers de flammes
Vous avez dit l'amour :
Vous n’avez pas aimé !
Extrait de Poèmes de femme.
Un bonheur tout banal
Un bonheur tout banal et vulgaire;
Qui chauffe tout l'hiver ses pieds gourds à la flamme,
Qui préside à la table, ici, mari, là, femme:
Qui n'est point admirable et qui n'est point infâme
Le bonheur très-bourgeois, sans lyre - et sans détour!
Et ce doute anxieux de moi, ce doute horrible
Qui jamais ne me quitte. Hélas! Je me dis "Non
Ce bonheur te serait peut-être bien possible
Pour quelques jours, et puis l'indomptable démon,
L'ennui te courberait sous sa griffe terrible!"
Non. La vie est ainsi que nul ne peut plier
Son âme à ses désirs, son sort à ses caprices
L'hirondelle se meurt aux cages protectrices:
Les douceurs du foyer, vainement tentatrices,
Ne sauraient, même à toi, pour longtemps me lier.
Il me faut l'amour vague et tendre que l'espace
Accueille en sa splendeur et dore de ses rayons;
Mon coeur est trop étroit et mon âme trop lasse;
Je puis aimer, oh! oui! mais j'ai perdu l'audace
De croire à mon amour plein de déceptions!
Alors!... Alors je veux rêver à l'heure chère
Où pendant un jour bref, notre amour s'incarnant
Ne vivra que le temps d'imprimer son mystère
A nos yeux éblouis d'un éclat rayonnant.
Mon âme n'est point faite au bonheur monotone;
Mon coeur ne cherche point un nid où s'enfouir;
Donnez-moi le grand ciel - qu'il gronde ou qu'il rayonne -
Et l'amour idéal qui ne peut me trahir.
Extrait de Poèmes de femme.
Le Beau
Il ne faut point chercher si loin le lac d’azur
Et le mont, et le fleuve, et les sombres vallées
Pour permettre à son coeur les vastes envolées
Et cet amour du Beau, si puissant et si pur.
Mais simplement lever les yeux ; et sur le toit
Regarder de la rue obscurément étroite
L’étroit morceau de ciel, qui scintille et miroite
De topaze et de pourpre su soleil qui décroît ;
Parfois un lourd nuage y glisse, triste, obscur ;
Et tous les soirs, su moins une étoile y vient luire
Et l’infini du Beau, qui ne peut se traduire,
Vibre entier dans cet astre et ce morceau d’azur !...
Ah ! le rêve est partout – et partout l’idéal,
– Et partout le bonheur – pour qui veut le comprendre.
La vie est si remplie ; et la main qu’on sait tendre
Peut saisir tant de mains ; et guérir tant de mal !
Et les yeux bien ouverts, les yeux qui veulent voir,
Peuvent tant admirer ! Mais, que de fleurs on passe
Qu’on ne regarde pas ! Et que de joies on chasse
Qui naissent tous les jours du plus humble devoir !
Cueillez toutes les fleurs, chacune a sa beauté.
Et regardez le ciel, fut-ce aux fenêtres closes ;
Et cherchez – comme en juin vous chercherez les roses –
Les tristes, pour leur voir un éclat de gaîté ;
Et prenez à la Vie avec tout votre coeur
Tout ce qu’elle vous offre. Et vivant aux coins sombres,
Levez les yeux, sachant qu’au-dessus de ces ombres
Le ciel brille – et l’amour – dans leur pure splendeur.
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